19 mars, 2024

1859 – L’affaire des 3000 morues.

Le 12 septembre 1859, l’Agence Commerciale des États-Unis à Saint-Pierre faisait part aux autorités de Washington d’un rapport accusant des pêcheurs américains d’actes inhumains sur les grands bancs de Terre-Neuve.

Le rapport, établi suite au naufrage du navire Harmonic de Fécamp, reprochait à plusieurs navires américains de non-assistance, et au capitaine du navire Essex d’avoir marchandé le sauvetage de l’équipage contre 3000 morues.

C’est donc le 6 septembre, que le Consul américain George Hughes reçut plusieurs copies des communications qui avaient eu lieues entre l’Ordonnateur et le Commandant des Iles Saint-Pierre et Miquelon. Le Comte de la Roncière avait dès le 5 septembre fait savoir à l’Ordonnateur qu’il qualifiait les actes des navires américains «d’une lâche inhumanité » et que le marchandage du capitaine de l’Essex était « un ignoble marché ». C’était pour le comte de la Roncière des actes « peu honorables. »

Venons-en aux faits.

Selon les premières communications, le navire Harmonic était en pêche sur le Grand Banc de Terre-Neuve. Le 23 août, à la suite d’une voie d’eau qui avait commencé le 21, l’équipage avait cherché refuge à bord des goélettes américaines. Plusieurs de ces navires avaient « impitoyablement refusé d’assister » les malheureux naufragés. Une seule goélette, l’Essex de Beverly, avec à son bord le Capitaine William Whelding avait consenti à rapatrier l’équipage de l’Harmonic à Saint-Pierre moyennant 3000 morues. Inutile de dire que le rapport du capitaine fécampois avait fortement ému et indigné le commandant de la Roncière.

Étant donné la gravité des accusations portées contre ses concitoyens, le Consul américain décida alors d’interroger le capitaine et l’équipage de l’Essex ainsi que le capitaine et un membre de l’équipage de l’Harmonic.

Le rapport de George Hughes fit état d’une tout autre histoire. En voici le résumé : le 23 août, le capitaine du navire Essex fut convié à bord d’un autre navire américain, l’Ariosoto. Le capitaine de l’Ariosto indiqua au capitaine de l’Essex que le navire français était en train de sombrer et que l’équipage cherchait à rejoindre Saint-Pierre et que ceux qui les prendraient pourraient embarquer les morues se trouvant à bord de l’Harmonic afin de compléter leur cargo avant de quitter le Grand Banc. La même offre fut proposée au capitaine de l’Essex.

Ainsi, la chaloupe de l’Essex aborda l’Harmonic et les deux équipages transbordèrent une partie de la morue à bord. De plus, il ne fut nullement question de sauver des vies humaines mais de rapatrier l’équipage à Saint-Pierre dans les plus brefs délais, marchandage aidant. Selon les deux capitaines américains, la vie de ces marins ne semblait pas en danger immédiat.

Le marché était donc simple : rapatriement direct à Saint-Pierre de l’équipage de l’Harmonic contre la morue se trouvant dans ses cales.

Les Américains, respectèrent leurs obligations et ramenèrent les marins à Saint-Pierre le vendredi 2 septembre suivant.

Que s’est-il alors passé dans la tête du capitaine de l’Harmonic ? Regrettait-il son marché, quelles étaient ses obligations vis à vis de son armateur, avait-il cru pouvoir profiter à contre-coup de cette mésaventure ?

Lors de l’interrogatoire du capitaine de l’Harmonic, il avoua avoir proposé le sauvetage de sa cargaison de morue pour compléter celle de l’Essex afin que son équipage puisse être rapatrié à Saint-Pierre. Le capitaine avoua aussi que l’Essex resta plus de dix-huit heures à côté de l’Harmonic, et que la vie de son équipage n’était pas en grand danger. Les 3000 morues furent donc données au capitaine de l’Essex pour compléter la cargaison et permettre un retour précipité à Saint-Pierre. Le capitaine ira même jusqu’à déclarer que pendant la traversée de dix jours, qu’ils furent l’objet des soins constants et des égards de l’équipage de l’Essex.

Que d’embarras pour l’administration de Saint-Pierre ! A la lumière des faits, l’Ordonnateur dut indiquer que sa première lettre devait être considérée comme nulle et non avenue, cependant le Consul ne se montra pas satisfait et exigeait que des explications plus fournies soient acheminées.

En réponse à quoi, l’Ordonnateur assura le Consul que le « Commandant s’est empressé de retirer l’appréciation défavorable qu’il avait porté en (…) lisant (le premier rapport) »

Ainsi fut clos un indicent diplomatique entre les autorités françaises à Saint-Pierre et le Consulat américain.

Source : Despatches From U.S. Consuls in St. Pierre and Miquelon, 1850-1906. T487, RG059

Grand Colombier

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