25 avril, 2024

1839 – 1840 – Le Prince de Joinville

La frégate la « Belle-Poule » 1839-1840 sous le commandement du Prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe

Le 17, nous quittâmes Saint-Georges. Dans la matinée du 23, pendant une éclaircie qui se fit après cinq jours de navigation au milieu d’une brume épaisse, nous aperçûmes l’île Saint-Pierre à petite distance dans le nord. La goélette de l’Etat la Gentille nous amena le capitaine de port pour nous piloter. La soirée était trop avancée pour entrer le jour même; ce ne fut que le lendemain, après avoir louvoyé toute la journée pour gagner la passe du nord-est, que nous pûmes atteindre le mouillage. Le prince reçut aussitôt la visite du commandant, M. Mamyneau, capitaine de vaisseaux en retraite; à son- départ du bord on le salua de neuf coups de canon.

Comme chacun sait, la France ne possède plus, en toute propriété, dans les parages de Terre-Neuve, que le petit archipel Miquelonais composé des îles SaintPierre, Miquelon et Langlade. Grâce à son port, SaintPierre est le siège du gouvernement, quoiqu’elle soit plus aride, et bien moins grande que Miquelon et Langlade qui, en réalité, ne font qu’une seule île, puisqu’on va à pied sec de l’une à l’autre par une chaussée, un isthme bas et étroit, formé, depuis une époque qui ne doit pas être très ancienne, par le mouvement des sables et des eaux. La rade de Saint-Pierre est un creux, abrité par des îlots qui laissent entre eux deux passes, celle du nord-est, et celle du sud-est; la première est seule praticable pour les grands navires. Au fond est le bourg de Saint-Pierre, dominé par des montagnes où pousse une maigre végétation, des herbes et de tout petits sapins. Les maisons sont en bois, alignées de manière à faire une grande rue, coupée par quelques autres plus petites. Le gouvernement est sur une petite place au bord de la mer, près d’une petite batterie, la seule défense de l’île dont il serait facile de faire un Gibraltar. Tout cet ensemble nous parut charmant, très civilisé, après le séjour que nous venions de faire dans les bois.
Des rochers formant devant le bourg un port naturel, un barrachois, où des navires de commerce de moyenne grandeur trouvent un excellent abri. Il y avait alors une vieille goélette de l’Etat désarmée, la Brestoise. C’est dans le barrachois que se retirent, pour hiverner, les bâtiments légers de la station navale.

Dans la saison où nous étions, vues des hauteurs, la rade et la mer offrent un assez joli coup d’œil. Une multitude de bateaux sont employés à la pêche du capelan ou de l’encornet, qui servent d’appât pour la morue; d’autres se rendent à la Grande Terre qu’on voit à l’horizon. La rade et le barrachois sont pleins de navires; les uns arrivent, les autres partent. De tous côtés, la plus grande animation règne sur les graves, où l’on travaille à la préparation de la morue. L’hiver doit contraster étrangement avec toute cette activité, lorsque les navires sont partis, que la rade est prise par la gelée, que la neige, couvrant la terre de plusieurs pieds, confine les habitants au logis.

Le lendemain de notre arrivée, le prince descendit à terre, au bruit de l’artillerie de la batterie, de la Gentille et de la Brestoise (quatre espingoles !) Les autorités l’attendaient au débarcadère, c’est-à-dire le commandant de la colonie, en uniforme de capitaine de vaisseau, le médecin en chef, qui joignait à ses fonctions médicales les fonctions judiciaires, le curé de Saint-Pierre, le capitaine de port, et un vieux Monsieur en habit vert, à boutons de métal blanc, avec deux petites épaulettes d’argent, comme on en voit sur les vieux portraits d’officiers du siècle dernier, qu’on nous dit être le commandant de la milice : quant à cette dernière, où était-elle? Existaitelle seulement? Pour donner plus de solennité au cortège, ordre avait été donné à la gendarmerie de Langlade de se replier sur celle de Miquelon, et à ces deux gendarmeries de se replier sur celle de Saint-Pierre, ce qui faisait en tout trois gendarmes à pied et un brigadier. Tout cela n’était peut-être pas très majestueux, mais on fait ce qu’on peut, et l’accueil enthousiaste, cordial de cette bonne population, en disait plus que bien des pompes officielles. Le prince parcourut toutes les rues, et au moment où il revenait dans la principale, il put voir sur un grand écriteau, qu’on venait de clouer, que désormais elle s’appellerait rue Joinville. Le dimanche suivant, il assistait à la messe avec la plus grande partie des états-majors.

L’église était pleine; notre musique jouait ses plus beaux morceaux; il est à supposer que la population de Saint-Pierre n’avait jamais entendu rien de pareil. Je ne saurais dire si depuis lors l’église paroissiale a été remplacée par une construction plus luxueuse; à cette époque, ce n’était qu’une bâtisse en bois, qu’on pe distinguait guère des autres maisons que par une petite cloche au-dessus du toit. L’intérieur était à l’avenant de l’extérieur, c’est-à-dire bien pauvre; pour toute décoration, quelques petits navires pendus au faîte, rappelant les sinistres dont ces rochers brumeux sont souvent le théâtre.
Le 30 août, nous quittions Saint-Pierre, mais le calme nous retint en vue de l’île pendant plus de vingt-quatre heures. Le vent se fit de l’est et nous permit de faire route pour Halifax. Cette navigation ne laisse pas que d’être assez difficile; les brumes sont fréquentes; il faut une surveillance constante, à cause du grand nombre de navires qu’on rencontre dans ces parages. Il y a à se tenir en garde contre des courants violents, à se défier d’un dangereux écueil, l’ile de Sable, tristement célèbre dans les annales de la marine française par le naufrage de la frégate l’Africaine. Aux attérages de la Nouvelle Ecosse, les bas-fonds et les brisants ne manquent pas non plus.

Grand Colombier

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