28 mars, 2024

1887 – Nos petites Colonies, Amériques : Saint-Pierre-et-Miquelon

Nos petites Colonies
Hue, Fernand (1846-1895) et Haurigot, Georges
Éditeur : H. Lecène et H. Oudin (Paris)
Date d’édition : 1887

Amériques : Saint-Pierre-et-Miquelon

CHAPITRE I.
Aspect général. — Situation. —Topographie. — Climat. — La  neige. — Le poudrin. — Sifflets de brume. — Le chant des  Sirènes. — La Vache. — Aurores boréales. — Les jardins. —  Les fermes. — La sapinette. — Un remède contre les  rhumatismes. — La cueillette.

petitescolonies4Sans le voisinage des bancs de Terre-Neuve, Saint-Pierre et Miquelon ne seraient que des îlots sans  nom, indiqués seulement sur les cartes marines pour  prémunir les navigateurs contre les abords dangereux  de ces roches dénudées.

C’est au milieu d’une brume épaisse, et comme un  point noir qui surgit d’une mer grise et sombre, que  les îles apparaissent aux yeux des marins se rendant  à Terre-Neuve.

En venant par le large, on aperçoit d’abord le  Grand-Colombier, énorme solitaire qui profile sa masse noire au-dessus des flots, et dont les pentes arides  s’abaissent jusqu’à la mer ; puis, à mesure que l’on  approche, on entend le ressac des lames qui se brisent  sur les quartiers de roches, les canailles (amas de  galets) placés en vedette eu avant de l’île aux Pigeons.  On passe ensuite devant l’île au Vainqueur, dont le  lazaret, avec ses murailles blanches, se détache en  relief sur le décor triste qui est particulier au ciel  de ces régions.

Miquelon, que l’on voit dans le lointain, a l’air aussi  désolé, et l’oeil cherche en vain une trace de végétation.  La côte se dessine presque inabordable, hérissée d’écueils dangereux, découpée de caps aigus, de baies  profondes, et entourée d’une foule d’îlots placés là  comme pour en défendre l’abord.

Dès qu’on a doublé le cap de l’Aigle, l’aspect se  modifie. Dans une vaste baie s’ouvre la rade  remplie de navires ; au fond, le barrachois, ou port  de refuge, et plus loin, sur le rivage, la ville de Saint-Pierre, avec ses maisons de bois que domine la demeure  du Gouverneur, et la jolie église flanquée de deux  tours qui rappelle Saint-Vincent de Paul de Paris.  De chaque côté se développe la plage où s’élèvent les  graves, les chauffauds, les cageots et les habitations  bizarres des nombreux ouvriers qui, pendant la saison  de la pêche, viennent travailler à la préparation de  la morue.

A gauche, au pied de la falaise où se dresse le phare  Galantry, sont installés les sifflets de brume, qui remplacent le canon que, par le brouillard ou la neige, on  tirait d’heure en heure.

Sur toute d’étendue de l’île, qui ne forme qu’un amas de rochers, de pierres, de tourbe et de marécages, on ne rencontre qu’une végétation roussâtre et  rabougrie, enfouie dans les replis des roches natives,  seuls endroits où l’on trouve un peu de terre végétale.

Les Miquelon sont mieux partagées ; quoique les  arbres y soient aussi rares qu’à Saint-Pierre, on y  voit des pâturages qui ont permis la création de fermes où, depuis quelques années, on se livre avec  succès à la culture des céréales.

Les îles Saint-Pierre et Miquelon sont situées  dans l’Océan Atlantique par 46° 46′ de latitude nord  et 58° 30′ de longitude ouest.

Des cartes anciennes, et, dit-on, certaines cartes  marines, indiquent trois îles : Saint-Pierre, la Grande Miquelon et la Petite-Miquelon ou Langlade ; cette  division est inexacte, et même n’a jamais existé d’une  façon permanente.

petitescolonies3Les îles actuellement réunies ont été séparées de  temps à autre par un canal que la mer creusait à travers  l’isthme de Langlade dans les ouragans, pendant lesquels elle brise sur le rivage des lames monstrueuses,  qui entraînent avec elles des parties de cet isthme  composé d’herbes marines, de sable et de graviers.  Peu à peu ce canal s’est comblé des débris de naufrages qui abondent sur la côte de l’ouest, et des  apports que le ressac jette au milieu de ces débris ;  ils leur servent de centre et s’amoncèlent autour  d’eux.

C’est probablement ainsi que la Petite et la GrandeMiquelon furent séparées en 1757 et réunies en 1781.  « Ce canal avait alors 250 toises du nord au sud, 220 de l’est à l’ouest, et 2 à 3 brasses d’eau à mer  basse (1). »

Aujourd’hui, les deux îles sont reliées entre elles  par une chaussée de neuf à dix kilomètres de long ;  très étroite dans sa partie moyenne et dépassant de  deux mètres à peine le niveau des grandes marées,  cette digue naturelle va s’élargissant à ses deux extrémités, notamment vers la Grande-Miquelon, où elle  forme un refuge appelé le Grand-Barrachois.

Miquelon court exactement du nord au sud ; elle  se termine au nord en une presqu’île étroite jointe à  la terre par une langue de sable très mince, formant  l’anse Miquelon et le cap du même nom. Au sud,  la côte, très profondément hachée, s’arrête au cap  Coupé.

Saint-Pierre suit une direction oblique et s’étend  du nord-ouest au sud-est. Elle est séparée de Langlade  par un détroit ou canal de quatre mille mètres environ, que les habitants appellent la Baie.

Saint-Pierre est la plus importante et la plus peuplée des deux îles ; c’est le chef-lieu administratif.  Sa rade est le rendez-vous de tous les navires se rendant aux bancs ; elle possède des sécheriez importantes, et dans sa capitale se réunit tout le commerce  de la colonie. Et pourtant elle est, à coup sûr, plus  petite, plus triste et plus aride que Miquelon.

Pourquoi alors avoir choisi Saint-Pierre pour en  faire le centre de la colonie? Grave question, qu’agitent souvent les pêcheurs de Miquelon, le soir à la  veillée ; braves gens qui voient tous les jours diminuer l’importance de leur île, tandis que celle de Saint-Pierre s’accroît de plus en plus. Le bourg Miquelon  n’est-il pas, lui aussi, au fond d’une belle rade? Son  entrée est facile, profonde, et elle pourrait contenir  plus de navires que celle de Saint-Pierre. Assurément ; mais tandis que la nature s’est chargée de protéger d’une façon spéciale la rade de Saint-Pierre, il  aurait fallu dépenser des sommes énormes pour rendre  aussi sûr le port de Miquelon, qui n’est qu’une rade  foraine, que rien n’abrite contre les vents du nord, et  qui souvent est bloquée par la banquise ; aussi, imitant les nautoniers d’un autre âge, les pêcheurs de  Miquelon sont-ils forcés de haler sur le rivage, quand  vient le mauvais temps, leurs bateaux et leurs pirogues.

Autour des deux îles, mais surtout autour de Saint-Pierre, se groupent un certain nombre d’îlots : l’île  Verte, l’île aux Pigeons, le Grand-Colombier, l’île au  Vainqueur, et l’île aux Chiens. Cette dernière, qui est  la plus importante, protège la rade de Saint-Pierre  contre les vents du large, et, avec le Grand-Colombier  et l’île au Vainqueur, la défend contre les envahissements de la banquise.

Les autres îlots ne sont que des rochers inhabités,  où des bandes d’oiseaux aquatiques viennent déposer  leurs oeufs, et sur lesquels les loups de mer se réchauffent aux rares et pâles rayons du soleil.

Le nombre et la situation de ces îles, ainsi que les  basses ou hauts fonds que l’on rencontre fréquemment à  une assez grande distance, rendent l’accès des îles dangereux, et sont la preuve de l’inégalité du fond de  l’Océan dans ces parages. La mer exerce une action sensible et continue sur ces rivages ; sans cesse mise  en mouvement par les remous du Gulf Stream, qui  agissent jusque dans ses profondeurs, elle accumule  continuellement des galets et du sable dans les échancrures de la côte, qu’à la longue elle finit par combler,  On a tout lieu de supposer que le sol sur lequel  repose le bourg Miquelon n’a pas d’autre origine.  Malheureusement cette modification du littoral se  fait aussi sentir à l’entrée des barrachois, dont les  passes se rétrécissent chaque jour,, et perdent de leur  profondeur. Il est donc à craindre qu’un moment  n’arrive où les navires d’un tonnage moyen ne pourront plus pénétrer dans ces refuges, dont les goulets  sont déjà impossibles à franchir pour les bâtiments  d’un trop grand tirant d’eau.

La superficie totale des îles est de vingt-trois mille  cinq cents hectares, qui se répartissent de la manière suivante : Miquelon, vingt et un mille hectares ; Saint-Pierre, deux mille cinq cents. Cette dernière mesure sept  kilomètres dans sa plus grande longueur, de la pointe  Henry à la pointe du Diamant; sa largeur, de la pointe  Verte au cap Galantry, ne dépasse pas cinq mille mètres. Une belle route, construite par les marins de  l’Iphigénie, et qui porte le nom de ce navire, parcourt  l’île dans toute sa longueur, tandis que la route de  Gueydon suit les bords de la rade.

L’île aux Chiens peut avoir trois ou quatre mille  mètres de circonférence, en suivant toutes les sinuosités de son contour; elle est longue de dix-huit cents  mètres et large de quatre cents.

Il n’existe aux îles aucune source, et il n’y a par  conséquent pas de rivière proprement dite. Nous nous garderions bien, cependant, de ne pas mentionner  un petit cours d’eau que les habitants ont baptisé belle  rivière, et qui se trouve dans l’île Miquelon ; les résidents en sont si fiers, qu’ils ne nous pardonneraient  certainement pas un tel oubli. C’est sur ses bords  qu’ils se rendent en déplacement.

Il est vrai de dire que la nature, si peu prodigue de  ses dons envers les autres points de notre colonie, semble avoir réuni sur celui-ci toutes ses séductions : de  hauts sapins ombragent la belle rivière, et une végétation abondante pousse le long de son cours, végétation qui paraîtrait bien pauvre sous d’autres cieux,  mais qui, an milieu de ces roches désolées, repose les  yeux fatigués par l’uniformité d’un paysage éternellement gris.

Les vallées et les cavités naturelles des rochers forment des réservoirs où s’accumulent les eaux de pluie  et celles provenant de la fonte des neiges ; comme le  sol est très accidenté, le trop-plein se déverse dans les  parties basses du territoire, créant ici des étangs à  écoulement constant, là des marécages que les plantes  aquatiques transforment en tourbières et qui s’avancent parfois jusqu’au rivage.

Ces tourbières, que les habitants appellent terres  noires, atteignent quelquefois une profondeur considérable, et l’on ne peut, sans courir le plus grand danger,  s’aventurer sur leur surface tremblante.  Les eaux qui concourent à la formation des étangs et  dont le trop-plein cherche une issue, filtrent à travers  les tourbes et les terrains pierreux, constituant l’humus  de cette contrée, et s’écoulent dans la plaine, où elles  vont alimenter les puits et les fontaines. Ces eaux sont d’une grande pauvreté en matières salines ; leur passage dans les couches de tourbes, dont les propriétés  antiseptiques sont considérables, les purifie au point  qu’elles ne contiennent aucun des corps étrangers qui  auraient pu les altérer ; le peu de principes minéraux  qu’elles possèdent n’est dû qu’au voisinage de la mer.

Le sol des îles est généralement montagneux, et ce  n’est guère que sur le territoire de Miquelon que l’on  rencontre quelques plaines, qui plutôt sont des  plateaux. A partir du littoral, le terrain s’élève graduellement vers le centre, jusqu’à une hauteur de deux  cent cinquante mètres, en pentes irrégulières, mais  dont les couches, dirigées du nord-est au sud-ouest, suivent une orientation identique à celle de Terre-Neuve.

Dans les endroits où n’existent ni les tourbières, ni  les marécages dont nous venons de parler, le rocher se  présente nu ou recouvert d’une couche de terre fort  légère ; c’est un terreau tourbeux, composé de débris  végétaux qui, défiant l’humidité, conservent indéfiniment leurs formes, leurs structures, et parmi lesquels  on peut reconnaître les feuilles aciculaires du sapin et  les feuilles coriaces des éricinées.

La constitution géologique des îles est, du reste, fort  simple : Saint-Pierre et Miquelon sont exclusivement  formées par des porphyres pétro-siliceux, à pâte d’un  brun violâtre ou d’un rouge vineux, dont les fissures  sont remplies par des injections de quartz, le plus souvent opaque, quelquefois limpide et vitreux, et alors  cristallisé.

petitescoloniesQuoique situées sous la même latitude que Châtellerault, Châteauroux et Chalon-sur-Saône, les îles sont  loin de jouir d’une température semblable, même à celle du nord de la France. Au point de vue météorologique, Saint-Pierre et Miquelon se trouvent placées  dans la zone froide, sur la ligne isotherme qui, passant au nord des îles Ferroë, a pour moyenne 5° au-dessus de 0 ; avec cette différence, toutefois, qu’elles  n’ont pas, comme les autres contrées situées sous la  même ligne, les étés de Paris et les hivers de Saint Pétersbourg. L’été est sans chaleur, c’est l’été d’Arkhangel ; l’hiver est plus long que froid, c’est l’hiver  de la partie méridionale de la Suède.

Pendant la saison d’été, la chaleur ne dépasse jamais  20° au-dessus de 0 ; elle est assez uniforme, et les oscillations thermométriques sont peu importantes.

En hiver, le froid atteint quelquefois 20° au-dessous  de zéro, mais c’est exceptionnel, et le thermomètre reste  généralement entre 14 et 16°. Les changements de  temps sont brusques à cette époque, et les différences  de température très sensibles ; on voit fréquemment  le mercure monter de 15° au-dessous de zéro à 4 ou  5° au-dessus ; de sorte que l’on assiste à des dégels  continuels, qui s’arrêtent brusquement, pour recommencer aussitôt.

Les vents d’entre nord et nord-ouest, que les habitants nomment anordie, soufflent avec violence pendant tout l’hiver, et amènent la banquise dans le voisinage des îles, dont l’approche est ainsi rendue impossible ; lorsque les glaces ne sont pas réunies entre  elles et n’existent qu’à l’état de glaçons flottants (c’est  généralement ce qui arrive), on dit aux îles que c’est  du crémi ; les hivers sont rares, où la banquise, ne  formant qu’un bloc, enserre Saint-Pierre et Miquelon  d’une ceinture infranchissable, Sous l’influence des vents qui s’établissent d’une  façon presque invariable au nord du compas, il se  produit, quand la neige couvre la terre, un phénomène que dans les Alpes on nomme tourmente, que  les Canadiens appellent poudrerie, et que nos compatriotes de Saint-Pierre ont baptisé du nom de  poudrin.

Le poudrin est de la poussière de neige soulevée  par le vent. Semblable aux sables du désert chassés par  le siroco, elle remplit l’air qu’elle obscurcit et rend  opaque, brûle les yeux, serre la gorge, étouffe, et constitue un danger sérieux pour le voyageur qu’elle  surprend loin des habitations ; les histoires d’enfants  et même d’hommes asphyxiés ou engloutis par le poudrin abondent dans l’île.

Un autre inconvénient de ces soulèvements de  neige, c’est la facilité avec laquelle cette poussière  pénètre partout, par la plus petite fente, le plus léger  interstice, transformant l’atmosphère en une sorte de  brouillard glacial.

En somme, sous cette région, il n’y a que deux  saisons : l’été, qui dure d’avril à octobre, et l’hiver, qui  sévit pendant les six autres mois.

La neige commence à tomber dans les premiers  jours de novembre ; elle ne disparaît complètement  qu’en avril.

Les pluies, qui ne sont pas très abondantes, durent  rarement plus d’une journée; en revanche, le brouillard  persiste pendant des semaines, on pourrait dire des  mois entiers. Il est très intense, surtout en juin et  juillet, ne laisse voir qu’à de rares intervalles quelques échappées de ciel, et, comme s’il avait regret de s’être dissipé un instant, reparaît bientôt plus dense  et plus impénétrable.

Pendant tout le temps que dure ce brouillard, le  canon, que l’on tirait autrefois d’heure en heure, a été  remplacé par le sifflet de brume, mû par la vapeur,  que l’on a installé au-dessous du phare de la pointe  Galantry. Ce sifflet se fait entendre toutes les minutes  pendant six secondes ; quand le temps est calme et le  vent favorable, il a une portée de dix ou quinze milles, et  de trois à six milles pendant la tempête ou à vent contraire. Sur la pointe plate de Langlade est établie une  sirène ; son chant est un coup de sifflet dont le son,  plus aigu, plus saccadé et plus strident que celui de  Galantry, se répercute à vingt milles par le bon vent,  et à huit milles quand la brise souffle du large. La sirène chante deux fois par minute pendant huit secondes. Les habitants, agacés par ce bruit qui vient  à intervalles réguliers leur déchirer les oreilles, ont  donné à la sirène un surnom qui, pour n’être pas choisi  dans le vocabulaire du langage élégant, exprime bien  la sensation qu’ils éprouvent ; ils l’appellent la  Vache.

La grêle est presque inconnue dans notre colonie, et  les orages sont excessivement rares ; des années entières s’écoulent sans que le tonnerre se fasse entendre,

Les aurores boréales sont fréquentes, surtout pendant les mois de mars et septembre, et ce phénomène  offre un des plus beaux spectacles qu’il soit donné à  l’homme de contempler.

Lorsque l’aurore est à son apogée, elle forme un  arc de cercle lumineux, dont les deux extrémités  semblent reposer sur des montagnes invisibles ; la clarté qui s’en dégage est aussi intense que celle de la  lune ; le ciel noir sur lequel elle se détache donne  encore plus d’éclat aux rayons qui en jaillissent et  forment des pointes brillantes, illuminant par leur  réverbération tous les objets environnants, donnant  an aspect fantastique aux grandes roches couvertes  de neige et aux icebergs qu’au loin charrie la mer.  Peu à peu, les rayons pâlissent et s’éteignent, la  lumière semble se concentrer dans l’arc qui se brise  en fragments, pour disparaître bientôt, replongeant  tout dans l’obscurité.

Malgré le rude climat que nous venons de décrire,  les îles sont loin d’être malsaines ; les maladies sont  les mêmes qu’en France, mais la mortalité y est inférieure.

Elevés en plein air, habitués à toutes les intempéries, les hommes sont forts et solides ; les femmes  rappellent par leur vigueur et la fraîcheur de leur  teint les paysannes du littoral de la Manche et les  jolies filles du pays basquais. Le climat n’exerce sa  terrible influence que sur la végétation. Le saule et le  houblon sont l’unique ornement des jardins ; on rencontre à peine quelques fleurs, appartenant pour la  plupart à cette famille des renonculacées, qui semble  avoir fait du nord sa région préférée.

Bien que le sol de Saint-Pierre soit pauvre en terre  végétale, et très aride, on y voit cependant beaucoup de  jardins cultivés à grand’peine, et il est peu de familles  qui n’aient leur petit coin de terre où poussent des légumes d’Europe. On ne trouve, sur toute la surface  de l’île, comme échantillon de la végétation naturelle,  que des broussailles épaisses et rampantes, des fouillis d’arbres verts, dont le plus élevé ne dépasse pas deux  mètres, et que les habitants ont baptisés du nom pompeux de la forêt.

Langlade est plus favorisée ; la terre y est en plus  grande abondance et en couches plus épaisses ; aussi  y a-t-on installé treize fermes. Beaucoup des plantes  légumineuses de France y réussissent, et si les céréales ne sont pas l’objet d’une culture suivie, c’est que  l’élève du bétail et la récolte du fourrage donnent des  bénéfices plus certains. Cependant, il y a quelques  années, un fermier a fait l’essai en grand de la culture du blé et de l’avoine, et ses efforts ont été couronnés de succès.

On rencontre encore sur les îles le genévrier, dont  les baies produisent un excellent genièvre, et une  sorte de pin nommé spruce, dont on tire une bière  dite sapinette. Voici comment se fabrique cette bière :  on fait bouillir le spruce dans une cuve pleine d’eau,  pendant cinq à six heures ; le liquide est ensuite passé  et décanté dans de petits fûts ayant contenu du rhum  ou du cognac ; on ajoute deux litres de mélasse par  fût, et l’on agite fortement pour bien mélanger le  tout, puis on laisse fermenter pendant quelques jours,  après quoi la bière est tirée et mise en bouteilles, où  elle achève de se faire. Ce breuvage, très sain à cause  des principes de goudron qu’il contient, est la boisson  habituelle des habitants, et un ancien règlement de la  colonie en fait un des éléments de la ration des  pêcheurs, sans en limiter la quantité.

Mais là ne s’arrête pas la prévoyance de la nature ;  à côté du spruce, à base de goudron, elle a placé le  remède contre les rhumatismes, si fréquents sous ce climat froid et humide. La feuille séchée du sarracenia  purpurea, plante Carnivore, employée en infusion, est,  paraît-il, d’un effet souverain, contre les douleurs.  A l’utile elle a joint encore l’agréable, sous la forme de  petites baies tantôt écarlates, tantôt jaune safran, ou  encore bleu foncé, qui, vers la fin de juillet, tranchent  sur la mousse couleur émeraude des petits bois. Ce  sont les pommes des prés, les bleuets, les plats de bière;  quand vient l’époque de la cueillette, la montagne se  couvre de bandes joyeuses qui vont aux graines; on  fait une ample moisson de ces petits fruits, au goût  fruste, qui, plongés dans l’eau bouillante, avec addition de beaucoup de sucre, donnent d’excellentes confitures, que les ménagères soigneuses mettent en réserve pour les longs jours d’hiver.

(1) Archives locales,

 

SAINT-PIERRE ET MIQUELON
CHAPITRE II.

Un peu d’histoire. — Origines des colons. — La colonisation  anglaise.— Les habitants.— Pêcheurs et chasseurs.— Les loups  de mer.— Saint-Pierre.— Miquelon.— Arrivée des marins. —  Le marchand et le matelot anglais.

Jean Cabot découvrit-il en 1497 tout le littoral de  l’Amérique du Nord, qui s’étend entre 84° et 66° de  latitude nord sur l’Océan Atlantique?

Grave question, qui a vivement passionné les esprits  en Angleterre; car, si, d’une part, Cabot est d’origine  vénitienne, d’autre part, il est né à Bristol, il voyageait  sur les vaisseaux de Henri VII, et les Anglais revendiquaient la possession de Terre-Neuve (new found  lands), qu’ils voulaient appeler Cabotie.

Mais, dès le commencement du XVe siècle, des  marins basques et des pêcheurs normands et bretons,  qui poursuivaient jusque dans ces parages les baleines  auxquelles ils faisaient une guerre acharnée, avaient  déjà baptisé l’île, du nom de leurs meilleurs auxiliaires,  île du cap Breton. A la même époque, l’île et les  bancs de Terre-Neuve étaient connus, et dès 1504 la  pêche y était faite en grand par le commerce français,  qui en avait le monopole.

Trente ans plus tard, Jacques Cartier, de Saint-Malo,  prenait, au nom du roi François Ier, possession du  Canada, qui devenait, sous le nom de Nouvelle-France,  notre plus belle colonie.

petitescolonies2La réputation de Terre-Neuve comme territoire de  pêche, augmentée encore par le voisinage de nos  magnifiques possessions, rendit bientôt cette île le point  de mire de l’Angleterre, qui se la fit adjuger par le  traité d’Utrecht le 11 avril 1713 ; cependant le droit de  pêche nous restait.

Cinquante ans plus tard, le traité de Paris enlevait  à la France toutes ses colonies de l’Amérique septentrionale : Canada, Acadie, Louisiane, ne laissant à nos  pêcheurs, pour tout asile, que les îles Saint-Pierre et  Miquelon.

Les îles étaient déjà habitées. Nous dirons plus loin  à la suite de quels terribles événements de malheureux  proscrits vinrent chercher sur cette terre inhospitalière un asile contre la haine et la tyrannie anglaise.

Pendant la guerre de l’indépendance américaine,  les îles furent prises par les Anglais, qui emmenèrent  tous les habitants en captivité, et ce n’est qu’en 1783,  à la suite du traité de Versailles, que les colons furent  rendus à la France et rapatriés aux frais de l’Etat.

En 1793, Saint-Pierre et Miquelon sont enlevées  de nouveau par les Anglais ; mais cette fois le gouvernement britannique embarque tous les habitants, qui  sont déportés sur le sol français.

Lorsqu’en 1802, le 27 mars, cette colonie nous fut  rendue, la plus grande partie des familles retourna aux  îles dont nous reprenions possession, mais ce fut pour  peu de temps, car, le 20 mars 1803, nous reperdions  Saint-Pierre et Miquelon.

Enfin, le traité de Paris nous ayant rendu, le 30 mai  1814, nos pêcheries d’Amérique, avec tous les droits  et privilèges de pêche sur les côtes de Terre-Neuve, les îles voisines et même le golfe du Saint-Laurent, la  rétrocession définitive des îles Saint-Pierre et Miquelon  eut lieu le 22 juin 1816.

La population des îles, qui s’élève à quatre mille  neuf cents habitants, dont sept cents environ pour  Miquelon, est entièrement composée des Bretons, Basques et Normands venus d’Acadie. Voyons comment  nos compatriotes ont été amenés à s’établir dans les  îles.

En 1755, l’Acadie, bien qu’elle fût sous la domination  anglaise depuis 1713, était toujours française de coeur.  Comme aujourd’hui, dans nos deux provinces perdues,  les habitants de certains villages se rendirent coupables  du crime d’attachement à la mère-patrie dont ils  venaient d’être si durement séparés.

Les Anglais sommèrent les Acadiens de prêter serment de fidélité au roi Georges, et de se déclarer ses  bons et fidèles sujets. Ils refusèrent, ne voulant ni  désavouer leur nationalité, ni prêter un serment qui  répugnait à la fois à leur patriotisme et à leur conscience. Le gouvernement anglais, appliquant alors  à une nation civilisée, — pour la dernière fois peut-être  dans l’histoire, — l’ancien code barbare de la guerre,  résolut de les déporter.

Sept mille habitants de tout sexe et de tout âge  furent attirés dans une embuscade, cernés et arrêtés  par l’armée anglaise ; on les déporta en masse dans la  Nouvelle-Angleterre. « Les familles furent dispersées,  les pères séparés de leurs enfants, les maris de leurs  femmes ; les terres, maisons et bestiaux des proscrits,  confisqués au profit de la couronne, qui les distribua à  ses nouveaux colons. Peu d’Acadiens s’établirent dans la Nouvelle-Angleterre ; le plus grand nombre alla sur  les rives du Saint-John, quelques-uns à la Louisiane,  d’autres en Guyane (1). » Un certain nombre se réfugia  à Saint-Pierre et Miquelon.

« Il n’y a pas d’exemple dans les temps modernes,  dit M. Garneau, de châtiment infligé à un peuple paisible et inoffensif avec autant de calcul, de barbarie et  de sang-froid que celui dont il est question. »

Cette conduite cruelle de l’Angleterre a inspiré au  poète américain Longfellow un de ses poèmes les  plus touchants (Evangelina), où il n’a pas craint de  flétrir comme ils le méritent les actes de la nation  anglaise.

Nous n’avons pas l’intention d’aborder ici la question coloniale, que ne comportent ni le but ni le cadre  de cet ouvrage. Disons seulement que le mode de colonisation des Anglais, que l’on admire tant en France,  est fertile en incidents de ce genre; toute leur politique  coloniale semble se résumer dans ces mots : anéantir et  supprimer les indigènes, quand ils ne peuvent leur servir  et les remplacer par leurs nationaux. L’on sait du reste  les moyens qu’ils emploient pour arriver à ce but.

Les trois races qui formèrent la population primitive des îles ont produit, en se mélangeant, un type  qui ne présente aucune originalité, mais chez lequel  on retrouve, avec un langage émaillé de vieux français, de mots bretons et d’expressions normandes les  coutumes de ces contrées. Leurs noms mêmes sont  ceux que portent les vieilles familles du pays dont ils  sont partis ; nous avons noté, comme les plus connus  de nous, des noms fort communs en Normandie : des  Aubert, des Coste, etc.

La majeure partie des habitants sont marins. Ce  sont ces rudes pêcheurs, honnêtes et robustes,  qui, méprisant le danger sans cesse affronté, vont au  milieu de périls sans nombre demander à l’Océan de  quoi subvenir aux besoins de leurs familles ; populations laborieuses qui « vivent mouillées », a dit un  grand poète, et dont toute l’histoire tient entre le flot  qui monte et la vague qui s’en va.

L’été, sur les goélettes, les waris et les pirogues,  tous sont employés à la pèche de la morue, soit pour  leur compte, soit comme embarqués ; leurs fils sont  mousses, et commencent dès l’âge de huit ans le  rude apprentissage de la mer. Les femmes non  plus ne restent pas inactives. Dès qu’apparaît le capelan, elles vont ramasser sur le rivage des myriades de  ces poissons que le flot y dépose en abondance ; et  quand vient la saison des encornets, elles se livrent  avec ardeur à la pêche de cet appât qui sert à prendre la morue.

Quand l’hiver a suspendu tous les travaux extérieurs, quand les bateaux, désormais inutiles, dorment  halés sur les grèves, quand la neige a couvert la  terre d’une couche épaisse et rendu les communications presque impossibles, la femme répare les dommages éprouvés par la garde robe pendant la rude  saison qui vient de finir, tricote bas et vareuses  pour la campagne prochaine, dont on attend l’ouverture avec impatience ; le mari raccommode, met en  ordre les engins, et fabrique ces longs filets à mailles  étroites dont il se sert pour la pêche aux harengs.

Que le vent du nord cesse de souffler un instant,  que le poudrin disparaisse, de pêcheur qu’il était  notre homme devient chasseur ; il ira dans la forêt  poursuivre ces grosses perdrix, grises l’été, blanches  l’hiver, que l’on ne rencontre que dans les  régions boréales ; ou bien, armé d’une lourde  canardière, abrité contre la bise par un quartier  de roche, il se tiendra à l’affût sur la plage pendant  des heures entières, pour tirer des maullacs, des cacaouites et des oiseaux aquatiques, qu’un chien de  Terre-Neuve, dressé à cet effet, ira chercher au milieu des lames froides et toujours agitées.

La guerre au loup marin est non seulement une  distraction et une occupation pour les longs jours  d’hiver, mais encore une chasse productive à cause de  l’huile que l’on extrait de cet amphibie.

Les loups marins viennent par bandes de cent à  cent cinquante dans le grand barrachois de Langlade ; ils  atterrissent sur la plage et y prennent souvent leurs  ébats ; mais ces animaux, que le voisinage de l’homme  et les dangers qu’il leur fait courir ont rendus défiants,  ne se hasardent sur la grève qu’avec d’infinies précautions. Longtemps avant d’aborder, ils inspectent  le terrain, ne laissant voir à la surface de l’eau que  leur grosse tête brune; ils sont alors fort difficiles à  tirer, car, outre qu’ils ne présentent à la vue qu’une très  petite partie de leur individu, il est toujours à craindre  que la bête blessée, même mortellement, ne soit perdue pour le chasseur. Il est donc préférable d’attendre  qu’usaient pris terre; mais ils ne se laissent pas approcher, et au moindre danger signalé par les vedettes  placées sur les flancs du troupeau, ils se précipitent dans la mer et disparaissent sans retour. C’est à ce  moment que l’on peut les capturer à l’aide de Terre-Neuves qui, laissant fuir le gros de la bande, attaquent  les traînards et les étranglent, avant qu’ils aient eu le  temps de rejoindre l’élément liquide.

Un fermier établi au Goulet de Langlade possède  une meute de ces molosses parfaitement dressés à ce  genre de chasse, et chaque hiver il capture un nombre suffisant de loups marins pour retirer un assez  grand profit de la vente des peaux et de l’huile qu’il  en extrait.

Du reste de la population, nous n’avons que peu  de chose à dire : marchands de denrées ou d’objets de  première nécessité, ils ont, été comme hiver, à satisfaire aux besoins de leur clientèle locale ; mais l’hiver  est plutôt pour eux la morte saison, pendant laquelle  ils se reposent des fatigues de l’été. Beaucoup ne sont  que des représentants, des gérants de maisons de  France, et plusieurs n’habitent pas Saint-Pierre pendant la mauvaise saison : ils n’y viennent que quelques  jours avant les armements.

Nous ne parlerons pas ici de la vie de tous ces  gens pendant l’été, cette description trouvera plus  naturellement sa place dans le chapitre que nous consacrons à la pêche de la morue.

La population des îles est répartie dans trois centres :  Saint-Pierre, le bourg Miquelon et l’île aux Chiens.

Saint-Pierre avec des maisons de bois à un étage,  des rues tortueuses et étroites, Saint-Pierre d’il y a  vingt ans, que les voyageurs nous décrivaient comme  un grand village de pêcheurs, et que quelques-uns  même comparaient aux modestes hameaux de nos côtes, ne ressemble en rien au Saint-Pierre actuel.  C’est maintenant une jolie ville, où les maisons de  bois font place à des constructions en pierres, depuis  que des incendies, hélas ! trop nombreux, ont démontré  le danger des habitations de bois dans un pays où on se  chauffe presque toute l’année. La ville, qui augmente tous  les jours, gravit maintenant les flancs de la hauteur au  pied de laquelle elle se concentrait jadis; elle est divisée  en deux parties : la ville en bois ou vieille ville, qui est  située près de la mer, et la ville en pierre, ou ville neuve.  Les rues sont propres et larges : une ordonnance du  gouverneur a fixé à neuf mètres la largeur des voies  bordées de maisons de pierres, et à douze mètres celles  où se trouvent les vieilles constructions, que du reste on  n’autorise plus.

L’église, très ancienne, est fort jolie, quoiqu’en  bois ; elle est flanquée de deux hautes tours carrées,  qui lui donnent un cachet monumental. Le palais du  gouverneur est une assez jolie construction ; notons encore l’hôpital, tenu par les Soeurs Saint-Joseph  de Cluny, qui dirigent aussi un pensionnat de jeunes  filles, une école communale et une salle d’asile.

Miquelon n’est qu’un village de pêcheurs, semblable  à ceux que l’on rencontre sur le littoral de l’Océan: de  petites maisons entourées de palissades faites avec les  épaves que le flot jette à la grève, et sur lesquelles sèchent des filets; sur la plage, des bateaux renversés que  calfatent de vieux pêcheurs, pendant que les femmes  préparent les lignes, et que les enfants aux pieds nus  jouent sur le rivage.

Mais si pendant l’hiver les rues de Saint-Pierre  sont tristes et désertes, si pendant que la neige couvre la terre la plage est abandonnée, si l’on ne voit dans  le port que des goëlettes dégréées et presque veuves de  mâts, tout autre est le spectacle quand reviennent les  beaux jours A peine la neige a-t-elle débarrassé la  terre, on nettoie les habitations, qui comprennent non  seulement les constructions où l’on prépare la morue,  mais encore les magasins et les graves.

« L’aspect de la rade et du barrachois change tout à  coup; les maisons où l’on se tenait barricadé s’ouvrent  de toute part; les auberges, qui sont en grand nombre, depuis le Lion-d’ Or jusqu’au moindre cabaret, arborent à leurs fenêtres des appâts séduisants de bouteilles  de tous les formats, et une multitude de navires venant  du large débarquent sur le quai une population nouvelle qui arrive de tous les ports de la France, depuis  Bayonne jusqu’à Dunkerque, et qui fait monter le  chiffre des habitants de l’île à dix, douze et même  quinze mille âmes.

« Et c’est là, à sa façon, à un certain point de vue,  une population très distinguée, très fière d’elle-même,  qui se considère comme une espèce d’élite dans la  création, et qui, en vérité, n’a pas tout à fait tort. En  un mot, ce sont les pêcheurs des bancs, qui fout là leurs  provisions de vivres pour eux-mêmes, d’appâts pour le  poisson qu’ils veulent prendre.

« Le costume de ces matelots atteint les dernières  limites possibles du désordre pittoresque. Des bottes  montant jusqu’à mi-cuisse, des chausses de toile ou de  laine, amples comme celles de Jean Bart sur l’enseigne des marchands de tabac, des camisoles bleues et  blanches, ou rouges, ou rouges et blanches, des vestes  ou des vareuses de tricot qui n’ont plus de couleur, si jamais elles en ont eu; des cravates immenses, ou plutôt des pièces d’étoffe accumulées, tournées, nouées  autour du cou ; des suroits énormes pendant sur le dos,  ou bien des bonnets de laine bleue enfoncés sur les  oreilles; et sortant de toutes ces guenilles, des mains  comme des battoirs, des visages plutôt basanés que  de couleur humaine, plutôt noirs que basanés, couverts de la végétation désordonnée d’une barbe qui depuis quinze jours n’a pas vu le rasoir, voilà l’aspect  honoré, respecté, admiré du pêcheur des bancs. Il  reste encore un point important pour que la description soit complète. Prenez l’homme ainsi qu’il vient  d’être dit, roulez-le pendant deux bonnes heures dans  la graisse de tous les poissons possibles, alors il ne  manquera rien à la ressemblance. Car il faut le concevoir huileux au premier chef, sans cela ce ne serait  plus le vrai pêcheur.

« Ainsi fait, il descend de sa goëlette, aussitôt qu’il  a mouillé, et va s’offrir avec bonhomie, mais avec le  juste sentiment de ce qu’il vaut, à l’accueil chaleureux  et admiratif de l’habitant. Il marche dans le sentiment de sa gloire sur ce sol qui l’appelle depuis un  mois. Les mains dans les poches, la pipe à la bouche,  il rappelle Adam dans le paradis terrestre, il en a  l’innocence et la satisfaction d’être au monde, dont il  se considère aussi, en toute humilité, comme la merveille ; et, encore une fois, il a raison, car il n’est pas  un homme de mer, depuis l’amiral jusqu’au mousse,  qui ne pense cela de lui (2). »

Mais ce marin qui débarque et que nous venons de décrire, c’est le marin français ; en même temps qu’il  arrive à Saint-Pierre, viennent aussi les navires américains, chargés de boitte ou appâts destinés à la pêche.  Ceux-là aussi sont attendus avec impatience, car ils  laissent à Saint-Pierre beaucoup de l’argent qu’ils  reçoivent du produit des amorces qu’ils vendent, et ils  sont chaque année la source de bénéfices importants pour  les petits commerçants de notre colonie qui, pour attirer  leur clientèle, les entourent d’une foule de séductions.

« Le trafiquant de ce pays-là, qui n’a guère ouvert  boutique que pour avoir affaire au matelot, a dû naturellement choisir ce client pour premier objet de son  étude. Il n’était pas difficile de pénétrer promptement  et complètement une nature aussi peu complexe et de  deviner que lorsque, dans ces vastes poches, il se trouvait quelque argent, l’argent sortait aussitôt que l’on  pouvait inspirer à son maître une fantaisie.

« Avec les pêcheurs des bancs, il n’y a pas grand succès à obtenir, parce qu’ils n’ont rien à dépenser; mais  les Anglais vendeurs de boitte sont dans une position  toute différente. Ce sont, le plus ordinairement, des  habitants de la côte méridionale de la grande terre,  gens aisés, pêchant pour leur compte, et lorsqu’ils  ont livré leurs capelans à nos navires, ayant les poches  bien garnies. La question à résoudre pour le marchand, c’est d’attirer cet argent-là, genre de pêche qui  demande un peu d’habileté, mais beaucoup moins que  celle du poisson.

« Quelques maisons respectables, comme disent les  prospectus, ont établi cet usage d’avoir à la porte de  leurs magasins une barrique d’eau-de-vie et un verre,  et tout matelot qui entre est invité à user à discrétion  et gratis de cette magnifique hospitalité.

« Tout d’abord, le brave homme est ému de tant de  politesse. Il se croirait déshonoré s’il se rendait suspect  à ses propres yeux de lésinerie. Il est comme Orosman,  et ne veut pas se laisser vaincre en générosité; il remue  son argent dans les profondeurs de ses chausses, et paie  immédiatement un baril de farine. Content de lui, il  se verse un second verre d’eau-de-vie (ce ne sont pas  petits verres), l’avale, et, en essuyant ses grosses lèvres  sur sa manche droite, il parcourt la boutique d’un  regard satisfait.

« Il commence à raconter ses affaires, et tout en parlant et disant qu’il a de l’argent, ce qu’il espère  gagner encore, les incidents de la pêche et le reste, il  entend que son hôte lui demande s’il n’a pas besoin de  planches.

« Il y a une heure, il n’avait pas la plus légère idée  qu’il eût besoin de planches. Mais, en ce moment, il  sent de toute la force de sa conviction qu’il ne peut  s’en passer. « Vous prendrez bien toutes les planches  qui sont là ?» dit le commerçant. Le matelot pense  judicieusement qu’un homme comme lui doit prendre  toutes les planches possibles et ne saurait jamais en  avoir trop. Il paie et avale encore un verre d’eaude-vie.

« L’habile homme, qui le tient harponné, dirige les  désirs du grand enfant d’après la connaissance qu’il  acquiert bientôt de la somme contenue dans sa bourse.  Il lui prend tout ce qu’il peut lui prendre, et souvent il  lui prend tout. Après la farine et les planches, il lui  impose du fromage, des clous, du lard, des gilets, des  cravates, des barriques vides, enfin ce qu’il peut. Les  objets ne sont pas tarifés d’une manière bien exacte,  L’interlocuteur est si aimable, son eau-de-vie si  bonne, et d’ailleurs on n’est pas à quelques sous de  plus ou de moins !

« Quand il n’a plus rien, le matelot serre chaleureusement la main de son ami, et retourne à son bord en  chantant. Ce n’est que le lendemain qu’il s’aperçoit  de toutes les belles acquisitions qu’il a faites, et que,  s’il est marié, il commence à se gratter l’oreille, en se  demandant avec inquiétude ce qu’au retour sa femme  va penser et dire (1). »

Comme excuse pour le marchand, nous dirons qu’il  ne fait que reprendre au marin anglais ou américain  l’argent que nous lui a vous donné.

Malheureusement, ainsi que nous le verrons plus  loin, cette espèce d’exploitation du pêcheur par le  fournisseur se pratique sur une grande échelle, et le  juge est quelquefois obligé d’intervenir.

(1) Lanier. Choix de lecture» géographigues, p. 385.
(2) Gobineau, Voyage à Terre-Neuve. (Tour du Monde, 1863). (3) Gobineau, Voyage à Terre-Neuve (Tour du Monde, 1863).

 

CHAPITRE III.

Les bancs. —La morue. — Armements de la métropole. — Armements locaux. — Le fournisseur. — Pêcheurs à la pouche,  — La boitte. — Les lignes. — Le tanti. — La pêche. — L’habillage. — Le salage. — Morue verte et morue sèche. — Les  sécheries. — L’huile de foie de morue. — La petite pêche. —  Le désarmement. — Règlement de la Saint-Michel. — Il y a  des juges à Saint-Pierre. — Conclusion.

La pêche à la morue sur les bancs dure six mois,  du premier avril au premier octobre. Aussitôt qu’arrivent les premiers Bankers (navires qui font la pêche  sur les bancs), on met en état graves, chaffauds, cageots, vigneaux, et autres appareils destinés à la préparation de la morue ; on restaure les habitations qui  doivent recevoir les graviers, et tout est prêt pour les  travaux qui vont commencer.

Avant d’expliquer à nos lecteurs la signification des  mots barbares que nous venons d’employer, et qui  doivent leur être parfaitement inconnus, nous allons  nous embarquer avec eux sur une goëlette de Saint-Pierre, armée pour la pêche, les faire assister à la  capture du poisson, et leur montrer les différentes préparations qu’il doit subir avant d’arriver à l’état de  morue salée à la devanture de nos épiciers.

Mais, d’abord, un mot sur les bancs, sur le poisson  qui les habite et sur les armements.

Les bancs de. Terre-Neuve ne sont pas, comme on  pourrait le croire, des plages de sable plus ou moins  couvertes d’eau. Ce sont des hauts fonds sur lesquels les navires voguent librement et sans crainte, et qu’ils  sillonnent en tous sens, car ils sont à trente, quarante  et même soixante brasses (1) de profondeur. M. le  vice-amiral Cloué explique ainsi l’origine de ce»  plateaux océaniques :

« C’est en grande partie au Gulf Stream qu’il faut  attribuer la formation de ces bancs. On sait que ce  fleuve d’eau chaude, qui remonte l’Atlantique septentrional, en suivant à peu près un arc de grand cercle,  tourne à l’est en arrivant aux bancs de Terre-Neuve ;  c’est là qu’il rencontre le courant froid venant de la  mer de Baffin, le long des côtes du Labrador et de  Terre-Neuve. Le changement de direction du Gulf  Stream n’est pas la seule conséquence du choc de ces  deux masses d’eau : le courant qui arrive du nord  entraîne, pendant une bonne partie de l’année, un très  grand nombre de ces immenses montagnes de glace  (icebergs) arrachées à la zone arctique ; au contact  dos eaux chaudes du Gulf Stream ces montagnes se  fondent et opèrent ainsi, depuis plus de cinq mille ans,  le dépôt de toutes les pierres et matières solides qu’elles  renferment et charrient depuis qu’elles ont quitté les  continents polaires. En même temps le Gulf Stream  apporte des eaux tropicales son tribut d’innombrables  animaux marins, que la mort saisit au contact des eaux  froides, dont les coquilles et les débris s’amoncèlent  sans cesse et finissent, avec l’aide des siècles, par combler les abîmes de la mer. »

A côté de ces hauts fonds qui occupent un espace  considérable (900 kilomètres de long et 400 de large),  la sonde ne rencontre plus rien : ce qui ferait aussi  supposer que ces bancs sont des plateaux qui couronnent les sommets de hautes montagnes sous-marines, environnées de vallées et de dépressions insondables.

Comme nous ne nous occupons que de Saint-Pierre  et de Miquelon, nous ne citerons que pour mémoire  les bancs de Terre-Neuve, qui sont au nombre de trois  principaux.

Le Grand-Banc, le banc à Vert et le Banquereau;  viennent ensuite ceux de Misaine, d’Artimon, l’île  de Sable, le Causeau et le Middle-Ground.

Le grand banc, qui est le plus important, atteint  cinq cents kilomètres de long sur trois cent soixante  de large; il est traversé dans toute sa longueur  par un sillon profond que l’on appelle la Fosse.

Au sud-ouest de Saint-Pierre, sur une étendue considérable, se trouve le banc du même nom; c’est là  que nous conduirons nos lecteurs.

La morue, genre des gades, est un poisson presque  rond, qui a le dos gris, tacheté de jaunâtre, et le ventre blanc. Son corps est recouvert de petites écailles  molles ; elle atteint un mètre de long à l’âge adulte;  elle est très vorace et se nourrit de poissons, de crustacées et de mollusques. Elle descend des régions polaires à la suite des capelans, dont elle est très friande ;  ce poisson, plus petit que la sardine, arrive en bandes  tellement pressées, que la mer en prend une teinte  laiteuse, et que souvent le flot le jette sur le rivage,  où il l’accumule en monceaux de plusieurs pieds de  hauteur.

Arrêtée dans ses migrations par les bancs, la morue  y dépose ses oeufs, s’y multiplie et s’y nourrit de ces  myriades de petits poissons ; quand la saison des capelans est passée, les harengs et les encornets lui procurent encore un aliment suffisant pour la retenir  dans ces parages jusqu’à l’entrée de l’hiver.

La morue abonde dans toute cette région, et peuton s’en étonner quand on songe à l’infinie fécondité  de ce poisson et au nombre prodigieux d’oeufs que  porte une femelle ? «On en a compté, écrit M. A. Guérin,  neuf millions trois cent quarante mille dans une  morue ; et si le plus grand nombre de ces oeufs  n’était privé de la laite féconde du mâle, ni détruit par  les accidents, ni dévoré par différents animaux, on  voit aisément combien peu d’années il faudrait pour  que l’espèce de la morue eût, pour ainsi dire, comblé  le vaste bassin des mers. »

Les expéditions de pêche effectuées des ports de la  métropole pour les parages de Terre-Neuve prennent  les désignations suivantes :

  • Armements pour le grand banc de Terre-Neuve, avec sécheries à Saint-Pierre et Miquelon.
  • Armements avec sécheries à la côte ouest de Terre-Neuve.
  • Armements à la côte est de Terre-Neuve.
  • Armements pour la côte ouest de Terre-Neuve,  pêche et sécheries.
  • Armements pour les îles Saint-Pierre et Miquelon.
  • Enfin, armements pour le grand banc de TerreNeuve, sans sécheries.

Ces armements commencent au mois de janvier.  Les navires apportent leurs équipages de pêcheurs, et comme, pour toucher une prime, ils sont obligés  d’embarquer un nombre d’hommes proportionné à leur  jaugeage, ils amènent généralement un personnel de  graviers chargés de la préparation de la morue.Ils partent  principalement de Dieppe, de Fécamp, de Grandville,  de Saint-Malo, de Saint-Servan et de Saint-Brieuc.  Le départ a lieu vers fin mars, et les navires sont  réunis sur la rade de Saint-Pierre vers le 20 avril.

Aussitôt arrivés, les matelots débarquent pour se  procurer les amorces nécessaires à la pêche et que l’on  nomme boitte ; elles se composent, suivant la saison,  de harengs, de capelans ou d’encornets.

Le hareng se prend à la seine dans les premiers  jours de printemps ; le capelan se pêche sur les côtes  du golfe de Saint-Laurent, dans des filets à mailles  étroites. Les femmes et les enfants se livrent fort à  cette pêche très lucrative pour les Anglo-Saxons, qui  ont su prendre le monopole presque exclusif de l’approvisionnement de la boitte. Nous pourrions, nous  aussi, nous la procurer à bon marché, tandis qu’elle  nous coûte quinze cent mille francs par an.

Aussitôt leurs approvisionnements terminés, les  navires quittent Saint-Pierre et se rendent sur les  bancs pour commencer leur campagne de pêche, qui  se divise en plusieurs périodes. Au bout de chacune  d’elles, ils rentrent au port pour renouveler leurs provisions de toutes sortes, et débarquer la morue verte,  qui est aussitôt emmenée en France, à Bordeaux  principalement, par les longs courriers. On appelle  ainsi des navires de petit tonnage, légers et bons marcheurs, qui viennent à Terre-Neuve et à Saint-Pierre  prendre les morues pêchées, pour les porter sur le grand marché de France. On comprend aisément la raison qui fait choisir pour ce service de fins voiliers ; les  premiers arrivés se débarrassent de leur chargement  dans de meilleures conditions que les derniers venus ;  aussi, comme le capitaine a toujours un intérêt sur  la vente, c’est une lutte de vitesse entre les longs  courriers qui font ces voyages.

Laissons les navires armés par la métropole se  diriger chacun sur le banc pour lequel il est désigné,  et occupons-nous de l’armement d’une goélette de  notre colonie; c’est à son bord que nous nous embarquerons.

Cent quatre-vingt-sept goélettes, jaugeant environ  seize mille huit cent trente tonneaux, c’est-à-dire  quatre-vingt-dix tonneaux chacune en moyenne, sont  armées tous les ans par la colonie. Les armements  locaux recrutent facilement leur personnel dans la population maritime des deux îles, qui demande à la  pêche son pain quotidien. Le livret d’inscription est  le vinculum juris qui attache le compagnon pêcheur  à la mer ; grâce à ce livret, sur lequel sont marqués  tous les objets qu’il prend, le pêcheur est nourri, vêtu  et entretenu avec toute sa famille par un fournisseur  spécial. Comment s’acquittera-t-il de la dette qu’il  contracte et qui s’augmente chaque jour, vis-à-vis de  ce fournisseur ? En louant ses bras pour la prochaine  campagne de pêche, et en s’engageant à bord d’une  des goélettes des îles. Nous verrons comment, au moment du débarquement, le fournisseur interviendra  pour toucher, en son lieu et place, le produit de son  rude labeur.

Comme les marins résidant dans la colonie ne peuvent suffire pour former les équipages des navire?  destinés à la pêche, équipages qui, comme ceux de  France, doivent être d’un nombre d’hommes déterminé  pour avoir droit à la prime, on recrute des auxiliaires dans les ports français. Ces hommes arrivent à  Saint-Pierre inscrits sur des rôles provisoires, qui  deviennent définitifs quand le commissaire de l’inscription maritime a passé la revue, et constaté qu’ils  remplissent les conditions nécessaires.

Il y a bien une autre catégorie de pêcheurs qui  viennent pour s’enrôler sur les goëlettes des îles, mais  ils sont peu appréciés, et on ne les emploie pour la  grande pêche que faute de mieux : ce sont les pêcheurs

« la pouche. Ils arrivent sans engagements préalables ;  ceux qui ne trouvent pas à se faire embarquer font la  petite pêche dont nous parlerons plus loin.

Montons à bord maintenant, et dirigeons-nous sur  le banc de Saint-Pierre ; si le vent nous favorise, nous  y serons arrivés dans cinq heures. Profitons de ce  temps pour examiner les divers engins que nos matelots vont employer à capturer la morue.

Voici d’abord la faux, ou ligne à faucher, dont  l’usage est prohibé, mais que les pêcheurs emploient  néanmoins, malgré les défenses sévères. Son nom indique le rôle qu’elle joue ; en guise d’appât, la faux porte  à l’haim fixé à l’empile un morceau de plomb figurant  un poisson. La ligne est lancée à la volée et ramenée  rapidement à travers les bancs de morues ; elle commet des ravages inouïs.

Celle-ci se nomme la flotte ; elle ne diffère de la  première que par la forme du plomb, qui est rond, au  lieu d’imiter un poisson ; mais elle a aussi l’inconvénient de blesser ou de tuer le poisson sans que l’on  puisse s’emparer de toutes les victimes.

Cette autre, c’est la ligne à main ; elle est plus spécialement employée par les Américains et les Anglais ;  elle se compose d’un filin très fin et très fort ; l’extrémité, garnie d’un hameçon, est munie d’un plomb dont  le poids est proportionné à la profondeur de l’eau, à  l’endroit où l’on pêche, et à la force du courant. Le  matelot qui s’en sert est placé sur la lisse du navire,  ou dans une barrique fixée aux bastingages ; il laisse  filer le plomb jusqu’à une brasse environ du fond et  etire généralement la ligne garnie d’un poisson. Mais  tout le monde n’a pas la main heureuse, ça ne mord  pas toujours ; aussi les marins qui sont superstitieux attachent souvent à leur ligne une amulette, un ruban,  souvenir de la bien-aimée, ou quelque objet béni le jour  de la Saint-Patrick. Quand la morue est abondante,  un homme peut en prendre de la sorte trois ou quatre  quintaux par jour, pourvu que la boitte soit de bonne  qualité.

Mais voici la ligne dont nous allons nous servir:  c’est la ligne de fond ou ligne dormante, qu’emploient  presque tous les pêcheurs français ; les marins de  Saint-Pierre l’appellent tanti. C’est un cordeau de deux  ou trois mille brasses de long, auquel sont fixées de  distance en distance (un mètre environ) de minces  cordelettes munies d’un hameçon.

Ces lignes amorcées sont lovées dans des bailles  déposées sur le pont.

Nous sommes arrivés, il ne reste plus qu’à choisir  le terrain de pêche, et ce n’est pas l’opération la  moins intéressante, car toutes les places ne sont pas également bonnes, et le capitaine n’est guidé dans  son choix par aucun indice, c’est une question  de flair. Il y a à Saint-Pierre des patrons qui sont  renommés pour leur chance.

Enfin, remplacement est trouvé, on jette l’ancre  par quarante brasses de fond, car nous avons eu soin  de nous munir de câbles de chanvre spéciaux qui permettent de mouiller à une aussi grande profondeur.  Comme la goëlette doit faire là un long séjour, les  voiles sont soigneusement serrées et les mâts de flèche  callés jusqu’aux chouques ; les bailles contenant les  lignes sont placées dans les dorys, petits bateaux à  fond plat qui tiennent admirablement la mer et que  deux hommes peuvent facilement manoeuvrer; ces  embarcations sont affalées à la mer et les pêcheurs  n’attendent plus que le signal pour s’y embarquer.

Dès ce moment va commencer pour les hommes du  bord une vie de périls, de souffrances et de durs  labeurs ; par tous les temps, presque sans repos ni  trêve, les pêcheurs resteront sur le pont, en butte aux  intempéries d’un climat terrible; ou bien, montés dans  leurs légères chaloupes, ils iront loin du bord, à travers  une brume épaisse, poser des lignes sur une mer sans  cesse sillonnée de nombreux navires, exposés aux  abordages, aux coups de vents violents, si fréquents  dans ces parages. Combien ont quitté la navire en  chantant, par une mer relativement calme et un  temps clair, qui, surpris par le brouillard, entraînés  par les courants, n’y sont jamais rentrés !

« Et chose triste à dire, il faut attribuer la perte  de plus d’une embarcation à l’état d’ivresse de ceux  qui là dirigent. Vivant dans une humidité constante, dormant peu, travaillant presque sans relâche, forcés  de conserver pendant des journées entières de lourds  vêtements trempés de pluie, ayant à lutter contre un  danger souvent terrible, capable de paralyser le courage de l’homme le plus brave, s’il est de sang-froid,  nos pêcheurs demandent à la mauvaise eau-de-vie qu’on  leur délivre ou qu’ils se procurent, l’insensibilité physique dont ils ont besoin pour ne pas faiblir dans l’accomplissement de leur rude besogne. L’autorité du  capitaine est nulle en pareille matière; il sait par  expérience qu’après avoir bu, l’homme oublie le danger  et supporte mieux la fatigue : aussi bien le laisse-t-il  boire. L’armateur fait les frais du liquide, et il les fait  largement, car il n’y perdra rien (2). »

Il est trois heures, les pêcheurs montent dans leurs  dorys et s’éloignent de la goëlette à angle droit, longeant la ligne qui s’enfonce à mesure que l’embarcation avance. Cette ligne, au lieu de surnager, repose au  fond de la mer, où elle est fixée par un grapin. A son  extrémité, une bouée flottante, surmontée d’un petit  drapeau, indique la place exacte du dernier grapin.

Cette besogne terminée, les hommes reviennent à  bord et prennent un repos bien gagné avant d’aller  relever la ligne.

Pour cette opération, ils partent à la pointe du jour  et vont droit à la bouée ; le grapin est relevé, et les  pêcheurs, se halant sur la maîtresse corde du tanti,  décrochent le poisson capturé, qu’ils jettent au fond du  dory. Les hommes restés sur la goélette hissent la ligne à bord au moyen du virevant. Quand les dorys  ont rallié le navire avec la marée faite, le produit  de la pêche, qui peut être de quatre à cinq cents  morues par ligne, est jeté sur le pont, et le patron  note sur un carnet le résultat obtenu par chaque chaloupe.

Aussitôt commence l’habillage du poisson; il n’y a  pas un moment à perdre, car si elle n’était préparée  sans retard, la morue s’amollirait, et ne serait plus  bonne morue loyale et marchande.

Lorsque l’habillage et le salage de la morue se pratiquent à bord, elle devient la morue verte. Pour obtenir la morue sèche, le poisson est envoyé à terre par des  bateaux spéciaux.

La morue que nous avons vue jeter sur le pont est  immédiatement passée au décolleur, qui lui arrache  la tête de façon à laisser subsister le chignon. Le poisson est ensuite décossé, c’est-à-dire qu’il est fendu dans  toute sa longueur d’un seul coup de couteau ; l’arête  médiane est enlevée, ainsi que la partie correspondante de la cavité abdominale ; à la section de l’arête,  il reste une cuillerée de sang qu’un mousse énocte  (enlève) avec une cuiller. Si la morue n’est fendue  que jusqu’à la naissance de la queue, elle devient la  morue ronde; si elle est ouverte jusqu’à son extrémité,  «’est la morue plate. Toute cette besogne est faite par  l’habilleur qui, après avoir lavé le poisson, le passe au  saleur; celui-ci le place dans des bailles, où il trempe  dans la saumure, puis en arrimes, c’est-à-dire en tas,  d’où la saumure dégoutte sans baigner la morue.

Les foies et les langues sont mis à part ; les premiers  sont bouillis dans de vastes chaudrons appelés foissiers, assez semblables aux cabousses dont se servent les  baleiniers pour fondre le lard et la graisse des grands  cétacés. Le produit, appelé draches ou marc, est  enfermé dans des barils qui restent sur le pont.

Tout est bon dans la morue ; la langue et les oeufs  (rogues ou raves) constituent un mets délicat ; les  intestins (noves) sont préparés pour la table ou conservés pour la pêche à la sardine, et les nageoires  fournissent une excellente colle.

Le travail que nous venons de décrire s’exécute sur le  pont, sans relâche et sans interruption, quelque temps  qu’il fasse; mouillés, pleins d’huile et de sang, les  matelots se relaient et continuent jour et nuit leur  rude besogne au milieu d’une odeur infecte. On ne  peut s’arrêter ; à peine le produit d’une première  pêche est-il habillé, que d’autres poissons arrivent, et,  sous peine d’être débordé, on ne peut interrompre le  travail.

Mais quelquefois la pêche n’a pas été heureuse, les  lignes relevées au jour n’ont pas donné la quantité de  poissons attendue. Sitôt arrivés, les marins doivent  repartir; les dorys quittent de nouveau là goélette  et les deux matelots s’éloignent, sans vivres, couverts  de leurs lourds vêtements et chaussés de leurs grosses  bottes ; à peine s’ils emportent une petite boussole achetée  dans quelque bazar avant le départ. Pendant leur  absence, le vent s’élève, le brouillard obscurcit le ciel ;  la goélette, fatiguée par la houle, chasse sur ses ancres,  il faut déraper et mettre à la cape ou tirer des bordées,  pour éviter les grands steamers qui sillonnent ces  parages. Mais le dory monté par ses deux marins est  revenu, malgré la brume et la tempête, près de l’endroit qu’occupait le navire ; celui-ci n’est plus là, il faut le  retrouver, et pendant cette recherche, que de dangers  courus ! Souvent les matelots montent sur le premier  bâtiment qu’ils peuvent aborder, au risque d’être broyés  par la lame qui les jette sur les flancs du navire hospitalier. D’autres fois, ballotté par la tempête dans sa  recherche infructueuse, le dory capote, engloutissant  les deux marins que leurs lourds vêtements empêchent même de nager. Ils coulent à pic, la mort est instantanée, car les cadavres rejetés au rivage ne portent  jamais sur leurs traits aucune contraction.

Laissons ces complications douloureuses, et, pour  étudier les travaux de la sécherie, quittons la goélette  et rentrons à Saint-Pierre avec le bateau chargé  d’y transporter la pêche de la journée.

Le bâtiment vient se ranger dans le port le long  d’un petit quai, qui d’un côté s’avance dans la mer, et  de l’autre s’étend’ jusque près des chaffauds. Ces chaffauds ou échafauds sont de grands hangars construits sur pilotis, dont une partie s’avance sur la mer,  tandis que l’autre repose sur la terre ferme ; ils ont  souvent plusieurs étages et sont faits au moyen de sapins tronçonnés et superposés horizontalement; le  plancher est a claire-voie.

Autrefois, les morues étaient enlevées au moyen de  fourches de fer, et par conséquent mutilées ; aujourd’hui, elles sont débarquées sur le quai, où des hommes  prennent les poissons en introduisant deux doigts  dans leurs yeux, seul moyen de maintenir cette peau  gluante et visqueuse, et les chargent dans des brouettes. On les conduit ensuite aux chaffauds et on les  remet aux mains des décolleurs qui, armés de leurs longs couteaux à deux tranchants (tranchons), protégés par un tablier de cuir (cuirier), se tiennent devant  des tables à hauteur d’appui ; les têtes tranchées  tombent à l’eau, ainsi que les entrailles, au grand  détriment de l’agriculture, car on pourrait convertir  ces détritus en un excellent engrais, aussi fertilisateur  que le guano. Cependant des usines commencent à  s’établir pour traiter ces débris ; il en existe une, entre  autres, à l’entrée du détroit de Belle-Isle, qui fournit  annuellement huit à dix mille tonnes d’engrais. On a  calculé que si l’on utilisait le produit de toutes les  pêcheries, on obtiendrait cent cinquante mille tonnes  d’engrais, soit la moitié de ce que l’on importe du Pérou.

L’habilleur, qui reçoit le poisson du décolleur, lui  fait subir la même préparation que celle que nous  avons vu faire à bord, et le passe ensuite au saleur.  L’emploi de celui-ci est fort important ; de la quantité  de sel dont il saturera la morue dépendra son bon  ou son mauvais état de conservation.

Quand l’opération du salage est terminée, les morues sont entassées en meules et restent ainsi pendant trois ou quatre jours, après quoi les graviers ou  peltats les étendent sur les graves ou grèves artificielles  faites de galets. Elles doivent y sécher soit au vent,  soit au soleil.w

Pour activer cette dessiccation et pouvoir la surveiller, on se sert de vigneaux; ce sont des claies mobiles  construites avec des branchages où l’air peut circuler,  et qui permettent d’exposer ou non le poisson à l’action du soleil. Chaque soir, les morues sont retirées  des claies et mises en piles, le dos tourné en haut, afin  de les préserver de l’humidité. Il en est de même quand le soleil est trop ardent ou que le temps menace, car, s’il est important de protéger la morue contro  les rayons d’un soleil trop chaud, il est encore plus indispensable de la préserver des atteintes de l’humidité;  c’est une grave affaire que de bien prévoir les changements de temps, la plus légère moiteur suffit à  gâter le poisson.

Après plusieurs semaines de ce traitement, quand  la morue a suffisamment sué, on l’emmagasine; mais,  avant de l’expédier à destination, il faut encore l’étendre, pendant les chaudes heures du jour, sur le  sable fin, pour lui donner le « dernier coup de  soleil. »

Quand on veut fumer la morue, on la brosse aussitôt son habillage et on lui fait passer douze ou quinze  heures dans le sel, puis on l’accroche dans la loge à  boucan, où elle reste exposée pendant six jours à la  fumée d’un feu de cèdre et de sapin.

Salée ou fumée, la morue exige trois qualités pour  être parfaite : elle doit être bien lavée après l’habillage, bien salée, absolument sèche.

Les foies, que l’on a mis à part, sont jetés dans une  grande cuve de bois ayant la forme d’un cône renversé,  de deux ou trois mètres de côté, et dont le fond, à  claire-voie, est placé sur un large récipient enfoui en  terre. Cet appareil se nomme cageot. Les foies y sont  placés pour fermenter, et l’huile qui en découle tombe  dans la cuve inférieure, d’où elle est ensuite extraite et  enfermée dans des barils.

Les diverses préparations que subit la morue dans  les sécheries ne sont pas faites pas les marins, mais  par des ouvriers spéciaux, connus sous le nom de  graviers. Les uns sont des habitants des îles, les autres,  et c’est le plus grand nombre, sont amenés de France.

Ces derniers, débarqués aussitôt leur arrivée à  Saint-Pierre, sont logés dans des habitations d’un  genre spécial. Ce sont de grandes constructions à  plusieurs étages faites avec des troncs de sapins placés  perpendiculairement et fort rapprochés, dont les interstices sont calfatés. Le toit, en planches inclinées,  est recouvert d’une toile goudronnée.

A l’intérieur, la case est divisée en deux parties  par un corridor composé de troncs qui servent de supports à de petits lits superposés et installés graduellement jusqu’au plafond, de sorte que les couchettes  inférieures servent de marches pour atteindre celles  du haut.

La literie se compose d’un matelas placé sur un  filet à larges mailles.

Un de nos compatriotes, le Dr Carpon, médecin de  la marine marchande, qui a fait plusieurs campagnes  de pêche à Terre-Neuve et à Saint-Pierre, a, pour occuper les loisirs de ses longs séjours sur les bancs, composé  envers expressifs tout un poème sur la pêche et l’habillage de la morue. Nous ne pouvons résister au plaisir de  reproduire, malgré leur fin un peu naturaliste, les  quelques vers dans lesquels il décrit les divers traitements de la morue que nous venons d’indiquer :

« Un matelot la jette, un mousse la ramasse,
« Aux mains d’un décolleur lestement il la passe,
« Qui, lui serrant les yeux, debout dans un baril,
« De son couteau-poignard l’ouvre jusqu’au nombril.
« Deux doigts de la main droite en détachent le foie.
« Sans tête et sans boyaux, avec force il l’envoie
« Au trancheur vigilant armé de son couteau,
« Qui la fait en deux temps tomber sur le traîneau.
« La troupe des traîneurs, en crasseux équipage,
« A ces mots : l’âne pète! en fait le charriage. »

Cette expression peu poétique est le signal consacré pour annoncer que le traîneau est rempli.

Outre la pêche que nous venons de décrire, qui  se fait sur les bancs et avec des bateaux relativement  importants, il en existe une autre, plus modeste, il est  vrai, mais qui n’en occupe pas moins un certain  nombre d’hommes ; elle est connue sous le nom de  petite pêche.

La petite pêche se fait dans des warys montés par  deux hommes, ou dans des pirogues ayant à bord  deux matelots et un mousse. Ces petits bateaux, qui  partent le matin et rentrent le soir, rapportent souvent  une ample provision de poissons, et c’est alors grande  joie à Miquelon et à l’île aux Chiens, centre de ces petits armements ; car ces pauvres embarcations donnent aussi lieu à un armement. Une cabane, un wary  avec ses agrès, ses apparaux et engins, tel est le fond  que l’armateur fournit au modeste pêcheur pour exploiter les abîmes de l’Océan.

Le mois d’octobre arrivé, les désarmements commencent; or, pour désarmer, il ne suffit pas de serrer les  voiles, de dégréer la goélette, de la rentrer dans le barrachois et de licencier l’équipage. Les matelots ont  avec l’armateur un compte à régler.

Lorsque les hommes ont été embarqués, il a été  convenu que les deux tiers du produit de la pêche  appartiendraient à celui qui a fourni le navire et les  agrès, et que l’autre tiers serait réparti entre les hommes de l’équipage. C’est cette part que l’on appelle salaire des marins, et, en vertu de l’ordonnance  royale de 1745, encore en vigueur, ce salaire est insaisissable.

Sur le tiers revenant aux matelots et qui constitue  leur part, le patron de la goélette prélève deux parts,  le second une part et un quart, chaque matelot une  part, les novices trois quarts de part, et le mousse  une demie. Il est en outre accordé aux hommes une  gratification, qui varie suivant l’importance des bénéfices réalisés.

Ici se présente une difficulté. Comment calculera-t-on la quotité revenant à chaque pêcheur, puisque la morue a un cours qui subit sur les divers marchés du monde des fluctuations souvent importantes ?  On a tranché cette difficulté en stipulant sur le contrat, et ceci depuis un temps immémorial, que le  règlement se ferait sur le cours moyen coté à SaintPierre; c’est ce qu’on appelle régler sur le prix moyen  de la colonie. Il est bien entendu que ces conditions  ne s’appliquent qu’aux hommes composant les armements locaux, qu’ils soient habitants de la colonie,  ou que, recrutés en France, ils aient été engagés à  Saint Pierre.

C’est à ce moment du règlement des comptes que  nous voyons apparaître le fournisseur qui, comptant  sur le travail du pêcheur pendant la prochaine saison,  lui a fait les avances inscrites sur son livret. Armé du  privilège que lui confère la loi (3), il prend sa place  et touche chez l’armateur le montant des sommes dues au matelot. Il lui rembourse ensuite l’excédent qui  peut avoir à toucher. C’est le règlement de la Saint  Michel.

L’établissement des comptes se fait rarement  sans récrimination de la part du pêcheur, qui discutent le prix des objets fournis et quelquefois même  quantité. Si, d’une part, le marin dépense sans compter, il faut bien dire aussi que souvent le fournisseur, sûr de rentrer dans ses avances, loin de l’arrêter dans ses prodigalités, l’y pousse et l’encourage.

Très souvent ces discussions d’intérêts trouvent le  dénouement devant le juge de paix, qui efface impitoyablement les fournitures lui paraissant exagérés  ou qui ne constituent pas des objets de première nécessité, protégeant ainsi le pêcheur contre la rapacité de certains négociants.

Tels sont, en résumé, les instruments, les ustensiles  les procédés usités pour la pêche et la préparation de  la morue; à cette féconde industrie, nous employons  tant sur nos côtes que sur celles de Terre-Neuve, cinq  à six cents navires jaugeant quatre-vingt mille tonneaux.

Toutefois notre exploitation dans le golfe de Saint-Laurent est beaucoup trop négligée ; les Anglais et le  Américains nous y font une concurrence désastreuse:  le tonnage des bateaux de pêche employés par ces derniers ne s’élève pas à moins de cent cinquante mille  tonnes, et c’est par millions de livres sterling que les  Anglo-Saxons comptent le revenu que leur procure  cette pêche. tandis que les pêcheries rendent environ onze millions  de dollars aux Etats-Unis, et dix millions aux Etats  de l’Angleterre dans l’Amérique du Nord, ce qui fait  au total vingt et un millions de dollars ; soit plus de  cent cinq millions de francs.

A peine nous donne-t-elle onze millions de francs, se  départissant comme suit, en moyenne :

  • Morue verte fr. 975.900
  •  » « sèche » 9.105.605 »
  • Huile de morue » 795.690 »
  • Issues de »  » 147.160 »
  • Rogues  » » 13.966 »
  • Cuir vert »  » 2.342 « 
  • Objets d’histoire naturelle. 3.608 »
  • Total. 11.044.271 »

Si nous ajoutons que ces chiffres, déjà assez éloquents par eux-mêmes, tendent encore à augmenter  tous les ans, on saura à quoi s’en tenir sur les résultats  possibles d’une branche d’industrie que nos plus chers  intérêts nationaux nous commandent impérieusement  de développer, autant pour le produit qu’elle peut nous  procurer, que parce qu’elle est l’école d’où sortent une  pépinière de marins hardis au danger, et capables de  lutter, toujours avec avantage, contre leurs rivaux  anglais ou américains.

« N’a pas navigué qui n’a pas été sur les bancs »,  disent nos marins ; et au rapide tableau tracé par nous  de la vie qu’ils mènent pendant une campagne de pêche, nos lecteurs voient quels matelots on peut former  à pareille école.

Cette dernière considération, même en dehors de  toutes les autres, vaut bien la peine qu’on s’y arrête.

De tous côtés en entend dire que notre marine marchande dégénère, que l’on prévoit un avenir prochain  où le commerce manquera de marins. Nos côtes ne  fournissent plus ces hardis pêcheurs qui faisaient de  notre marine l’une des plus renommées du monde; dégoûtés d’un métier dur et pénible, qui n’offre pas,  comme compensation aux dangers courus, des bénéfices suffisants, qui n’assure pas à la veuve du matelot mort à la mer une pension lui permettant d’élever ses  enfants, le pêcheur fait de son fils un terrien, un ouvrier, un valet de ferme, plutôt que de le laisser embrasser une carrière que lui-même regrette d’avoir  suivie.

Mais les primes, direz-vous ? Les primes d’armement et les primes sur les produits profitent à l’armateur, et non au marin. Si la campagne a été heureuse,  le pêcheur, qui est responsable des avaries faites aux  agrès, touchera environ un millier de francs pour su  saison. Gain médiocre et bien peu fait pour encourager cet homme, si l’on songe aux fatigues qu’il a endurées, aux périls qu’il a bravés, et surtout aux bénéfices énormes que l’armateur a retirés de son travail.

(1) Mesure de longueur des deux bras étendus que l’on compte  à 1 mètre 62 environ.
(2) Les Pêcheries de Terre-Neuve et les traités (Revue des  Deux-Mondes, 1874).
(3) Jugement de la Cour de cassation du 18 août 1825.

 

BIBLIOGRAPHIE.

  • Cte DE GOBINEAU. Voyage à Terre-Neuve. (Tour du  Monde, 1863.)
  • Amiral CLOUÉ. Le Pilote de Terre-Neuve. (Paris  in-8°, 1873. Bossange.)
  • E. CHEVALIER. La Pêche à la morue. (Exploration, septembre 1878.)
  • X. Campagne de pêche à Terre-Neuve.
  • Du HAILLY. Campagne sur les côtes de l’Amérique du  Nord. (Paris, in-18, 1864. Dentu.)
  • X. Annuaire de Saint-Pierre et Miquelon, année 1882.
  • X. Archives de la colonie à Saint-Pierre.
  •  LANIER. Choix de lectures géographiques. (Paris, in-12,  1883. Eug. Belin.)
  • LONGFELLOW. Evangélina.
  • GARNEAU. Histoire du Canada. (Québec, in-8°, 1852.)
  • X. Les Pêcheries de Terre-Neuve et les traités. (Rev. des
  • Deux-Mondes, 1874.)  DUVAL (J.). Les colonies et la politique coloniale de la France. (Paris, 1860, in-8°.)
  • X. Renseignements économiques sur Saint-Pierre et  Miquelon. (Revue maritime et coloniale, 1876.)
  •  FERNAND HUE. Documents personnels inédits. — Ces  documents proviennent de notes recueillies par nous  auprès de plusieurs de nos amis qui ont visité ces  parages, chargés de missions scientifiques ou comme  commandants de navires faisant la pêche.
  • JACQUES FEYROL. Les Français en Amérique, Canada,  Acadie, Louisiane. (1 vol. in-8-, Lecène et Oudin.  Paris, 1886.)

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5 réflexions sur « 1887 – Nos petites Colonies, Amériques : Saint-Pierre-et-Miquelon »

  1. Bonjour,
    Je viens de lire ce document que je ne connaissais pas et je l’ai trouvé passionnant. Merci

  2. Bonsoir Mme Olano ! Ce document fut pioché parmi tant d’autres dans l’immense bibliothèque numérique Gallica de la BNF.

    Roger Etcheberry et moi-même effectuons des recherches régulières sur ce site pour y extraire des textes susceptibles d’intéresser les passionnés d’histoire de l’archipel !

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