23 avril, 2024

Cartographie et toponymie : introduction

Introduction

Au-delà des mers d’Europe, se trouve un vaste plateau continental submergé à quelques centaines de mètres seulement au-dessous du niveau de la mer. Au nord-ouest de ce plateau ou Grands Bancs, se trouve l’île de Terre-Neuve avec ses centaines de havres, baies et péninsules. Dès la fin du XVIe siècle les pêcheurs d’Europe occidentale se ruèrent vers les côtes et rivages de l’île pour y établir leurs établissements de pêche. C’est en outre le long de la côte méridionale de Terre-Neuve que s’étaient installés les pêcheurs des ports occidentaux de la France depuis Plaisance jusqu’à la Côte du Chapeau Rouge ainsi nommé à cause d’une montagne de rhyolite de plus de 230 mètres, visible à plus de 50 km à la ronde. A l’ouest de ce promontoire rocheux se trouvent les îles de Saint-Pierre, Miquelon et Langlade.

Reconnues depuis l’avènement des explorateurs européens de la fin du XVe et du début du XVIe, les îles de Saint-Pierre et Miquelon furent maintes fois baptisées par les émissaires et les cartographes des puissances rivales qui cherchaient à dominer cette partie du monde : Ille de la Trinité d’après Giovanni Caboto et Juan de la Cosa, Barbatos Insula pour Johannes Ruysch, Ille Verte selon les frères Corte Real, Onze Mille Vierges pour Faguendes. Ce n’est que vers le milieu du XVIe que le nom de Saint-Pierre donné par les pêcheurs malouins et granvillais sera inscrit sur les cartes et portulans[i]. Quant à l’origine du nom de l’île Miquelon, il fut un peu plus difficile à cerner, mais son origine basque[ii] ne semble plus faire l’ombre d’un doute.

Pendant tout le XVIe siècle Saint-Pierre et Miquelon restera un lieu privilégié pour la pêche malouine, granvillaise et basque. Au-delà des îles, à l’aube du XVIIe siècle, l’établissement des comptoirs de pêche européens autour des Grands Bancs de Terre-Neuve bat son plein. Le Portugal et l’Espagne ne sont plus de la partie ; la France et l’Angleterre se partagent alors l’île de Terre-Neuve, mais cette cohabitation est loin d’être harmonieuse.

Pendant la deuxième moitié du siècle, plus rien ne semble enrayer les profondes rivalités territoriales et économiques. Cependant ces tensions locales ne seront jamais suffisantes pour déclencher des hostilités généralisées. Les événements déterminants ne se dérouleront pas sur place. Force est de constater que le partage de Terre-Neuve par ces deux grandes puissances sera résolu par les aléas de la guerre dans les contrées atlantiques du vieux continent.

Dans ce contexte, la cartographie particulière des établissements de pêche de la côte du Chapeau Rouge constitue pour l’historien une série d’étranges clichés dont l’imperfection ne cesse d’entretenir un certain flou historique. Faute de mieux, nous pouvons tout de même tirer quelques renseignements de ces documents, étudier la microtoponymie et extraire des parcelles d’éléments géographiques afin de compléter, confirmer ou infirmer l’histoire de ces îles rédigée à partir d’archives toutes aussi imparfaites.

hoyarcabalDepuis la description de l’archipel par Martin de Hoyarçabal en 1579 à la fin du XVIe siècle, nous n’avons que quelques mentions épisodiques des îles. Nous savons cependant qu’en 1594 un capitaine anglais dénommé Rice Jones[iii] vint pêcher à Saint-Pierre. La même année, Sylvester Wyet, accompagné d’un pilote luzien, passe au large de Saint-Pierre lors de son expédition vers la côte ouest de Terre-Neuve à bord du Grace de Bristol[iv]. Charles Leigh fera une mention similaire en 1597[v]. Champlain ne s’y attardera pas davantage lors de son voyage de 1603[vi].

Qu’en est-il du côté des Basques, des Malouins, des Granvillais et des Rochelais ? Outre Saint-Pierre, Miquelon, Saint-Laurent et Plaisance, ils occupent un petit nombre de havres le long de la dite côte du Chapeau Rouge. En 1655, puis en 1660, la cour tentera de nommer un gouverneur pour administrer la colonie malgré les protestations des armateurs et capitaines. L’année 1662 voit l’arrivée d’une petite garnison et du gouverneur Duperron. Le malheureux Duperron ne retrouvera jamais la terre de France ; son meurtre avec celui d’une dizaine d’autres marquera le terme d’une violente mutinerie.

Les années qui suivent prouveront maintes fois que la colonie française de Plaisance reste tout de même une expérience difficile. L’éloignement de la métropole conjugué avec la rigidité des administrateurs de l’ancien régime engendre chez les sujets français et basques de Terre-Neuve un profond sentiment de défiance vis-à-vis de l’autorité. D’autre part l’isolement, la dépendance des approvisionnements extérieurs, l’escroquerie à peine déguisée des marchands, le poids des régionalismes, la difficulté du climat et la nature stérile du sol des alentours de Plaisance ne rendent guère facile la vie de la colonie.

Du reste, ce n’est pas l’insubordination des habitants, ni l’exiguïté de la colonie de Plaisance qui mèneront cette expérience coloniale à terme. Un coup de plume en 1713, dans la ville néerlandaise d’Utrecht, suffira pour que la France abandonne Plaisance, la côte du Chapeau Rouge, Saint-Pierre et Miquelon à la couronne anglaise. De nos jours les pierres saillantes du fort Royal sur les collines de Plaisance sont accompagnées dans leur magnifique solitude par quelques stèles tombales basques. Ce sont les dernières sentinelles muettes de la présence française dans ces contrées.


 

[i] Marc Cormier, Toponymie ancienne et origine des noms Saint-Pierre, Miquelon et Langlade dans Le Marin du Nord, Vol. VII. No 1 (Saint-Jean-de-Terre-Neuve, 1997), 29-45.

[ii] Cormier, Toponymie ancienne (voir note 1), 29-45.

[iii] D.W. Prowse, A History of Newfoundland (Londres, 1895), 566.

[iv] « From the Isle of Penguin wee shaped our course for Cape de Rey and had sight of the Island of Cape Briton : then returned wee by the Isles of Saint Pedro, and so came into the Bay of Placentia, and arrived in the Easterside thereof some ten leages up within the Bay among fishermen of Saint John de Luz and Sibiburo and of Biskay… » Richard Hakluyt, The principal navigations, voyages, traffiques and discoveries of the English nation, Vol. 6, 100.

[v] « The thirteenth day we had sight of S. Peters Islands. » Hakluyt, The principal navigations (voir note 4) Vol. 6, 109.

[vi] « Le 15e dudit mois, nous eûmes connaissance des îles Saint-Pierre. » Samuel Champlain, Des sauvages, (Paris, 1604).


Note : cette série d’articles fut rédigée entre 1997 et 2004 dans le cadre d’une œuvre consacrée à l’histoire de la cartographie et de la toponymie de l’archipel. Le projet n’ayant abouti, les ébauches vous sont livrés tels quels avec pour seul objectif de mieux faire connaître cette facette particulière de notre histoire.

Cartographie et toponymie des îles Saint-Pierre et Miquelon.
De 1579 au traité d’Utrecht.

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