28 mars, 2024

Cartographie et toponymie : les documents et cartes du XVIIe

Les documents et cartes du XVIIe

Mason, Denis de Rotis, Chaviteau, Le Cordier, Franquelin, Alemand…

Plusieurs autres éléments méritent encore d’être étudiés avant de procéder à l’étude de la cartographie particulière des îles qui ne débute d’ailleurs qu’assez tardivement et ce vers 1695, soit un peu moins de 30 ans après l’inauguration de l’Académie Royale des Sciences par Louis XIV. Il est donc nécessaire d’ausculter quelques cartes régionales afin d’établir un lien entre l’époque de la découverte et celle de l’administration coloniale de Terre-Neuve.

Dans cette perspective, il n’est pas inutile de faire le portrait général des établissements de pêche qui parsèment la grande île au XVIIe. Trois sections principales de la côte de Terre-Neuve peuvent ainsi être isolées. Au nord de l’île, de l’actuel détroit de Belle-Ile (La Grande baye) vers le Cap Dégrat aux établissements de La Rochelle et La Scie se trouve la première côte française. Au sud, du Cap Bonavista en passant par Trinity, Bonaventure, la Baie de Verde, et tout au long de la côte vers la baie des Trépassés, y compris Saint-John’s, se trouve la côte anglaise. Puis de la baie des Trépassés, en remontant dans la baie de Plaisance, le long de la péninsule de Burin jusqu’à Miquelon se trouve la deuxième côte française ou Côte du Chapeau Rouge.

En 1625, un peu moins d’un siècle après le passage de Cartier et de Faguendes, le capitaine anglais John Mason, originaire de Norfolk en Angleterre, gouverneur de Terre-Neuve de 1615 à 1621 et fondateur de la colonie du New Hampshire, publie sa carte du Newfound Land dans le Cambrensium Caroleia de William Vaughan[i]. L’année suivante le même document cartographique est de nouveau imprimé, mais cette fois-ci dans The Golden Fleece du même Vaughan[ii]. L’Américaniste Henri Harrisse nous a confié lors son analyse de cette carte que le tracé de l’île n’est pas particulièrement original mais que la toponymie y est assez nouvelle[iii]. Effectivement, c’est sur cette carte qu’apparaît pour la première fois le nom Miquelon, orthographié Micklon. Il aura fallu plus de 46 ans pour qu’un nom cité dans le routier d’Hoyarçabal fasse son entrée cartographique !

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Quelques décennies suivront et c’est le travail cartographique des français qui enclenchera une évolution intéressante dans la cartographie de Terre-Neuve. Les cartes de Denis de Rotis (1674), De Courcelle (1675), Detcheverry (1689), Chaviteau (1698) méritent particulièrement d’être cités. Deux de ces documents feront d’ailleurs l’objet d’exposés plus détaillés.

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Faict à Sainct Jean de Luz par Moy Denis de Rotis, 1674

Toponymie régionale en 1662 : assemblée générale d’armateurs malouins

En 1662, le premier document faisant état d’une quelconque microtoponymie locale est une liste des havres de pêche de la côte du Chapeau Rouge établie lors d’une assemblée générale des armateurs malouins[iv]. Le règlement ainsi formulé fut entériné par le Parlement de Bretagne.

  • Galay : graves de galets. De l’ancien français, Gal[v].
  • Barachoua : Barachois. Terme d’origine basque.
  • isle aux Groiseilles[vi] (Grouesilles[vii]) : Ile aux Marins. Du patois normand groiselle, groseille à maquereau[viii]. Confusion possible entre les groseilles à maquereau et la plate bière, les framboises ou une autre baie de l’Ile aux Marins ? A rapprocher du Rasberry Cove de James Cook en 1763.
  • islot du milieu du havre : Ile au Massacre
  • isle de Miclon : Miquelon.

De Courcelle, 1675

Des multiples cartes de Terre-Neuve qui mériteraient une quelconque étude, ce sont celles issues d’observations directes qu’il faut retenir. Inscrivons au chapitre la carte de De Courcelle. En 1676, les explorations du Sieur De Courcelle, lieutenant de vaisseau du Roy dans l’île de Terre-Neuve, ont abouti au tracé d’une carte originale. [Lien BNF]

courcelle
[Carte des côtes de Terre-Neuve] / faite à Breste le 14e janvier 1676, par le Sr. de Courcelle, lieutenant de vaisseau du Roy… ayant fait le Tour de Lylle de Tere neuve… Lesté de lanné 1675
La représentation de Saint-Pierre et Miquelon est, contrairement aux cartes contemporaines, très détaillée. De Courcelle fixera sur sa carte les points géographiques suivants : I anglois miclon, c despiere, I Saint-Pierre, les coulombiers, l’Ile verte et l’I brunet.

L’intérêt du travail du lieutenant De Courcelle ne se limite pas à sa carte mais au fait que cette dernière est accompagnée par une longue série d’instructions nautiques riches en détails. La description qui concerne Saint-Pierre nous donne des informations très précieuses : « Remarque sur les haures de Tere Neufe ou nous auons entré et ou peuuvent aler les vaisseaux du Roy. Aux Ylles S pierre lemouillage nest pas bon pour de gros vaisseaux parce qu’il ne peuuent entrer dans Le barachoy qui est un haure de maré pour les moien batiment. Dans la rade le fons est mellié de sable et de roche. Quant on ni demeur quelque temps il fault liegés les cables ou bien il se coupe. Lon mouille depuis les 20 brasses jusque par les I. où sont les nauires pescheurs. Pour lantré elle se voit assé et les dangers. Ylia vn abitan qui est de St Malo. Ylia peu de chasse en cette ille. Lille du coulombier se nomme aynsy par ce quilia vne se grande cantité de certins oyseaux marins que lon nomme des carcaillau. Ellest percé depuis le bas jusque à la sime de trous où yl font leur nis, yl ne valent rien à manger.[ix] »

Le mémoire des navires de De Courcelle indique aussi que le port de Miquelon est capable de recevoir 14 navires, et celui de Saint-Pierre 12. Saint-Pierre comptait en 1675, encore selon De Courcelle, un habitant d’origine malouine alors que l’Intendant Talon, qui prit possession des îles, recensa quatre habitants sédentaires en 1670[x].

Detcheverry 1689

detcheverry
Faict A plesance par pierre Detcheuerry dorre pour Monsieur parat gouuerneur de plesance et l[‘]islle de terreneufe
Cent ans après la parution du routier d’Hoyarçabal, c’est au luzien Detcheverry que revient la tâche de traduire en Basque labourdin ce document. Mis à jour et intitulé « Liburuhauda Ixasoco nabigacionecoa » le routier de Detcheverry fut suivi par une carte en deux exemplaires qui nous sont parvenus grâce aux archives.

Levée pour Antoine Parat, gouverneur très impopulaire de Plaisance[xi], Pierre Detcheverry acheva sa carte de Terre-Neuve et des régions avoisinantes en 1689. La nomenclature terre-neuvienne y est détaillée et reprend beaucoup de toponymes basques. L’archipel est dessiné avec précision. On y trouve les toponymes st pierre, miquelon et le c: dangleterre (Langlade).

Bien entendu, avant de terminer ce bref exposé de la carte marine de Detcheverry, un examen de la toponymie de son routier s’impose. Imprimé douze ans auparavant à Bayonne, Liburuhauda Ixasoco contient les noms suivants :

  • Colonbia, Colunbia : Grand Colombier
  • Irla berdea : Ile Verte
  • Sen Pierretaco Irlen : Isles de Saint-Pierre
  • Angueleterraco : Langlade
  • Miquelu portuco : Anse de Miquelon
  • Miquetongo : Miquelon

Antoine Parat, 1690

Le gouverneur de Plaisance, Antoine Parat, dans un rapport rédigé vers 1690 décrit les divers havres de pêche de la colonie et de ses dépendances. Parat propose la construction d’un fort sur l’isle de Grouezelle près de l’île de Saint-Pierre. Dans cette même relation, il décrit l’île de Miclon et vante ses mérites agricoles. Sa toponymie est assez proche – utilisation de Grouezelle – de celle retrouvée dans le règlement du Parlement de Bretagne.

« Il y a l’isle de St-Pierre éloignée de 4 à 5 lieues de la grande terre et de Plaisance 50 laquelle a un fort bon port où l’on peut faire un fort pour la seurté des habitants de l’isle de Grouezelle qui défendroit l’entrée et mettroit à couvert 12 à 15 habitants qui vaudroient mieux que Plaisance, le poisson y estant d’ordinaire en plus grande abondance. 12 à 15 navires dans le temps de paix y vont faire la pesche et c’est le lieu où les Malouins et les Granvillois négocient et font pesche […] Il y a aussy une île appelée Miclon éloignée de St-Pierre de 5 lieues très bonne pour la pesche[xii]« .


 

[i] Prowse, A History of Newfoundland (voir note 3), 104-109.

[ii] Public Archives Canada, Treasures of the National Map Collection.

[iii] Henry Harrisse, Découverte et évolution cartographique de Terre Neuve et des pays circonvoisins, 1497-1501-1769 (Paris, 1900), 307.

[iv] Jean-Yves Ribault, Histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon (des origines à 1814) (Saint-Pierre, 1962), 14.

[v] Gal. [Galet : « Colin print une pierre ou gal de mer et le getta à la teste du suppliant par telle maniere qu’il le porta à terre. » Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye, Dictionnaire historique de l’ancien langage françois (Niort, 1875-1882), 356.

Gal, s.m., caillou, galet : en patois normand, gal, gau, signifie pierre, caillou. Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française (Paris, 1885), 206.

[vi] Charles de la Morandière, Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique Septentrionale (Paris 1962), I. 418.

[vii] Ribault, Histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon (voir note 11), 15.

[viii] Groiselle, s.f., groseille à maquereau. En irlandais groisaid. En patois normand de Guernesey, l’on dit guerouaisiau. Henri Moisy, Dictionnaire de patois normand (Caen 1887), 335.

[ix] Harrisse, Découverte et évolution cartographique de Terre Neuve (voir note 10), 318-319.

[x] Ribault, Histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon (voir note 11), 16.

[xi] Arrivé en 1685, Parat finira par abandonner son poste de gouverneur en 1690 après avoir été torturé et malmené par les Anglais. Parat était méprisé par les capitaines basques qui refuseront de le prendre comme réfugié à bord de leurs navires. Le gouveneur déchu de Plaisance se dirigera ensuite vers Saint-Pierre où il sera recueilli par les marins malouins. Il rentrera en France à l’automne 1690. Ribault, Histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon (voir note 11), 23.

[xii] de la Morandière, Histoire de la pêche française (voir note 13), I. 436.


Note : cette série d’articles fut rédigée entre 1997 et 2004 dans le cadre d’une œuvre consacrée à l’histoire de la cartographie et de la toponymie de l’archipel. Le projet n’ayant abouti, les ébauches vous sont livrés tels quels avec pour seul objectif de mieux faire connaître cette facette particulière de notre histoire.

Cartographie et toponymie des îles Saint-Pierre et Miquelon.
De 1579 au traité d’Utrecht

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