19 mars, 2024

1969 – La pêche et le commerce de la morue aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon par Jean-Yves Ribault.

Actes du quatre-vingt-onzième congrès national des Sociétés savantes, Rennes, 1966 : Section d’histoire moderne et contemporaine. Histoire maritime et coloniale. Comité des travaux historiques et scientifiques (France). Section d’histoire moderne et contemporaine. Éditeur scientifique. 1969.

LA PÊCHE ET LE COMMERCE DE LA MORUE
AUX ILES SAINT- PIERRE-ET-MIQUELON
DE 1763 À 1793
par Jean-Yves RIBAULT

A propos du traité de Paris, du 10 février 1763, qui enlevait à la  France son domaine d’Amérique du Nord, à l’exception des modestes  îlots de Saint-Pierre-et-Miquelon et d’un droit de pêche à Terre-Neuve, on a beau jeu d’opposer le sacrifice de Montcalm au dédain  sarcastique de Voltaire pour les « quelques arpents de neige » du  Canada.

Après deux siècles, quand on voit ce qu’est devenu le Canada,  Voltaire fait figure d’imbécile. Et pourtant, sur le fond du problème,  Montcalm n’était pas loin d’être d’accord avec l’écrivain. Le 4 avril  1757, il avait écrit au ministre Berryer une lettre qui fut interceptée  par les Anglais. Cette lettre a été publiée et elle contient ce passage  qui définit clairement en quoi consistaient les intérêts français en  Amérique du Nord au milieu du XVIIIe siècle :  « Si le Canada devait être cédé, ce ne serait pas une perte irréparable, car je suppose que la Cour ne livrerait pas la Pêche, source  des richesses; pour cela, il serait nécessaire de posséder Louisbourg  ou quelque île voisine et d’apporter nos marchandises aussi pour les  Anglais, et ce petit port ou poste nous serait aussi favorable que le  Canada serait défavorable aux Anglais. » (1).

Ainsi donc, pour Montcalm, comme pour les théoriciens de la  colonisation (tels l’abbé Raynal) et pour les négociants métropolitains, le Canada, colonie de peuplement, présentait moins d’intérêt  pour le commerce français que cette véritable colonie d’exploitation  que constituaient les eaux Terre-neuviennes, « l’un des viviers où le  monde s’alimente depuis le XVIe siècle » (Robert Perret) (2).

Cet aspect essentiel de l’histoire de l’Amérique du Nord, les historiens français l’ont en général assez ignoré et il a fallu attendre la  parution en 1962 du monumental ouvrage de M. de La Morandière,  Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique septentrionale, pour en avoir une vue d’ensemble (3).

Afin de bien préciser l’importance de ce commerce, je voudrais  citer deux séries de chiffres établies par M. de La Morandière.

En 1786, 386 navires, totalisant 42 241 tonneaux et portant 12 469  hommes d’équipages, pêchèrent à Terre-Neuve 367 559 quintaux  de morue sèche et 3 175 134 morues vertes, dont la vente produisit  10 892 010 livres.

Par ailleurs en 1784, dans le tableau d’ensemble des pêches maritimes, Terre-Neuve figure pour 60 du tonnage total et 45 du  nombre d’hommes d’équipage.

Ce sont des chiffres qu’il faut avoir en tête pour apprécier la portée  et le sens du traité de Paris et la place des îles Saint-Pierre-et-Miquelon  dans l’histoire de la rivalité franco-anglaise en Amérique du Nord  au XVIIIe siècle. Après Plaisance (Terre-Neuve), après Louisbourg  (île Royale), elles formèrent le troisième et dernier établissement  français chargé de préserver et d’exploiter notre droit de pêche à  Terre-Neuve, que l’Angleterre chercha avec opiniâtreté à nous enlever  au cours du XVIIIe siècle.

Les îles Saint-Pierre-et-Miquelon  L’histoire elle-même des îles ne nous retiendra pas longtemps (4).

Il suffit de savoir qu’elles ne furent au XVIe siècle qu’un petit poste  de pêche, découvert, semble-t-il, par les Portugais en 1520, puis rapidement fréquenté par les navires bretons. Les îles furent habitées  à partir de 1660 environ et pourvues d’un embryon d’organisation  sous la direction d’un commandant nommé en 1694; elles dépendaient du gouvernement de Plaisance (Terre-Neuve) et furent cédées  aux Anglais, comme Plaisance elle-même, par le traité d’Utrecht  en 1713. Louisbourg prit alors la relève et connut grâce à la pêche  sédentaire une remarquable prospérité jusqu’en 1758, date à laquelle  les Anglais s’emparèrent de l’île Royale. La France ne possédait plus  alors aucun établissement de pêche en Amérique du Nord; le commerce de la morue sèche était si important pour les ports de France  que tous les négociants et tous les armateurs demandèrent à la Cour  de se faire reconnaître la possession d’un poste de pêche. Choiseul,  sans se préoccuper davantage du Canada, n’eut de cesse qu’il n’obtînt,  pour remplacer Louisbourg, les îles Saint-Pierre-et-Miquelon, malgré  la farouche opposition de l’opinion publique anglaise, représentée  au Parlement par l’intraitable William Pitt.

Les îles furent peuplées à partir de 1763 par d’anciens colons de  l’île Royale puis par quelques centaines d’Acadiens, victimes du  « grand dérangement » de 1755 et qui s’évadèrent de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-Ecosse, pour venir s’installer à Miquelon.

En outre, les colons faisaient venir de France à leur service une  main-d’œuvre de pêcheurs. On peut calculer, malgré le manque de  stabilité de la population, que les îles comptaient environ 1 500 colons  sédentaires ; les engagés faisaient monter ce chiffre à 2 000 habitants  environ ; l’été, avec les équipages de pêche, 2 500 à 3 000 personnes  fréquentaient la colonie.

Les plus notables colons, tels Dupleix-Sylvain et Rodrigue, étaient  originaires de l’île Royale, ainsi que les officiers et les fonctionnaires.

L’expérience qu’ils possédaient du commerce maritime leur permettait de tirer parti de l’excellent port de Saint-Pierre, où se concentrait  toute l’activité commerciale et artisanale de la colonie.

L’île de Miquelon, au contraire, ne possédait aucun mouillage sûr,  mais quelques prairies et terres cultivables. Les Acadiens, anciens  fermiers, s’y étaient installés et s’adaptèrent difficilement à leur  nouveau métier de pêcheurs.

L’activité de la colonie fut interrompue le 13 septembre 1778 par  l’arrivée d’une escadre anglaise et les îles ne furent rendues qu’en  1783 par le traité de Versailles. Une nouvelle fois, le 14 mai 1793,  le commandant de la colonie fut forcé de capituler et les habitants  connurent un nouvel exil jusqu’au second traité de Paris en 1815.

Telle fut dans ses grandes lignes l’histoire de la colonie. « Je sais  bien, écrivait Choiseul, au gouverneur Dangeac, le 12 avril 1763,  que les isles Saint-Pierre et Miquelon pourront avec le temps devenir  un entrepôt assez considérable de commerce; mais elles ne le peuvent  qu’autant que la base de leur établissement qui est la pêche et la  sècherie prendra des accroissement » (5). Poste de pêche et comptoir  commercial, telle était la double fonction économique assignée  par le gouvernement au petit territoire.

La nouvelle colonie justifia-t-elle les espoirs que l’on plaçait en  elle? Les îles Saint-Pierre-et-Miquelon devinrent bien un poste de  pêche florissant, mais jamais elles ne connurent la prospérité de l’île  Royale. Colons et négociants métropolitains exploitaient les pêcheries  en une collaboration qui n’allait pas toujours sans heurts; l’exportation de la morue sèche en France constituait l’essentiel de l’activité  commerciale de la colonie. Pourtant, les îles Saint-Pierre-et-Miquelon  entretinrent aussi avec les Antilles françaises et les ports de la Nouvelle-Angleterre et des Etats-Unis des relations dont l’étude ne manque  pas d’intérêt.

LA PÊCHE

A partir de 1763, les armateurs français disposèrent, pour faire  la pêche de la morue, du grand banc de Terre-Neuve, de la côte du  Petit-Nord sur l’île de Terre-Neuve depuis le cap Bonavista jusqu’à la  pointe Riche, et des îles Saint-Pierre-et-Miquelon. A chacun de ces  lieux correspondait une technique particulière. Sur le grand banc  se pratiquait la pêche errante; les matelots jetaient leurs lignes du  bord même de leurs goélettes; les morues étaient vidées, tranchées  et salées et le résultat de cette préparation portait le nom de morue  verte. Au Petit-Nord, la pêche à la côte permettait en outre de faire  sécher sur les graves (6) les morues, préalablement recueillies dans des  chaloupes et débarquées sur l’échafaud (7), construit à terre, où  elles étaient « habillées et salées »; cette technique produisait la morue  sèche qui se conservait bien plus longtemps et qui, pour cette raison,  se consommait surtout dans les régions méridionales de l’Europe.

Enfin, aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, comme auparavant à l’île  Royale, se pratiquait la pêche sédentaire, caractérisée notamment par la présence permanente des pêcheurs sur la côte et un statut  particulier des graves (8) (voir fig.). C’est de cette dernière catégorie,  et uniquement d’elle, que nous nous occuperons.

  1. DESCRIPTION GÉNÉRALE.

La description générale de la pêche sédentaire montre qu’il s’agissait d’une technique fort complexe. Elle avait d’abord l’avantage sur  les deux catégories précédentes de durer plus longtemps;’ on y  distinguait en effet deux phases : la pêche d’été et la pêche d’automne.

Ces deux phases se subdivisaient elles-mêmes en plusieurs périodes,  avec l’apparition des appâts successifs ou « boëtte »; on sait que la  morue, très vorace, suivait les déplacements de certains petits poissons dont elle faisait sa nourriture. Ainsi, de la première quinzaine  de mai jusqu’à la fin de juin, elle apparaissait sur les bancs de Saint-Pierre et de Miquelon à la suite du hareng; c’était l’époque de la  « morue de primeur », la plus grosse, puisque 30 morues suffisaient  à faire le quintal, et la plus chère sur les marchés européens. Aux  environs de la Saint-Jean, arrivait le capelan; la morue le suivait en  quantité prodigieuse, mais d’une taille et d’une qualité inférieures à  la précédente; il en fallait 40 à 45 pour faire le quintal. A la fin de  juillet, le capelan était remplacé par l’encornet; au début du mois  d’octobre et jusqu’à la mi-décembre, le hareng revenait à la côte,  beaucoup plus gros d’ailleurs que l’espèce apparue au mois de mai,  et attirait des morues aussi grandes que celles de primeur, mais plus  grasses et plus difficiles à sécher à cause des conditions atmosphériques. On laissait le produit de la pêche d’automne dans le sel jusqu’au  mois d’avril suivant; on lavait alors ces morues et on les étendait  sur les graves; on obtenait ainsi une denrée de qualité inférieure,  qui, jointe au rebut de la campagne de pêche qui formait en général  le huitième du produit total, était vendue à bas prix aux Antilles,  sous le nom de morue de réfaction, pour servir de nourriture aux  esclaves noirs (9).

Si la morue sèche constituait le produit principal de la pêche sédentaire, il n’était pas le seul; chaque année, les bâtiments métropolitains emmenaient quelques dizaines de milliers de morues vertes. En outre  la pêche de la morue avait ses sous-produits. L’huile de foie de morue,  comme toutes les huiles de poisson, servait à l’industrie du cuir; les  tanneries l’utilisaient pour assouplir les peaux qu’elles traitaient (10);  elle pouvait également pallier une éventuelle pénurie de chandelles  et fournissait un éclairage qui, pour être nauséabond, n’en était pas  moins très vif. La barrique d’huile de 30 weltes, produite par 90 à  100 quintaux de morues, se vendait 90 à 105 livres et les îles Saint-Pierre-et-Miquelon en produisaient quelques centaines par an. Les  œufs de la morue de primeur, sous le nom de rogues ou raves, se  vendaient aux Basques pour la pêche du hareng et de la sardine,  25 à 30 livres la barrique produite par 50 quintaux de morue (11).

Enfin, les langues des morues, arrachées par les pêcheurs et enfilées  sur des baguettes pour calculer le nombre de poissons pris, pouvaient  également constituer un article de consommation.

Le voisinage des îles Saint-Pierre-et-Miquelon avec le grand banc  et le banc de Saint-Pierre permettait de ne pas limiter la pêche aux  côtes de la colonie. Si les banquereaux et le banc à Vert n’étaient guère  fréquentés (12), le banc de Saint-Pierre à environ 75 kilomètres des  îles, fournissait un des plus beaux poissons de Terre-Neuve; certains  capitaines poussaient même jusqu’au grand banc où la morue était  plus abondante et demeurait plus longtemps qu’à la côte. Ces voyages  exigeaient naturellement des bâtiments pontés, capables de tenir  la mer et de transporter une grande quantité de poisson; on employait  donc des brigantins, de 80 à 100 ou 120 tonneaux, à deux mâts gréés  de voiles carrées (c’est-à-dire en forme de trapèze régulier ou de  rectangle), et surtout des goélettes, de 30 à 70 ou 80 tonneaux, à  deux mâts également, mais gréés de voiles latines (en forme de  triangle) (13); ces bâtiments faisaient trois à quatre voyages par  campagne. Le poisson était préparé et salé sur les fonds même, il  ne restait plus qu’à le sécher sur les graves. Certains habitants envoyaient parfois sur le banc de Saint-Pierre de grandes chaloupes,  embarcations non pontées, marchant à l’aviron ou à la voile, mais la crainte des gros temps les retenait le plus souvent à cinq ou six lieues  au large des côtes; les embarcations plus petites ne s’aventuraient  pas en général à plus de deux lieues. Les demi-chaloupes et canots  servaient à prendre la boëtte avec des filets ou « sennes »; ils recueillaient ces appâts dans les rades et les baies, le long de la côte (14).

L’abondance et la qualité de la boëtte étaient très importantes pour  le succès de la pêche. Chaque chaloupe et chaque bâtiment ponté  en emmenait une provision, car on pêchait alors à la ligne de main.

La fameuse ligne de fonds ou ligne dormante, inventée par le capitaine Sabot de Dieppe, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, provoqua  de grandes contestations; le 14 février 1788, le ministre interdit son  utilisation, mais le 2 mars, il revenait sur cette décision et voulait  bien avertir les Chambres de commerce de Granville, Saint-Malo et  Dieppe qu’il tolérait l’emploi de lignes de fonds pour les armements  à la morue sèche et seulement pour la pêche « le long du bord et aux  petites cordes, non en chaloupes » (15). Chaque matelot disposait  de deux lignes munies à leur extrémité d’un plomb et d’un « haim »  ou hameçon où il accrochait son appât. Lorsqu’il manquait de boëtte,  le pêcheur se servait d’un hameçon spécial appelé le « faux »; au bout  de la ligne était suspendu un poisson de plomb armé de deux crochets ;  animé d’un mouvement incessant, cet hameçon accrochait au hasard  dans la masse des morues un ou deux poissons, non sans en avoir  auparavant tué ou blessé plusieurs autres. Toute la journée, le pêcheur  retirait ainsi une ligne, décrochait la morue, plaçait un nouvel appât.

rejetait sa ligne et recommençait les mêmes opérations avec la seconde,  On imagine combien ce travail incessant, dans la brume, l’humidité  et l’inconfort, parfois même la tempête, pouvait être pénible.

  1. LES ARMEMENTS.

Les conditions générales de temps et de lieux auxquelles la pêche  sédentaire était assujettie étant ainsi définies, examinons le détail  des armements. On peut classer ces armements en trois grandes  catégories : celle des embarcations non pontées, celle des bâtiments  pontés appartenant aux colons, celle des bâtiments pontés appartenant aux armateurs métropolitains.

  • L’armement des embarcations non pontées.

La plupart des habitants de la colonie faisaient la pêche près des  côtes au moyen d’embarcations non pontées, à un seul mât, gréé en

voiles latines ou carrées, avec une quille : les chaloupes. Chaque  chaloupe allait pêcher et ramenait son poisson à l’échafaud où un  piqueur coupait la tête de la morue, l’éventrait et la passait au décoleur; celui-ci la vidait et la transmettait à l’habilleur qui la tranchait  pour la mettre à plat ; puis le poisson ainsi « habillé » passait au saleur  qui le plaçait dans le sel où il demeurait huit à dix jours; après avoir  été lavé, on l’étendait alors sur les graves où il séchait assez longtemps;  mis en piles, il « suait » pendant quelques jours; on le replaçait alors  sur la grave pour qu’il achevât de sécher. Le personnel spécialisé  de l’échafaud était commun pour plusieurs chaloupes. Chaque embarcation disposait d’un personnel autonome, formé de 3 matelotspêcheurs et de 2 graviers.

Il est bien difficile de calculer les frais d’armement de ce genre de  pêche. En 1768, Loyer-Deslandes estimait à 1 022 livres la construction et l’équipement d’une chaloupe; il calculait que le produit de  la pêche, sur la base de 150 quintaux par saison, vendus à 18 livres  10 sols le quintal, se montait à 2 775 livres; le bénéfice du propriétaire  de la chaloupe était donc de 1 753 livres par an, chiffre rassurant  pour la prospérité des colons (16). L’ordonnateur Beaudéduit rectifiait ce calcul; il estimait, quant à lui, que la construction, l’équipement et, en outre, ravitaillement d’une chaloupe ne pouvaient coûter  moins de 1 600 livres; le profit n’était donc plus que de 1175 livres,  mais sur cette somme, devaient vivre deux ou trois familles, car la  plupart des habitants possédaient une chaloupe en société (17). Ces  chiffres furent établis pour les premières années de la colonie. Avec  le temps, les frais se firent plus nombreux et plus considérables; il  semble que les chaloupes étaient devenues plus grosses. En 1789,  la situation était si grave que le commandant de la station (18), M. de  Vaugiraud, fit assembler les habitants et les propriétaires pour avoir  leur avis (19). Il résulta de leurs calculs qu’à la fin de la campagne,  le propriétaire d’une chaloupe était déficitaire. En effet, la construction, l’équipement et l’avitaillement d’une chaloupe revenaient à  3 208 livres ; relevons parmi les dépenses : 347 livres pour la voile, 60 livres d’abonnement pour la boëtte, 645 livres pour la nourriture  de cinq hommes du 1er avril au 10 octobre, 440 livres pour 22 barriques de sel. Une chaloupe pêchait ordinairement dans une année  200 quintaux de morues, dont 24 quintaux revenaient au patron,  42 aux deux compagnons et 30 aux graviers. Restaient à l’habitantarmateur 104 quintaux, qui, vendus au prix de 20 livres le quintal,  lui rapportaient 2 068 livres, à quoi il fallait ajouter 90 livres, produit  de la vente d’une barrique d’huile (l’autre barrique revenant à l’équipage) ; c’était en tout un gain de 2 158 livres, mais un déficit de  1 050 livres lorsque l’on considérait les 3 208 livres dépensées à  l’armement (20). Il s’agit là, bien entendu, d’un calcul théorique, car  l’armateur n’était pas obligé de faire construire une chaloupe pour  chaque campagne de pêche. Toutefois, l’expérience confirmait  l’impossibilité pour le propriétaire de faire un gain appréciable. Le  commandant Vaugiraud se rendit aux raisons des habitants et des  capitaines et accorda la permission aux colons d’employer autant de  warys qu’ils le voudraient.

En effet, jusqu’à cette date, 18 juin 1789, la pêche en wary avait  été simplement tolérée pour les pêcheurs pauvres et interdite aux  autres (21). Le wary était une petite embarcation à fond plat, d’origine  anglaise, utilisée par les pêcheurs français de Terre-Neuve depuis le  milieu du XVIIIe siècle environ. Dès les débuts de la colonie, les  habitants les plus pauvres, incapables de se faire construire une  chaloupe l’avaient utilisée. On ne sait pourquoi les administrateurs  en interdirent l’usage général. Il s’avéra pourtant que l’armement  d’un wary était beaucoup plus économique que celui d’une chaloupe.

En effet, le même calcul qui révélait en 1789, un déficit de 1 050 livres  par chaloupe, faisait ressortir un gain, modeste mais réel, de 180 livres  par wary. L’équipage d’un wary ne comprenait que deux matelots  et un gravier à terre. Alors que la mise-dehors d’une chaloupe et son  avitaillement coûtaient 3 208 livres, ceux d’un wary atteignaient à  peine 1110 livres, y compris le salaire du compagnon-matelot  (250 livres) et celui du gravier (100 livres) ; la pêche d’un wary produisait 80 quintaux de morue par campagne, dont 20 quintaux revenaient  au patron. Le propriétaire pouvait donc vendre 60 quintaux à 20 livres  le quintal et la barrique d’huile, ce qui lui faisait un gain de 1 290  livres et un bénéfice de 180 livres (22).

Comment les habitants se procuraient-ils ces embarcations? En  1763, la plupart des habitants étaient arrivés sans chaloupes; le capitaine de vaisseau Tronjoly demandait au duc de Praslin d’en faire  passer une vingtaine (23); en 1764, il fut donc envoyé à l’île Saint-Pierre les pièces de bois et les agrès nécessaires à la construction de  douze chaloupes; quatre furent construites mais demeurèrent invendues, de même que le bois des huit autres (24). Les habitants avaient  en effet construit 320 embarcations depuis l’année précédente,  écrivait le gouverneur Dangeac, en rendant hommage au travail  de ses administrés (25). Le gouverneur comprenait sans doute dans  ce nombre les chaloupes appartenant aux navires métropolitains, car  l’année suivante, il ramenait ce chiffre à 310 et en 1766 à 150 chaloupes environ (26). En fait, si nous en croyons l’inspecteur anglais  Woodmass, il y avait en 1769 à Miquelon 50 chaloupes environ et à  Saint-Pierre 80 (27). Comment concilier ces renseignements contradictoires? Tenons nous en au recensement de 1776 qui dénombrait  à Saint-Pierre 154 chaloupes, 84 canots et warys et 14 barquettes pour  29 échafauds et à Miquelon 71 chaloupes et 39 canots et warys pour  23 échafauds (28). La plupart de ces embarcations avaient dû être  construites dans la colonie même et plus particulièrement sur l’île  de Langlade, comme l’avait remarqué Woodmass; Dangeac reconnaissait d’ailleurs que les Acadiens excellaient dans le travail du bois.

Plusieurs avaient été achetées aux armateurs métropolitains et peutêtre même aux pêcheurs anglais de Terre-Neuve. En tout cas, en  1783, après la reprise de possession de la colonie, le notaire Bordot  enregistra de nombreux contrats de ventes de chaloupes par des  habitants de Plaisance à ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui  nous fait connaître d’ailleurs les prix de ces embarcations; ils variaient  de 313 à 1 200 livres, mais les prix courants étaient de 600 à  900 livres (29). En 1784, la colonie avait refait une partie de sa flottille;  les colons de Saint-Pierre possédaient 71 chaloupes, 68 warys,  21 canots et 17 demi-chaloupes pour 14 échafauds ; ceux de Miquelon,  26 chaloupes, 30 warys, trois demi-chaloupes et 2 canots pour 9 échafauds; en 1786 à Miquelon encore, les 92 familles se partageaient la  propriété de 44 chaloupes (30).

  • L’armement des bâtiments pontés appartenant aux colons.

Les colons plus aisés utilisaient des bâtiments pontés pour faire  la pêche sur le banc de Saint-Pierre et sur le grand banc. Ils y employaient quelques brigantins, mais surtout des goélettes de 35 à 50  ou 60 tonneaux, ou même plus, montées par un équipage de huit  ou neuf hommes.

L’intérêt de ce genre d’armement résidait dans le fait qu’il n’exigeait pas d’échafauds à terre; la morue était traitée sur la goélette  même et il ne restait plus qu’à la faire sécher sur les graves. Chaque  bâtiment effectuait, en général, quatre voyages par campagne de  pêche et rapportait chaque fois 5 000 à 7 000 morues, dont 38 à 40  faisaient le quintal. A la fin de la saison, l’armateur pouvait donc  disposer de 20 000 à 28 000 morues, c’est-à-dire de 500 à 700 quintaux,  et de 3 ou 4 barriques d’huile ^31). Venait alors le moment de régler  l’équipage selon l’engagement ordinaire aux trois septièmes du produit de la pêche. Soit un équipage de huit hommes (le capitaine, le  trancheur, trois compagnons, le saleur, le décoleur et le mousse)  et une pêche de 700 quintaux, il revenait donc à l’armateur-propriétaire les quatre septièmes, c’est-à-dire 400 quintaux. Mais comme  l’équipage était venu de France sur les navires métropolitains, il  devait payer leur passage sur la base de 4 quintaux par homme, en  tout 32 quintaux; il donnait en outre à son équipage, lors du désarmement, une prime spéciale de 10 pour s’assurer son réengagement  l’année suivante, ce qui lui enlevait encore 70 quintaux. Il lui restait  donc 298 quintaux pour acquitter les frais d’armement et d’avitaillement de sa goélette, les primes d’assurance, l’entretien des graves,  la solde et la nourriture des graviers et diverses autres charges ’32).

La flottille des bâtiments pontés appartenant à la colonie s’était  formée peu à peu. En 1776, existaient à Saint-Pierre 47 goélettes et  2 brigantins et à Miquelon 20 goélettes (33); après la reprise de possession, en 1784, Miquelon n’avait plus qu’une goélette, mais Saint-Pierre disposait de 15 bricks ou brigantins et de 28 goélettes (34).

Comme les chaloupes, plusieurs goélettes avaient été construites  dans la colonie même; Woodmass signalait que sur les 14 goélettes  qu’il avait dénombrées à Miquelon en 1769, 8 avaient été bâties  l’hiver précédent sur Langlade; à Saint-Pierre 6 des 40 goélettes avaient été construites dans les mêmes conditions (35). De nombreux  bâtiments furent aussi achetés aux Anglais et aux Américains. En  1768, par exemple, Dangeac signalait l’achat dans la colonie d’une  goélette de Boston et d’une autre de Louisbourg; en 1769, Woodmass  rencontra à Saint-Pierre un équipage américain qui, son bateau  vendu, attendait une occasion de repasser en Nouvelle-Angleterre (36).

En 1770, Dangeac déclarait que 14 goélettes avaient été construites  durant l’hiver ou achetées aux Anglais (37). Mais, après 1783, ce  commerce prit des proportions considérables; ainsi, en 1788, sur  34 bâtiments américains entrés à Saint-Pierre, 12 y furent vendus;  en 1790, il y eut 8 vendus sur 38 entrés (38). Les armateurs métropolitains, tantôt vendeurs, tantôt acheteurs, participaient eux aussi  à ce négoce.

Les contrats de vente enregistrés par le notaire de Saint-Pierre  donnent des renseignements intéressants sur l’importance de ce  marché des navires dans la colonie (39). Les prix variaient beaucoup  suivant la jauge, la qualité, l’état et la provenance des bâtiments.

Quelques exemples nous le font voir. Le 28 juillet 1788, Benjamin  Petitpas, habitant de Saint-Pierre, vendait sa goélette Le Dauphin,  de 60 tonneaux, pour la somme de 5 400 livres, aux capitaines malouins Latouche-Pineau et Dujardin-Pintedevin, agissant au nom de  leur associé, l’armateur Jacques Canevas de Saint-Malo; au mois  d’octobre suivant, ces mêmes capitaines échangeaient leur goélette  la Bonne Société contre celle du capitaine Gilbert, la Joséphine,  d’une valeur de 8 100 livres, à quoi s’ajoutait une traite de 2 000 livres  sur Saint-Malo. Le 19 août 1788, Bernard Lafitte, agissant par procuration pour un négociant de la Martinique, Jean Dandaule, cédait  à son fils André Lafitte le bateau Le Postillon, de 30 tonneaux, pour  la somme de 8 000 livres. Le 19 octobre 1788, Pierre Douville vendait  au fils du chirurgien, Edme Henry, sa goélette Les Deux Sœurs,  de 60 tonneaux, 6 000 livres. Voici d’autres actes de vente enregistrés  par le notaire Bordot; le 1er septembre 1790, vente par MichelGodefroy Barriou de sa goélette La Belette, de 40 tonneaux à André  Lavaquière qui la paya 2 000 livres ; le 23 octobre, vente pour 9 000  livres de la goélette la Marie, de 80 tonneaux, par Dominique Lissabe  à Bernard Lermett de Bayonne, capitaine de navire, agissant pour le  sieur Bardoitz, négociant de Saint-Jean-de-Luz, dont il gérait l’armement. Le 29 octobre, Jean Mesdaver dit L’Allemand vendait au sieur  Tousac, pour la somme de 3 600 livres, la goélette la Thérèse, de  50 tonneaux, qu’il avait précédemment achetée à un Anglais nommé  Duns; le 21 mai 1792, le capitaine Dolabaratz de Saint-Jean-de-Luz  « géreur » de l’armement d’un négociant de Bayonne, Lehimas,  acquérait pour 9 340 livres la goélette le Hasard du capitaine bordelais  Jean Saint-Aignan; le 10 octobre, Luc Richard, de Saint-Pierre,  vendait 4 100 livres sa goélette la Miquelon, de 37 tonneaux, au capitaine malouin Guillaume-François Néel; le 18 octobre, Pierre Lourteig  opérait une excellente affaire en revendant 5 000 livres à Louis Le  Mâle la goélette la Mélanie, qu’il avait achetée 4 060 livres, le 4 juillet  1789, sous le nom de Le Vison, à Robert Barker de Boston. Enfin,  pour montrer le peu de valeur des bâtiments construits dans la colonie  même, signalons, le 4 novembre.1792, la vente par le sieur La Marche  aux sieurs Guillaume Maucel et Jean Hulin, pour la somme de 1100  livres seulement, de la goélette la Marie-Joseph qu’il avait construite  à Saint-Pierre en 1788.

Dans ces actes de vente, il est souvent fait mention de sociétés  d’armement; il s’agissait le plus souvent des membres d’une même  famille qui mettaient leurs capitaux en commun pour armer un certain  nombre de bâtiments et se partageaient les bénéfices, s’il y en avait.

Tel était le cas de l’armement Boullot frères et sœurs; l’aîné était  capitaine de port à Saint-Pierre; ses quatre frères résidaient dans la  colonie et ils avaient réuni le peu de capitaux dont ils pouvaient  disposer à ceux de leurs sœurs qui habitaient à Saint-Malo, pour  acheter un brigantin L’ Hirondelle, et cinq chaloupes (40). Il existait  bien d’autres sociétés dont nous ne pouvons que deviner l’activité.

Souvent la société avait un correspondant en France; ainsi, le 14 octobre 1788, le notaire Bordot enregistra un contrat d’association entre  les sieurs Henry, fils du chirurgien, Mainville, aide-chirurgien,  Chibeau, habitant de Saint-Pierre, et Saint-Martin, armateur d(  Saint-Malo, propriétaires en société du brigantin la Marie, des  goélettes la Barker et la Maréchale de Lévis, et de deux chaloupes;  les associés se partagèrent la somme de 16 654 livres, bénéfice de la  campagne de 1788. Mais les frais d’armement ne cessèrent d’augmenter; en 1789, ils s’élevaient à 27 000 livres, en 1790 à 33 067 livres et  en 1791 à 32 867 livres (41). Dans ces conditions, on voit mal comment ces petites sociétés pouvaient faire fortune. On possède même,  pour la plus notable d’entre elles, la Société Rodrigue frères, une  déclaration de faillite. Le 16 octobre 1792, Charles Rodrigue, après avoir prêté serment, vint déclarer au juge Dupleix-Sylvain qu’il  renonçait à poursuivre une expérience devenue trop onéreuse; le  juge rapporte ainsi sa déclaration : « Il a toujours eu l’émulation la  mieux soutenue et s’est donné les plus grandes peines dans la régie  et administration des biens et objets confiés à cette gestion, appartenant à la société formée et existante entre lui et son frère aîné Antoine  Rodrigue depuis 1783, mais les dettes dont elle était alors chargée,  les pertes et non-valeurs essuyées dans leurs armements, les emprunts  et engagements onéreux qu’en conséquence desdites pertes ils ont  été obligés de faire, les poursuites de plusieurs de leurs créanciers,  la dureté des temps et l’ingratitude de la pêche depuis quelques  années en ces îles ont réduit leur commerce dans une situation qui  ôte au déclarant tout espoir de jamais satisfaire aux dettes actuelles  de ladite société. Il fait abandon général à ses créanciers de tous les  biens de la société : à Saint-Pierre, une habitation considérable de  pêche avec bâtisses et dépendances; 3 200 quintaux de morue adressés  en 1790 à Bayonne et Bordeaux; l’affrètement du navire Le Bon Père,  12000 livres; recouvrement d’assurances : 16000 livres; dû par  M. Jean Lasserre à la Martinique, 4 500 livres; à Bayonne les goélettes  La Vigilante, la Marie-Antoinette, la Françoise et la Geneviève; à  La Rochelle, le navire Le Bon Père; au Port-Louis, le brigantin  L’Aimable-Société, d’environ 160 tonneaux, et 5 chaloupes; au  Barachois de Miquelon, une prairie étendue sur laquelle on peut  faucher, année commune, de douze à quinze cent quintaux de foin »^42^  On voit donc que la société disposait d’un avoir fort important;  malheureusement, elle souffrait d’un passif impressionnant ; Rodrigue  avouait un déficit de 200 000 à 220 000 livres ; il avait des dettes dans  presque tous les ports de France : à Lorient et au Port-Louis, 61 668  livres; à Nantes, 8107 livres; à Saint-Malo, 21 060 livres; à La  Rochelle, 8 686 livres ; à Bordeaux, 45 000 livres ; au Havre, 8 500  livres; à Bayonne et à Saint-Jean-de-Luz, 129 131 livres; à Saint-Pierre même, 4 000 livres et diverses autres sommes un peu partout.

Telle fut la fin de la Société Rodrigue frères. Qu’en était-il advenu  des autres? Nous l’ignorons, mais on peut penser qu’elles ne furent  pas plus florissantes. L’armement des bâtiments pontés appartenant  aux colons souffrait en effet de la concurrence des armements métropolitains.

  • Les armements métropolitains.

Les négociants des ports de France, particulièrement de Granville,  de Saint-Malo, de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, faisaient pour  Saint-Pierre-et-Miquelon, deux sortes d’armements : l’armement  en pêche et l’armement en « troc » ou en traite (43). Ils envoyaient  d’abord, au mois de mars, des goélettes de 50 tonneaux environ,  montées par des équipages de huit hommes qui, en passant sur le  grand banc, s’arrêtaient pour pêcher et traiter leur poisson, de la  même manière que les goélettes de Saint-Pierre; puis, ils gagnaient  la colonie avec leur chargement de morues vertes, pour les faire  sécher sur les graves; durant la campagne de pêche, ils effectuaient  ainsi trois voyages et emmenaient en France sans les faire sécher les  morues vertes du quatrième voyage.

Un peu plus tard, arrivaient dans la colonie des bâtiments d’un  tonnage plus important, de 100 à 150 tonneaux, avec un équipage  de 16 hommes, ou de 150 à 200 tonneaux avec un équipage proportionné au nombre de chaloupes armées (44). Ces bâtiments venaient  directement à Saint-Pierre ou à Miquelon; ils étaient chargés de  grandes quantités de vivres et d’ustensiles de pêche et transportaient  des matelots-passagers venus de France pour s’engager auprès des  colons ou même pour pêcher à leur propre compte. Ces bâtiments,  une fois la cargaison débarquée et entreposée dans des magasins,  demeuraient au mouillage dans le barachois, tandis que l’équipage  partait à la pêche, à raison de 5 hommes (3 matelots et 2 graviers)  par chaloupe. En somme, ces deux catégories d’armement, en pêche  et en traite, utilisaient les méthodes respectives des armements de la  colonie : en embarcations non pontées et en bâtiments pontés.

A la fin du mois de septembre, le jour de la Saint-Michel, on arrêtait  la pêche. C’est alors qu’avait lieu le « troc ». En effet, la plupart des  – habitants ne pouvaient, faute de goélettes, porter leur poisson en  Europe; d’autre part, les gros brigantins ne pouvaient se procurer  un plein chargement par la seule pêche de leurs équipages. Alors, on  échangeait les cargaisons de vivres contre les morues, sur la base de  20 livres le quintal de poisson.

Quelques-uns des armements métropolitains laissaient une goélette  au Barachois de Saint-Pierre, avec quelques chaloupes, pour la pêche  d’automne ; mais le plus grand nombre des bâtiments pontés mettaient  à la voile dans le courant du mois de novembre, pour gagner l’Europe  ou les Antilles.

Les armements métropolitains, et notamment l’armement en  « troc », au contraire des deux catégories précédentes, étaient très  avantageux. On estimait le bénéfice des bonnes années à 30 ou 40  du capital engagé (45). Ce rapport exceptionnel provenait de certaines  conditions particulières d’engagement.

Les armateurs métropolitains se faisaient d’abord payer 4 quintaux  de morues le passage des graviers et matelots engagés par les colons.

En outre, ils pratiquaient, envers leurs propres équipages, l’habituel  prêt à la grosse aventure. Soit, par exemple une goélette de 45 à  50 tonneaux, montée par huit hommes, l’armateur forçait l’équipage  à recevoir lors de l’embarquement un prêt obligatoire; le capitaine  recevait 150 livres, le trancheur, 200, les trois compagnons, à 200 livres  chacun, 600, le saleur, 180, le décoleur 125 et le mousse 120, en tout  une somme de 1 375 livres; les emprunteurs forcés devaient payer  un intérêt de 12 %, c’est-à-dire 1 547 livres; le remboursement du  capital augmenté de l’intérêt devait se faire, à la fin de la pêche, en  morues, sur la base de 13 livres 10 sols le quintal, ce qui faisait  114 quintaux 64 livres; remarquons que le taux courant était de  20 livres le quintal ; la différence constituait naturellement un nouveau  profit pour l’armateur. Au total, au bout de sept mois, du 1er mars  au 30 septembre, celui-ci recevait donc une somme de 2 292 livres  16 sols, ce qui assurait un bénéfice de 917 livres 16 sols (46).

En outre, lors du « troc » de ses marchandises contre le poisson des  colons, l’armateur métropolitain fixait arbitrairement le prix de ses  fournitures bien au-dessus du taux pratiqué en France, ce qui constituait une autre source de profit.

Que recevait l’équipage, à la fin de la campagne? Soit, comme  précédemment, une pêche de 700 quintaux; suivant l’engagement  aux trois septièmes, l’équipage recevait donc 300 quintaux. Cette  quantité était alors divisée en parts dont chacun recevait un certain  nombre selon sa qualité; il devait d’ailleurs payer sur sa part l’intérêt  du prêt à la grosse. Ainsi, le capitaine recevait 72 quintaux 72 livres,  moins 12 quintaux 50 livres, donc 60 quintaux 12 livres, qui produisaient, à 20 livres le quintal, une somme de 1 204 livres 8 sols. Des  calculs semblables pour les autres membres de l’équipage donnent  pour le trancheur : 40 qx 90 1 — 16 qx 66 1 = 24 qx 24 1 qui, multipliés par 20 livres, font 484 livres 16 sols ; pour chaque compagnon :  36 qx 36 1 — 16 qx 66 1 = 19 qx 70 1, X 20 1 = 394 livres; pour le  novice : 22 qx 72 1 — 8 qx 33 1 = 14 qx 39 1, X 20 1 = 287 livres  16 sols; pour le mousse : 18 qx 18 1 — 8 qx 33 1 = 9 qx 85 1, X 20 1  = 197 livres. L’huile se partageait par moitié entre l’armateur et  l’équipage; chaque homme en retirait environ 40 livres (47).

La plupart des armements métropolitains se faisaient en société.

Nous en connaissons quelques-unes. La société Piquelin avait son  siège à Granville; elle disposait de deux navires, d’une goélette et  de neuf chaloupes et elle possédait sur l’île Saint-Pierre une « habitation » étendue, gérée par Patrice Letourneur. La société Poyedenot  jeune, Destebecho et Cie avait son siège à Bayonne; elle disposait  de trois brigantins dont deux étaient armés en « troc », de sept go  lettes, d’un bateau et de quatre chaloupes; comme cette société n  possédait pas de graves, elle en avait acheté une à René Rosse, pouila somme de 1 800 livres, et avait engagé de grands frais pour la  défricher, c’est-à-dire enlever toutes les herbes et disposer les galets;  elle louait aussi la grave de Loyer-Deslandes, moyennant 400 livres.

La société Mancel et Desperles, de Brest, possédait le brick l’Union,  le navire l’Amitié et quatre chaloupes; elle avait acquis de Bernard  Lafitte une portion de terrain payée 2 000 livres où elle avait fait  construire un magasin; elle louait la grave de Boullot. La société  Miramond de Bayonne était formée par six capitaines de navires,  et avait pour « géreur » le capitaine Galant Doyembehere; elle louait  trois graves sur l’île aux Chiens et un magasin à Saint-Pierre, pour  une somme totale de 2 800 livres ; elle louait, en outre, pour 12 000  livres, le brick La Marie-Louise à son propriétaire Picon. Dernière  société importante, celle de la veuve Ernouf de Granville, dont le  capitaine « géreur » Jean Lafosse dirigeait une petite flotte de cinq  bâtiments ; le poisson était séché sur deux graves louées par les veuves  Ravenel et Beaubassin (48).

  1. LES CONFLITS.

Les trois catégories d’armement avaient entre elles des rapports  très étroits, notamment sur trois points dont nous avons déjà parlé  à plusieurs reprises : les graves, la main-d’œuvre métropolitaine  et le « troc ». î)es conflits ne pouvaient manquer de se produire.

  • Les graves.

Chose étonnante, le sol des îles Saint-Pierre-et-Miquelon qui ne  pouvait porter aucune culture, tirait sa valeur de l’exploitation des  ressources maritimes. Le séchage des morues exigeait, en effet, des  portions de sol bénéficiant de certaines conditions : terrain plat,  exposé au vent et non au soleil, dont la chaleur cuit le poisson au lieu  de le dessécher et favorise en outre l’éclosion d’insectes; les grèves  ou graves étaient naturellement tout indiquées pour recevoir les  morues; mais il fallait éviter les graves à fond de vase ou de sable  sur lesquelles le poisson séchait mal et se corrompait; quand on ne  pouvait faire autrement, on construisait des « vigneaux », sortes de  banquettes rectangulaires faites de pierres ou de branchages, pour y  étaler les morues (49). Bien préférables étaient les graves de galets  ou de roches. Les meilleures graves étaient naturellement très recherchées. Sur la côte du Petit-Nord, l’attribution s’en faisait par ordre  d’arrivée des navires à l’échafaud du Croc, près du havre de BelleIsle. Aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, comme auparavant à l’île  Royale, elles appartenaient à des propriétaires.

Dans toutes les colonies françaises, il revenait au gouverneur,  de concert avec l’intendant, de distribuer les concessions de terre aux  habitants t5°). Aussi les instructions données à Dangeac, le 23 février  1763, ne mentionnent-elles rien sur ce sujet. Le gouverneur, aussitôt  arrivé à sa destination, se préoccupa d’octroyer des concessions aux  colons qui l’avaient accompagné. Il partagea entre eux les seules  portions du sol qui avaient un peu de valeur dans un pays aride et  voué à la pêche, c’est-à-dire les graves. Selon quels critères le fit-il?

Combien de bénéficiaires y eut-il, cette première année? Nous l’ignorons. Cependant, dès le 30 octobre 1763, le capitaine de vaisseau  Tronjoly rapporta à la Cour que les habitants se plaignaient d’une  répartition peu juste, trois ou quatre des nouveaux propriétaires étant  incapables, pour diverses raisons, de mettre leurs graves en valeur (51).

Aussi, Choiseul écrivit-il à Dangeac, le 3 mars 1764 : « Plusieurs  habitants de l’Isle Royale m’ont demandé des concessions. Je n’en  ai voulu accorder aucune. Je leur ai fait savoir à tous qu’ils n’avoient  qu’à s’adresser à vous pour cet effet. Je ne saurois prendre de parti  là-dessus; elles doivent être proportionnées à l’espace du terrain  propre à la sécherie et aux échafauds nécessaires; d’un autre côté,  il y a des habitants qui méritent plus ou moins de préférence, soit par le plus ou moins de moyens pour la pesche, soit par les pertes  qu’ils ont faites lors de la prise de l’Isle Royale ; c’est à vous à concilier  ces différents objets autant que la nature du terrain et les circonstances  pourront le permettre » (52). Ces sages instructions, Dangeac les  suivit-il? On peut le croire quand il écrit : « J’ai cru faire la distribution  des habitations de pêche, relativement à la connoissance que j’avois  des pertes qu’un chacun avoit faites à l’Isle Royale en biens-fonds  semblables » (53). Il avait opéré, selon ce critère, un partage qui fut  définitif; en 1764, il y avait à Saint-Pierre 27 concessions sur l’île Saint-Pierre et 19 sur l’île aux Chiens ; ces 46 concessions représentaient une superficie de 161 785 toises carrées, dont 107 856 constituaient d’excellentes graves et le reste, à peu près le tiers, était formé  de marais et nécessitait donc l’installation de vigneaux (55). A Miquelon, la situation était un peu différente; les Acadiens qui s’essayaient  à la pêche pouvaient disposer de beaucoup plus d’espace, mais, en  fait, leurs entreprises n’atteignirent jamais l’ampleur de celles de  leurs compatriotes de Saint-Pierre; aussi le seul renseignement dont  on dispose pour Miquelon, indique que 86 propriétaires se partageaient en 1784 une superficie de 107 040 toises carrées seulement (56).

Peu de capitaines métropolitains fréquentaient Miquelon; au contraire,  ils venaient en grand nombre à Saint-Pierre et ils devaient passer des  accords avec les propriétaires des graves; ils ne le faisaient d’ailleurs  pas sans renâcler. Ils trouvaient, en effet, anormal que d’s graves  fussent possédées par des propriétaires qui ne s’en servaient pas et  tout aussi anormal qu’eux-mêmes, les pêcheurs, fussent obligés de  les louer. Le 7 avril 1765, le ministre jugea nécessaire de transmettre  leurs plaintes à Dangeac : « Les concessions de graves sur les côtes  des isles Saint-Pierre et Miquelon exigent, Messieurs, de votre part  la plus sérieuse attention : il m’est revenu qu’elles avoient été distribuées la plupart à d’anciens habitants de l’Isle-Royale qui, ne s’étant  pas trouvé en état de les exploiter eux-mêmes, les ont louées aux  capitaines de navire qui sont allés faire la pêche. M. Dangeac m’a  même informé qu’il s’étoit élevé entre eux des difficultés sur le payement. Par exemple, le sieur Beaubassin a eu une concession à l’isle  Saint-Pierre pour 30 bateaux (chaloupes) ; il en a loué la plus grande  partie. Claparède en a eu une autre et le capitaine du navire le ClaudeAlexandre de Granville lui a payé 60 quintaux de morue, 472 livres  10 sols en argent, pour l’emplacement de huit chaloupes. Le sieur Bertrand occupe La Pointe Lucas, ancienne habitation de La Hoguerie et Lucas; il n’a employé l’année dernière qu’un bateau (chaloupe);  il n’est pas, dit-on, en état d’en occuper davantage; il loue le reste.

Ces particuliers n’étoient point, dit-on, anciennement habitants de  l’Isle-Royale. Lucas et Lercan demandent les deux tiers de cette  concession. Le sieur Le Marié des Landelles et compagnie de Granville  demandent le quart de celle de Beaubassin, y comprenant l’échafaud  qu’ils ont fait en 1764, et dont ils ont payé le loyer 1 500 livres. Le  sieur Bretel, aussi de Granville, sollicite la concession de l’Isle aux  Bours et il représente que le sieur Ravenel, qui l’a obtenue, en a  déjà une à Saint-Pierre » (57).

Les plaintes continuèrent car l’année suivante, le 1er août 1766,  le ministre écrivit à Dangeac des instructions plus précises : « Il  n’est pas juste que les habitants abusassent (de leurs concessions)  pour louer l’excédent à un prix exorbitant. L’intention de Sa Majesté  est que vous fassiez cesser cet abus dont il y a eu beaucoup de plaintes ;  il paroit, en effet, qu’il suffirait de payer pour le loyer de ces graves  5 de la pêche que les locataires y feront. Je vous prie d’examiner  ce projet et si vous le trouvez juste, comme il me le paroît, vous  pourrez faire un règlement pour l’ordonner. Je vous observerai  qu’il est très important de favoriser la pêche et par conséquent de  ne pas permettre qu’elle soit vexée par un loyer trop cher du terrain  qui lui est nécessaire » (58).

La mesure fut adoptée et les graves devinrent une sorte de bien  de famille dont on héritait, que l’on louait et que l’on pouvait vendre (59). Ainsi, en 1784, la société d’Estebecho avait acheté pour  1 800 livres la grave de Noël Rosse mais louait en outre celle de la  veuve Milly pour 1 000 livres par an, celle de Loyer-Deslandes, à  raison de 5 du produit de la pêche et celle de la veuve Beaubassin,  également à raison de 5 La société Ernouf louait, aux mêmes  conditions, celles de Charles Jouet et de la veuve Ravenel (60).

En 1784, après la reprise de possession, il y eut une vigoureuse  réaction contre cet état de fait. Le nouvel ordonnateur, Malherbe,  fut le premier à recenser les inconvénients du mode de possession  des graves : « Les terrains des îles Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont été  concédés aux anciens habitants de l’île Royale et de l’Acadie que  pour les dédommager des pertes essuyées dans ces endroits, mais sous la condition expresse de mettre en valeur les graves établies  et à établir, en faisant la pêche soit pour leur compte personnel, soit  en société avec quelque armateur. L’habitant doit être assujetti à  l’exploiter par lui-même ou en société et que la location, qui en est  ordinairement payée très cher, en soit prohibée, parce qu’il ne peut  résulter de cette location qu’un découragement de la part de celui  qui la paye, en ce qu’elle lui enlève une partie de son poisson et,  par conséquent, le bénéfice le plus clair. Parmi les habitants de  Saint-Pierre, il y a un grand nombre de propriétaires de petites  embarcations à qui la location de portions de graves enlève presque  tout le bénéfice de la pêche, parce qu’il paye en poisson, au prorata  de celle qu’il fait. Le reste lui suffit à peine à rembourser les dépenses  qu’il a faites le temps de la pêche et lui ôte le moyen de se procurer  la subsistance et les hardes indispensables pour sa famille durant  l’hiver. Il est étonnant que les graves de Saint-Pierre n’aient été  distribuées qu’à 25 et que, dans ce nombre, il y en ait qui s’en tiennent à la location; les graves de Miquelon ont été distribuées avec  plus d’équité; les habitants, bien loin de se servir d’étrangers pour  entretenir leurs graves et prendre soin de leur poisson, y employent  leurs femmes et leurs enfants (61) ».

L’année suivante, un mémoire anonyme, mais dont l’auteur était  probablement le nouveau contrôleur Pièche de Loubières, reprenait  les mêmes observations, avec plus de sévérité : « L’étendue et la  position des possessions actuelles prouvent assez que les concessions  faites lors de l’établissement de 1763, n’avoient roulé que sur un  très petit nombre d’individus et principalement sur les parents ou  alliés de la famille du gouverneur et les personnes attachées au  service, les seules sans doute qui n’auroient jamais dû y prétendre;  ces mêmes personnes, remplacées aujourd’hui par des officiers nonpêcheurs, croient avoir le droit de prélever, sur le travail pénible et  très hasardeux de la pêche, un tribu assuré par les loyers de leurs  prétendues possessions. Il est bon d’observer que ce sont, pour la  plupart, les plus belles graves qui sont louées à rente fixe par les  propriétaires résidant en France » (62) ». Ce mémoire eut une grande  audience dans les bureaux de la Marine, où de nouvelles dispositions  furent prises : « Les graves ont été concédées presque en entier aux  habitants sédentaires, qui les regardent comme un patrimoine et  comme un dédommagement aux pertes qu’eux ou leurs ancêtres ont  souffertes lors de la prise de l’Isle Royale, en sorte que plusieurs  qui sont restés en France s’en sont fait un objet de revenu par des locations et que d’autres qui sont passés dans la colonie donnent  également à loyer ce qu’ils ne peuvent ou ne veulent occuper euxmêmes. Sa Majesté veut qu’on examine d’abord avec attention les  motifs et l’étendue des concessions; elle ne balancera pas à révoquer  celles qui, n’ayant été accordées que par faveur, ne seroient pour les  concessionnaires absents que des objets d’un revenu équivalent  à un impôt sur la pêche et elle réduira toutes celles qui, fondées même  sur de justes titres, auroient été accordées sans mesure. Dans tous les  cas, le prix du loyer devra être tellement modéré qu’il ne puisse  influer contre l’accroissement de la pêche » (63).

Les instructions données au commandant de la station, M. de  Barbazan, le 3 avril 1786, lui recommandaient de « ne pas laisser  les graves en la possession de particuliers incapables de les mettre  en valeur et qui ne les possèdent que par des ventes simulées et  seulement pour en conserver la propriété aux vendeurs qui ont  négligé jusqu’ici de les faire valoir » (64). Le commandant, pour  assurer l’exécution de cet ordre, prit une ordonnance le 8 avril 1786  qui dut rétablir équitablement les choses car on ne découvre plus  aucune plainte à partir de l’année 1786 (65).

  • La main-d’œuvre métropolitaine.

Si les propriétaires de graves obligeaient les armateurs métropolitains à engager quelques frais supplémentaires, les négociants des  ports de France ne faisaient rien pour être agréables aux colons.

En effet, les habitants des îles Saint-Pierre-et-Miquelon manquaient  de main-d’œuvre pour équiper leurs chaloupes ou leurs goélettes  ou tirer parti de leurs graves ; ils étaient donc obligés d’en faire venir  de France, en ayant recours aux armateurs et capitaines métropolitains. Chaque année arrivait ainsi dans la colonie une main-d’œuvre  indispensable qui se partageait d’ailleurs en deux catégories : les  pêcheurs passagers et les pêcheurs hivernants.

Parmi les pêcheurs passagers, il convient de distinguer ceux qui  venaient dans la colonie pêcher pour leur propre compte; ils possédaient ou louaient des chaloupes et avec le produit de leur pêche  s’acquittaient du prix de leur passage, des avances qu’ils avaient  reçues des armateurs et, à l’occasion, du loyer des embarcations dont  ils s’étaient servi. Ils vendaient ou chargeaient à fret le reste de leur  pêche et, avant de revenir en France, échouaient les chaloupes qui  leur appartenaient. Cette catégorie particulière eut des représentants assez nombreux les premières années de la colonie mais elle disparut  totalement, à partir de 1783 (66); nous ne nous en occuperons pas  plus longtemps.

La plupart des pêcheurs passagers étaient engagés par les habitants  pour la durée d’une campagne de pêche. Les colons les faisaient  venir des ports de France, surtout de Bayonne et de Saint-Jean de Luz,  mais aussi de Saint-Malo et de Granville. La campagne terminée, les  colons donnaient à chacun de leurs engagés une part de pêche convenue et contractaient avec eux de nouveaux engagements pour l’année  suivante. Le pêcheur passager pouvait alors vendre son poisson sur  place ou bien le charger à fret pour la France (67).

Parfois, les habitants demandaient à certains de ces pêcheurs de  rester à leur service jusqu’au printemps suivant; ils les employaient  à faire la pêche d’automne et étaient ainsi assurés de disposer de leur  aide pour la campagne prochaine. On les appelait alors pêcheurs  hivernants. Nous ne pensons pas qu’il soit possible ni même très  utile de distinguer plus longtemps pêcheurs passagers et pêcheurs  hivernants. Cette terminologie n’est d’ailleurs pas toujours très  précise dans les documents que nous avons étudiés. Contentons-nous  donc de parler de la main-d’œuvre métropolitaine et du conflit qui  opposa, à son sujet, les armateurs de France et les habitants des îles  Saint- Pierre-et- Miquelon.

Dès le 24 mai 1765, Dangeac signalait que « la mauvaise volonté des  armateurs de France ou des capitaines qui en viennent rend tous les  travaux inutiles puisqu’ils n’ont pas amené un seul équipage pour  faire la pêche. Une partie de nos habitants avoient su prévoir cette  mauvaise volonté et, en conséquence, avoient hiverné à leur pain des  équipages de chaloupes et, si le pain avoit été plus commun, ils en  auroient hiverné davantage » (68). Le 30 avril 1766, il écrivait à  nouveau : « Ce qui fera le plus de tort à la pêche, c’est le défaut  d’équipages pêcheurs. La moitié de nos chaloupes resteront dans  l’inaction sur les graves, faute d’hommes pour les conduire. Les  bâtiments venus cette année tant de Bayonne, Saint-Jean-de-Luz  que de Saint-Malo n’ont pas amené un équipage pour nos habitants  sédentaires » (69). Les années suivantes, la situation changea du tout  au tout; de la pénurie, on passa à la pléthore de main-d’œuvre et le même Dangeac écrivait le 13 mai 1772 : « Les capitaines et armateurs  amènent beaucoup de garçons; la population se monte à trois ou  quatre mille bouches » (70). L’inconvénient résidait alors dans le  manque de vivres et Dangeac se vit obligé de renvoyer en France  une partie de ces pêcheurs pour leur éviter de mourir de faim. On en  arriva enfin à une sorte d’équilibre; le recensement de 1776 dénombrait 604 matelots à Saint-Pierre et 127 seulement à Miquelon, où  l’on sait que les habitants préféraient employer une main-d’œuvre  familiale (71). Ces chiffres n’avaient rien de fixe d’ailleurs et pouvaient  varier considérablement d’une année à l’autre. Ainsi, en 1785, il n’y  avait plus que 323 matelots au service des habitants de Saint-Pierre (72),  mais en 1790, le 10 octobre, on en comptait 1134 dans la colonie (73).

Chaque habitant en engageait suivant ses besoins et l’importance  de son exploitation; ainsi, Rodrigue qui employait 61 pêcheurs en 1777  n’en avait plus que 4 en 1785; aux mêmes dates, les engagés de  Dupleix-Sylvain étaient 44 puis 16; ceux de Pradère-Niquet, 32  et 34 (74).

Les armateurs métropolitains, ayant accepté, bon gré mal gré,  de faire passer des pêcheurs dans la colonie, essayèrent de tirer le  plus de profit possible de la situation. Dès 1773, Dangeac dénonça  le « monopole exercé par le commerce au pays de la Basquerie sur les  pêcheurs qui viennent de cette partie à Saint-Pierre; les armateurs  font d’abord payer à chaque homme 80 livres pour leur passage; ils  les forcent ensuite de prendre certaine somme à la grosse, à un  intérêt exorbitant et, rendus à la fin de la pêche, ils se saisissent  du fruit de leurs travaux et après s’être payés de 80 livres pour le  passage, ils se payent encore sur la même morue de l’intérêt de la  grosse, de sorte que les pêcheurs ont rarement de quoi payer leur  passage (de retour) » (75). Malgré les protestations du gouverneur, la  situation des pêcheurs passagers demeura aussi précaire jusqu’au  moment où la nouvelle administration fut mise en place en 1785.

A cette époque, le contrôleur Pièche de Loubières, agissant en tant  que commissaire de la marine, résolut de s’opposer aux exigences des  armateurs métropolitains (76).

Le conflit portait alors très précisément sur le voyage de retour des pêcheurs passagers. La coutume voulait jusque-là que ceux-ci  n’eussent à fournir que leurs vivres pour la traversée. Or les capitaines  refusaient désormais de les ramener en France s’ils ne leur payaient  pas, en plus de leurs vivres, une somme de 60 livres. Pièche de Loubières mena une petite enquête et découvrit qu’en 1784, les armateurs  de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz avaient passé un « concordat »  d’après lequel ils défendaient expressément à leurs capitaines, sous  peine de 500 livres d’amende, de recevoir à leur bord les passagers  qu’ils auraient amenés aux habitants s’ils ne payaient pas ces 60 livres  pour leur retour. Pièche de Loubières avait même réussi à se faire  communiquer les instructions de Saubat Claret, armateur de Saint  Jean de Luz, à Pierre Berade, capitaine de son navire L’Angélique,  qui avait amené 52 passagers et se proposait de les abandonner dans  la colonie. Car les pêcheurs passagers refusaient de se soumettre aux  exigences des armateurs. Ils représentaient « qu’embarquant leurs  vivres pour la traversée au retour, ils croyaient devoir être d’autant  moins soumis à payer leur passage que les armateurs les avoient  forcés de recevoir à leur départ de France une somme de 100, 150  à 200 livres à la grosse, portant un intérêt de treize et demi pour cent  payable dans la colonie en morue de choix sur le pied de 13 livres  10 sols le quintal, et que le remboursement du capital, l’intérêt et la  différence du prix de la morue au taux ordinaire de 20 livres le quintal  absorbaient tellement le bénéfice de leur pêche qu’ils étoient dans  l’impossibilité de payer les 60 livres qu’on vouloit exiger d’eux ».

Pièche de Loubières prit naturellement leur parti et rendit compte  de l’affaire au chevalier de Girardin, commandant la station. Celui-ci,  par ordonnance, obligea les capitaines à conduire en France tous les  pêcheurs passagers qui auraient été à la charge des habitants durant  l’hiver; les pêcheurs, quant à eux, devraient embarquer leurs vivres,  selon l’usage, faire le quart à bord et fournir les mêmes services que  l’équipage.

Pièche de Loubières tira de cette affaire des conclusions intéressantes. H écrivait, en effet : « Le but de ce concordat est une jalousie  d’intérêts. Le but des armateurs a été sans doute, en s’appropriant  le bénéfice des pêcheurs attachés à la pêche sédentaire, de les décourager et priver par-là les habitants des moyens de la faire ». En effet,  les pêcheurs préféraient se mettre au service des habitants qui les  engageaient tout simplement à la part, suivant les prescriptions de  l’ordonnance du 20 juin 1743 qui avait été édictée pour l’île Royale.

Les armateurs, au contraire, obligeaient leurs équipages à recevoir le fameux prêt à la grosse dont le remboursement absorbait une grande  part de leur salaire. L’ordonnance de 1743 avait d’ailleurs prévu  cette préférence des pêcheurs à l’égard des habitants et, pour éviter que les armateurs ne fussent pas absolument privés d’équipages,  elle défendait aux habitants, par son article 13, de payer le passage  de leurs engagés et de leur faire aucun avantage indirect. Mais, comme  le disait Pièche de Loubières, « l’armateur d’Europe doit-il se prévaloir  de l’avantage qui résulte de la sagesse de cette loi pour pressurer le  malheureux pêcheur, instrument de sa fortune? »

Il concluait en donnant un aperçu de l’état d’esprit, si l’on peut dire,  et de la situation lamentable des équipages métropolitains : « Les  équipages des bâtiments armés à Saint-Malo et à Granville, assujettis,  comme ceux de Bayonne, à prendre de l’argent à la grosse (la grosse  de l’argent dans ces deux ports est à 17 %, mais le remboursement  s’en fait en morue de choix au prix du cours de la colonie), mais  moins laborieux et plus débauchés que les Basques, découragés  d’ailleurs par les remboursements qu’ils ont à faire à la fin de la pêche  et qui vont leur enlever tout, ne tardent pas à s’enfoncer dans les  cabarets d’où leurs capitaines ne les retirent qu’avec des fusiliers  et à grands frais (un matelot n’entre point en prison qu’il ne lui en  coûte 3 livres et autant pour la sortie ; si c’est la nuit qu’on l’arrête, la  taxe double; des capitaines ont payé jusqu’à 30 livres dans un seul  jour), mais qu’importe à l’armateur tranquille : que son armement  fasse seulement demi-pêche, le remboursement de son argent à la  grosse lui en alloue le produit en entier et, si l’équipage lui redoit,  c’est presque toujours les frais de prison qui deviennent coûteux  à Saint-Pierre ». Pièche de Loubières conseillait en conséquence de  limiter le nombre des cabarets, de les désigner par une enseigne bien  apparente et d’assujettir à de fortes amendes les cabaretiers qui recevraient des matelots pendant les heures de travail. « Un règlement  pareil préviendroit bien des vols sur les graves, rendroit les équipages  plus assidus à leurs travaux et éviteroit les plaintes continuelles des capitaines. »

  • Le « troc ».

Plus grave encore que les deux conflits précédents, fut celui qui opposa les armateurs métropolitains aux habitants, à propos du : « troc », car le « troc » était à la base de l’économie de la colonie, de la vie matérielle des colons et notamment de leur ravitaillement.

On a vu qu’à la fin de la campagne de pêche, au mois de septembre, le jour de la Saint-Michel, les habitants vendaient leur poisson aux armateurs métropolitains, qui avaient armé leurs navires en traite.

Les colons se faisaient parfois payer leur denrée en argent, mais le ,  plus souvent l’échangeaient contre des vivres (biscuits, beurre, pois, 5  farine, lard, etc.) ou des ustensiles de pêche (lignes, toiles à voile, hameçons, plombs, etc.) et particulièrement contre du sel dont ils  utilisaient de grandes quantités pour préparer leurs morues. En général, ils ne pouvaient se procurer suffisamment de vivres pour assurer  la subsistance de leurs familles durant l’hiver ; alors les armateurs leur  consentaient des avances, à des taux élevés. Avec les années, les dettes  des colons s’accroissaient et les négociants métropolitains disposaient  ainsi de moyens de pression pour diriger à leur guise le commerce  de la colonie. On n’en était pas arrivé là d’un coup.

En effet, tant que le roi se chargea d’approvisionner les îles Saint-Pierre-et-Miquelon à ses frais, les habitants n’eurent pas trop à  souffrir de leur sujétion commerciale. Mais, à partir de 1766, la Cour  réduisit ses envois pour bientôt les cesser vers 1770. Dès le 30 avril  1766, Dangeac s’inquiéta de ce que les navires venus de France  n’apportaient pas de vivres; au contraire, écrivait-il, « ils nous ont  amené beaucoup de pacotilleurs que nous regardons comme très  nuisibles à cette colonie en ce qu’ils n’ont que des choses inutiles  que les habitants veulent cependant se procurer » (77). Les années  suivantes, les négociants réalisèrent de gros bénéfices, en mettant en  vente les marchandises de première nécessité qu’ils avaient fait  passer à Saint-Pierre; Dangeac révèle qu’en 1768, les armateurs qui  avaient apporté pour 300 000 livres de marchandises, prix de France,  en avaient retiré plus de 900 000 livres, prix de la colonie ^78^. Malgré  cet énorme profit, les négociants n’assuraient pas avec régularité  le ravitaillement des îles. Le 22 octobre 1771, Dangeac se plaignit  à la Cour du peu de vivres que les négociants de France apportaient  dans son gouvernement; il avait même été obligé de renvoyer une  grosse partie des pêcheurs passagers (79). Le ministre avertit alors  les Chambres de commerce que le roi était décidé à leur laisser le  soin de pourvoir à la subsistance des habitants de la colonie et leur  fit connaître les plaintes du gouverneur. Les armateurs répondirent  alors que leur conduite avait été déterminée par « l’infidélité des  habitants et maîtres de graves qui forcent les capitaines à prendre, en  échange des vivres et ustensiles, de la morue non-faite pour qu’elle  pèse davantage et de ce qu’ils ne la livrent qu’à la Saint-Michel,  temps où la saison n’est plus propre à la sécher ». Ils demandaient  en conséquence que la date du « troc » fût fixée au 15 septembre,  comme c’était l’usage à Louisbourg, disaient-ils (SO). A cela, Dangeac  représenta qu’il était impossible aux habitants de livrer leur morues avant la Saint-Michel et même avant la fin d’octobre, car ils seraient  alors forcés d’interrompre leur pêche à la fin du mois d’août, pour  avoir le temps de sécher leurs morues, perte de temps qui leur causerait un grand préjudice; d’ailleurs c’était à tort que les négociants  avançaient la date du 15 septembre car, à Louisbourg, le « troc » se  faisait aussi à la Saint-Michel. Bien plus, le gouverneur contre attaquait : « Les négociants vendent souvent le sel à fausse mesure et  d’autres denrées à faux poids, telles que le biscuit qu’ils pèsent avec  des romaines, le beurre par barril d’un demi-quintal, d’un quintal  ou plus, dans lequel ils comprennent plus de dix livres de sel ; dans des  barrils de beurre, on a trouvé des pierres pesant 25 livres. fi se fait  aux isles Saint-Pierre et Miquelon avec la métropole, depuis l’établissement, un commerce de 400 000 livres et les colons ne doivent pas  15 000 livres aux négociants, objet bien modique » (81). Dans les  bureaux de la Marine, on tira de ces reproches les conclusions qui  s’imposaient : « On ne peut dissimuler que l’avidité des négociants  français leur fait tout sacrifier à leurs intérêts et qu’ils regardent les  colons comme des tributaires trop heureux d’acheter, au prix qu’ils  fixent, les denrées qu’ils veulent bien porter à ces malheureux; on  pense qu’il convient d’écrire aux Chambres de Commerce pour les  prévenir que les habitants ne peuvent payer qu’à la Saint-Michel,  et de veiller aux abus » (82).

N’ayant pu obtenir satisfaction sur ce point, les armateurs voulurent  se rattraper sur un autre. Le 15 septembre 1774, ils firent des représentations au baron de l’Espérance, nouveau gouverneur, pour lui  demander de fixer le prix de la morue à 18 livres le quintal au lieu  de 20 (83). Les habitants répliquèrent que, depuis 1763, le prix courant avait été de 20 à 21 livres 10 sols et que, si, en 1773, ce prix  n’avait été que de 18 sols, la cause de cette diminution avait résidé  dans l’abondance et la mauvaise qualité du poisson (84). D’ailleurs,  déclaraient-ils, la morue achetée dans la colonie 20 livres le quintal,  était revendue à Bordeaux 42 livres, à Saint-Malo, La Rochelle et  Bayonne, de 28 à 36 livres, ce qui assurait aux armateurs un bénéfice  confortable. En outre, les négociants s’assuraient un profit de 50  au moins sur les marchandises qu’ils vendaient aux habitants. Ils  pratiquaient même, dans ce but, des opérations parfaitement irrégulières; les capitaines bordelais, par exemple, arrivaient à Saint-Pierre  avec des cargaisons de vins, d’eau-de-vie et autres alcools qu’ils échangeaient en fraude avec les Anglais pour des cargaisons de vivres,  revendus ensuite aux habitants avec d’énormes bénéfices. Ils empêchaient les navires anglais de commercer directement avec les habitants; ainsi, en juin 1774, deux « capitaines-géreurs » de Bayonne et  de Bordeaux achetèrent les cargaisons d’une goélette de Boston et  d’une autre de Québec; quand ils ne pouvaient faire autrement, ils  tentaient de les empêcher d’entrer dans la rade, ce qui se produisit,  au mois d’août 1774, pour une goélette de New-York. Les habitants  eurent gain de cause et leur morue demeura au taux de 20 livres le  quintal (85).

Le conflit évolua à nouveau après 1784. En effet, le ravitaillement des  îles fut désormais assuré par les navires des Etats-Unis et les habitants  devinrent ainsi moins tributaires du commerce français. Les armateurs relevèrent alors leurs prix. Sur ce point aussi, la nouvelle administration de la colonie tenta de remettre un peu d’ordre. Le commandant de la station, Barbazan, examina, au mois de juin 1786, la situation particulière des habitants de Miquelon, qui ne pouvaient faire  aucun bénéfice à cause des avances que les armateurs leur consentaient à des prix trop élevés : « Les fournitures du commerce ont  augmenté d’un quart tandis que la morue est restée fixée à 20 livres  le quintal; (les négociants) ont exigé cette année que les pêcheurs  de Miquelon leur apportassent la morue à Saint-Pierre, moyennant  5 sols le quintal au lieu de 10 l’an dernier. D’autres ont exigé cela  aux risques des pêcheurs qui, faute de moyens pour ponter leurs  chaloupes, peuvent voir dans le traj 3t leur morue mouillée et avariée  par la pluie et les vagues et perdre ainsi dans un instant le fruit de  cinq mois de travail et leur unique ressource. L’habitant ne peut  commencer sa pêche sans des avances qui pour une chaloupe sont  évaluées à environ 1 800 livres. Le moindre accident qui arrête la  pêche plonge une famille et souvent plusieurs dans la misère. Voilà  quel est l’état des malheureux habitants de Miquelon qui, chassés de  l’Acadie, de Louisbourg, de Miquelon, ont tout bravé pour se conserver à la France » (86). Pièche de Loubières, quant à lui, dénonçait  la contrebande des armateurs français à Saint-Pierre : « L’habitant  sédentaire, forcé de recevoir du commerce d’Europe, à titre d’avances,  tout ce qui peut lui être nécessaire pour faire la pêche, doit s’attendre,  après avoir acquitté ces mêmes avances, à un débouché pour ce qui  lui reste du produit de sa pêche; c’est avec ce restant qu’il doit  pourvoir à son entretien et à sa subsistance pendant l’hiver; pour  qu’il puisse en retirer le parti le plus avantageux, il ne doit se trouver en concurrence qu’avec le commerce de la colonie. Mais l’avidité  de quelques particuliers, n’écoutant que leurs intérêts personnels  et cédant à la facilité d’acheter des Anglais la morue à un très bas  prix ou par un troc avantageux, fait qu’ils privent en même temps la  colonie d’une partie des objets de premiers besoins qu’ils ne devroient  échanger qu’avec les colons et les mettent par là dans la dure nécessité de leur vendre leur morue au-dessous du taux ordinaire et même  dans la perplexité de ne pas la vendre. La grande quantité de morue  anglaise entrée dans la colonie en a fait sortir une partie de l’argent  et baisser le prix de la morue française à 17 et 18 livres le quintal,  payable en France pour les équipages ». Notre informateur révélait  les pratiques de ce commerce interlope : « Les moyens d’empêcher  ce commerce interlope sont très bornés par la facilité qu’ont les  chaloupes anglaises d’entrer à toute heure dans la rade et dans le  barachois où elles débarquent leur morue pendant la nuit. D’autres  mouillent au large auprès de l’isle aux Chiens et, au signal convenu,  l’armateur envoie ses chaloupes dans lesquelles se verse le chargement et l’Anglois entre ou retourne sans être vu; l’isle aux Pigeons,  l’isle au Vainqueur et l’isle Verte, peu éloignées de Saint-Pierre servent  encore d’entrepôt ou de rendez-vous. Quelques habitants, ayant des  armements de France, sont dans l’usage de joindre au nombre de  leurs chaloupes, des chaloupes anglaises avec équipages anglais pour  faire, disent-ils, la pêche pour leur compte. Il est très sensible que le  loyer de ces mêmes chaloupes appartenant à des Anglais établis à la  Grand-Terre n’est qu’un prétexte spécieux pour couvrir la fraude  de ceux qui la louent. Vers la fin de la pêche, ils expédient encore leurs  chaloupes à la Grand-Terre, sous prétexte d’aller chercher du bois;  elles y chargent la morue, couvrant leur chargement avec du bois  et reviennent à Saint-Pierre décharger leur morue pendant la  nuit » (87).

Pièche de Loubières insistait sur la nécessité de tenir la balance  égale entre les négociants métropolitains et les habitants, car les armateurs augmentaient leurs prix sans que les colons en fissent autant  pour leur morue. Aussi, pour leur éviter un désavantage trop marqué  le commandant de la station, Barbazan, publia-t-il une ordonnance,  le 15 juin 1788, qui laissait les habitants libres de fixer le prix de  leur poisson (88). Cette mesure devait permettre enfin aux colons de  s’opposer aux exigences excessives des armateurs.

Telles furent les méthodes commerciales en usage aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Elles n’avaient qu’un seul objet : la pêche de la  morue, la préparation qu’on lui faisait subir pour la sécher et enfin  la vente de cette denrée aux capitaines de navires pontés qui l’emportaient vers les lieux de consommation.

II LE COMMERCE DES ÎLES SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

Nous ne pouvons, sans donner à cette étude des dimensions excessives, entrer dans le détail du mouvement commercial de la colonie.

Les matériaux ne manquent pas cependant; les états de pêche et les  archives du siège d’amirauté de Saint-Pierre (89), que nous avons  dépouillés, fournissent une documentation abondante, mais qui  exige un gros travail de recoupements, de calculs, de mise en ordre  et d’exposition. Nous nous excusons donc de ne pas pouvoir présenter  ici un tableau détaillé de ce commerce, mais d’en dégager seulement  les grandes lignes.

  • LE COMMERCE AVEC LA FRANCE.

Le nombre des congés distribués par le greffier de l’amirauté aux  navires qui portaient en France la morue des îles Saint-Pierre et  Miquelon donne une idée assez juste, sinon exempte d’erreurs, du  mouvement du port de Saint-Pierre. En voici le dénombrement par  année :

1765 43 1773 80 1785 70
1766 36 1774 78 1786 87
1767 34 1775 78 1787 91
1768 35 1776 81 1788 92
1769 41 1777 78 1789 105
1770 53 1778 24 1790 106
1771 51 1783 19 1791 94
1772 57 1784 64

Ces chiffres ne correspondent pas à la totalité d’js bâtiments qui  fréquentaient la colonie; il conviendrait d’y ajouter les petites goélettes  des habitants, dont le faible tonnage ne pouvait permettre un voyage  au long cours. En outre, de nombreux bâtiments anglais et américains  venaient aussi débarquer leurs marchandises à Saint-Pierre ; nous leur  consacrons un paragraphe spécial un peu plus loin.

Toutefois, ce tableau permet de constater la progression régulière  du nombre des vaisseaux sortis de la colonie; la baisse constatée  en 1778 est due aux hostilités engagées avec l’Angleterre qui arrêtèrent naturellement tout commerce jusqu’en 1783; cette année-là  peu de navires eurent le temps d’armer pour Saint-Pierre, mais de  1783 à 1790, la progression est remarquable. Avec plus de 100 bâtiments, Saint-Pierre dépassait bien des ports métropolitains.

D’où venaient ces navires? Deux régions se partageaient l’essentiel  du commerce des îles Saint-Pierre-et-Miquelon : les ports voisillf)  de Saint-Malo et Granville, et ceux de Bayonne et Saint-Jean-de-Luz.

Ainsi, en 1790, 24 navires de Saint-Malo, 5 de Granville, 26 de Bayonne  et 12 de Saint-Jean-de-Luz vinrent à Saint-Pierre (90). Mais la plupart  des ports de la côte atlantique envoyaient chaque année quelques  bâtiments dans la colonie : Brest, Le Conquet, Lorient, Vannes,  Nantes, Paimbœuf, l’île de Ré, les Sables d’Olonne, La Rochelle,  Rochefort, Blaye, Bordeaux, Siboure; parfois même certains ports  de la Manche : Saint-Brieuc, Argentan, Cherbourg, Rouen et même  Dieppe étaient représentés. Il n’est pas jusqu’à Marseille qui ne fît  quelques expéditions. Les Antilles envoyaient aussi chaque année  un certain nombre de navires, jusqu’à une douzaine en 1790, mais  ceux-ci feront l’objet d’un paragraphe spécial.

Tous ces bâtiments prenaient dans la colonie leur cargaison de  morues sèches et l’emmenaient en Europe. Voici, par année et en  quintaux, les quantités exportées (91).

1766 15153 1772 52 743 1784 47123
1767 20 034 1773 63 160 1785 57 279
1768 21242 1774 55180 1786 62 134
1769 31 682 1775 49194 1787 72 018
1770 37 995 1776 47 841 1788 76 509
1771 46137 1777 57694 1789 68351
1790 91 582

On constate donc là aussi une progression assez régulière des  quantités exportées, si l’on tient compte de l’interruption due aux  hostilités, entre 1778 et 1783. Quels étaient les ports de débarquement ? Sensiblement les mêmes que ceux d’armement. Les quelques  dizaines de milliers de morues vertes étaient portées aux ports spécialisés dans la vente de cette denrée : Dieppe et Nantes. La morue  sèche s’exportait dans les mêmes villes qui armaient pour la pêche,  avec une légère tendance à en concentrer la vente dans les ports les  plus importants. Ainsi, en 1790, Saint-Malo reçut 26 cargaisons,  Bayonne 23, Saint-Jean-de-Luz 14, Bordeaux 12, La Rochelle 6,  Granville 2; chose étonnante, très peu de vaisseaux se rendaient à  Marseille, alors que plus de la moitié de ceux qui péchaient au PetitNord allaient y vendre leurs morues sèches, qui étaient ensuite réexportées en Italie.

En 1791, pour la première fois, 668 514 morues sèches furent  envoyées en Espagne; 5 navires s’en furent à Bilbao, 1 à Saint-Sébastien, 1 à Santander et 1 à Alicante. On ne sait pas quelles raisons  poussa les armateurs à reprendre un commerce qu’ils avaient depuis  longtemps abandonné aux Anglais; peut-être, dans cette période  trouble, la situation du marché intérieur français leur sembla-t-elle  peu propice pour une vente avantageuse de leur denrée et voulurontils rechercher d’autres débouchés.

Si le commerce des îles Saint-Pierre-et-Miquelon se fit surtout avec  la France, deux autres courants existèrent, l’un avec les Antilles  françaises, l’autre avec la Nouvelle-Angleterre, puis les Etats-Unis.

  • LE COMMERCE AVEC LES ANTILLES FRANÇAISES.

Dans les instructions remises à Dangeac, le 23 février 1763, un  paragraphe prévoyait que « si le sieur Dangeac prévoit qu’on puisse  l’année prochaine ouvrir quelque branche de commerce avec les  autres colonies françaises, il aura soin de ne pas négliger cet objet » (92).

Il s’agissait des Antilles françaises qui avaient besoin de grandes  quantités de morues sèches pour nourrir leurs esclaves noirs. La  morue sèche constituait en effet pour ces collectivités la denrée  idéale, qui se conservait longtemps et ne coûtait pas cher. A vrai  dire, les îles du Vent surtout l’utilisaient, en concurrence avec les  salaisons de bœufs; aux îles sous le Vent, les habitants confiaient  aux noirs des portions de terrain que ceux-ci cultivaient pour en retirer  leur subsistance (93).

D’un autre côté, les Antilles pouvaient amener aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon des cargaisons de rhum, de tafia, de mélasse,  de café et de sucre, qui se consommaient sur place; la mélasse servait  par exemple à fabriquer une sorte de bière, avec l’écorce d’un arbre  appelé le prusse, qui constituait la boisson des pêcheurs (94). Mais  on espérait que Saint-Pierre formerait un entrepôt d’alcools qui  alimenterait la contrebande avec les vaisseaux anglais de Terre-  Neuve et surtout de la Nouvelle-Angleterre, comme cela se faisait  à l’île Royale. Il est très difficile d’étudier un tel commerce clandestin, les archives n’en ayant pas gardé trace. Cependant, les auteurs  anglais affirment qu’il existait; c’est en effet très possible mais indémontrable, du moins d’après les sources manuscrites françaises (95).

Le commerce de la morue sèche entre Saint-Pierre et les Antilles,  lui, est abondamment attesté et c’est là un des traits originaux de  l’économie de la colonie. Il faut bien distinguer un double courant :  celui qui amenait des Antilles à Saint-Pierre des navires porteurs  de cargaisons de rhum, de mélasse, de tafia, de café et de sucre, et  celui qui, de Saint-Pierre aux Antilles, transportait, sur des navires,  dont la plupart étaient armés en France et à Saint-Pierre même, des  chargements de morues sèches.

Le premier courant fut assez faible. Voilà les chiffres que nous avons  relevés. De 1765 à 1790, en tenant compte de l’interruption des  années 1778-1784, il y eut 57 navires venus des Antilles à Saint-Pierre. Certaines années, il n’y en eut pas (1771, 1772, 1777); il  n’y en eut qu’un en 1766, 1767, 1768, 1773 et 1784; deux en 1765,  1769, 1770, 1774 et 1787; trois en 1775, 1785 et 1788; six en 1776;  7 en 1786; 8 en 1789 et 12 en 1790. La Martinique par Saint-Pierre  en envoya 27; la Guadeloupe, 15 par Pointe-à-Pitre (10) et BasseTerre (5); Saint-Domingue, 13 par le Cap-Français (5) et Port-auPrince (8); Tobago même en envoya 2 (en 1786 et en 1789).

L’autre courant, c’est-à-dire, l’exportation des morues sèches de  Saint-Pierre aux Antilles, fut plus important. Il était assuré par les  vaisseaux des Antilles qui faisaient leur retour, par ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon et quelques navires armés en France. Voici,  par année, le nombre de ces navires et le nombre de quintaux de  morue sèche qu’ils transportaient vers les ports que nous avons  cités au paragraphe précédent.

1765 4 1775 15 15 812
1766 5 2 230 1776 23 22 263
1767 4 2 363 1777 4 2 792
1768 7 5 180 1784 7 2  893
1769 8 6 669 1785 8 3 106
1770 4 2 271 1786 17 16 891
1771 4 2 833 1787 9 15 107
1772 8 6 457 1788 15 25 351
1773 20 10 616 1789 20 38287
1774 20 11 880 1790 14 18130

On constate dans ce tableau deux périodes particulières : de 1773  à 1776 et de 1786 à 1790, pendant lesquelles le nombre des navires  est plus élevé; cette augmentation est due aux encouragements que  la Cour accorda à ce commerce qui l’avait toujours préoccupée.

En effet, avant la guerre de Sept Ans, l’approvisionnement en  morue sèche des Antilles françaises se faisait par l’intermédiaire de  Louisbourg. Le traité de Paris enleva l’île Royale à la France et les  armateurs métropolitains ne surent pas se réadapter aux nouvelles  conditions qui leur étaient faites. Les pêcheurs anglais et particulièrement ceux de la Nouvelle-Angleterre profitèrent de cette carence  pour envahir le marché des Antilles, au point que le gouvernement  français, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, accorda le  25 janvier 1765 la permission aux vaisseaux étrangers d’importer  de la morue aux Antilles, moyennant un droit de 8 livres par  quintal (96). Malgré ce droit élevé, les quelques armateurs français  qui, de Bordeaux et surtout de Saint-Pierre-et-Miquelon, s’obstinèrent à soutenir la concurrence britannique, subirent de grosses  pertes. En effet, les pêcheurs anglais vendant leur poisson 8 livres  le quintal, gagnaient autant que leurs collègues français qui en  demandaient 24 livres. On comprend que la morue anglaise avait  dans ces conditions, la préférence des acheteurs. Devant cette situation catastrophique, la Cour révoqua le 22 septembre 1766 la permission accordée l’année précédente. Mais les navires britanniques continuèrent leur commerce clandestinement. Le 31 juillet 1767, un arrêt  du Conseil accorda pour cinq ans une prime de 25 sols par quintal de morue sèche de pêche importée aux Antilles. La situation ne  changea pas; seuls, quelques navires de Saint-Pierre-et-Miquelon,  qui pouvaient se permettre de vendre de 10 à 14 livres le quintal  leur morue de réfaction, continuèrent à pratiquer ce commerce.

Pour raviver l’intérêt des armateurs métropolitains, un autre arrêt  du Conseil, du 14 mars 1768, permit d’entreposer en France pour les  réexporter ensuite à l’étranger, avec exemption de tous droits, les  sirops et tafias qui proviendraient de l’échange des morues. Cet  arrêt n’eut pas plus de résultat.

En 1773, deux armateurs de Saint-Pierre entreprirent une démarche  auprès du ministre de la Marine, pour lui demander d’exempter  du droit d’entrée de 1 les cargaisons de morues sèches importées  aux Antilles. Le 23 octobre, le ministre s’empressa de leur répondre  qu’il accordait volontiers cette exemption; il ajoutait : « Je vous  prie, en instruisant les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon de  cette faveur, de les engager à se livrer à l’importation de cette denrée ;  ils trouveront sur les lieux toute protection pour la vente et les recouvrements. Sa Majesté veut bien tolérer ce commerce directement,  afin de faire cesser par tous les moyens possibles l’introduction de  cette denrée par les étrangers » (97). Ces encouragements expliquent  l’accroissement des envois de Saint-Pierre aux Antilles à partir de  1773. Le 19 mai 1775, d’ailleurs, la prime de 25 sols par quintal  fut reconduite pour cinq ans encore. Mais, comme les ports de France  s’obstinaient à ne pas profiter de ces avantages, la Cour se vit forcée  de permettre à nouveau aux navires anglais de compléter l’approvisionnement des Antilles; elle le fit d’ailleurs en prenant toutes  ses précautions, ainsi que le montre ce mémoire du roi, en date du  31 mars 1776, « pour servir d’instruction aux Gouverneur et Intendant  des Isles du Vent, relativement à l’admission de la morue étrangère  par la voye de l’entrepôt de Sainte-Lucie » :  L’abandon presque absolu dans lequel le commerce de France laissoit  les Isles du Vent pour leur approvisionnement de morue, dont l’usage est  indispensable à la nourriture des esclaves et même d’une partie des habitants, avoit déterminé en 1765 à permettre l’introduction par l’étranger.

Cette permission a été révoquée par un mémoire du 22 septembre 1766,  sur les représentations des négociants et sur les offres qu’ils ont faites de  satisfaire pleinement à cette fourniture. Ils n’ont pu cependant remplir  cette promesse et les habitants de nos isles ont été forcés jusqu’à présent  de recourir à la contrebande pour se procurer de la morue. Sa Majesté  rétablit par le présent mémoire la permission qui avoit été accordée aux  étrangers, par le mémoire du 25 janvier 1765, d’introduire la morue aux Isles du Vent, moyennant un droit de 8 livres par quintal, que Sa Majesté  a réduit à 5 livres pour le produit dudit droit être converti en une prime  de pareille somme de 5 livres pour chaque quintal de morue de pêche  nationale que les bâtiments français apporteront aux Isles du Vent, indépendamment de celle de 25 sols qui leur a été attribuée par l’arrêt du Conseil  du 31 juillet 1767 (98).

Ce mémoire spécifiait bien que la morue de pêche étrangère ne  pouvait être introduite que par le port de Sainte-Lucie.

La situation se rétablit au profit des armateurs français, du moins  si l’on en croit ce rapport officiel qui dénombrait les quintaux de  morues importées aux îles du Vent respectivement par les navires  français et les navires anglais (99).

La Martinique La Guadeloupe Totaux
quintaux quintaux quintaux
1776 Français 28 289 12 532 40 921
Anglais 3 700 3 188 6 888
47809
1777 Français 23 061 5 044 28 105
Anglais 9441 6014 15 429
44 530

Si nous remarquons qu’en 1776 et en 1777 les exportations de  Saint-Pierre vers les Antilles se montèrent à 22 263 qx et 2 792 qx  seulement, il faut en conclure que la concurrence des armateurs des  ports de France fut fatale à ceux de Saint-Pierre. Notons également  qu’à cette époque les hostilités étaient engagées entre les nouveaux  Etats-Unis et l’Angleterre et leur pêche fortement handicapée.

Malheureusement, les armateurs français ne purent longtemps  profiter de cette situation et durent eux-mêmes cesser leur pêche.

Lorsque la paix fut revenue, ils reprirent timidement leur commerce  avec les Antilles, où ils eurent à nouveau à faire face à la concurrence  des Anglais et des Américains. Les négociants de Granville déclarèrent à la Cour que dans ces conditions, il leur était impossible  de continuer ces expéditions (100). En effet, un tel voyage de Terre-  Neuve aux Antilles, le séjour pour la vente et le recouvrement des  fonds, et la traversée de retour ne permettaient pas d’arriver en France  avant la fin du mois d’avril, et à cette époque, on ne pouvait plus  songer à faire un autre armement. Pour pallier cet inconvénient,  la Cour décida, le 18 septembre 1785, de doubler la prime et de la  porter à 10 livres par quintal de morue importée aux îles du Vent,  mesure valable pour 5 ans. Ce nouvel encouragement explique le  nouvel accroissement que l’on constate à Saint-Pierre de 1786 à 1790.

Telles sont les grandes lignes de ce courant commercial qui, à  ma connaissance, n’avait jamais été étudié et qui, du moins, pour les  îles Saint-Pierre-et-Miquelon, ne fut pas négligeable. La colonie  entretint encore d’autres relations avec ses voisins du continent.

  • LE COMMERCE AVEC LE CONTINENT AMÉRICAIN ET SPÉCIALEMENT LES ÉTATS-UNIS.

Le projet secret des administrateurs était de faire de Saint-Pierre  un entrepôt de marchandises capable d’alimenter un commerce clandestin avec les navires anglais. Poulain de Courval, entre autres, le  définissait ainsi en 1764 : « Il faut faire partir des isles (Saint-Domingue,  la Martinique et autres lieux) des brigantins, goélettes et bateaux  chargés de tafia, sirops, sucre brut et café et quelque peu de coton,  pour la Nouvelle-Angleterre et le Canada. Les interlopes dans cette  partie donneront en échange leurs bâtiments chargés de planches  et de chevrons, même de bois de construction, des mâtures, etc.

A Louisbourg, le commerce avec les interlopes a monté à plus de  trois millions. Il est certain que Saint-Pierre fleurira si la paix dure,  puisque l’Angleterre sera obligée d’en tirer pour le Canada toutes  les denrées de Saint-Domingue et la Martinique » (101).

Ce beau projet ne semble pas s’être réalisé, du moins avec l’ampleur prévue. En effet, il y eut, d’une part, assez peu de navires à  venir des Antilles, nous l’avons vu; il est vrai qu’il arrivait chaque  année quelques vaisseaux de Bordeaux, chargés de vins et d’alcools.

Mais, d’autre part, les corvettes de Sa Majesté Britannique faisaient  bonne garde autour de la colonie, si bien que ce commerce clandestin mit beaucoup de temps à naître. La première mention qu’on  en ait date de 1766; Dangeac signalait que cette année-là, trois bâtiments étaient venus de Louisbourg sans doute, en prétextant  des relâches forcées, et avaient vendu des cargaisons de planches,  de bœufs, de moutons et de volailles (102). En 1769, il déclarait  que deux navires de Boston et deux autres du Canada avaient apporté  des vivres (103). Cette même année, Woodmass effectua sa tournée  d’inspection dans la colonie; il y remarqua bien un ou deux navires  de la Nouvelle-Angleterre, mais rassura complètement ses supérieurs sur l’existence d’un commerce de contrebande; nulle part  ailleurs, en effet, il n’avait vu le rhum, la mélasse ou le café à un prix  plus élevé. Plus curieux, mais tout aussi anodins, étaient les rapports  qu’entretenaient les Acadiens de Miquelon avec quelques-uns de  leurs compatriotes qui venaient de s’installer à l’île Madame et à  l’île Saint-Jean; la proximité relative de ces lieux permettait quelques  allées et venues de chaloupes, chargées de rhum ou de vêtements (104).

En somme, il n’y avait là rien d’inquiétant pour les autorités britanniques.

Pourtant, les années qui suivirent allaient marquer le début d’un  courant commercial qui ira en s’affermissant grâce aux prochaines  hostilités entre l’Angleterre et ses États d’Amérique. En 1774, on  a l’assurance qu’au moins une goélette de Boston, une autre de Québec  et une autre de New-York vinrent apporter quelques vivres à Saint-Pierre (105). Mais en 1775, ce furent 18 bâtiments de la Nouvelle-Angleterre qui parurent dans la colonie (106); à nouveau 14,  en 1776 (107) et 29 en 1777 dos). fis apportaient surtout du bois et  quelques vivres; ainsi, en 1777, voici quelles furent leurs marchandises : 21 400 pieds de chêne, 262 585 planches de sapin, 109 750 bardeaux, 17 250 merrains, 89 mâts de chaloupes, 86 quarts de farine  et 6627 quintaux de tabac (109). Ces marchandises étaient entreposées dans le magasin de Pierre Arondel où les habitants pouvaient  se les procurer à crédit toute l’année, à condition de s’engager à les payer à la fin de la pêche d10). La prise de la colonie par les Anglais  en 1778 arrêta naturellement ce commerce, qui ne dut pas être étranger  à la décision britannique de s’emparer de nos îles; Saint-Pierre-et-Miquelon demeuraient en effet, en Amérique du Nord, le seul endroit  où les insurgents pouvaient faire quelque négoce.

Mais la paix revenue, les Américains reprirent le chemin de notre  colonie ; ils y étaient d’ailleurs encouragés par les énormes commandes  de bois de construction passées par le consul de France à Boston,  M. de Letombe. En 1783, 15 bâtiments américains apportèrent dans  la colonie : 1 196 171 planches, 1 603 000 bardeaux, 386 070 briques,  206 boucauds de chaux et 132 000 chevrons (m). En 1784, notre  documentation, certainement incomplète, ne nous indique la présence que de deux goélettes de Boston. Mais de 1785 à 1791, nous  sommes en mesure d’établir un tableau à peu près complet du commerce américain à Saint-Pierre-et-Miquelon. Voici d’abord le nombre  des navires des Etats-Unis entrés et sortis de Saint- Pierre (112).

  • 1785 30 entrés, 16 sortis
  • 1786 32 – 26 –
  • 1787 31 – ?
  • 1788 33 – 22 – l~ –
  • 1789 32 entrés, 30 sortis
  • 1790 38 – 30
  • 1791 22 – 16

La différence entre le nombre des vaisseaux entrés et celui des  vaisseaux sortis est due aux nombreuses ventes de goélettes effectuées  à Saint-Pierre.

Sur quelles marchandises portait ce commerce ? Elles n’avaient  pas beaucoup varié depuis la période précédente; les Américains  apportaient seulement un peu plus de vivres et un peu moins de bois.

Voici, à titre d’exemple, l’inventaire des cargaisons débarquées en  1786 : 1151 quarts de farine, 250 quarts de farine de blé d’Inde,  255 quintaux de biscuits, 82 quarts de lard salé, 18 quarts de bœuf  salé, 45 quintaux de beurre, 28 quintaux de fromage, 38 bœufs et  35 vaches en vie, 3 495 weltes de rhum et 2 724 weltes de mélasse  (la vente de ces deux articles fut interdite par le commandant); 1  260 quintaux de tabac, 241 700 planches, 136 000 bardeaux, j  29 295 bordages de chêne, 50 mâts, 8 700 briques, 273 quarts de goudron et 380 barriques de charbon de terre (cet article venait de  Louisbourg) di3). Les autres années, les cargaisons ne différaient  pas beaucoup de celles de 1785, sinon en quantité; parfois, apparaissaient des marchandises inhabituelles comme du thé, du cidre,  du café, du riz, du chocolat et du savon, mais en petites quantités.

Les Américains désiraient établir à Saint-Pierre quelques maisons  de commerce, ainsi que Danseville l’écrivait au ministre en 1786;  mais celui-ci n’accepta pas cette proposition (114).

Il est à remarquer que ce commerce se faisait à sens unique et  que les navires américains s’en allaient vides ou, comme on disait  alors, « sur leur lest »; assez nombreux étaient les bâtiments qui  faisaient deux et parfois trois voyages par an.

En tenant compte de ces remarques, on peut dire qu’à peu près  tous les ports du continent Nord-américain de la côte est envoyèrent  de 1785 à 1791 des navires à Saint-Pierre. On relève dans les registres  de l’Amirauté de Saint-Pierre les lieux de provenance suivants :  Baltimore, Barnstaple, Bath, Baie des Chaleurs, Baie française,  Boothbay, Boston, Cap-Cod, Cascobay, Charleston, Dartmouth,  Edgarton, Falmouth, les îles de la Madeleine, l’île Royale, l’île Saint-Jean, Kennebeck, Machias, Marblehead, Middleton, New-Bedford,  Newburg, New-York, Nova-Scotia, Passamaquoddy, Penobscot,  Peperelsborough, Philadelphie, Portland, Portsmouth, Providence,  Québec, Rhode- Island, Salem, Stonington, Sydney, Thomaston,  Waldborough, Wilmington, Wiseaset.

Précisons que Boston envoya à Saint-Pierre 16 navires en 1785,  8 en 1786, 5 en 1787, 13 en 1788, 17 en 1789, 10 en 1790 et 11 en  1791, soit 80 navires en 6 ans; Portsmouth en envoya 24 et NewYork 20. Le commerce avec le continent américain n’était donc pas  négligeable.

* * *

Lorsque, le 14 mai 1793, les troupes du brigadier-général Ogilvie  firent prisonniers le commandant, la garnison et les habitants de  Saint-Pierre-et-Miquelon, elles arrêtèrent pour une vingtaine d’années,  jusqu’en 1815, le développement, somme toute satisfaisant, de notre  petite colonie. Puis commença une nouvelle période de l’histoire  des îles, période plus calme fort heureusement.

Après avoir connu une belle activité au cours du XIXe siècle et  une bonne partie du XXe siècle, le territoire des îles Saint-Pierre-et-Miquelon passe depuis une trentaine d’années par une pénible  crise. L’essor du chalutage, le développement des nouvelles techniques  de séchage du poisson ont rendu inutile leur principale fonction :  la longue préparation de la morue sèche par les pêcheurs métropolitains sur les échafauds et les graves du territoire.

Il ne nous appartient pas de préjuger de l’avenir des îles Saint-Pierre-et-Miquelon; nous ne pouvons que rapporter l’opinion du  comte de Gobineau qui, en 1861, écrivait ces lignes : « Saint-Pierre  est situé à proximité de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve, du  Canada, à l’entrée du golfe Saint-Laurent. Saint-Pierre n’est pas  éloigné de l’Europe. Il n’est pas loin des États-Unis. Cette situation  géographique le rend apte à un grand avenir commercial. Saint-Pierre doit nécessairement devenir un entrepôt où les soieries et  les vins et les divers articles d’exportation que fournit la France  se rencontreront avec les produits américains; et plus les colonies  anglaises du Nord-Amérique, le Canada surtout, feront de progrès  dans la voie de la prospérité où elles sont entrées désormais, plus  il sera inexplicable, plus il sera à déplorer que Saint-Pierre avance,  de son côté, si lentement vers l’avenir qui lui est dû » (115).

NOTES

(1) Cité dans Hotblack (Miss Kate), The Peace of Paris, 1763 dans Transactions  of the Royal historical Society, 3e série, vol. II, Londres, 1908, p. 234-267, voir  p. 265, Appendix D.

(2) Perret (Robert), La géographie de Terre-Neuve, Paris, 1913.

(3) Paris, Maisonneuve et Larose, 1962, 2 t., 1023 p.

(4) Pour la bibliographie, je me permets de renvoyer le lecteur à ma thèse, Saint-  Pierre-et-Miquelon et la rivalité franco-anglaise à Terre-Neuve au XVIIIe siècle  (École nationale des Chartes. Positions des thèses, Paris, École des Chartes, 1960.  p. 97-192), partiellement publiée sous le titre Histoire des îles Saint-Pierre-et-Miquelon (des origines à 1814), Saint-Pierre, Impr. du Gouvernement, 1962. Voir également Bourde de la Rogerie (Henri), « Saint-Pierre et-Miquelon (des origines à 1778) », Mortain, 1937, (extr. de la revue Le Pays de Granville), et Martineau (Alfred), Saint-Pierre-et-Miquelon, dans Hanotaux (Gabriel) et Martineau (Alfred), Histoire des colonies françaises, t. I, L’Amérique, Paris, 1929, p. 245 à 259. Sur la population, voir Ribault (Jean-Yves), La population des îles Saint-Pierre-et-Miquelon de 1763 à 1793. dans Revue française d’Histoire d’Outre-Mer, t. LU, n° 186 (1966), p. 5-66.

(5) Arch. nat.. Col. F3 54. fo 467.

(6) Les graves étaient des plages de sable ou de galets sur lesquelles on étendait  les morues afin de les faire sécher.

(7) L’échafaud était une plate-forme de bois, accessible aux bateaux qui y débarquaient leur pêche. L’échafaud portait une baraque, dans laquelle les morues étaient  traitées.

(8) On est remarquablement renseigné sur la pêche au XVIIIe siècle par le  monumental ouvrage de Duhamel du Monceau, Traité général des Pesches, qui  traite de la pêche morutière dans sa seconde partie, au t. II, Paris, 1772. Nous lui  empruntons naturellement de nombreuses indications, ainsi que deux gravures qui  montrent, mieux que toute description, ce que pouvait être la pêche à la morue  sèche, (voir fig.).

(9) Cf. Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, Saint-Pierre-et-Miquelon,  carton 1, document 63, Mémoire sur la pêche sédentaire de la morue aux isles  Saint-Pierre-et-Miquelon, par Carpilhet (1784).

(10) Cf. Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, Saint-Pierre-et-Miquelon, carton 1, document 81. Nombreux renseignements sur l’utilisation des huiles  de poisson par les tanneries.

(11) Nous ne pouvons ici traiter cette importante question de la rogue. Les pêcheurs  de sardine de Concarneau étaient obligés de faire venir cet appât de Norvège et de  Danemark, à grands frais naturellement; cf. Henri Sée, La pêche et le commerce de  la sardine en Bretagne de 1791 à 1820 dans Mémoires et documents. Julien Hayem, 12e série, Paris, 1929, p. 233-260.

(12) Arch. nat.. Section O.-M.. Déoôt des Fortincations. document 3.

(13) Cf. Robert de Loture, Histoire de la grande pêche à Terre-Neuve, Paris, 1949,  p. 235 à 254, Glossaire des termes de navigation et de pêche.

(14) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, Gl 463, f° 120 et suiv. Mémoire  de l’ordonnateur Malherbe (1784).

(15) Arch. nat., Col. F3 54, fo 592 et 594.  (16) Arch. nat., Col. C12, fo 142. Remarquons que le témoignage de Loyer-Deslandes  est suspect car son mémoire avait pour but de faire revenir le ministre sur la décision  qu’il avait prise de faire évacuer les îles par les Acadiens. Or, Loyer-Deslandes avait  besoin de cette clientèle pour ses propres affaires à Saint-Pierre.

(17) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, document 17.

(18) Les forces navales françaises à Terre-Neuve constituaient une station, envoyée  de France, tous les ans, pour la surveillance des pêches et l’assistance aux gens de  mer. Le commandant de la station reçut en outre, à partir de 1785, d’importants  pouvoirs administratifs sur la colonie.

(19) Arch. nat., Col. C12 11, fo 58.

(20) Arch. nat., Col.12 11, fo 179 et suiv.

(21) Ibid.. Col. C12 16. fo 15.

(22) Ibid., Col. C12 11, fO 181

(23) Arch. nat., Col. C12 1, fo 35.

(24) Ibid., Col. C12 2, fo 24.

(25) Ibid., Col. C12 1, fo 78.

(26) Ibid., Col. C12 1, fo 81 et Col. C12 2, fo 14.

(27) Cf. Report concerning Canadian Archives for the year 1905, vol. II, Ottawa,  1905, p. 225 et suiv.

(28) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, G1 467.

(29) Ibid., Notariat, G3 478.

(30) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, G1 467.

(31) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, Saint-Pierre-et-Miquelon,  document 63.

(32) Exemple emprunté à un mémoire de Pièche de Loubières, Arch. nat., Col.

F3 54, fo 577.

(33) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, CI 467.

(34) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, CI 467

262 JEAN-YVES RIBAULT  (35) Cf. Report concerning Canadian Archives. p. 225 et suiv.

(36) Arch. nat., Col. C12 2. f° 178.

(37) Ibid., Col. C12 3, fo 123.

(38) Ibid., G5 37, Amirauté des îles Saint-Pierre-et-Miquelon.

(39) Arch. nat., Section O.-M., Notariat G3 478 et G3 479. On retrouvera les actes  cités à leur date.

(40) Cf. notamment Arch. nat., Col. C12 21, f° 64 et suiv.

(41) Arch. nat., Section O.-M., Notariat G3 478 et 479.

(42) Arch. nat., Section O.-M., Notariat, G3 479 in fine.

(43) Duhamel du Monceau, op. cit., p. 89, distingue l’armement en traite («Le  capitaine échange la marchandise de traite contre la morue préparée par les gens du  pays, pour accélérer le retour, ou pour louer des matelots. ») et l’armement en troc  (« pour se procurer du poisson tout préparé à prix d’argent ou contre marchandises »). Nous ne pensons pas que, dans le cas présent, cette distinction soit utile.

(44) Id., ibid., p.92. On armait en général une chaloupe par 20 tonneaux.  (45) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, document 63.

(46) Exemple emprunté à un mémoire de Pièche de Loubières, Arch. nat., Col. F3  54, fo 577 et suiv. Remarquons en outre que les armateurs, dans les engagements  qu’ils faisaient contracter, sous-seing privé, à leurs équipages, les rendaient caution  les uns des autres, en sorte que, si un ou plusieurs matelots désertaient, même avant  leur départ de France, le produit de la pêche des autres répondait du remboursement  de l’argent et de la grosse de ces déserteurs. Col. C12 9, fo 175 et suiv.

267

(47) Même exemple emprunté à un mémoire de Pièche de Loubières, Arch. nat.,  Col. F3 54, fo 577 et suiv.

(48) Pour tout ce qui précède, cf. Arch. nat., Col. C12 21, fo 64 et suiv.

(49) Cf. Duhamel du Monceau, op. cit., p. 91.

(50) Cf. Daubigny, Choiseul et la France d’Outre-mer, p. 160.

(51) Arch. nat., Col. C12 1, fo 35.

(52) Arch. nat., Col. F3 54, fo 469.

(53) Ibid., Col. C12 1, fo 61.

(54) Arch. nat.. Section O.-M., Recensements, G1 467.

(55) Ibid.

(56) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, document 31.

(57) Arch. nat., Col. F3 54, fo 474 et suiv.

(58) Ibid., fo 477.

(59) Nombreux exemples dans les archives du notariat conservées aux Arch. nat.,  Section O.-M.. G3 478 et 479.

(60) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, Gl 467.

(61) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, Gl 463 fo 122 et suiv.

(62) Arch. nat., Col. C12 9, fo 180 et suiv.

(63) Arch. nat., Col. C12 15. fo 138 et suiv.

(64) Ibid.. Col. – C12 10. fo 11.

(65) Ibid., fa 61.

(66) Arch. nat., Col. C11 F5. fo 119 et suiv.

(67) Il n’y a pas si longtemps, au début de ce siècle, ces engagements de pêcheurs  bretons donnaient lieu à une pittoresque manifestation, la Foire ès Marins, qui se  tenait au Vieux-Bourg en Pléhérel (Côtes-du-Nord), cf. l’intéressante étude de Paul  Sebillot, Le Folklore des pêcheurs, Paris, 1901. p. 300 et suiv.

(68) Arch. nat.. Col. C12 1. fo 81.

(69) Arch. nat., Col. C12 2, fo 24.

(70) Arch. nat., Col. C12 3, fo 196.

(71) Arch. nat., Section O.-M., Recensements. Gl 467.

(72) Ibid.

(73) Arch. nat., Col. C12 12, fa 31.

(74) Arch. nat.. Section O.-M Rep.ensp.mp.nl-s Cl 467

(75 ) Arch. nat., Col. C12 4, fo 10.

(76) Pour tout ce qui suit, voir l’important mémoire de Pièche de Loubières,  Arch. nat., Col. C12 9, fo 176 et suiv. et F3 54, fo 584 et suiv.

(77) Arch. nat., Col. G12 2, fo 24.

(78) Ibid., Col. C12 3, f° 20.

(79) Ibid.. Col. C12 4. f° 5.

(80) Ibid., Col. F3 54, f° 493.

(81) Arch. nat., Col. C12 4. fo 6 et suiv.

(82) Ibid., fo 7 et suiv.

(83) Ibid.. fo 39.

(84) Ibid., Col. C12 4, fo 34.

(85) Ibid., fo 42 et suiv.

(86) Arch. nat., Section O.-M., Recensements, G1 463, fo 150 et suiv.

(87) Arch. nat., Col. C12, fo 176 et suiv. La Grand-Terre est naturellement  Terre-Neuve.

(88) Arch., nat., Col. C12 16. fo 59.

(89) Les états de pêche sont aux Archives nationales sous la cote Col. C12 19 à  C12 21. Les archives de l’Amirauté sont aussi aux Archives nationales sous la cote  G5 37.

(90) Cf. Arch. nat., G5 37, année 1790.

(91) Nous ne pouvons donner ici de références; tous les tableaux présentés dans  ce chapitre sont le résultat des calculs opérés dans les deux séries d’archives citées  dans les notes précédentes.

(92) Arch. nat., Col. C12 1, fo 4.

(93) Ibid., Col. C12 21, fo 50 vo.

(94) Arch nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications. Saint-Pierre-et-Miquelon,  pièce 73.

(95) Est-il besoin de rappeler que les îles Saint-Pierre-et-Miquelon furent le paradis  des contrebandiers d’alcools au temps de la prohibition?

(96) Pour cet exposé, nous avons utilisé un dossier conservé aux Archives d’Illeet-Vilaine, sous la cote C 1594 (Intendance-Pêche et commerce de la morue 17271786), et en outre un mémoire des négociants de Granville, Arch. nat., Col. C11 F 5  f° 21 à 29.

(97) Arch. nat., Col. C12 6, fo 9 et suiv.

(98) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications. Saint-Pierre-et-Miquelon,  pièce 20.

(99) Ibid., pièce 22.

(100) Arch. nat.. Col. Cll F5. fo 21 et suiv.

(101) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications. Saint-Pierre-et-Miquelon,  pièce 8.

(102) Arch. nat., Col. C12 2, fo 33.

(103) Arch. nat., Col. C12 3, fo 72.

(104) Cf. Report concerning Canadian Archives for the year 1905, vol. 2, Ottawa,  1905, p. 225 à 227. L’île Madame était située dans la baie de Canso (île du Cap-Breton); cette île préoccupait beaucoup les autorités britanniques; elles se demandaient en effet comment les Acadiens qui s’y trouvaient pouvaient s’habiller avec  des tissus français; on découvrit que les navires de Jersey les approvisionnaient de  cette marchandise. En 1774, même le gouverneur de la Nouvelle-Écosse s’inquiéta  du peuplement régulier de cette petite île par des Acadiens qui venaient de France  sur ces mêmes navires de Jersev. Ibid., p. 233.

(105) Arch. nat., C12 4. fo 42.

(106) Arch. nat., Col. C12 4, f° 88.

(107) Ibid., fo 90.

(108) Ibid., Col. C12 5, fo 19.

(109) Ibid., fo 20.  (110) Arch. nat., Section O.-M., Dépôt des Fortifications, Saint-Pierre-et-Miquelon. pièce 73.

(111) Arch. nat.. Col. C12 8. fo 19.

(112) Tableau établi d’après le dossier G5 37 (Amirauté).

(113) Arch. nat., Col. C12 21, f° 105. Nous n’avons pu déterminer ce que représentait les mesures « quart » et « barrique »; le quart, en tout cas, contenait plusieurs  quintaux.

(114) Arch. nat., Col. F3 54, f° 571.  (116) Gobineau (le comte A. de), Voyage à Terre-Neuve, Paris, 1861, in-16°, p. 43. j

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