Foyer paroissial, N° 56 : août-septembre 1928, pages 174-175.
LE PRINCE DE JOINVILLE A SAINT–PIERRE ET MIQUELON
(août 1841)
Troisième fils du roi de France Louis-Philippe, le prince de Joinville avait eu la glorieuse mission, en 1840, de ramener en France le corps de l’empereur Napoléon 1er, mort à Saint–Hélène en 1821. En 1841, il « couroit des bordées » à travers l’Atlantique, toucha à Saint-Georges, pour de là se diriger sur Halifax et New- York.
C’est à cette occasion que nos îles reçurent sa visite.
Le prince commandait sa glorieuse et fidèle frégate, la « Belle Poule », et un brick, le « Cassard ». Bien que l’on fût au mois d’août, la mer était démontée : la frégate, arrivée en vue de Saint–Pierre le 23 août au matin, ne parvint pas à doubler le cap et fut « « obligée de prendre la bordée du large ». Ce fut le lendemain matin seulement qu’elle réussit à jeter l’ancre dans le port de Saint-Pierre.
Le 25 août, « à onze heures », le prince de Joinville descendit à terre. Par tradition, la monarchie de Juillet était ennemie du faste ; aussi est-ce en très modeste équipage que le prince fit son entrée dans « sa bonne ville de Saint-Pierre ». Il n’était suivi que de son officier d’ordonnance et du commandant du « Cassard » ; et très cordialement il prit contact sur le môle avec les autorités locales, pendant que les vieux canons du port s’évertuaient à tirer les 21 coups réglementaires. Tous les « Saint-Pierrotins » étaient présents et criaient pleins d’enthousiasme : « Vive le roi ! Vive le prince de Joinville ! » A pied, prince, gouverneur, officier, agents du service colonial, gagnèrent l’hôtel du Gouvernement. Dès l’arrivée, ce furent les présentations d’usage et les discours de bienvenue, vieux rites séculaires qui savent se perpétuer avec une remarquable ponctualité à travers les âges et les régimes.
L’après-midi fut consacré au « tour de ville » ; presque toutes les maisons étaient pavoisées. Le prince, ayant aperçu une misérable cabane, voulut y entrer : c’était celle d’une pauvre et nombreuse famille. Des paroles empreintes de cordiale sympathie et une générosité digne du prince marquèrent ainsi le premier jour de la visite.
Le gouverneur reçut deux fois le prince à sa table ; et le chef de la Colonie avoua ingénument qu’il était « étonné par la variété, l’étendue et la profondeur des connaissances » de son hôte, ainsi que par « son esprit tout français, sa modestie et son extrême bonté ». Le prince voulut de rendre compte de tout. Il invita à sa table les principaux chefs de service et négociants ; et ses interrogations lui permirent de se documenter sur toute les questions intéressant Saint-Pierre. Il remit au gouverneur, pour être distribuée aux familles nécessiteuses, la somme de douze cents francs, geste qui toucha, et à juste titre, les braves pêcheurs de la Colonie.
On proposa au royal officier de faire chanter un Te Deum à son intention. « Si c’est, répondit-il en souriant, pour remercier Dieu de m’avoir fait échapper aux dangers que je viens de courir sur ma bonne frégate, je ne saurais y consentir ; mais j’assisterai avec un véritable plaisir à l’office divin ». Or le lendemain, 26 août était un dimanche ; et « oncques ne vit jamais autant de Saint-Pierrotins à la grand’messe. Un dais avait été préparé pour le prince ; mais celui-ci « refusa un honneur dû à son rang auguste avec une touchante modestie qui ne fit que mieux ressortir la noblesse de son caractère ».
Si le prince était simple, il n’était pas ennemi des réjouissances. Un bal fort animé fut donné ce même dimanche après-midi sur le pont de la « Belle Poule ». Les dames de Saint-Pierre en parlèrent de longues veillées durant, et cela bien après la chute de Louis-Philippe.
Le 29 août, au matin, la « Belle Poule » et le « Cassard » appareillèrent sous le commandement du prince, et cela « d’une manière qui ferait honneur au plus ancien capitaine de vaisseau ». Mais la frégate et le brick se virent arrêtés par le calme plat, deux jours durant, le 29 et le 30 août, en vue des îles. Enfin la brise se leva et, par vent arrière les deux bâtiments arrivèrent à Halifax le 4 septembre 1841.
Dans son étroite cabine de la « Belle – Poule » S. A. R. le prince de Joinville écrivit, dès le 29 août 1841, un intéressant rapport au ministre de la Marine où il appelait l’attention des pouvoirs publics sur Saint- Pierre et Miquelon. Il signalait entre autres, « avec un serrement de cur » que la seule défense consistait … en trois vieux canons de fonte montés sur des affûts vermoulus et chancelants dont les lumières agrandies par un
trop long service laissent échapper une partie de la charge. ». Il exprimait aussi, en les appuyant divers desiderata des commerçant de Saint-Pierre et Miquelon.
Les améliorations demandées furent-elles réalisées dans la suite ? Pas rapidement, c’est sûr, car en marge du rapport du prince de Joinville, on peut lire une annotation tracée par la main du ministre : « Tout ceci n’est malheureusement que trop vrai. Les factices ressources du budget ne permettent pas d’y remédier ; il faudra y pourvoir par des ressources hors du budget ordinaire ».