Foyer paroissial, N° 98 : 15 février – 15 mars 1932, pages 48-49.
1819 (Suite)
La pêche fut abondante en cette année 1819 ; aussi les familles purent-elles envisager l’arrivée de la mauvaise saison sans trop de soucis. Mais depuis la réoccupation, une idée s’était fixée tenace, dans l’esprit des pêcheurs, à savoir que le gouvernement était dans l’obligation de leur fournir des vivres, sans distinction entre les nécessiteux et ceux qui ne l’étaient pas, ainsi qu’à ceux des habitants chargés de famille, qui malgré leur activité ne parvenaient pas à pourvoir à la nourriture de la maisonnée.
Certes, on l’a vu ici même, le gouvernement ne pouvait faire autrement, en 1816, que d’aider les anciens habitants qui étaient venus , sans sou ni maille, reprendre pied sur le sol de leurs îles, car il s’agissait d’y maintenir le drapeau national ; et il les aida sans compter. Mais tout a une fin ; et dès l’instant que la situation des pêcheurs s’améliorait de telle façon que l’aide du gouvernement risquait de provoquer des abus, ne pouvant qu’inciter les gens à se désintéresser de leur industrie, il devenait nécessaire de mettre un terme à cet état de choses.
C’est ce que fit le Commandant Fayolle, par le moyen dont il donna connaissance au Département dans une lettre du 10 novembre dont voici la teneur :
« J’ai l’honneur de rendre compte à V. E. de la situation des habitans et des moyens employés pour assurer leur subsistance pendant l’hiver dans lequel nous allons entrer.
« Ce n’était pas, Monseigneur, une tâche facile à remplir que celle de détruire dans l’esprit des colons l’idée que des secours en vivres accordés jusqu’ici devaient cesser, le gouvernement ne pouvant continuer plus longtemps les sacrifices énormes qu’il avait faits depuis la reprise de possession. Dès mon arrivée, je ne négligeai rien pour pénétrer nos administrés de cette vérité, que le Roi ne pouvait plus entretenir ici de pensionnaires, et qu’en conséquence tous ceux qui seraient reconnus hors d’état de se soutenir, eux et leurs familles, par leurs propres moyens, devraient repasser en France.
« Il est de mon devoir de dire ici à V. E. que ce qui n’a pas peu contribué à rendre la situation dans laquelle je me trouvais plus difficile, c’est l’information que plusieurs des habitans avaient reçue soit de France, soit par l’équipage de la flûte de S. M. « Le Golo », qu’il était arrivé des vivres destinés pour eux ; Je me vis donc dans la nécessité d’user de tous mes moyens pour parer à nouveau tems et en prévenir les effets.
« Enfin, Mgr, après avoir médité avec la plus grande attention l’article de vos instructions relatif aux secours à faire distribuer aux habitans les plus nécessiteux pendant les froids rigoureux de 1819 à 1820, j’ai été convaincu que le but sage que V. E. s’était proposé ne pouvait être atteint par la force puissante et irrésistible des circonstances. Je pressentais et l’expérience à prouvé que les habitans en masse viendraient me trouver et me diraient que les Bâtimens du commerce n’ayant point apporté d’approvisionnements pour vendre dans la colonie, ils ne pouvaient se procurer, soit avec le produit de leur pêche, soit en argent, les vivres indispensablement nécessaires pour assurer leur existence pendant l’hiver. Dès lors, toute la population se serait trouvée dans la classe des nécessiteux, et les vues paternelles de V. E. ne pouvaient être remplies en suivant la marche qui m’était tracée ; D’un autre côté, la politique, l’intérêt du Gouvernement (et ce qui doit faire et fera l’objet de mes sollicitudes) le bonheur futur des colons des deux îles, nécessitaient qu’ils reçussent une forte leçon. Je les laissai donc quelques jours dans l’incertitude où je les voyais sur les moyens de pouvoir se procurer les vivres dont ils avaient besoin. Par là j’obtenais le résultat avantageux de détruire dans l’esprit de plusieurs familles l’idée que des vivres étaient arrivés pour eux comme les années précédentes.
« Cet état de choses cependant ne pouvait durer longtemps, j’en étais pénétré ; et quand je crus devoir le faire cesser, je fis connaître mes intentions ; Je vais avoir l’honneur de détailler à V. E. le moyen que j’ai cru devoir employer dans l’intérêt du gouvernement et même de l’habitant. ».
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Croyez Monsgr, etc. » (A suivre)
E.S.