21 décembre, 2024

Le suprême d’oursins du docteur Le Bolloch

Par le hasard des rencontres sur les réseaux sociaux, j’ai pu vous proposer l’an dernier une collection exceptionnelle d’images de 1941. De nouveau, c’est un réseau social qui m’a permis de rencontrer M Pascal Rabouille d’Amiens, détenteur d’un fonds d’archives privées particulièrement riche : ceux du docteur Le Bolloch. Ce parent éloigné du docteur s’intéresse aujourd’hui à son histoire et celle de la fabrique d’oursins de Saint-Pierre.

Avant de vous exposer quelques éléments choisis de ce fonds, revenons sur la situation des îles à cette époque. Les années trente furent à Saint-Pierre et Miquelon une décennie riche sur le plan de la recherche scientifique : c’est à cette époque que le scientifique suisse, Edgar Aubert de la Rüe, fit l’essentiel de ses observations dans les domaines géologiques et miniers.

Rappelons qu’en 1933, nous sommes à la fin de la prohibition et les autorités de l’archipel tentent d’entreprendre une diversification de l’économie locale. Succédant au gouverneur Barrillot, le comte Gilbert de Bournat sera très actif dans le domaine de l’exploration minière. Ses efforts n’aboutiront pas pour diverses raisons : la faible qualité des minerais découverts et la seconde guerre mondiale.

Arrivé aux îles Saint-Pierre et Miquelon le 20 février 1933 en même temps que le nouveau gouverneur Barrillot, le docteur vétérinaire Albert Le Bolloch fut nommé chef des services vétérinaires et agricoles et chef du service des pêches maritimes du territoire.

De 1934 à 1936, le docteur Le Bolloch se consacra à la création d’un nouveau produit transformé : le suprême d’oursins. C’est à partir du corail – les gonades – de l’animal que fut élaboré ce nouveau produit. De nombreux essais de conservation furent tentés : boîte métallique, gobelet de verre et fermeture sous vide. Sa préparation du corail fut rigoureusement établie : ouverture des coquilles, lavage du corail, essorage, pulpage et filtrage, malaxage, stabilisation, mise en boîte, sertissage, stérilisation, étiquetage et emballage.

Le docteur Le Bolloch obtint même l’exclusivité de la fabrication accordée par décret du Ministre des Colonies en 1937 contre le paiement d’une redevance à la colonie. Le produit fut distribué sous forme d’échantillons dans de nombreuses maisons et commerces haut de gamme de Paris : Fauchon, Hédiard, Corcellet. Devant le succès obtenu, de nombreuses commandes furent passées. L’année suivante, des grandes brasseries parisiennes passaient commande : La Coupole, La Palette, Le Colisée, Maxim’s, le Café de la Paix. À l’étranger, le produit s’exporta à Stockholm, à Genève, Londres et New York.

L’épouse du docteur Le Bolloch et sa fille étaient toutes deux impliqués dans la commercialisation du produit en France. Après avoir refusé un contrat d’exclusivité à la société Eleska en 1937, les Le Bolloch signèrent un contrat d’exclusivité de quinze ans avec la société KEMPF Frères de Strasbourg en 1938.

Rapidement, les commandes dépassent l’offre et le docteur Le Bolloch n’arrive plus à suivre et envisage de s’installer au Canada ou à Terre-Neuve (qui à l’époque ne fait pas partie du Canada, rappelons-le).

Quelles sont les raisons évoquées pour cette tentative de délocalisation ? Aux dires d’un rapport tapuscrit par la fille du docteur Le Bolloch, la main d’œuvre à St Pierre devenait défaillante, les salaires demandés étaient exagérés. De plus certains Saint-Pierrais auraient pris ombrage de la réussite d’une affaire créée par un métropolitain. Dans une lettre adressée au ministre des pêcheries d’Ottawa en 1941, le docteur Le Bolloch évoqua des critiques semblables à son correspondant : rendement trop faible de la main d’œuvre à Saint-Pierre, trop peu de matières premières.

Non seulement le docteur Le Bolloch avait mis au point la méthode d’extraction, il fut l’inventeur du matériel mécanique spécifique à l’opération qui pouvait produire plus de 3500 gobelets par jour.

Malgré la réussite incontestable du produit et son exportation, toute l’opération périclita avec la seconde guerre mondiale : arrêt des commandes de France, manque de verrerie, main d’œuvre difficile à trouver due à la mobilisation. L’activité commerciale cessa donc, mais c’est la répression politique du gouverneur Gilbert de Bournat qui obligera le vétérinaire – ouvertement gaulliste – à quitter définitivement les îles pour le Canada.

Installé à Montréal, le docteur Le Bolloch tentera de relancer son entreprise avec de la matière première de la région de la Côte Nord du Québec. De nombreux contacts furent établis, malheureusement un incident en 1943 dans un laboratoire d’explosifs de Montréal aboutira à l’empoisonnement général du docteur. Il décèdera en 1944.

En 1946 et 1947 un groupe de Saint-Pierrais tentera de relancer l’exploitation du corail d’oursins. Le produit réalisé fut un échec complet sur le plan de la qualité. Sans le savoir faire du docteur Le Bolloch, l’exploitation de cette ressource s’avéra impossible.

Voici quelques questions soulevées par l’exploitation de ces archives :

  1. Où se trouvait l’usine de transformation des oursins à Saint-Pierre ?
  2. Y a-t-il encore des Saint-Pierrais qui ont le souvenir d’avoir travaillé pour M Le Bolloch ?
  3. Si la guerre n’avait pas interrompu cette activité, l’exploitation du corail d’oursins aurait-il pu devenir une source intéressante de revenus pour l’archipel.
  4. Pouvez-vous identifier les personnes, dates et lieux des photographies d’archive.
    1. Collection Le Bolloch : fabrication du suprême d’oursins
    2. Collection Le Bolloch : Saint-Pierre
    3. Collection Le Bolloch : défilés et cérémonies Collection Le Bolloch : photographies de personnes
    4. Collection Le Bolloch : défilés et cérémonies

Notes

  • Administrateurs des îles Saint-Pierre et Miquelon
    • Gouvernement Édouard Daladier (31 janvier 1933 – 24 octobre 1933)
      • Georges Jules Eugène Barrillot (20 février 1933, 17 décembre 1936)
    • Gouvernement Léon Blum (4 juin 1936 – 21 juin 1937)
      • Gilbert de Bournat (17 décembre 1936, 24 décembre 1941)

Les mérites vantés du suprême d’oursins : riche en lécithines, en iode et en bromure. « Remède idéal puiqu’il est un vrai régal, et faibles, anémiés, convalescents, enfants, vieillards, récupèreront vitalité, énergie tout en festoyant ». – Le docteur R Joulin, le XXe siècle illustré, août 1937.

Mise à jour, janvier 2013 : de nouveaux documents de la collection Henry Fougère, député de l’Indre et délégué de SPM de 1928 à 1936, Merci à Mme Deschatrette.

Grand Colombier

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6 réflexions sur « Le suprême d’oursins du docteur Le Bolloch »

  1. Le Suprême d’Oursins du docteur Le Bolloch

    L’OUEST-ÉCLAIR – 3 MAI 1936

    UN SALON DE LA FRANCE D’OUTRE-MER A NIORT

    L’Exposition qu’organise depuis six ans, l’Office colonial du Poitou, à l’occasion de la Foire Exposition du Centre-Ouest, n’a pu trouver place, cette année, dans l’enceinte de la Foire.
    Elle sera établie rue Thiers, entre les Halles et l’Hôtel de Ville, dans le nouveau magasin portant le numéro 6, agencé spécialement pour cette circonstance.

    Patronnée par le Ministère des Colonies, elle comprendra, sous le titre de « Salon poitevin de la France d’outre-mer »:

    1° Une exposition spectaculaire d’objets de fabrication artisanale , indigène, en ivoire, en cuivre, en corne, en écaille, en bois et en cuir; des collections particulières, de tableaux, photographies, d’armes, de tapis, de meubles de toute beauté;

    2° Une exposition de produits originaires de la France extérieure, alimentaires et autres, des plus communs aux plus rares. C’est ainsi qu’on pourra y trouver non seulement: riz, cafés, thé, vanille, épices, huiles d’arachides du Sénégal, huiles d’olives de Tunisie, lièges et alfa, de l’Afrique du Nord, etc., mais encore qu’il sera possible d’obtenir, à titre d’échantillons: bananes, mangues énormes et savoureuses, oranges de Guinée. C’est là que sera révélé aux visiteurs « Le Suprême d’Oursins », préparé par le docteur Le Bolloch, à Saint-Pierre-et-Miquelon, selon une méthode spéciale qui lui conserve son arôme marin et ses vitamines, et font de ce produit un hors-d’oeuvre délicieux, unique au monde.
    On n’aurait pas vu complètement la Foire-Exposition si l’on ne faisait pas une visite au Salon poitevin de la France d’outre-mer.

    Source : Archives du quotidien L’OUEST-ECLAIR. Editions de Bretagne et des Pays-de-la-Loire

  2. Bravo pour cet article Marc – Ma mere me dit que mon pere Gustave Lafargue ne en 1925 aurait travaille tout jeune chez Mr LeBolloch. La fabrique se trouvait chez lui Place Dupuy-Fromy (?) Place de l’Hopital derriere le Pensionnat et devant l’Hospice.

  3. Je peux vous envoyer les scans recto-verso d’une publicité de 1935 pour ce suprême d’oursins et une correspondance au sujet des difficultés de leur envoi en France mais à qui faut-il que je les envoie?

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