18 décembre, 2024

L’aventure des Frères Lacloche de Vallombreuse

Voici une aventure très pittoresque qui illustre le patriotisme et l’esprit de décision de deux jeunes frères décidés à ne pas rester simples spectateurs du conflit mondial. Leur père Henri Lacloche, aviateur de la Première Guerre, avait tenu à rejoindre Malraux dans son escadrille España qui luttait du côté « rouge ». Leur mère avait alors envoyé ses deux fils poursuivre leurs études en Grande-Bretagne, elle-même continuant de résider dans la Capitale.

A la déclaration de guerre, Mme Mère décidait d’emmener ses deux garçons aux Etats-Unis, son pays d’origine, et les inscrivait à l’Exeter Academy dans le New Hampshire.

La Fugue : Maman aux Trousses !

En novembre 1941, dans son collège, le junior, François, apprend qu’une équipe de sous-marin Surcouf va disputer dans les parages un match de football avec ses confrères britanniques, au profit des œuvres de Forces Françaises Libres. Il s’empresse d’y assister et demande à l’un des matelots la filière à suivre pour s’engager. Celui-ci répond tout simplement : « Petit, va voir le commandant Quedrue à Montréal ».

Diable ! Comment faire pour échapper à son école et passer au Canada sans papiers d’identité. Un copain consulté lui propose son permis de conduire. Le signalement correspond au sien et la photo n’est pas exigée. Bonne aubaine !

François quitte l’école le samedi matin, prend le train pour Boston puis l’avion pour le Canada. A la frontière, le contrôle policier est sérieux car à cette époque les USA sont entrés en guerre aux côtés des Alliés.

Arrivé à Montréal, François s’est présenté au Cdt Quedrue, « petit, je te trouve un peu maigrichon et vais te faire passer un examen médical ». Soit, le verdict est favorable et le candidat retenu.

Son frère aîné Jean-Pierre, soupçonnant la fugue, veut alors en faire autant. Il a son adresse. Sa première tentative échoue à la frontière qui le refoule mais il réussit en prenant le train. Quand ils se retrouvent, François demande à son aîné de déclarer dix-sept ans et demi et de devenir ainsi le « junior ». Jean-Pierre, hélas, manque de discrétion et leur fugue va alimenter la presse américaine qui lance de copieux articles sur leur disparition : « Two French boys here vanish to join de Gaulle » et « Two brothers seventeen and fifteen reported missing, may be at front with Free French Forces ». Les gamins savourent leur exploit !

Un beau matin, leur mère arrive à Montréal et bondit chez Quedrue qui les convoque. Ils prennent mère sous le bras, s’efforcent de la calmer et la ramènent à son hôtel. « Mère, il faut nous laisser partir ».

Désorientée, elle téléphone à son avocat de New York, un très grand ami, ex-sous secrétaire d’État du règne de Hoover. Cet homme intelligent arrive et lui dit : « Madame, laissez les partir un mois : Ils connaîtront les charmes de la vie militaire à Saint-Pierre et Miquelon et, croyez-moi, ils reviendront bien vite ! ». Vaincue par ce plaidoyer, mère accepte et les accompagne à la gare.

Le Passage à Saint-Pierre et Miquelon

Un train les emmène au port d’Halifax d’où ils embarquent pour St-Pierre et Miquelon. Arrivés sur cette île battue par les vents, ils commencent leur entraînement de fusiliers marins.

Savary est gouverneur et l’amiral Muselier commande les Forces Armées.

Les exercices sont filmés et le reportage recevra le titre pimpant : « Les petites îles de la Liberté ». L’amiral s’est donné le beau rôle, ce qui n’a pas été sans irriter de Gaulle … et encore plus les Etats-Unis.

Les deux jeunes prennent vite goût à la vie militaire, ce que n’avait pas prévu l’avocat de leur mère. Hélas ! Le général, sensibilisé par la presse américaine, veut les voir quitter cette « terre à ragots » et gagner la Grande-Bretagne, alors que le commandant Quedrue guette leur retour avec l’intention très nette de les rendre à leur mère.

Renvoyés sur Halifax, nos deux juniors réalisent qu’il leur faut ruser et profiter d’un bateau britannique qui s’apprête à appareiller pour la Grande-Bretagne avec des troupes canadiennes et un petit contingent de jeunes Saint-Pierrais. Ils demandent à leurs anges-gardiens canadiens l’autorisation de monter à bord pour dire « au revoir » à leurs camarades français de l’île. Portant l’uniforme de fusiliers marins, personne ne suspecte leur présence insolite et le bateau lève l’ancre sans qu’ils soient inquiétés. Oui, mais ils ne figurent pas sur la liste des passagers ! Que vont-ils faire au contrôle d’arrivée en Grande-Bretagne ? Wait and see ! Un plan se profile dans leurs jeunes cervelles. N’ont-ils pas près d’eux deux sympathiques anglaises qui après avoir fuit le Blitz de Londres ont décidé de revenir « at home ». Cultivons leur amitié !

L’Arrivée à Londres – L’Incorporation.

Après une pénible traversée on arrive à Greenoch (Écosse) à trois heures du matin. Nos deux juniors se précipitent sur les bagages des deux anglaises et descendent la passerelle devant elles. Les charmants petits porteurs chargent alors délicatement les lourdes valises sur un camion dans lequel ils se dissimulent pour aller à la gare.

Les réputés services de sécurité de la Grande-Bretagne ne les ont point vus. Ils partiront par chemin de fer à Londres, but de leur Odyssée. On leur a conseillé d’ailler, à l’arrivée, au centre d’accueil F.F.L. qui doit les prendre matériellement en charge. Ainsi sera fait. Le directeur (commandant Denery) alerte aussitôt de Gaulle. Le général négociera avec leur mère et lui proposera de les envoyer tous deux à l’école des cadets. Mme Mère répondra : « D’accord pour François, pas d’accord pour Jean-Pierre » (qu’elle veut revoir aux Etats-Unis). Le général, fort agacé, conclura : « Finie la comédie ! Je les expédie tous deux à l’École des Cadets ! »

Hélas ! François n’apprécie guère cette école dont il a peine à suivre les cours trop ardus ; seuls les séances de préparation militaire l’intéressent.

L’idée lui vient de se confesser à un ami de sa famille, Jean d’Aster de la Vigerie (de l’escadrille Lorraine) qui après mûre réflexion propose : « On va changer ton âge et tes papiers : tu auras dix-huit ans et seras incorporable dans les paras ».

Les deux frères Lacloche seront envoyés à Camberley où les adoptera un chef de premier plan, le capitaine parachutiste Marienne, fraîchement sorti du cachot des condamnés à mort de Meknès (Maroc).

« Bien jeunes certes, mais si ardents, dira-t-il bientôt. Je sais que je pourrai compter sur eux ! ».

  • Extrait du livre d’Henri Déplante, Les Compagnons du Clair de Lune. Gardanne, 1984.
  • Permission de reproduire ce texte obtenue de Monsieur François La Cloche de Vallombreuse.
  • Publié à l’origine sur l’ancien site du GrandColombier.com

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Le GrandColombier.com est un site recensant tout document historique ayant un lien avec les îles Saint-Pierre-et-Miquelon : traités, cartographie, toponymie, archives, sources primaires, études, recherches, éphémérides. Le site est dirigé par Marc Albert Cormier. Profil Acadmedia.edu: https://independent.academia.edu/MarcAlbertCormier

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Une réflexion sur « L’aventure des Frères Lacloche de Vallombreuse »

  1. C’est franchement époustouflant incroyable magnifique et surtout d’ingéniosité…
    Un courage et détermination…

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