21 novembre, 2024

179x – François René de Chateaubriand, Génie du Christianisme

Chapitre VIII –

OISEAUX DE MERS; COMMENT UTILES A L’HOMME

QUE LES MIGRATIONS DES OISEAUX SERVAIENT DE CALENDRIER AUX LABOUREURS DANS LES ANCIENS JOURS

Les oies, les sarcelles, les canards, étant de race domestique, habitent partout où il peut y avoir des hommes. Les navigateurs ont trouvé des bataillons innombrables de ces oiseux jusque sous le pôle antarctique et sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Nous en avons rencontré nous-mêmes des milliers depuis le golfe Saint-laurent jusqu’à la pointe de l’isthme de Floride. Nous vîmes un jour aux Açores une compagnie de sarcelles bleues, que la lassitude contraignit de s’abattre sur un figuier. Cet arbre n’avait point de feuilles; mais il portait des fruits rouges enchaînés deux à deux comme des cristaux. Quand il fut couvert de cette nuée d’oiseaux, qui laissaient pendre leurs ailes fatiguées, il offrit un spectacle singulier: les fruits paraissaient d’une pourpre éclatante sur les ramaux ombragés, tandis que l’arbre, par un prodige, semblait avoir poussé tout à coup un feuillage d’azur.

Les oiseaux de mer ont des lieux de rendez-vous, où ils semblent délibérer en commun des affaires de leur république: c’est ordinairement un écueil au milieu des flots. Nous allions souvent nous asseoir, dans l’île de Saint-Pierre , sur la côte opposée à une petite île que les habitant ont appelée le Colombier, parce qu’elle en a la forme, et qu’on y vient chercher des oeufs aux printemps.

La multitude des oiseaux rassemblés sur ce rocher était si grande, que souvent nous distinguions leurs cris pendant le mugissement des tempêtes. Ces oiseaux avaient des voix extraordinaires, comme celles qui sortaient des mers; si l’Océan a sa Flore, il a aussi sa Philomèle: lorsqu’au coucher du soleil le courlis siffle sur la pointe d’un rocher, et que le bruit sourd des vagues l’accompagne, c’est une des harmonies les plus plaintives qu’un puisse entendre; jamais l’épouse de Céyx n’a rempli de tant de douleurs les rivages témoins de ses infortunes.

Une parfaite intelligence régnait dans la république du Colombier. Aussitôt qu’un citoyen était né, sa mère le précipitait dans les vagues, comme ces peuples barbares qui plongeaient leurs enfants dans les fleuves pour les endurcir contre les fatigues de la vie. Des courriers partaient sans cesse de cette Tyr avec des gardes nombreuses qui, par ordre de la Providence, se dispersaient sur les mers pour secourir les vaisseaux. les uns se placent à quarante ou cinquante lieues d’une terre inconnue, et deviennent un indice certain pour le pilote qui les découvre flottants sur l’onde comme les bouées d’une ancre; d’autres se cantonnent sur un récif, et, sentinelles vigilantes, élèvent pendant la nuit une voix lugubre, pour écarter les navigateurs; d’autres encore par la blancheur de leur plumage, sont de véritables phares sur la noirceur des rochers. Nous présumons que c’est pour la même raison que la bonté de Dieu a rendu l’écume des flots phosphorique, et toujours plus éclatante parmi les brisants en raison de la violence de la tempête: beaucoup de vaisseaux périraient dans les ténèbres sans ces fanaux miraculeux allumés par la Providence sur les écueils.


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