Bachelot de la Pylaie, visita Saint–Pierre et Miquelon brièvement l’archipel en 1816 et revint en 1819-1920. Avant de vous proposer les extraits concernant l’archipel provenant de l’un de ses ouvrages sur la région, voici tout d’abord le portrait de ce naturaliste, publié par le Père C. Le Gallo, c. s.Sp. dans Le Naturaliste Canadien, vol. LXXXII, n° 12, décembre 1955 :
Extrait de : « Trois botanistes aux îles Saint-Pierre et Miquelon pendant le 18e siècle. »
1. – Jean-Marie Bachelot de la Pylaie est né à Fougères, département de l’Ile et Vilaine, France, le 25 mai 1786. Il fut tout ensemble explorateur, botaniste et archéologue. Il effectua divers voyages en Afrique et en Amérique, dont deux aux îles Saint-Pierre et Miquelon: le premier assez bref en 1816 sur la frégate « La Cybèle », le deuxième en 1819-1820 sur le Voilier « L’Espérance » au cours desquels il fit d’abondantes collections de Cryptogames et Phanérogames, aujourd’hui dans les herbiers du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il recueillit par surcroît des observations intéressantes, malheureusement restées inédites pour la plupart. Non content de récolter des spécimens, « Bachelot de la Pylaie, remarque M. Jules Brunel, était un dessinateur émérite (il avait même commencé par être lithographe) et il exécuta sur les plantes de Terre-Neuve une série de dessins admirables qui ne furent cependant jamais publiés ». Quelques-uns de ces dessins originaux, dont plusieurs ont été tracés à Saint-Pierre même, sont actuellement dans les archives de l’Institut Botanique de Montréal. D’autres figures dessinées par de la Pylaie sur les plantes vivantes devaient illustrer une Flore de Terre-Neuve.
En 1829, Bachelot de la Pylaie entreprenait en effet la publication, chez Firmin Didot à Paris, du premier fascicule en format in-4 de sa « Flore de Terre-Neuve et des îles St-Pierre et Miclon. » L’ouvrage traitait seulement des Laminariacées, des Fucacées, des Frucellariées. Publié à faible tirage, ce premier travail d’algologie américaine est devenu fort rare aujourd’hui. Nous n’en connaissons pour l’instant que deux exemplaires: l’un à la bibliothèque de l’Université McGill à Montréal et l’autre au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il est évident que la plupart des entités rapportées par l’auteur ont été revisées par la Systématique actuelle, mais quelques espèces rares y sont maintenues: Fucus miclonensis, Laminaria longicruris, Laminaria Platymeris, Alaria Pylaei.
Avant comme après ses voyages en Amérique, De la Pylaie avait exploré en France plusieurs îles du littoral atlantique: les îles d’Yeu, d’Ouessant, de Noirmoutier. Outre les sciences naturelles: algologie, bryologie, conchyologie et le reste, De la Pylaie cultivait l’archéologie préhistorique. On lui doit des observations importantes sur les monuments mégalithiques vendéens et bretons: dolmens, menhirs, cromlechs de ces îles. En 1814, il était à Ouessant où il poursuivait des recherches sur les Poissons pour Cuvier et Blainville; il y signalait des Muscinées comme juliana Fontinalis Sav. En 1831, il achetait une maison à l’île d’Yeu, poursuivant toujours ses recherches sur les Poissons et les Algues marines. les insulaires le nommaient le « Père Goémon » amusés de le voir parcourir plages et grèves à la recherche du matériel végétal arraché par la tempête. Aussi bien, tous les groupes de Phanérogames et de Cryptogames intéressaient le botaniste. Il était le premier à mentionner l’existence dans ces îles de plusieurs entités rares des côtes de France: parmi les Liliacées: Pancratium maritimum, Allium ampeloprasum (Flore de l’ouest de la France, par Lloyd, 1854); parmi les Muscinées Conomitrium Julianum Mont. et Fissidens Grandifrons Brid.
Presque entièrement consacrée aux voyages et à l’étude des sciences naturelles jusqu’à cette époque la vie de Bachelot de la Pylaie entrait dès lors dans une période énigmatique que plusieurs historiens locaux ont tenté d’éclaircir, justifiant cette remarque de l’éditeur de la Flore de Terre-Neuve et des Isles Saint-Pierre et Miquelon « Interrompue depuis plus de 20 ans, cette publication n’aura selon toute apparence aucune continuation ».
Des recherches récentes du docteur Marcel Baudouin ont permis de conclure que Bachelot de la Pylaie versa dans la politique après la Révolution de 1830. Le 21 novembre 1831, il était dénoncé comme espion aux autorités militaires locales. « Se disant naturaliste, lisait-on dans le rapport, il a vu quelques amateurs d’histoire naturelle avec lesquels il a joué le rôle de zélé patriote ». Il était pris comme conspirateur en 1832 par le général Rousseau, commandant militaire du département de la Vendée chargé de réprimer les agissements des Légitimistes (1831-32) lors de la prise d’armes de la Duchesse du Berry, femme énergique et romanesque, contre le gouvernement de Louis-Philippe. On a maintenant la preuve que De la Pylaie fut traduit devant un conseil de guerre et qu’il fut certainement condamné à la déportation. On ne sait malheureusement ni en quel endroit ni comment furent employées les vingt dernières années de sa vie. Il fut gracié sous la 2e république (1848) mais on ignore s’il fut encore l’objet des machinations de la politique un peu plus tard;
Outre sa Flore de Terre-Neuve et un mémoire intitulé « Quelques observations sur les productions de l’île de Terre-Neuve et sur quelques Algues des Côtes de France appartenant au genre Laminaire » le botaniste a laissé plusieurs cahiers de notes encore inédites constituant son journal de voyage ainsi qu’un manuscrit bourré de renseignements précieux ayant pour titre « Essai sur le flore de Terre-Neuve et des Îles voisines ». En 1828, De la Pylaie fit paraître de surcroît un manuel de conchyologie où il consignait le résultat de ses collections de coquillages le long des plages de l’ancien et du nouveau monde. C’est donc vers la quarantaine que Bachelot de la Pylaie nous livra ses œuvres de naturaliste émérite. L’on ne peut que vivement regretter cette éclipse soudaine dans cette vie qui promettait d’être si féconde en résultats scientifiques.
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NOTICE Sur l’île de Terre–Neuve et quelques îles voisines ;
Par M. B. de la Pilaye, Correspondant, (Paris, 1825).
NOTE : L’orthographe a été respectée, notamment l’absence de « t » : habitans, chargemens, batimens etc…
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Extraits de la section II. Topographie particulière.
§ 1°. – Baie du Désespoir.
Me trouvant à Miquelon au mis d’octobre 1819, lorsque les habitans vont faire leurs provisions à la grande terre, c’est-à-dire à Terre–Neuve, je profitai de cette occasion pour aller visiter la baie du Désespoir : c’est dans les forêts qui la terminent qu’ils se rendent avec leurs chaloupes pour y faire un ou deux chargemens proportionnés aux besoins de la famille. Je partis avec le nommé Briant, pilote-pratique de toute la côte de Terre–Neuve. Favorisés par un bon vent, par un temps superbe, nous eûmes bientôt traversé l’espace qui sépare Miquelon de la côte de Terre–Neuve, et nous entrons dans cette baie profonde, coupée par plusieurs îlots assez considérables. …..
Le gros temps qui nous retint pendant plusieurs jours dans cette extrémité de la baie, nous réduisit à de grandes privations. Ayant consommé nos provisions, il nous fallut vivre de morue salée, grillée sur des charbons, de biscuit, et boire de la bierre (sic) faite avec une décoction de l’Abies nigra. Parmi les gens de l’équipage, se trouvait un nommé Belloni, âgé de vingt-quatre ans, garçon au-dessus de sa position par ses manières, extrêmement laborieux et doué d’une imagination rare quand elle n’est pas développée par l’instruction première. Sans être charpentier ni constructeur, il fit lui-même sa chaloupe qui passait pour la mieux construite du port de Miquelon : il fit également bien, lui seul, avec des planches, la maison qu’il habitait avec sa mère, dont il était le seul soutien : je fus étonné de la qualité de sa voix et du talent avec lequel il chantait diverses chansons en faisant son ouvrage. Belloni était aimé, estimé de tout le monde, et même recherché dans les réunions. Il mourut en 1820, à pareille époque, par suite de la chute d’un arbre qu’il abattait au même endroit où nous étions, et qui lui tomba sur la poitrine. Terre–Neuve lui est redevable des gros bolets ligneux qu’il m’apporta du fond des bois.
Après cette tourmente, qui fut suivie de neige, nous profitâmes du premier beau temps pour retourner à Miquelon ; mais nous étions à peine à moitié route, que nous fûmes assaillis par un nouveau coup de vent du sud-ouest, qui nous força de chercher l’abri le plus prochain. Briant nous conduisit dans un passage extrêmement étroit, dont la courbure se terminait en une espèce d’entonnoir entouré de rochers très-élevés, où nous eussions pu braver tous les élémens conjurés contre nous. Ce ne fut que vers midi, le lendemain, que nous pûmes sortir de ce havre dérobé ; fatiguée de nous poursuivre, la fortune nous accorda enfin un vent du nord-est, qui nous fit sortir de la baie du Désespoir et entrer le soir même dans le port de Miquelon.
§ II. – Baie Saint-Georges. ( début concernant l’archipel).
Après avoir passé l’hiver à Saint-Pierre, je retournai à Miquelon au premier printemps c’est-à-dire pendant la fonte des neiges, au mois de mai. Je me disposais à partager mon été entre ces deux îles, lorsque j’appris, vers la fin de juin, l’arrivée de la corvette L’Active, dans la rade de Saint–Pierre, et que l’objet de sa mission était de faire le tour de l’île de Terre–Neuve, afin de protéger au besoin nos pêcheurs de morue. Je me hâtai de retourner à l’île Saint–Pierre où je fis la connaissance de M. Robillard qui commandait le navire. Il m’engagea à l’accompagner dans ce voyage, et eut même la bonté de me donner le lit disponible qui se trouvait dans sa chambre principale. J’ai été traité par lui de la manière la plus obligeante pendant toute notre navigation ; et c’est aux bontés de cet officier distingué, que je suis redevable de toute ce que j’ai récolté à l’ouest et à la partie nord de Terre–Neuve. Nous parcourions ensemble les bois, lui pour la chasse des oiseaux et des insectes, moi pour la botanique. A mon arrivée à l’île Saint–Pierre, je n’eus que le temps de parcourir les localités les plus importantes, pour juger la nouvelle végétation, ce que je fis avec M. Robillard ; puis nous allâmes visiter la côte occidentale et la côte nord et nord-est de l’île de Terre–Neuve.
CHAPITRE II. – ÎLES VOISINES DE TERRE–NEUVE.
Les principales îles qui avoisinent Terre–Neuve sont Miquelon et Saint–Pierre, dans sa partie méridionale ; Belleîle du détroit, et les îles du Quirpon, à son extrémité : les Fichots, îlots près de la baie aux Lièvres, sont des extensions de la chaîne des rochers qui forme l’île de Grouais et celle de Belleîle de la côte orientale : plus au sud, sont encore les îles Funk, ou des Oiseaux. Excepté ces dernières, toutes les autres sont en vue de la terre principale : de toutes ces îles, celles de Saint–Pierre et de Miquelon sont les seules qui soient habitées.
Entre le port de Miquelon et Terre–Neuve on voit les petites îles Brunet, qui offrent la singularité de se présenter assez rarement sous une forme constante, par l’effet du mirage, quand la mer est calme
ÎLE Saint–Pierre.
Cette île, située près de la côte méridionale de Terre–Neuve, n’est réellement qu’un chétif îlot ; il paraît formé par le dernier prolongement sous-marin des terres avancées qui forment le cap Lamelin ; du moins sa position semble nous l’annoncer. Un détroit de trois quarts de lieue de largeur le sépare du côté du nord de l’île Langlade, réunie maintenant à celle de Miquelon par une chaussée de sables qui présentent quelques dunes très-élevées.
L’île Saint–Pierre se dirige du sud-ouest au nord-est, comme presque tous les caps de la partie méridionale de Terre–Neuve, ainsi que la chaîne des montagnes de Mirande à Miquelon : elle est d’une forme à peu près ovale dans sa circonscription, et présente dans sa partie qui fait face au levant une bonne rade pour les vaisseaux de l’État, où ils sont protégés des vents du large par un îlot allongé, nommé L’île aux Chiens. L’intervalle qui règne entre celle-ci et le cap à l’Aigle au nord-est, et les terres avancées de la côte du sud-est, forme deux entrées pour les bâtiments marchands ; mais les frégates n’abordent que difficilement par l’entrée qu’on nomme Passe du sud-est . Le port proprement dit, constitue un golfe particulier, qui se trouve à l’extrémité de la partie méridionale de la rade, et pénètre encore assez avant dans les terres : on le nomme le Barachois ; il se termine par un étang d’eau saumâtre dans lequel la mer s’épanche ordinairement quand elle est haute.
Dès qu’on est assez près pour distinguer les objets l’on peut se faire une juste idée de tout le pays par les parties qu’on découvre : rien n’est plus stérile et triste à la vue que cette masse de rochers monticuleux qui composent la partie haute de l’île, et tout ce bas-fond inégal qui s’étend au midi depuis le pied de ces hauteurs n’offre ensuite que l’aspect de nos landes de l’Europe occidentale. Il est réduit à produire comme elles les plus chétifs arbrisseaux, l’atmosphère océanique s’opposant à l’accroissement de tout végétal ligneux d’une certaine élévation.
Les habitations qui forment la ville sont placées autour du Barachois ou port proprement dit, mais plus particulièrement le long de sa côte nord : elles sont au nombre de quatre-vingts au plus, et toutes bâties en planches. Chacune de ces maisons a son petit jardin, où réussissent fort bien les choux, pois, raves, oseilles, et en général tous les petits légumes : les groseilliers y viennent très-gros. Les pommes de terre n’ont ici qu’un goût vaseux, en raison de l’humidité du sol et de sa nature trop grasse ; mais elles sont excellentes dans les terres sablonneuses de Langlade et de Miquelon. La maison du gouverneur se trouve vis-à-vis le lieu du débarquement ; près d’elle est l’église, la cure, le grand magasin aux vivres, et à l’entrée de l’espèce de rue principale, s’élèvent la demeure du commissaire de la marine et celle du capitaine du port ; à l’extrémité opposée on voit la maison du chirurgien-major et l’hôpital. Ces maisons ont seules, ou à peu près, un étage au-dessus du rez-de-chaussée ; toutes les autres n’ont que ce dernier et se trouvent accompagnées de quelques autres constructions moins élevées qui forment les celliers on magasins. Des planches ou des palissades de menu bois composent la clôture des cours et des jardins.
Les habitans ne se servent que de cheminées pendant la belle saison ; mais au commencement de novembre ils établissent tous les ans au milieu de la pièce principale, qui devient alors salon et cuisine, un poêle fait en briques et couvert avec une plaque de fonte, sur laquelle on fait cuire les aliments. Ce même poêle est démonté l’année suivante vers le milieu du mois de juin, au retour de la belle saison.
Dans l’arrière-saison, c’est-à-dire à la fin d’octobre, les dames et les jeunes personnes vont à la montagne cueillir des lucets et des atokas (fruits des Vaccinium vitis-idaea et oxycoccus, etc.), dont elles font des confitures pour l’hiver : en janvier et février, elles se rendent sur les lacs glacés pour la pêche des éperlans, qu’on prend à la ligne, en faisant des trous dans la glace, laquelle a quelquefois 32 centimètres d’épaisseur. Au retour de la belle saison, lorsque les neiges sont fondues, l’on fait encore au mois de juin quelques parties d’atokas, parce que ces fruits se sont parfaitement conservés sous la neige, et l’on prétend même que les tardifs y ont complété leur maturation.
L’espoir du gain a seul attiré l’homme sous ce climat rigoureux, désagréable, aussi chacun exploite-t-il du mieux possible la mine ouverte à son industrie : l’on s’y console du froid et du brouillard avec des écus. Je vis avec plaisir, en 1920, que l’aisance individuelle s’était accrue, de telle façon, que celui qui n’avait qu’une chaloupe en 1816 possédait alors une goélette, et qu’il avait équipé en outre d’autres embarcations pour la pêche.
Comme l’île n’offre pour tout bois qu’une seule espèce de sapin, l’Abies fraseri ? Pursh, réduit à l’état de broussailles, l’on se procure ce combustible à la grande terre c’est-à-dire Terre–Neuve ; ceux qui ne peuvent faire cette dépense pour un hiver entier, y suppléent en allant à la brousse, c’est-à-dire découvrir et couper les sapins enfouis sous la neige ; chacun fait, quand le temps est favorable, le plus de voyages possible, apporte son faix sur ses épaules, ou le dépose sur un traîneaux auquel s’attellent les hommes et les jeunes gens. Comme le trajet est de trois quarts de lieue environ du bourg aux vallons abrités de la partie montueuse, où sont les bois de sapins nains, la réflexion (sic) de la lumière du soleil par la neige des coteaux, fatiguant singulièrement les yeux, occasionne souvent des ophtalmies et quelquefois même des cécités momentanées et subites : mais elles n’ont aucune conséquence fâcheuse. Les rhumes sont inconnus à l’île Saint–Pierre.
Je ne saurais expliquer comment la classe des mammifères peut y jouir plus promptement que sous nos latitudes tempérées de la faculté reproductrice : cette précocité remarquable se trouve en opposition à ce que l’on attribue aux influences du climat sous l’ancien continent. Les anglaises de Terre–Neuve arrivent promptement à la puberté ; à l’âge de seize ans leur corps est entièrement développé. Elles sont grandes, ont en général une belle tête, mais leurs pieds ne sont point proportionnés, et je trouve leurs membres beaucoup trop musculeux.
Si l’on attribuait cette précocité surprenante à une vie éminemment ichtyophage, l’on pourrait opposer que les chèvres et le gros bétail vivant d’herbages comme partout ailleurs, n’en sont pas moins soumis à la même influence locale. Peut-être viendrait-elle de ce que l’air, plus condensé qu’en Europe durant sept à huit mois et privé d’humidité, agirait sur la fibre en raison d’une plus grande dose d’oxigène (sic) due à sa condensation, comme un tonique non contre-balancé par un principe relâchant. Le Lapon, étant une race d’hommes particulière, ne peut fournir d’exemple péremptoire ; son genre de vie est bien au-dessous de l’aisance des Français et des Anglais établis à Terre–Neuve. En second lieu, sa nourriture se trouve peut-être incapable de restaurer d’une manière suffisante un corps fatigué par les veilles qui résultent de la longueur des jours ; ajouter à ces causes la privation équivalente de la lumière bienfaisante de cet astre qui vivifie toute la nature ; voilà sans doute les causes qui entravent le développement physique, au moment où le corps prend son principal accroissement ; et je ne serais pas éloigné de penser en conséquence que ce serait ainsi que la race humaine se serait abâtardie au voisinage du pôle.
De même qu’en Lapponie, le sol de Terre–Neuve, et de Saint–Pierre et Miquelon, est sans profondeur. Le climat exercerait-il ici une action indépendante de la destruction des végétaux ? Il est notoire que six à huit sapins qui tombent de vétusté dans les bois pendant un millier d’années, sur chaque partie du sol, auraient dû produire une couche de terre au moins de six décimètres d’épaisseur ; il n’y a tout au plus que quelques centimètres de terreau.
1° Partie montagneuse . – Le rocher presqu’à nu qui forme l’île Saint–Pierre s’élève, depuis la partie occidentale jusqu’au nord-est, en une masse de monticules qui égale à peu près la moitié de son étendue Un bas-fond règne au pied de ces hauteurs ; mais vers le milieu de l’île le sol exhaussé forme le point de partage des eaux, d’une part, au levant sur la rade, et de l’autre, sur la rive occidentale. Près de cet endroit s’élève une éminence moyenne, dite Le Calvaire.
La partie montagneuse, qu’on appelle fréquemment Les Mornes, ainsi qu’aux Antilles, ne présente point de chaînes bien distinctes depuis la première ligne, où les éminences constituent une colline dont la crête se divise en quelques monticules plus ou moins remarquables. Vers sa partie centrale est une espèce de rocher un peu en pointe qu’on nomme Le Pain de Sucre ; il est isolé par deux vallées, dont celle de l’ouest se trouve dominée par un gros mamelon, qui s’incline également à l’ouest où il se trouve interrompu par quelques coupures transversales, dont la plus remarquable sert au passage du ruisseau du lac Thuriot. Au-delà de cette dernière, la chaîne des hauteurs forme encore quelques mamelons, qui s’abaissent de plus en plus vers la côte occidentale.
Revenant au point central de cette ligne, nous rencontrons un sentier dans le vallon situé à l’ouest du rocher du Pain de Sucre, par lequel on arrive à un monticule plus reculé dans l’intérieur des éminences, mais qu’on découvre très-bien du bourg, parce que ce point domine toute cette partie de la chaîne. C’est sur le sommet de ce morne que l’on a établi la Vigie, c’est-à-dire le mât des signaux, où l’on annonce, avec des pavillons de formes et de couleurs différentes, les navires qu’on aperçoit en pleine mer, ou qui se dirigent vers la colonie.
Les monticules situés au nord-ouest m’ont paru disséminés assez irrégulièrement : on trouve une chaîne plus caractérisée qui se rend au nord, ainsi qu’une autre qui se dirige vers l’anse à Rodrigue. Ces deux chaînes laissent ainsi un intervalle agrandi par leur divergence toujours croissante, lequel est occupé par un groupe de hauteur dont l’une d’elles constitue le point le plus élevé de toute l’île. Ce monticule est au nord-est de la Vigie ; comme celle-ci est à 221 mètres au-dessus du niveau de l’Océan, il est probable que ce dernier morne atteint jusqu’à 260 mètres d’élévation. Divers vallons s’excavent entre les monticules qui l’avoisinent : celui qui se trouve sur sa partie sud-est, et d’où sort le ruisseau Courval, est le plus connu, parce qu’il se rend en face de la rade. Ce bassin assez spacieux est occupé par divers étangs, et offre dans quelques endroits abrités les plus grands arbres de l’île, c’est-à-dire des sapins haut de 16 à 20 décimètres. Les vallons abrités et les bassins situés entre les monticules de la partie occidentale, de même que toute la pente au nord, où le rocher s’enfonce presque à pic dans le détroit qui sépare Langlade de l’île Saint–Pierre, nous offrent ce bois de broussailles, ou plutôt mieux cette forêt, en quelque sorte rampante, de sapins, qui couvre le sol d’une verdure sombre et monotone. Les arbres y atteignent de 16 à 20 décimètres au plus, mais dans la généralité ils n’en ont que 6 à 9. Dans les lieux découverts ils sont réduits aux branches inférieures, qui s’étalent d’une manière presque filiformes et rampent sur le sol, tout le reste de l’arbre se trouvant bientôt mutilé ou desséché par l’influence des vents océaniques.
Cette forêt est d’un accès difficile par le rapprochement des arbres, par l’entrelacement des branches qui s’unissent à la disposition inégale du sol. Les arbres dominans sont : 1° l’Abies humilis N., ou fraseri des Anglais, qui ne serait peut-être que le sapin baumier lui-même, dénaturé par l’influence contraire du ciel et de l’état des lieux ; le tronc offre encore néanmoins ses ampoules balsamifères ; 2° quelquefois le sorbier, réduit également à l’état d’un simple arbrisseau ; 3° l’érable de montagne ; 4° un cornouiller, dont les feuilles en boutons sont d’une couleur de cannelle ; 5° et quelques pieds de genévriers, s’associant dans les parties rocailleuses à ce tapis de sapins. L’amélanchier, plus rare dans l’ouest, sort en touffes des rochers, à travers lesquels se précipite le ruisseau de Courval. C’est seulement entre ce ruisseau et le cap à l’Aigle, situé à l’entrée de la rade, qu’on recueille à Saint–Pierre le palomier, très-petit arbuste qu’on retrouve encore à Miquelon, et sur un fort petit nombre de points de la côte méridionale de Terre–Neuve : plus au nord, il disparaît totalement.
L’on rencontre aussi un Alnus, quelques pieds de sapin noir (Abies nigra) , mais ils sont en fort petit nombre et très rabougris. Une excavation dans le bas-fonds, situé au pied des monticules, nous offre encore quelques mélèzes, qui y sont comme confinés, et n’atteignent qu’un mètre au plus de hauteur ; c’est-à-dire qu’ils ne dépassent point le niveau du sol tourbeux qui les environne.
Si nous considérons le nombre de ruisseaux qui sortent de cette masse de monticules, la multitude de petits lacs qui existent dans les bas-fonds, la quantité d’eau dont leur sol est imbibé continuellement, disons mieux, la petite couche de terreau qui recouvre le rocher, ainsi que le lit de mousses et de lichens encroûtés en une masse spongieuse fort compacte ; si, nous réfléchissons en outre au peu d’élévation de ces hauteurs, dont la plupart des crêtes nous offrent encore diverses plantes des marécages inférieurs, et enfin au peu d’action que peut avoir sur l’atmosphère un sol d’une nudité complète excepté dans quelques parties où croît cette chétive forêt de sapins à l’état de simples broussailles, nous seront fort étonnés de l’action qu’elle exerce sur l’atmosphère. Cet effet n’aurait pas lieu en Europe d’une manière aussi remarquable, même dans les lieux maritimes. J’ai vu les caps les plus élevés en France, le long de la côte de l’Océan : dans aucun les rochers ne soutiraient autant d’eau, proportion gardée.
La crête de ces monticules, et tous les lieux battus des vents, nous offrent ça et là des roches éparses ou des blocs de roches entourés par une cavité étroite qui se rend en dessous. Ces masses se trouvent ainsi isolées du sol, comme si les végétaux, la croûte de mousses et de lichens n’en pouvait approcher immédiatement. L’hiver que j’ai passé dans ces contrées a pu seul m’expliquer ce singulier phénomène : il est produit par la neige, que les vents impétueux poussent contre la pierre. Ils froissent le sol autour de sa base, ils l’excavent de plus en plus, et finissent par dégager le bloc en dessous, comme le ferait un courant dans nos rivières, et même en avant par l’effet du remous ou de répulsion produite par la rencontre de l’obstacle.
2° Hydrographie . – Lorsqu’on considère que l’île Saint–Pierre n’est qu’un rocher dont la superficie est recouverte seulement par une couche de terreau presque sans épaisseur, l’on sera surpris de rencontrer de l’eau de tous côtés : si les ruisseaux qui coulent dans les tourbeux vallons se réunissaient en un seul lit, ils composeraient une rivière très-forte, relativement au peu de superficie du terrain. Le cours d’eau le plus considérable est celui qui sort d’un petit lac qui est dans la partie montagneuse à l’ouest de la Vigie, et descend à travers les rochers dans le vallon situé à la base de cette masse de monticules, pour se rendre à l’étang du Savoyard, qui est à l’ouest du bourg de Saint–Pierre. Deux autres ruisseaux sortent de la pente méridionale de la Vigie ; l’un, en descendant de la montagne, se dirige parallèlement au ruisseau du lac Thuriot, puis change de direction pour se rendre au midi dans le petit étang au fond du port ; celui-ci est en outre alimenté par un ruisseau arrivant des bas-fonds et se prolongeant au sud-ouest.
L’autre ruisseau de la Vigie descend au pied du Pain de Sucre par un vallon qui se rend, du côté du sud-est, dans le bas-fond herbeux longeant la base des monticules et se terminant à la rade. Arrivé dans ce grand vallon, il s’y trouve grossi par le cours d’eau qui sort de l’étang du Calvaire, et quelques autres ruisseaux venus de la pente orientale de ces hauteurs subalpines.
La partie montagneuse ne nous offre entre ses nombreuses éminences que flaques ou petits étangs, la plupart sans écoulement et sans profondeur. Les plus considérables sont entre la chaîne méridionale, dont la Vigie fait partie, et le mont Kergariou : cette haute vallée, qui se dirige au nord-ouest, se recourbe pour prendre une direction nord ; mais à cette partie, un peu d’élévation du sol arrête les eaux et les concentre dans ce bassin supérieur ; la nouvelle pente continue, s’établit ensuite, et conduit les eaux au nord vers le rocher du Colombier, où elles tombent à la mer de rochers en rochers. Il en est ainsi de plusieurs autres ruisseaux de la partie du nord-ouest de l’île et de celui du cap à l’Aigle, formé par les diverses flaques d’un bassin situé entre les monticules du nord-est de l’île.
Un autre bassin, d’une grande utilité, quoique médiocre, est celui situé vis-à-vis la rade, en face du mouillage des navires : il offre divers petits lacs qui donnent une très belle eau. Celle-ci arrive à la mer en tombant de rochers. La disposition des lieux y donne une grande facilité pour remplir les futailles des vaisseaux.
Enfin, dans le sud de l’île est l’étang du monticule qu’on appelle la Tête-Galante , où l’on va pêcher l’éperlan tous les hivers, et plus à l’ouest, l’étang de l’anse à Ravenelle. Ils sont alimentés par divers ruisseaux, dont le plus remarquable est celui fourni à ce dernier par le vallon dont l’extrémité aboutit au fond du port de Saint–Pierre. Le point de partage entre les eaux qui se rendent, d’une part au fond du port, et de l’autre à l’anse à Ravenelle, est si peu élevé, qu’il ne serait pas difficile de pratiquer un canal et unir ensemble les deux anses : mais il serait sans utilité. Ces étangs du littoral sont dus ordinairement aux attérissements de sables et de galets que la mer accumule sur les parties basses de la côte, et derrière lesquels les eaux douces, forcées de refluer sur les terres, se rassemblent en étangs dont le niveau s’élève jusqu’à ce qu’elles trouvent un écoulement suffisant par l’infiltration.
Île Langlade.
Un détroit d’une demi-lieue de largeur, et dont la profondeur varie de 30 à 48 brasses (49 à 78 mètres) d’eau, sépare l’île Saint–Pierre de celle Langlade ou petit Miquelon, réunie depuis 1783 à Miquelon, par une chaussée de sables d’une lieue environ. C’est une suite de dunes larges de 780 à 975 mètres, assez élevées maintenant au-dessus de l’Océan, et assez consolidées par les herbes maritimes pour sembler indestructibles.
Cet isthme, qui se dirige du nord au sud, offre aux approches de Langlade deux monticules de sables fort remarquables, dont le principal m’a paru avoir près de 32 mètres d’élévation.
L’île Langlade est moins élevée que Saint–Pierre et de forme irrégulièrement arrondie : sa côte ne présente point de golfes ou de havres abrités, ni assez étendus pour former un port ou une rade sûre : excepté au nord, elle se compose partout de rochers escarpés et coupés presque à pic, sur les pentes desquels l’on voit, en face de l’île Saint–Pierre, couler dans quelques endroits l’eau des ruisseaux qui viennent du plateau supérieur. Ce plateau, constituant toute la partie haute de l’île, est uniforme et très-nu dans toute son étendue ; il semblerait annoncer que tout le sol serait totalement privé d’arbres ; mais l’intérieur se creuse dans la partie centrale en deux vallées principales, séparées par un monticule au pied duquel celles-ci se réunissent. Les deux ruisseaux qui coulent au fond de ces vallées se joignent également à cet endroit, et leurs eaux forment une petite rivière qu’on nomme la Belle-Rivière , en raison des sites pittoresques qu’offrent ses environs. En effet, après la nudité et l’aspect si sauvage de Saint–Pierre, rencontrer un joli vallon dont les pentes sont couvertes d’une forêt de sapins, et dont les coteaux voisins composent par les mouvements du sol une suite de points de vue fort agréables, l’on se croirait en vérité sous un autre ciel ; et si je ne m’abuse point, l’on ne pouvait mieux désigner cette intéressante localité que par le nom de Belle-Rivière.
Lorsque j’allai visiter cette île, je n’y trouvai pour gîte que deux cabanes abandonnées ; l’une, qu’on me fit remarquer à mi-côte d’un monticule en face de l’isthme de sables qui joint Langlade à Miquelon, et l’autre dans le vallon de la Belle-Rivière : ce fut dans cette dernière que je fis le dépôt des vivres et des objets qui m’étaient nécessaires ; Ces cabanes avaient été habitées les hivers précédens par des hommes destinés à la chasse du renard argenté ; la peau de cet animal est plus estimée ici que celles des mêmes renards que l’on tue à l’île de Terre–Neuve ; la race en a été presque entièrement détruite en 1820.
La partie occidentale de Langlade présente le cap Duhamel, ayant à chaque côté deux anses au-devant desquelles s’avance un prolongement intérieur du sol. Au midi du cap, cette saillie porte le nom de Pointe-Plate, et se trouve au-devant de l’anse appelée le Prince ; au nord, elle forme entre elle et la côte l’anse à Banet, au bord de laquelle une famille irlandaise avait bâti une cabane. En remontant vers l’isthme l’on rencontre des terres oxidées par le fer, qui ont fait nommer cette partie de la côte les Terres-Rouges ; ensuite deux ruisseaux descendent de l’intérieur de l’île. Aux approches des sables, l’on rencontre des flaques d’eau saumâtre plus ou moins étendues.
Le cap Percé est la pointe la plus avancée dans le nord-est de Langlade ; elle offre des rochers fort escarpés, à l’extrémité desquels la mer s’est ouvert un passage en forme de voûte. Une couleur noire dans les stratifications voisines de quelques parties de la côte décèle ici la présence de la houille. Cette portion de Langlade, et les éminences situées à l’origine des cours d’eau qui forment la Belle-Rivière, sont les parties les plus élevées de l’île. Les environs de l’anse de la Belle-Rivière seraient seuls susceptibles de l’établissement de quelques habitations par le voisinage des bois : mais il faudrait ici un port, et l’anse manque de fond, outre qu’elle se trouve battue des vents très-impétueux soufflant depuis le nord jusqu’au nord-est.
Sous le rapport de l’histoire naturelle, j’estime qu’elle offre des productions plus variées que l’île Saint–Pierre. Le vallon de la Belle-Rivière annonce une végétation entièrement continentale : c’est sur ses rives seulement que j’ai trouvé l’Onoclea sensibilis, fougère curieuse de l’Amérique septentrionale, que je n’ai revue ni à Miquelon, ni à Terre–Neuve. Je n’ai pu visiter cette île qu’avant la fonte complète des neiges, au 10 mai 1820.
Île Miquelon
Cette île diffère de Langlade par sa forme allongée et par sa côte ordinairement basse, excepté autour de la masse de rochers qui composent le cap de Miquelon et vont terminer son extrémité nord : vers ses deux bouts elle se resserre irrégulièrement en pointe. Dans les lieux inférieurs l’on ne voit que vastes marais tourbeux, avec quantité d’eaux stagnantes éparses en mares ou en étangs, la partie montagneuse, au contraire, qui forme le centre de l’île, se compose de chaînes de monticules arides presque sans terre végétales, encroûtés de mousses ou présentant une affreuse nudité ; ils sont dépouillés d’arbres dans tous les endroits découverts : il en est de même du cap de Miquelon.
1° Sol inférieur. – Un sol d’atterrissement peu élevé au-dessus du niveau des eaux de l’Océan, occupe l’intervalle qui est entre le cap Miquelon et le reste de l’île : c’est sur cet isthme qu’on a établi la colonie française, parce qu’il est situé au fond du grand golfe constituant la rade. Du côté de l’ouest, la mer, en accumulant les sables, ainsi qu’à l’extrémité de l’île, à formé une suite de petites dunes monticuleuses.
La colonie de Miquelon se compose d’une soixantaine de maisons, disposées au fond de la rade sur un seul rang parallèlement à la côte ; toutes sont en bois et n’ont qu’un rez-de-chaussée, excepté celle de l’administrateur en chef, qui a un étage au-dessus du rez-de-chaussée.
M feillet, administrateur non moins éclairé que judicieux, gouvernait en père de famille cette petite colonie : tout le monde s’accordait à lui donner des éloges infinis. Le docteur Fitzgerard s’était également attiré l’attachement et la confiance des Miquelonnais par le zèle qu’il mettait à donner tous ses soins à ceux qui pouvaient les réclamer. Je connus encore là un des anciens habitans de l’île, le brave Briant, dont j’ai parlé plus haut, qui fut du nombre de ces Français de l’Acadie qui aimèrent mieux souffrir la captivité, et toute espèce de persécutions de la part du gouvernement anglais, quand il s’empara de nos propriétés de l’Amérique septentrionale, plutôt que de renoncer au pavillon de sa mère patrie. Ces malheureux, qui avaient tout perdu, furent transportés sur les îles de Saint–Pierre et Miquelon, que l’Angleterre venait alors de nous céder. Faits prisonniers, et arrachés à leur nouvelle patrie en 1792, ils ont été reconduits une troisième fois, en 1815, sur le sol américain. A cette dernière époque, il ne restait plus, pour ainsi dire, que les descendans de ces vieux Acadiens.
Une certaine aisance règne parmi tous les habitans de Miquelon. Ils aiment et mangent avec friandise une espèce de gâteau sans levain nommé Pouttigne , composé de pâte, d’œufs, de sucre, muscade ou cannelle, eau-de-vie, pruneaux, etc. etc. Faire la pouttigne est un jour de fête, et quoique l’on ait bien dîné, l’on se partage le gâteau, sans que cette indigeste macédoine influe d’une manière fâcheuse sur les estomacs.
De même qu’à Saint–Pierre, les Miquelonnais font la pêche de la morue pendant tout l’été. En automne, ils vont avec leurs chaloupes s’approvisionner de bois dans la baie du Désespoir. Leur rade est sans cesse battue par les vents ; elle offre peu de profondeur ; les vaisseaux de l’état n’y font jamais station : si les officiers s’y rendent de Saint–Pierre, c’est par curiosité ; ils y vont dans leurs chaloupes.
Entre la partie sur laquelle les maisons sont construites et une colline plus écartée au sud-est se trouve un étang for long et profond de 25 brasses (40 mètres) dans sa partie centrale : il communique avec la rade par un cours d’eau, où la mer, quand elle monte, reflue en assez grande quantité. A l’ouest il n’est séparé de la pleine mer que par une simple jetée de sable si peu élevée, que les flots passent par-dessus, et se versent dans l’étang de ce côté pendant les tempêtes. Il est aisé de reconnaître par l’inspection des lieux, conjointement à la nature du sol, que ce bas-fond, comblé successivement par les sables et les graviers, a fini par constituer la plage qui porte aujourd’hui la colonie, et uni à la masse principale de l’île le groupe de rochers qui constitue le cap de Miquelon.
Il en est de même du Grand-Barachois ou lac qui est au midi de l’île. Une chaîne de dunes qui s’est formée à son extrémité occidentale a rompu toute communication avec la pleine mer ; cependant il a encore une communication avec l’Océan du côté de la Baie-Nouvelle, surtout quand la marée monte.
Ce Barachois offre une particularité digne d’être consignée ; c’est que quand les marées baissent le plus, il se vide moins que dans les marées ordinaires. Ceci résulte de ce qu’il se remplit davantage dans le premier cas, tandis que dans les marées ordinaires, et surtout en morte eau, recevant une moins grande quantité d’eau, il a le temps de se vider davantage quand la mer se retire. Alors seulement tous les bancs de sable qui forment le fond de ce vaste bassin se découvrent au point qu’il ne reste plus d’eau que dans le lit sinueux par lequel divers ruisseaux affluans vont se jeter dans la mer.
L’île Miquelon présente encore sur sa côte orientale, entre la montagne du Chapeau et les hauteurs de Miquelon, le grand étang qui porte le nom de Mirande : il est moitié plus petit que le Barachois, et se trouve alimenté seulement par les divers ruisseaux qui sortent du vaste marais assis au pied de cette chaîne de monticules qui traverse l’île à peu près du levant au couchant. Les eaux de l’étang ne se perdent que par l’infiltration au travers d’un banc de galets, que la mer accumule au-devant de l’étang tout le long de la côte. Il en est de même de l’étang du Chapeau et quelques autres qu’on rencontre sur la côte orientale. J’ai remarqué dans les bas-fonds de cette partie que le sol se composait d’une couche de tourbe spongieuse, reposant sur une argile compacte impénétrable, au point que l’eau dont la tourbe était imbibée ruisselait tout le long de la superficie de l’argile, sans en pénétrer aucunement la masse. L’on rencontre encore plusieurs flaques éparses du côte des dunes au commencement de l’isthme qui unit l’île Miquelon à Langlade.
2° Partie montagneuse . – Comme à l’île Saint–Pierre, l’on ne rencontre à Miquelon que des monticules et non de véritables montagnes. La masse principale, portant le nom de Montagnes de Mirande , est formée de trois chaînes très-distinctes ; le cap de Miquelon, à l’extrémité nord de l’île, est composé d’une masse de rochers montueux parallèle à la direction des chaînes précédentes ; le Calvaire, situé près du cap, et le Chapeau, sont deux monticules isolés.
La colline, dont l’extrémité borde la rade du côté du sud-est, mérite peu d’être citée, n’ayant qu’un degré d’élévation très-médiocre au-dessus de l’Océan. Ici, le rocher qui forme la charpente de ces diverses hauteurs n’est point le seul porphyre, comme à Saint–Pierre. Je ne me rappelle l’avoir rencontré qu’à la montagne du Chapeau, qu’il forme exclusivement, tandis que des roches siliceuses constituent toutes les autres hauteurs. Je n’ai remarqué nulle part la pierre calcaire.
Le cap de Miquelon nous offre plusieurs éminences séparées entre elles par de petits bas-fonds, remplis dans la partie centrale de sapins chétifs : un de ces bassins recèle un petit lac, dont les eaux tombent dans la rade de rochers en rochers. Ne m’étant point avancé plus au nord-est, je ne peux indiquer les autres accidens du sol.
Entre le cap et la montagne du Calvaire le sol est extrêmement bas, de sorte que cette dernière forme une masse entièrement isolée. C’est un monticule de forme arrondie, couvert de sapins chétifs sur sa pente nord particulièrement : l’on en a brûlé une grande partie vers le sommet, mais comme dans l’incendie des bois résineux le feu ne consume guère que les feuilles des arbres, leurs troncs et leurs branches carbonisées, qui persistent longtemps encore, rendent ces parties d’un accès assez difficile.
Le Calvaire et le Chapeau sont ordinairement dégagés de brume, tandis qu’elle s’accumule sur les hauteurs de Mirande et du cap de Miquelon.
Le Chaepau est situé près du bord de la mer à quelque distance avant d’entrer dans la rade, du côté du sud-est. C’est une masse de rochers qui s’élève en cône tronqué, de manière à ressembler un peu à la forme des chapeaux qu’on portait en France en 1794. L’on jugerait au premier aspect que ce serait une montagne volcanique, ainsi tronquée par le cratère ; mais je l’ai visitée avec assez d’exactitude pour assurer qu’elle n’offre ni cratère, ni aucune trace de feux souterrains, et qu’elle se compose d’une masse porphyrique.
L’île Saint–Pierre n’offre aucune éminence aussi élevée que la crête des montagnes de Mirande. Je crois pouvoir l’évaluer à 65 mètres (1) de hauteur au-dessus du niveau de l’Océan au point culminant. Ces monticules composent trois chaînes qui se dirigent de l’ouest–sud–ouest à l’est–Nord–est d’une manière à peu près parallèle, et sont séparées par des marécages tourbeux, avec des flaques d’eau éparses et peu profondes. Le sol de ces marais est fort élevé au-dessus de ceux de la plaine, et il s’abaisse vers la côte de chaque côté de l’île, de sorte que les ruisseaux coulent d’une part à l’ouest et de l’autre à l’est. La crête de ces hauteurs présente différens mamelons rocailleux, dont le plus élevé se compose de deux pitons rapprochés qui se trouvent au milieu de la chaîne centrale. C’est aussi le point culminant de l’île. En parcourant le bord de la mer au point où ces montagnes se terminent sur la côte orientale, je remarquai divers blocs de rocher que je pris au premier aspect pour le marbre brèche d’Alep : ils étaient de même couleur, ils offraient des cailloux de pareille grosseur et agglutinés de la manière la plus identique : mais en m’approchant, je reconnus bientôt que la masse entière n’était qu’un poudding siliceux.
Toutes ces montagnes sont extrêmement arides et d’une nudité complète, même dans les vallées qui se trouvent entre les chaînes. On ne voit des sapins qu’à leur extrémité, sur des pentes qui descendent à la côte orientale de Miquelon : la côte méridionale offre aussi une certaine étendue de forêt chétive de ces arbres, du côté de Barachoix (sic) : mais ils ne remontent pas même jusqu’à la région moyenne de cette suite de hauteurs. Enfin la chaîne situé au nord offre encore quelques espaces occupés par ces arbres, du côté de Miquelon, mais vers son extrémité orientale seulement. La nudité de ces montagnes résulte de ce qu’elles se trouvent battues par les vents qui soufflent de la pleine mer, c’est-à-dire de l’ouest et du sud-ouest une grande partie de l’année, et détruisent tout genre de végétation qui présenterait quelque obstacle à leur impétuosité en s’élevant au-dessus du sol. Aussi sa superficie est-elle encroûtée d’une mousse épaisse et spongieuse, du centre de laquelle s’élancent quelquefois divers arbrisseaux ligneux, dont la plupart ne s’affaissent sur le sol et ne rampent que par l’influence du climat. Les sapins en souffrent eux-mêmes, au point qu’ils ne surpassent jamais 3 à 4 mètres d’élévation, et leur tronc 10 à 16 centimètres de diamètre. Ce sont les Abies alba, balsamea et nigra , comme à Terre–Neuve.
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(1) Une erreur s’est certainement glissée dans le texte original à la page 529 de ce document.
B. de la Pylaie estime l’altitude de St–Pierre à 260 mètres et celle de Miquelon nettement plus élevée
Elle ne peut par conséquent être de « 65 mètres ».