Nous l’avons vu dans la chronique précédente, les tensions entre pêcheurs américains et français pouvaient parfois déborder et les incidents pouvaient devenir violents. En 1862, une autre affaire fait déborder le vase. Le Consul américain fera part aux autorités de Washington de la plainte du capitaine Durieux, patron de la Créole suite aux actes survenus le 22 juillet sur le Banquereau.
Le rapport du capitaine Durieux repose encore une fois sur une affaire de lignes et de bouées volées. A cinq heures du matin, les lignes furent posées par son équipage, deux heures à peine plus tard un wary américain du navire Coiner de Plymouth vint prendre une des bouées françaises et remonta les lignes. Le capitaine Durieux se rendit alors à bord du Coiner pour récupérer ses lignes et obtenir des explications. Le capitaine américain répondit qu’il avait remonté cette bouée car il l’avait trouvée à la dérive. Quand Durieux voulut récupérer ses lignes, il fut menacé par le capitaine armé d’un harpon. Le malheureux Durieux dut fuir le pont.
Une autre goélette américaine, the Engineer commandé par Joshua Cahoon, elle aussi victime des méthodes peu scrupuleuses de l’équipage du Coiner fut témoin de l’incident. Cahoon proposa tout simplement à Durieux d’aborder le navire Coiner, mais celui-ci refusa. Entre temps, un matelot du Coiner lança une barre de fer et un harpon en direction du capitaine français, l’évitant de peu.
Le capitaine du Engineer certifia la déclaration du capitaine Durieux le lendemain à bord de la Créole et ce document fut acheminé aux autorités de l’Archipel et à l’Agence Commerciale des États-Unis d’Amérique.
Quelque temps plus tard, une lettre parvint à Saint-Pierre du bureau de douane de Plymouth, Massachusetts. Selon le capitaine du Coiner, ces lignes furent remontées car elles s’étaient mêlées avec ses propres lignes. Le capitaine du Coiner s’expliqua alors auprès du capitaine français, lui rendit son matériel mais à sa surprise le capitaine français essaya de prendre un des warys du pont de la goélette américaine. De surcroît, aucune attaque ne fut portée sur la personne de Durieux.
Où est la vérité ? Nul ne le saura définitivement, les deux versions ne pouvant être réconciliées, seul le témoignage du capitaine Cahoon semble donner plus de poids aux déclarations de Durieux. Ceci étant, à la lecture de ces rapports, on est en droit de se demander si la vie sur les Bancs de Terre-Neuve n’était pas le vrai « Far Ouest » américain…
Source : Despatches From U.S. Consuls in St. Pierre and Miquelon, 1850-1906. T487, RG059