Je vous invite cette semaine à lire le procès-verbal du capitaine Salomon rédigé sur le Banquereau. Versé au dossier de la goélette américaine Linda de Plymouth par le Consulat américain, ce document illustre très bien la dure réalité des bancs. Sauver un navire et des naufragés restait en tout temps une priorité absolue, mais néanmoins une décision qui avait des conséquences financières et logistiques très difficiles.
« Monsieur le Commissaire de l’Inscription Maritime de Saint-Pierre de Terre-Neuve
Rapport du Capitaine E. Salomon du Navire Marie Eugénie Elizabeth de Saint Servan, Armateur Mrs V Le Somellic (?) et fils.
Monsieur le Commissaire
Le 31 mai, à midi, après plusieurs jours consécutifs de brume et de fortes brises parfois, j’ai apperçu (sic) une Goëlette Américaine, son pavillon en berne, sa voile du Cap bordé en drivant sur nous, lorsque ce bateau à été à petite distance de nous, j’ai apperçu sur le pont deux hommes faisant des signaux à ma grande chaloupe qui était expédiée à tendre ses cordes à continuer sa route : alors j’ai apperçu le(s) deux hommes de la Goelette embarquer dans une frêle embarcation, en se diriger vers le bord; étant accosté le long du bord malgré le mauvais état de la mer. Ces hommes m’ont déclaré d’après ce que j’ai pu comprendre, être un cuisinier et l’autre pêcheur, leur ayant demandé ce qu’ils venaient faire à bord et voyant dans l’embarcation un coffre et des effets, ils m’ont répondu qu’il n’y avait plus abord ni chaise, ni cable, et que huit d’entre eux avaient péri dans leurs embarcations; sur leur demandes réitérées je les ai recueillis à bord avec les effets qu’ils avaient avec eux; et aussitôt mes chaloupes rentrées à bord j’ai expédié vers cette goelette qui était déjà à une grande distance avec une chaine et une sabaille, j’ai donné l’ordre à mon second que j’ai envoyé dans une de mes chaloupes de venir mouiller cette goelette à petite distance de nous, gardant avec lui trois hommes de mon equipage, chose qui à été executée; le lendemain 1er juin mes chaloupes ne sont rentrées de sur leur cordes qu’a midi, alors j’ai été à bord de la goelette, m’étant fait accompagner par les deux réfugiés à mon bord, j’ai fait une visite, j’ai cloué les cofres qui étaient dans la chambre, je leur ai demandé ce qu’ils avaient de morue (? – illisible) à bord et j’ai cru comprendre qu’ils en avaient 10 mil(illisible) la goelette se nomme « Linda » du Plymouth, la coque est en très bon état mais voyant dans l’intérêt de mon Américain l’impossibilité de faire séjourner plus longtemps cette goelette aupres de mois, vu la frequence des brumes et les mauvais temps, étant obligé d’avoir continuellement de hommes à bord, ce qui est très nuisible à mon opération, surtout dans ces jours ou nous prenons quelques morues, j’ai de(illisible) dans l’interet commun et de concert avec mon équipage, d’expedier mon second à St Pierre avec cette goelette (cet homme ayant déjà commandé plusieurs années pour la pêche) et avec lui 3 hommes de mon equipage et les deux Americains, ce qui causera un tort préjudiciable à ma peche que je compte continuer jusqu’a 10 ou 12 (illisible) à moins d’avaries majeures, ayant déjà mis à bord cette goelette une chaine et une sabaille (en chaine).
En foi de quoi, j’ai signé le présent proces verbal avec les principaux de mon Equipage.
Banquereau abord le 1er juin 1865,
Signé Hebert 2e capitaine
Signé E Solomon
Signé Thomas
Signé Lasse
Signé Deroux
Signé Morel
Le 3 juin 1865
Expédié cette goelette à St Pierre sous la conduite de mon second, et les nommés Beaurire, Matelon, Delechat novice, et Guillory (?) aussi novice et les deux Américains.
àbord le 3 juin 1865 à 7h du matin
Signé E Solomon
Lors de la rédaction du procès verbal des deux rescapés, la triste mésaventure du « Linda » devient apparente. Le cuisinier américain Lisdale Biggs raconta que le Linda avait quitté Plymouth dans le Massachusetts le 24 avril 1865 pour le Banquereau. Arrivés sur le banc de l’Ile du Sable, qu’ils jetèrent l’ancre pour pêcher jusqu’au 29 mai. Ce jour, vers 6 heures du matin, le capitaine et ses hommes embarquèrent dans leurs doris pour pêcher. Il y avait un peu de brume mais peu de temps après le vent se leva du Sud Ouest, et vers 10 heures la goélette commença à traîner son ancre et dériva. Le cuisinier, encore à bord, tira des coups de canon et activa le cornet. Mais il était trop tard, le navire continua de dériver nuit et jour. Il mit alors son drapeau en berne. Quelques jours plus tard, il rencontra un marin dans son doris qui avait perdu sa goélette dans le brouillard. Emmanuel Françis, était un marin portugais qui se trouvait à bord d’une autre goélette américaine du port de Provincetown.
Avec l’aide de Francis recueilli à bord, Biggs essaya tant bien que mal de diriger le navire jusqu’au moment où ils rencontrèrent plusieurs goélettes dont celle du capitaine Salomon.
Aucun autre document n’est versé au dossier de cette mésaventure, l’équipage du Linda fut-il perdu corps et âmes ? Fut-il recueilli, rien ne l’indique.
Sources : Despatches From U.S. Consuls in St. Pierre and Miquelon, 1850-1906. T487, RG059