La Dépêche coloniale
ILLUSTRÉE
15 Septembre 1904 (4e Année.) – N° 17DIRECTEURBureau : 12 Rue Saint-Georges, Paris
Presse télégraphique: Deponiale – Paris
J.-Paul TROUILLET
Téléphone 157-47
St-Pierre et Miquelon
Du Havre à Saint-Pierre.
Saint-Pierre et Miquelon est géographiquement de toutes nos colonies la plus rapprochée de France. La traversée par voilier de France à Saint-Pierre dure environ vingt-cinq jours ; mais la direction des vents, l’état de la mer modifient toujours la longueur des voyages.
Il n’existe pas de services directs entre la France et cet Archipel. Seulement, au printemps, ou suivant les besoins du commerce, quelques navires à voiles et parfois des vapeurs transportent les pêcheurs et les marchandises. Ces voyages ne sont pas réguliers,ils se font au gré des armateurs.
Il faut donc pour aller à Saint-Pierre suivre le chemin des écoliers, faire le grand détour par Le Havre, New-York, Boston et Halifax. Voyage simple, commode et facile … Sur une carte. Rien n’est en effet plus simple que de s’embarquer sur un de nos transatlantiques, même sur la Savoie et la Lorraine. Huit jours durant on navigue confortablement, luxueusement, au milieu de Yankees dévorant force sandwichs, et de miss, ou ladies, que les horreurs du mal de mer ne parviennent ni à émouvoir ni à défigurer… rien ne les dépeint.
C’est la partie charmante du voyage. A peine en passant sur les bancs, – que les naïfs cherchent du bout de leur lorgnette. – a-t-on la sensation du tangage et de la brume, et les cris prolongés et lugubres de la sirène déchirant les airs donnent quelque émotion, rappelant le danger, les naufrages et les deuils.
Alors la pitié, la solidarité charitable s’éveillent sous le pressentiment d’un péril et l’on pense, en donnant généreusement aux veuves et aux orphelins de ces rudes marins victimes de la mer, éloigner le danger qui menace.
On organise un concert : bien souvent l’art et le talent y sont réunis et viennent s’ajouter à la joie de donner et au plaisir de faire le bien.
Bientôt New-York. Le pilote apparaît. L’usage veut qu’en entrant dans la baie, la mer devienne houleuse, l’on se met à
danser, et l’on admire avec effroi le vapeur du pilote sautant sur les flots,mouillant son nez, montrant sa quille, évoluant autour du paquebot.
Je ne sais pas si vous avez eu ou si vous aurez la bonne fortune de voir la statue de la Liberté. Pour ma part, je m’y suis repris à quatre fois, quatre voyages, et je cherche encore à l’admirer ; J’ai bien vu à travers la brume et le brouillard un grand bloc gris, je me demande si c’est bien là l’oeuvre de Bartholdi. En tout cas, c’est grand, c’est colossal, avant de quitter le bord demandez au docteur qui, sans crainte de me tromper, est charmant par tradition, un calmant et une dose de patience pour subir la douane à New-York.
Ceux qui affirment que les Américains sont gens pratiques et expéditifs ne connaissent sans doute de ce pays que l’American bar, ou l’ex (Café
Américain, cafés d’expédients.
Quelle horreur que cette douane de New-York ! il faut d’abord faire la queue, et aller prendre un ticket et un douanier au contrôle. Muni de ces deux instruments, vous vous dirigez vers vos malles, vos valises et vos caisses. Ne vous imaginez pas qu’un sourire gracieux, un mot gentiment prononcé pourront adoucir l’humeur de ce rat de cave transformé en cerbère, et l’arrêter dans ces indiscrètes perquisitions, Nenni ! Il veut tout voir, tout examiner et met sens dessus dessous ce que vous avez eu tant de peine à arranger au moment du départ.Les ennuis se terminent généralement par quelques dollars à
payer. Objets neufs ou supposés non usagers.
Maintenant, si vous voulez arriver à temps à Halifax ou à North-Sydney pour profiter du Pro-Patria, seul courrier faisant le service, chaque quinzaine, entre Saint-Pierre et le continent américain, vous n’avez pas une minute à perdre, vous n’avez que du dimanche au mardi.
A New-York, le samedi après-midi,rien ne va plus jusqu’au lundi. Les bureaux, les agences, tout est fermé.Les trains ne roulant pas le dimanche, on est forcément accroché
soit à New-York, soit à Boston ou à Truro ; Il est donc de toute impossibilité de faire en vingt-quatre heures un voyage qui en exige quarante-deux, et l’on arrive à Halifax ou à North-Sydney pour apprendreque le navire subventionné 100.000 fr. par an, s’il vous plaît, est parti la veille ou le matin sans attendre.
Il y a bien un remède, mais il est trop simple c’est d’exiger de l’armateur-entrepreneur de ne partir que le mercredi, pour permettre aux voyageurs d’arriver. Somme toute, la subvention devrait être allouée pour la poste et les voyageurs, car l’on nep eut exiger d’un individu qu’il soit jeté du navire dans le train comme un sac de dépêches !
Mais avant de s’embarquer sur le Pro-Patria
que de changements de train ! A Boston d’abord. Juste le temps de traverser laville pour courir à l’autre gare, prendre un café exécrable,et sauter dans le train jusqu’à Saint-John (New-Brunswick). Nouveau déménagement et la nuit au milieu de gens qui ne comprennent pas un mot de français; c’est commode ! Un sleeping est alors nécessaire et moyennant un half dollar (54 sous) le nègre, le pullman installe convenablement son client.Bien entendu ce petit pourboire n’est pas compris dans les deux dollars, prix de votre sleeping.
A Truro, réveil et station assez longue, près de trois heures. Entre temps, on peut visiter la ville et prendre un déjeuner dans un restaurant de tempérance, beefsteack, potatoes, butter and coffee et de l’eau à volonté.
Que de souvenirs pénibles s’éveillent en traversant le Canada ! Ah ! qu’elle est loin alors cette entente cordiale! Enfin, après toute une journée, on arrive à North-Sydney ou Halifax.
Avant de quitter le train, quelques conseils gratis à tous ceux qui devront à leur tour venir à Saint-Pierre. Apprenez l’anglais,c’est indispensable. Méfiez-vous de la douane de New-York. Prenez des sleepings de New-York à Boston et de Saint-John à Truro et soyez attentifs aux heures des Dining-Car, si vous ne voulez pas rester sans manger.
Le Pro-Patria
qui fait le service entre St-Pierre et Miquelon et le continent américain part de North-Sydney pendant l’été et de Halifax en hiver. Il met donc soit seize à dix-huit heures dans le premier cas, soit dans le second trente-six heures.
Évidemment, ce petit steamer ne rappelle pas le transatlantique.Le voyage est d’ailleurs heureusement plus court et c’est à peine si l’on a le temps d’être malade. On est bientôt en vue, si la brume n’est pas trop épaisse, d’un rocher gris, dénudé, c’est Saint-Pierre.
Saint-Pierre.
Une série de mamelons apparaît, tandis que défilent d’abord sombre et nu l’îlot du grand Colombier, puis l’île aux Vainqueurs et l’île aux Chiens. C’est le commencement de la rade. Trois passes en ouvrent l’accès, celle du N.-E.,la passe aux Flétans et la passe du S.-E. Longue de plus d’un mille, la rade s’arrondit vers le sud et prend fin à l’île aux Moules. C’est entre cet îlot et la pointe aux Canons qu’est situé le port de Saint-Pierre,appelé Barachois. Depuis plusieurs années on y travaille de façon
à augmenter sa profondeur et élargir son entrée. Actuellement la hauteur de l’eau à marée basse est de 3m. 50 et de 5m. 50 à mer haute.
Durant l’hiver, 210 goélettes de pêche sont désarmées et y séjournent. Elles y sont en toute sûreté. C’est un spectacle curieux que cette forêt de mâts recouverts de neige, aperçue dans le fond du Barachois.
En 1902, les bâtiments métropolitains, locaux et étrangers ont produit dans le port de Saint-Pierre un mouvement de 2.532 entrées, de 2.539 sorties et de 267.327 tonneaux de jauge.
En 1903, le mouvement est le suivant :
Entrées.
§
Navires | Tonnage | Equip. | |
Bâtiments métrop… | 503 | 67.248 | 10.858 |
étrangers …. | 899 | 32.517 | 5.438 |
locaux ….. | 1.186 | 31.845 | 12.987 |
2.588 | 131.610 | 29.283 |
§
Sorties.
§
Navires | Tonnage | Equip. | |
Bâtiments métrop… | 503 | 68.031 | 10.760 |
étrangers.. | 897 | 32.377 | 5.424 |
locaux… | 1.209 | 32.819 | 13.361 |
2.609 | 133.227 | 29.545 |
§
La villede Saint-Pierre est bâtie sur la partie du littoral qui longe la rade etcontourne le Barachois. Les quais sont vastes. Le quai La Roncière estune large place entourée des principales maisons de commerce. Au milieus’élève une fontaine où durant la saison de pêche seréunissent les armateurs pour y causer « morue » ; c’est lerendez-vous de la « Pompe ».
Presque toutes les maisons sont construitesen bois. Si elles offrent un excellent aliment au feu, elles permettent aux habitantsde mieux se défendre contre le froid. De terribles incendies ont dévasté
la ville. Le dernier est celui du 1er novembre 1902, dans lequel furent brûlésl’église et le palais de justice.
Les rues sont larges, mais en revancheelles sont mal pavées, ou, pour mieux dire, ne le sont pas du tout. Lesol caillouteux et accidenté et l’état précaire des financesde la commune n’ont sans doute pas permis d’entreprendre un travail de luxe.
Climat.– Le climat est froid, même assez rigoureux. Les hivers sont longs et lesétés manquent de chaleur. Le thermomètre descend quelquefoisau-dessous de -29°.
Dès la seconde quinzaine de novembre, la neigetombe et la couche qui recouvre la terre s’épaissit chaque jour, se durcitet ce n’est qu’en avril ou mai que l’on revoit le sol. Les plantes engourdiesdorment leur long sommeil d’hiver sous ce manteau glacé.
Lorsque les vents du nord ou nord-est soufflent, il se produit des tourmentes qu’on nomme ici le Poudrin.
Comme une poussière impalpable la neige est lancée.Elle aveugle, elle pénètre dans la bouche, les narines, elle étouffe,elle empêche de respirer, elle asphyxie ; Le Saint-Pierrais ne sort jamais un jour de poudrin. Il est impossible de voir sa route, de se diriger ;Au lendemain d’un jour de poudrin, la neige amoncelée en certains en droits exposés aux vents atteint la hauteur d’un étage.
Ceux que leurs fonctions ou leurs occupations appellent au dehors ces jours-là,ressemblent à ces gravures représentant le bonhomme de neige, apportant pour la Saint-Nicolas des jouets aux petits enfants bien sages.
Comme le simoun au désert le poudrin a ses drames.
Deux hommes, il y a quelques années, disparurent engloutis sous la neige dans une tempête de poudrin.Ce ne fut que bien longtemps après, quand la neige eut disparu, qu’on découvrit leurs corps raidis et conservés intacts sous la glace.
La vie à Saint-Pierre.
Il serait inexact de prétendre que Saint-Pierre est une colonie. On n’y vit point de cette vie coloniale, large qui influe à tel point sur l’esprit et les moeurs des coloniaux qu’ils se sentent mal à l’aise, souffrent quelque peu dans les petites villes de France durant leurs vacances. La vie ici ressemble en tous points à celle que l’on mène en une petite sous-préfecture de France ; On vit à l’étroit, le voisin surveille son voisin. Tout gèle en ce pays, sauf les bonnes langues ; Dame ! que faire sous la neige, sinon quelques potins !
L’Hiver.
Le Patinage. Cependant on y danse fort, on y patine avec ardeur et l’on y patine bien., le doute même que l’on rencontre soit au « Cercle des patineurs », soit au «
Palais de glace », patineurs plus adroits, patineuses plus gentilles.
Dèsque le temps s’y prête, le Rink ouvre ses porte. Un abonnement est obligatoire,on n’est point select sans cela. Dans la matinée ou dans journée,débutants et élèves se lancent. On se fait aux chutes etaux éclats de rires de la galerie qui accompagnent chaque pelle. On serelève sans humiliation et presque toujours sans douleur.
Les soirées de gala, on patine le « Lancier » et, ma foi, ce quadrille patiné
est bien plus gracieux, bien plus élégant, que ce lancier officiel et rigide que l’on est souvent obligé d’accomplir à la préfecture ou au gouvernement. Évidemment l’orchestre est inférieur aux danseurs: par ces temps de glace, les notes se gèlent et la mesure s’en ressent un peu.
Autour de Saint-Pierre, chaque étang se glace dès les premiers froids ; Tous ceux qui n’osent s’offrir un abonnement on qui aiment mieux le patinage au grand air s’en donnent à coeur joie, Pour ma part je préfère ce sport au patinage sous ce hangar qu’on baptise pompeusement rink. La brise qui siffle aux oreilles, les rires qui accompagnent les chutes des novices, tout cela vaut bien les notes risquées du piston et les accompagnements timides du sournois baryton.
L’Eté.
LaChasse. – Bientôt les neiges ont disparu, la glace est fondue. Adieupatinage ! adieu traîneaux ! adieu glissades du haut de la colline ! L’heurede la chasse sonne.
Si le gibier est devenu rare à Saint-Pierre, sila perdrix et le lapin ont à peu près disparu, il s’en trouve encorepas mal à Miquelon et dans les plaines de Langlade, et nos nemrods saint-pierraiss’y livrent parfois à de véritables hécatombes.
La perdrixlagopède (Tetrao galopus) [1], telle est la variété
que l’on trouve dans les plaines de la petite Miquelon ; Elle est deux fois grossecomme celle de France. Entièrement grise durant l’été, elledevient blanche quand arrive l’hiver.
On chasse la perdrix au chien d’arrêt; Les pointers et les saint-germains résistant difficilement au climaton a généralement l’épagneul. L’espèce préféréeest le setter irlandais ou le gordon.
Le lapin se partage avec la perdrix leshonneurs de la chasse.
Mais est-ce bien un lièvre ou un lapin ? Il n’est,je crois ni l’un ni l’autre. Il n’est point lapin disent les uns, puisqu’il neterre pas. Et l’on trouverait plutôt un Andalou sans guitare qu’un lapinsans terrier.
Lièvre, il semble en avoir les allures, sauf la grosseur.Les naturalistes qui sont, en général, gens de ressources et onttoujours un nom à donner l’ont baptisé lepus silvaticus[2]. C’estpeut-être en souvenir de ce baptême qu’en hiver il revêt unefourrure blanche.
Du printemps en octobre, on trouve des bécassines,des chevaliers, et des canards sauvages ; Parfois, à Langlade, on tue desoiseaux sauvages, oies du Canada (Anas canadensis) [3]
A Langlade, les sapinièressont remplies de merles et d’autres petits oiseaux, auxquels le chasseur bredouilleou le novice fait parfois les honneurs d’un coup de fusil.
Pêche auxtruites. – La corporation des pêcheurs de truites est plus nombreuseencore que celle des chasseurs ; Quand vient l’été et ses beauxjours, le Saint-Pierre, commandé par le sympathique Frank, transporte à
Langlade « l’armée des gaules ».
La truite pêchéeà Miquelon et à Langlade est saumonée ; Est-ce le plaisirde les prendre ? je les ai trouvées meilleures que partout ailleurs.
Siquelques chasseurs ou pêcheurs désiraient plus amples détails,ils pourraient consulter le livre de M. Maurice Caperon : Pêches et chassesaux îles St-Pierre et Miquelon. Ils trouveront, dans cet ouvrage pleind’intérêt, un peu de science, juste ce qu’il faut pour n’êtrepoint pédant, et beaucoup d’esprit et d’humour.
Administration.
A proprement parler, St-Pierre et Miquelon ne sauraitêtre considéré comme une colonie ; c’est un lieu de pêche,un port. Aucune question vraiment coloniale à débattre, seulementdes questions d’ordre purement maritimes, de l’armement ; Pourquoi dèslors nous avoir appliqué un système d’administration coloniale coûteuxet superflu ?
A la tête de la colonie est placé un gouverneur; celui-ci est entouré d’un conseil privé composé : du chefdu service administratif, du chef du service judiciaire, d’un conseiller privé.Le décret du 4 avril 1903 a fait entrer le chef du service de l’intérieurdans le conseil privé.
Le conseil général ayant été
supprimé, on a créé un conseil d’administration, composédes membres du conseil privé, augmenté du maire de Saint-Pierreet du président de la Chambre de commerce.
Le service de l’intérieura été supprimé, et l’on a laissé à la têtede ce service un simple chef de bureau, auquel le gouverneur peut déléguerune partie de ses attributions.
Le ministre n’avait pas cru devoir, en raisondu peu d’importance de notre possession, créer un secrétariat général.
La justice est rendue par une conseil d’appel composé d’un magistrat,président de deux membres pris parmi les fonctionnaires, licenciésen droit de préférence. Ce conseil connaît de l’appel formécontre les jugements de première instance, civils, commerciaux ou correctionnels; il statue comme tribunal criminel avec l’adjonction d’assesseurs tirésau sort, sur une liste établie annuellement.
Une justice de paix a étéinstituée, connaissant des affaires civiles dont le principal n’excèdepas 50 francs ; elle juge aussi en matière de simple police.
Le procureurde la République, chef d’administration, est chef du service judiciaire.
l’Administration du service administratif est placée sous la directiond’un commissaire des troupes coloniales.
Le commissariat de l’inscription maritimeest confié à un commissaire de 1ère classe des troupes coloniales; Celui-ci est aussi président du tribunal maritime commercial.
Un hôpitalmilitaire reçoit, outre les fonctionnaires des diverses administrations,les gens de mer. A la tête du service de santé, il y a un médecin-majorde 2e classe des troupes coloniales, qu’assiste un médecin aide-major de1ère classe.
La perception des impôts est assurée par untrésorier payeur. La police et la sûreté généralessont exercées par un commissaire de police et par la gendarmerie.
Leculte est servi par un supérieur ecclésiastique, deux vicaires et4 desservants.
Enfin, autour de ces chefs d’admi-nistration, il y a une multitudede fonctionnaires peu occupés ou surchargés de besogne, suivantles services. Le gouverneur et son secrétaire coûtent à lacolonie, suivant l’aveu du budget, et celui-ci ne dit jamais tout, 12.787 fr.50.
Le chef du service de l’intérieur prend au budget la somme rondede 8.500 francs. Avec le personnel de ce service, il coûte donc 24.450 francs.
Et ceci, sans compter certaines allocations non dues, soit donc le chiffrede 68.487 francs à extraire du budget, annuellement, pour un seul et mêmeservice, car le service de l’intérieur n’existe plus légalement.Toutes les attributions des anciens directeurs ont été donnéesau gouverneur qui les exerce lui-même ou, pour se reposer, les délègueau chef de bureau chargé du service de l’intérieur.
Il est donccertain que pareil chiffre est colossal et hors de proportion dans un budget quiatteint 115.000 fr. pour tous ses services administratifs, et 750.000 fr. ; pourses dépenses de tous ordres ;
Par ces temps mauvais, le déficitest énorme ; la colonie est à l’agonie, elle ne peut supporter pareilfardeau. La caisse de réserve est à sec. L’avenir est sombre, aucunerentrée en perspective. Le dépôt du bilan s’impose, c’estla faillite !
Il n’est pas de colonie qui puisse résister à semblablefléaux : « régime mal conçu, administrateurs incapablesou imprévoyants ».
Il faut donc adopter un régime d’économie,faire des réductions, non pas sur les traitements des petits, des humbles,sur les gratifications d’expéditionnaires ou de plantons, mais sur lesemplois doubles et inutiles.
Aujourd’hui, le chef du service administratifest un commissaire à cinq galons. Il pourrait bien, en un pays où
l’armement joue le principal rôle, où son service est le plus important,prendre les rênes du gouvernement. Bénéfice 25.000 fr. paran, en laissant à ce fonctionnaire les 5.000 francs de frais de représentation.
Et qu’est-il besoin d’un chef du service de l’intérieur qui joue ausous-gouverneur et se croit les pouvoirs d’un secrétaire général? Un chef et un sous-chef du secrétariat du gouverneur peuvent suffireà assurer la marche de ce service, un sous-chef de bureau et un commisprincipal peuvent bien remplir des fonctions qui n’exigent pas, ici, une scienceprofonde de l’Administration !
Facilement, une réduction de 30.000 francsau minimum peut être faite sur ce chapitre. Sans compter l’Instruction publique,pour laquelle on n’a rien fait ou presque rien et pour laquelle on ne fera rien,parce qu’elle est devenue laïque ; sans compter les travaux publics, la coloniesupporte un budget de 460.000 francs. Bien entendu, je ne fais pas entrer danscette somme les dettes exigibles, 41.446 francs, les subventions, 46.058 francs,chauffage et éclairage au service local, 10.000 francs, etc.
Tout celapour une population de 6.482 habitants.
Il est vrai que sur ce nombre il ya 1.367 fonctionnaires et leurs familles.
Puisqu’à l’heure présentenotre possession de l’Amérique du Nord occupe l’attention du monde politiqueet si, grâce à l’entente cordiale, nous obtenons l’abolitiondu bait-bill, il faut examiner de près les rouages de notre administration,y apporter telle modification qui sera jugée utile. Si même, ainsiqu’on le prévoit, des administrateurs de la marine sont envoyésici, il y aura lieu de voir si la direction de la colonie ne pourra leur êtreconfiée. Ce serait une réforme et utile, et bien accueillie.
Desadministrateurs de carrière sont plus à l’abri des influences politiques.Ils savent que l’accomplissement du devoir et non les complaisances ou les compromissionsgagne l’estime des chefs et conduit à l’avancement ; Un attentif examendu budget, une surveillance active des actes de l’Administration sont indispensablesdès maintenant, si l’on veut éviter la ruine de notre colonie. ;Elle est saignée à blanc par certains, elle paie des subventionsfort élevées et nullement justifiées ; en échange,elle reçoit des services facultatifs ou fantaisistes, elle est liéepar des contrats faits par elle, mais contre elle !
N’abandonnons pas cettepépinière de marins, cette source de notre fierté nationale,de notre marine. Un effort, un simple effort bien conçu et opportun nouspermettra de sortir de cette situation difficile.
L’Archipel est divisé
en trois communes : Saint-Pierre, l’île aux Chiens et Miquelon.
M. GustaveDaygrand est le maire de Saint-Pierre.
Historique.
Quelquesrochers perdus sous la brume, battus par l’océan, voilà tout ceque nous avons su conserver de notre ancienne splendeur dans l’Amériquedu Nord ; deux îles, St-Pierre et Miquelon, dernier morceau d’un domainequi, si les esprits mieux éclairés et moins inconstants en avaientsoupçonné l’incontestable richesse, devrait être encore nôtre.
De toutes nos possessions coloniales, il n’en est point, je crois, qui aitconnu autant de vicissitudes que ce petit Archipel tour à tour françaiset anglais, reconquis et cédé. Malgré les prétentionsde Cabot (1497), ces îles furent, dès le XIe siècle, visitéepar les Danois ou les norvégiens. Les Basques y vinrent pêcher dèsle XIIIe siècle et lorsque Jacques Cartier y fit un voyage en 1535, iltrouva bon nombre de pêcheurs et marins de France et de Bretagne. Mais l’importancede la pêche à la morue ne commence qu’avec la fondation de nos établissementsau Canada vers les années 1604 et 1605.
Dès 1702, les Anglaisenvoient une escadre détruire le petit fortin de Saint-Pierre, armé
seulement de six canons. Beaucoup d’honneur pour six canons ! Par le traitéd’Utrecht (11 avril 1713), l’Angleterre s’emparait de toute l’Acadie, de Terre-Neuve,nous laissant seulement l’île du Cap Breton, et le droit de pêcheret sécher le poisson sur certains points de la côte.
L’îledu cap Breton devint le centre de nos pêcheries et le point de ravitaillementde nos escadres. la guerre de Sept Ans nous enleva toutes nos possessions de l’Amériquedu Nord et le Canada. Nous ne conservions que les droits de pêche et desécherie reconnus par le précédent traité d’Utrecht.
Les îles St-Pierre et Miquelon nous furent rétrocédéespar le traité de Paris du 10 février 1763.
Des établissementsde pêche s’y formèrent bientôt. Et tous les Acadiens venuspour demeurer sous la domination française s’y installèrent de façonsédentaire.
Mais bientôt (1778) l’amiral anglais Montagne détruisaitde fond en comble l’Archipel et s’en emparait après en avoir chassé
les habitants.
Le traité de Versailles (1783) nous les restituait encoreune fois, mais sans les conditions humiliantes du traité de Paris de 1763,c’est-à-dire avec le droit d’élever des fortifications.
Nos voisins de Terre-Neuve ont toujours soutenu que tel n’était pas notre droit, et que les conditions humiliantes du traité de 1763 subsistaient. Si l’apparence semble leur avoir donné raison, ce n’est point par obligation, mais bien parce que l’installation de forts et l’entretien d’une force armée à Saint-Pierre ne sont d’aucune utilité ; d’ailleurs un fortin fut élevé et armé pendant la guerre de Crimée ;
Ce dernier traité fixa en outre les limites de nos droits de pêche sur la côte de Terre-Neuve tels qu’ils étaient stipulés dans le traité d’Utrecht.
Mais il n’est, dit le proverbe, pire sourd que celui qui ne veut entendre, et des conflits surgissent à tout instant. Quoi qu’il en soit, en prenant à la lettrel es prescriptions de 1783, toute discussion est impossible. Mais il n’est point de traité, si clair fût il, qui soit à l’abri de contestations,quand l’autre partie est anglaise. Nos voisins de Terre-Neuve affectent de prendrep our un droit la tolérance accordée à quelques sujets britanniques de s’établir sur le French shore. L’entêtement britannique(fides punica) devait fatalement triompher là encore.
En 1793, une escadre anglaise s’empara de Saint-Pierre. Les habitants furent transportés à
Halifax, de là en France ; Les Terre-Neuviens s’y installèrent.Le 27 mars 1802, à la paix d’Amiens, l’Archipel nous était rendu.Nous le reperdions en mars 1803, quelques mois à peine après en avoir pris possession.
Enfin, en 1814, par le traité de Paris, nous rentrions en possession de nos îles St-Pierre et Miquelon et nous retrouvions nos droits de pêches tels qu’ils étaient établis autrefois.
Le gouvernement y expédia quelques familles de pêcheurs, rapatriales vieux Acadiens qui avaient connus les horreurs de l’exil.
Depuis cette époque, les îles de St-Pierre et Miquelon n’offrent rien de particulier à l’histoire ; Elles se développent lentement, malgré les sinistres maritimes et les incendies qui, en 1865-1867-1879 ont détruitSaint-Pierre.
Ainsi que nous le verrons plus loin au chapitre pêche,l’existence de cet Archipel est subordonnée à l’abolition du baitbill. Il semble résulter de l’accord franco-anglais que le baitbill est aboli au French shore, mais il n’y a jamais été
établi. Cet accord nous donnerait donc des droits qui n’ont jamais étéc ontestés, nos droits sur la « côte des traités »; ce qu’il faut obtenir en échange de nos abandons territoriaux, c’estle retrait par le par parlement de Terre-Neuve du bait bill qui défendaux Terre-Neuviens de venir à Saint-Pierre nous apporter du hareng. Enoutre, nous devons prétendre sur toute la côte de Terre-Neuve aux mêmes droits que les autres puissances.
Somme toute, nous abandonnons des droits. En échange, qu’on nous offre une compensation, celle de jouir des mêmes faveurs que les Américains. Ce sera pour l’Angleterre une occasion de prouver qu’elle entend mettre fin à cet esprit d’hostilité
qui demeure encore chez les gens de Terre-Neuve, qu’elle veut faire cesser ces taquineries qui durent depuis trop longtemps.
Il est de première importance que les intéressés français luttent avec énergie pour obtenir le règlement équitable de cette question qui ne semble pas résolue à notre avantage dans le récent traité, ni dans les lettres interprétatives qui ont été échangéesentre les deux gouvernements à ce sujet.
La pêche.
La morue
Sans la morue, Saint-Pierre n’a plus sa raison d’être; Ici tout est par la morue, tout pour la morue ; Mord-elle, tout va. Ne mord-elle pas, rien ne va plus !
La morue est cause de tout ; elle crée la joie, la richesse, le luxe, fait naître la consternation, sème la ruine,la misère.
C’est le meilleur et le pire des poissons. Aussi dans quelle anxiété vit-on aux débuts de chaque année de pêche!
La campagne sera-t-elle bonne ?
On interroge les vieux, on consulte tous les oracles : oiseaux, vents, nuages.
La campagne de pêche ne dure que quelques mois de l’année, elle va du printemps en septembre. Dès cette époque, la saison est trop rude et trop dangereuse pour les hommes.L’armement coûte trop d’aléas. Les coups de vent fréquentset subits causeraient à coup sûr des dommages que la pêchene pourrait compenser. Donc, l’hiver fini ou vers sa fin – car à Saint-Pierrel’hiver ne cesse point – aux premières lueurs d’un printemps relatif, l’arméedu banc débarque à Saint-Pierre. Elle arrive par les bateaux ditsde printemps. On la recrute un peu partout à Saint-Brieuc, Saint-Malo,Dinan, Paimpol, et dans d’autres quartiers de la côte bretonne. Tous cespêcheurs viendront s’ajouter aux Saint-Pierrais et aux hivernants. Cetterace de pêcheurs est une rude race. Rompu à toutes les fatigues,fait à toutes les épreuves, habitué à tous les dangers,ce pêcheur accumule en lui toute l’énergie, le courage, la patienceet l’abnégation qu’il est possible à l’homme de posséder.Le dédain de la mort lui donne la soif du péril.
Cette écoledu banc est une rude école. On y apprend les colères de l’océan,les rages des vents ; on y devient marin, on s’y fait homme.
Et nos pêcheursdu banc deviennent les valeureux mathurins de nos équipages de laflotte. Marins enviés, marins redoutés, ces petits pêcheurssont donc une de nos gloires, de nos fiertés nationales.
Pêcheurs.
F
Bordeaux …..{ 1120 30 RGranville ……{ 4489 109
A La Houle …..{2150 51
35 4.066 1.004
N Port de Bouc{ 2501 81
C St Malo……..{262.797 733
Bancs de Terre Neuve
268 288217.605total général de sorties503 68.03110760 Navires entrés et non sortis
6312159
navires entrés en 1902 et sortis en 190361.09561
Armement. – L’armement est métropolitainou local.
Il y a à distinguer entre tous ces armements ceuxqui se font avec salaison à bord, et ceux dits avec pêche et sécherie.Ces différences ont non seulement leur importance au point de vue du nombred’hommes à embarquer, et de la prime d’encouragement. – mais aussi à
cause de l’obligation de rapporter toute la pêche en France sans pouvoirla débarquer à Saint-Pierre. Les navires armés avec sécheriepeuvent au contraire décharger leurs morues dans la colonie et la livrerà l’habitation.
On entendu par habitation l’ensemble des magasinsentourés d’espaces de terrain garnis de galets ou de pierres ; Ces espacessont appelés graves ; Des jeunes garçons, appelés graviers,y étalent la morue, la font sécher.
L’armement local est représenté
par la goëlette de 90 tonneaux environ, avec 16 hommes d’équipageet 6 doris.
Le doris est une embarcation à fond plat, qui possèdedes qualités nautiques étonnantes ; il tient la mer d’une façonextraordinaire ;
On a rencontré, au large, en dérive, ou, àla suite de naufrage, des doris qui avaient résisté à deviolentes tempêtes. Les doris s’emboîtent les uns dans les autres,ils n’encombrent pas sur le pont.
Ne pourrait-on imposer aux navires transportantdes passagers en grand nombre, quelques doris, en cas d’accident ?
La petitepêche. – Enfin, il y a la petite pêche; celle-ci se fait le longdes côtes dans un wary ou en pirogue. Le petit pêcheur part le matinet rentre le soir. L’île aux Chiens et Miquelon sont les centres des petitspêcheurs. Ce n’est pas la classe la moins intéressante que celle-là.A Saint-Pierre il y a le village de Savoyard.
Départ. -Avant leur départ, les goëlettes locales doivent subir une visite.A cet effet chaque année, des experts sont désignés par leprésident du tribunal ou le juge suppléant. Ceux-ci doivent s’assurerde la navigabilité des bateaux.
Chaque navire allant au banc doit êtrepourvu de coffres à médicaments et chaque doris doit avoir son compaset son approvisionnement d’eau et de vivres. La goëlette armée, lesexperts délivrent leur certificat de navigabilité. Le commissairede l’inscription maritime expédie. L’appareillage commence.
Sur le banc
Le départ des goëlettes est,on le pense bien, un gros événement à Saint-Pierre. Commetous ces spectacles qui ont pour cadre le ciel infini et l’océan sans fin,ce départ offre une telle simplicité qu’on se sent ému, impressionné.
Pas de manifestations bruyantes, pas de pleurs, pas de sanglots, mais des baiserscourageux, des baisers d’amour, d’affection, qui ne veulent point être lesderniers, au départ de chaque goëlette.
Les voiles se hissent,la brise gonfle la toile et bientôt dans l’horizon a disparu la goëlette,comme un oiseau aux ailes blanches.
Arrivé sur le banc, le patron établitson mouillage. Que de précautions à prendre ! Il faut éviterde chasser, il faut tout prévoir, être paré à tout.C’est qu’avec un océan aussi capricieux, on ne peut répondre dela minute qui va suivre.
Les lignes gréées d’empies etd’hameçons sont placées dans des mannes. Ces lignes assujettiesles unes aux autres s’appellent tanti. Une goëlette à six doriscompte près de 12.000 hameçons, qu’il faut boëtter ou amorcerchaque jour. Chaque homme boëtte ses lignes.
Une fois boëttéeset lovées, c’est-à-dire enroulées avec ordre, les lignessont placées dans le doris. L’on va tendre les lignes. Tandis que les hommesdu doris nagent vigoureusement dans le vent, le patron jette l’ancre attachéeautour du tanti qui se dévide. Les deux extrémités du tantisont indiquées par une petite barrique que surmonte un petit pavillon quipermettra de reconnaître les lignes de chaque goëlette.
On tendles lignes vers le soir et dès le lendemain matin avant le jour, chaquedoris va relever ses lignes. Le poisson est décroché à mesurequ’il se présente.
Chaque doris regagne le bord avec sa marée,sa pêche. Le patron inscrit sur un carnet ce qu’à apporté
chaque embarcation.
Aussitôt, sans perdre de temps, on éventrela morue jusqu’au nombril. Les détritus, sauf le foie et les rogues, sontjetés à l’eau on décolle la morue, on lui arrache la tête.
Éventrée et décollée, on la passe au trancheur.Quel artiste, ce trancheur ! En un clin d’oeil il a, de sa main gauche gantéede cuir, saisi la morue, tandis que son autre main, armée d’un couteaula fendait jusqu’à la queue et enlevait la moitié de l’arêtedorsale.
Débarrassée de son sang, plongée et lavéedans une baille d’eau salée, elle est lancée dans la cale au saleurqui l’arrime adroitement. La morue est à ce moment dite « morue verte
». Elle est transportée ensuite à Saint-Pierre où elleest débarquée à l’habitation. On la lave à l’eau demer et on la met en tas, en fumier (c’est l’expression) pendant un jour ou deux,durant lesquels elle s’égoutte.
Messieurs les graviers commencentalors leur besogne sous l’oeil du maître, – l’adjudant de l’habitation.Ils étalent sur la grave les morues et les font sécher. Le soir,ils la remettent en meules qu’ils recouvrent d’un prélart; et chaque jourmême opération jusqu’à ce que la morue paraisse suffisammentsèche.
Ainsi salée, elle est prête à toutes sesdestinées : nourriture des pauvres gens, plat des estomacs pieux, aux époquesde carême ou de vigile. Suivant les latitudes elle se sert en brandade,
à la provençale, à la hollandaise, etc.
Que de gens pensentque la morue est un poisson plat dans le genre de la sole ! Les transformationsqu’elle a subies sous la main habile du trancheur ont perpétué cetteerreur. Il faut la détruire. Ne croyez donc plus, chers lecteurs, que lamorue a quelque ressemblance avec cet habit que vous revêtez les soirs degala. Elle ressemble un peu à tout autre poisson, elle est bombéeet de forme oblongue.
Il y a morue et morue. Même en ces régionsil y a plusieurs variétés de morues. La plus belle, celle qui attirel’oeil et augmente le poids est sans contredit celle du Grand Banc, puis celleque l’on pêche au Banquereau de grosseur moyenne, enfin la petite moruedu Banc de Saint-Pierre. Cette dernière est la moins belle, mais elle estla meilleure, elle se contente de mériter les éloges des armateurset des gourmets qui la placent à cent coudées au-dessus de la norvégiennequi fait cependant nos délices en France durant la semaine sainte.
Lamorue de Saint-Pierre ou de Terre-Neuve est soeur de celle d’Islande ; elle renietoute parenté avec celle qu’on pêche au banc d’Arguin. Celle-ci estune ingrate qui a quitté les eaux glacées pour descendre en deszones plus tièdes. Elle a déshonoré la famille en se faisantcouper les moustaches, emblème distinctif de la race.
La morue est commela plus jolie fille du monde, elle donne tout ce qu’elle a, sa langue, sa chair,son foie. Sa langue est le régal des pieux gourmands, sa chair, tour à
tour, délice de bien des riches ou plat substantiel des pauvres. De sonfoie on tire cette huile qui rétablit les convalescents, guéritles malades.
On recueille aussi sur les intestins de la morue les noves, espècede couennes très recherchées des marins bretons.
Les oeufs autrementappelés les rogues, sont ramassés et expédiés pourla pêche de la sardine. Les rogues des morues de Terre-Neuve ne valent pascelles de Norvège. Le poisson y étant pêché plus tard,les rogues ont pu acquérir plus de développement.
Les Bancs.- Il ne nous est pas permis d’émettre une opinion sur la formation desbancs de Terre-Neuve. Les savants ont, chacun à leur tour, donné
leur avis et, bien entendu, pas un d’eux n’a le même.
Ces vastes plateauxsous-marins qui occupent une étendue de deux cents lieues environ, se seraientformés, suivant les uns, au moyen des apports des icebergs arrachésaux zones arctiques et transportés par les courants polaires. A la rencontrede ce courant avec le Gulf stream, les icebergs, se désagrègent,la glace se fond, et les matériaux qu’elle enveloppait tombent aufond. Comme ce transport et cette rencontre durent depuis de siècles, lesfonds ont été élevés et la sonde touche entre 40 et100 mètres. Un peu plus loin ce même océan et insondable.
D’autres savants soutiennent au contraire que l’apport des icebergs est nul.Ils offriraient quelques ressemblances avec ces financiers bruyants et encombrantsqui n’apportent que leur bluff dans les constitutions de sociétés.
La formation des bancs serait due aux détritus, animaux, coquillageset matériaux entraînés par les courants et précipitésen ces parages au point de leur rencontre.
Enregistrons simplement les opinionsdu monde savant.
La boëtte. – La morue, bien que fort gloutonne,ne se prend pas à l’hameçon nu. Il faut à cette gourmandedes mets variés, suivant la saison. Dame morue a ses goûts, ses préférences.Sa gourmandise a failli nous brouiller avec nos voisins; elle fut cause, cettesalée, que l’entente cordiale ne pouvait se faire. Aujourd’hui mêmeelle dérange nos diplomates, elle occupe les cabinets de Londreset de Paris. Le ministre des Affaires étrangères se fait interviewerpour la morue.
Les Terre-Neuviens s’agitent. Sous ces questions de Frenchshore, de bait-bill, il n’y a pas une anguille, mais une morue.
La boëtte
est l’appât destiné à la morue, elle sert à envelopperl’hameçon.
Suivant les saisons, la boëtte varie. La moruea des goûts qu’il faut suivre, et lui offrir tour à tour, hareng,capelan ou encornet.
Le hareng. – Nul n’est censé ignorer ce qu’estun hareng. Il fait bien dans l’étalage de l’épicier avec ses refletsd’or. Vivant, il habite les parages de Terre-Neuve; desséché, dansune caque pour cercueil, il va parcourir le monde et devenir « gendarme
» ou « côtelette de poète » à Montmartre.
Je n’ai jamais su pourquoi le hareng est surnommé « gendarme ».Est-ce à cause de ses gros yeux écartés ? ou bien en raisonde ce vieil adage « que la caque sent toujours le hareng »..
D’autres le diront.
Peu m’importe pour l’instant. Occupons-nous du harengutilisé comme boëtte.
C’est surtout vers le printemps qu’on pêchele hareng à Terre-Neuve. A cette époque les harengs en bataillonsserrés, s’approchent des côtes pour roguer. Dans les grandes baiesde Terre-Neuve de leurs côtes les Terre-Neuviens placent d’immenses seines,filets mesurant parfois plus de 120 ou 150 brasses et atteignant une profondeurde 30 mètres. En un seul coup de seine, on ramasse des centaines de millede harengs. Quand le poisson donne, on peut dire avec les pêcheurs qu’ily a plus de poisson que d’eau.
Seules les baies de Terre-Neuve peuvent permettrela pêche du hareng. Les côtes de Saint-Pierre et Miquelon n’offrentpas d’abris assez profonds et la mer y est trop agitée. Cependant, lespetits pêcheurs de l’île aux Chiens placent çà et là
quelques rets. La quantité qu’ils prennent est insignifiante et ne pourraitsuffire à alimenter la pêche des goëlettes. Les petits pêcheursseuls constituent ainsi leur provision, et bien difficilement encore.
Aussifallait-il s’adresser aux gens de Terre-Neuve. Ceux-ci, dès le printemps,quelques jours avant le départ réglementaire des goëlettes,montés sur leurs toutes petites goëlettes, baptisées ici sousle nom de galopeurs, arrivaient, chargés de harengs, qu’ils vendaientcomptant à nos armateurs.
Le bon argent ou le beau doublon d’or ne restaientpas longtemps dans la poche de l’Anglais. Il laissait bien les deux tiers de savente dans nos magasins, c’était l’âge d’or de Saint-Pierre.
Maisla jalousie, l’envie inventèrent le bait-bill. Défense étaitfaite aux gens de Terre-Neuve de venir nous vendre de la boëtte; lespeines étaient sévères et capables d’effrayer les malheureuxpetits galopeurs qui risquaient de voir disparaître en une fois,bénéfice, goëlette et marchandises. Ce fut l’abstention presquetotale.
Les Anglais pensaient ainsi attirer dans leurs boutiques les beauxdoublons, ruiner le commerce saint-pierrais et par contre-coup la pêchede la morue. Saint-Pierre n’eût plus été qu’une épavefacile à obtenir.
Cependant, ce bait bill ne put arriver à
ruiner la pêche de la morue. Nous invoquâmes alors tous nos droitsdu French shore et nous pûmes ainsi, malgré les prétentionsde Terre-Neuve, nous procurer de la boëtte.
A l’heure présente,les difficultés semblent devoir disparaître. Il nous appartient deprofiter des bonnes dispositions de l’Angleterre et de jouir de cette èred’heureuse entente cordiale pour conclure de bons petits traités bien réfléchis,bien réglés, indiscutables dans l’avenir. Car cette entente cordialene peut, quoi qu’on dise, être éternelle… – Fides britannia !
Lescabinets de Londres et de Paris paraissent prêts à s’entendre.
Lestraités d’Utrecht, de Paris et de Versailles nous accordaient le droitd’élever des échafaudages et d’installer des industries de pêchesur toute la portion de côte délimitée dans lesdits traitéset nommée French shore. Nos droits sont exclusifs. Les Terre-Neuviensont, de tout temps, soutenu le contraire, mais l’Angleterre plus habile et n’oubliantpas que sa signature se trouve au bas des traités ne voulut jamais suivrele Parlement de Terre-Neuve dans ses exigences injustifiées.
Une autreprétention de Terre-Neuve, prétention qui faillit mettre le feuaux poudres, consiste à dire que nous n’avons pas le droit de pêcherle homard ni d’installer des homarderies au French shore. D’aprèseux, suivant la grammaire ou le patois de Terre-Neuve, le traité d’Utrecht(1713) ne nous donne que le droit de pêcher (To fish), c’est-à-direpêcher du poisson. Or le homard n’est pas un poisson, c’est un crustacé.
Ce qui ne devrait être qu’une boutade émanée de gens demauvaise foi est devenu un élément de discussion. La science mêmea été consultée. On lui a demandé si le homard étaitun poisson ou un crustacé et si un crustacé était un poisson.La réponse de la science a soulevé des discussions. Comme il fallaits’y attendre, la science, qui est représentée par nombre de savants,a émis cent opinions différentes. C’était fatal ! Le problèmene peut donc se résoudre.
Il appartient à la diplomatie de choisirun autre thème pour tout régler.
Il est question quant à
présent, de céder à l’Angleterre nos droits territoriauxau French shore contenus dans les traités d’Utrecht et suivants,en échange de compensation pécuniaire. Nous aurions, bien entendu,le droit de pêcher dans ces eaux, et les Terre-Neuviens aboliraient leurbait bill, c’est-à-dire que les gens de Terre-Neuve auraient ledroit de nous vendre de la boëtte, de l’apporter à Saint-Pierre.
Le
bait bill n’a jamais eu d’effet au French shore il n’y a pas lieude l’abolir où il n’a pas existé. Ce que nous devons obtenir encompensation de nos cessions territoriales, c’est l’ABOLITION TOTALE du baitbill. De cette façon notre colonie reprendrait son essor commercialet sa vitalité.
Le bait bill a pu ne pas ruiner la pêche
à la morue, mais il a porté un coup au commerce saint-pierrais,qui a perdu un client sérieux; il a aussi atteint l’armement local, devenutrop coûteux.
Espérons donc que tout s’arrangera au mieux de nosintérêts.
Lors de la discussion, nous sommes certains que le groupecolonial saura intervenir et ne laissera pas noyer dans une filandreuse questiondiplomatique les intérêts acadiens. L’éminent présidentdu groupe colonial de la Chambre, M. Étienne, qui, à différentesreprises, a donné son opinion en cette affaire, saura éviter lesacrifice que pourrait décider une Chambre incompétente sur lesquestions coloniales; nous sommes tranquilles…. Comme le hareng nous a conduitsloin ! Ne vous disais je pas que la morue occupait la diplomatie européenne?..
Le capelan. – La morue est aussi très friande de capelan.
Lecapelan est un petit poisson blanc. Sa chair est assez délicate. En mêmetemps qu’on le pêche pour boëtter, on ramasse la provision d’hiver.Mis à sécher et salé légèrement, il ressemblequelque peu à la sardine salée, la « célèbrecôtelette d’Espagne » dont se régale tout bon hidalgo et quiconstitue le beefsteak succulent et embaumant du travailleur espagnol de l’Oranie.
Le capelan, grillé, donne soif. Avec un peu de beurre et un bol de thé,il est souvent le menu de nos ménages de pêcheurs.
Ce petit poissona des moeurs bizarres et quelque peu choquantes. Sa devise pourrait être:« Courte et bonne ». C’est le boulevardier fringant et joyeux desfroides régions de nos côtes glacées. C’est le fêtardinsouciant de l’Océan. Il meurt en aimant, il aime en mourant!
Dèsla fin mai, aux beaux jours de soleil des nuées de capelans se ruent dansles baies dans les anses et, sautillant, viennent s’ébattre sur le gravierde la plage. La femelle, entre deux mâles qui l’enserrent rouléstous trois dans la vague, s’échouent gaiement, joyeusement: quelques pirouettes;la femelle reste pâmée, abandonnée, tandis que ses deux …
époux, inconstants, guidés par leurs instincts de débauche,chercheront à regagner la mer et attendront le flot libérateur,qui les reprendra et les ramènera à leurs orgies. L’infidélitéest dans la Nature.
Sur le sable, la rogue est répandue et le refluxtransporte toutes ces myriades de futurs capelans.
Mais combien restentvictimes en ces combats d’amour ! Joyeuse doit être leur mort, n’est-cepas ?
Sur la plage, ce n’est donc pas une pêche, mais une cueillette.Femmes, enfants s’y rendent en partie, c’est un amusement.
Toutefois, ce modene saurait suffire aux besoins de la pêche; il faut s’adresser à
la seine et à la sallebarde. Un beau coup de seine vaut plus de 100.000capelans.
Maintenant, pourquoi appelle-t-on capelan (c’est-à-dire capucin,suivant Mistral) un poisson aussi dévergondé? Pourquoi mêmenom avec des moeurs si peu analogues ?
D’autres peuvent le savoir et vous ledire; moi, je ne le sais, ni l’ose dire !
L’encornet. – On offre aussi àla morue de l’encornet, qui est un cousin germain du calmar, de la seiche. A certainesépoques de l’année, vers juillet, l’encornet s’annonce prèsdes côtes. Femmes et enfants, armés de leur turlutte (lingot de plombmuni de crochets) et, dans la rade, aux alentours de l’île aux Chiens, vontpêcher l’encornet.
Le seul avantage de l’encornet est de bien tenir à
l’hameçon; sa chair est ferme.
Le coucou. – Pour combattre les effetsdu bait bill, qui privait les pêcheurs du hareng, on a employé,ces temps derniers, un coquillage que l’on trouve sur les bancs mêmes, unevariété de bigorneau vulgairement appelé coucou Le coucouaurait rendu plus de services encore, si la morue exigeante, n’en avait réclamédes milliers par jour. Songez donc que chaque goëlette est armée de12.000 hameçons. Et, comme dit le mathurin, 12.000 coucous par jour, çane se trouve pas dans l’oeil d’un marsouin.
Retour à Saint-Pierre. -Au bout d’un mois environ, la goëlette lève l’ancre, elle a épuisé
sa provision de boëtte et son sel et le long-courrier qui apportera la moruepêchée est mouillé dans le Barachois, attendant son chargement.La morue fera prime sur le marché
La morue est arrimée trèssoigneusement dans la cale, bien saupoudrée de sel de Cadix, de Lisbonneou même d’Arzew (près Oran).
Il faut en effet un sel de premierordre pour éviter toute fermentation qui ferait rougir la morue et la déprécierait.Même morte, la morue est susceptible et rougit au contact d’un selinférieur.
Son déchargement fait, la goëlette retourne surle banc.
Désarmement. – Les mois de pêche écoulés.La mauvaise saison venue, les goëlettes rentrent à Saint-Pierre, leslong-courriers emportent les morues; on désarme. Tout au fond du Barachois,une forêt de mâts se dresse, immobile. L’époque des règlementscommence. Il existe une sorte de participation entre l’armateur et les matelotspêcheurs, dans la proportion de deux tiers pour l’un et d’un tiers pourl’équipage, déduction faite, bien entendu, des achats de boëtte,dans la même proportion.
Ce tiers revenant à l’équipageest réparti entre le patron, le matelot et le mousse, chacun suivant sapart fixée par les usages. Cette part est le salaire du marin, elle estinsaisissable, en vertu d’une ordonnance de 1745, restée en vigueur.
Outreces salaires, on alloue des gratifications aux pêcheurs. Celles-ci ne sontpas facultatives, elles sont inscrites et viennent s’ajouter aux salaires.
Lespêcheurs venus de France emportent avec eux leurs salaires et gratifications;ils sont réglés soit en espèces, soit par un bon sur unemaison de la métropole ou une banque. Les Saint-Pierrais ou les hivernantsfont usage du livret. Un fournisseur ouvre au pêcheur un crédit d’uneannée, payable, par privilège, sur le produit de pêche. Sitous les pêcheurs étaient bons payeurs et si tous les fournisseurs
étaient scrupuleux, cet usage aurait sinon du bon, tout au moins quelqueutilité: mais, hélas ! on cite tels armateurs qui écoulentleurs rossignols et salent leurs fournis plus qu’une morue n’en pourrait supporter.Il y a des abus, forcément.
L’institution du livret entraîne lepêcheur vers la dépense, le rend imprévoyant. Rien n’est plusdangereux pour un ménage que le crédit. Combien de ménagesd’ouvriers, même en France, hésiteraient à faire telle outelle dépense que la perspective de payer à long terme les incite
à faire !
L’intérêt que l’on doit porter à cettepopulation travailleuse de marins ordonne d’examiner de près cette question.Une administration prévoyante aura le souci de chercher la solution dece problème et de trouver le moyen de concilier tous les intérêtsen présence.
A côté du livret subsiste une vieille et anti-démocratiqueinstitution, la caution. Un français ne peut demeurer à Saint-Pierres’il ne fournit une caution, c’est-à-dire s’il ne trouve une personne quiveuille répondre de lui, en cas de maladie, etc., pour le paiement desfrais d’hospitalisation. Cette mesure, bien entendu, ne concerne que les travailleurs.Est-il admissible que, sur une portion du territoire français, un citoyen,ou une Française n’ait point le droit de résider ? A qui donc appartientce sol ? N’en est-il pas, comme tout Français, propriétaire ?
Etpuis, quelle peut être la sanction de la non observation de cette illégalemesure ? L’expulsion ! Qui peut posséder un tel pouvoir ? Chasser un Françaisde son pays …
Comme bien des colonies, Saint-Pierre renferme en ses archivesquelques monuments de ce genre. Ils ont été conçus à
des époques où l’on méconnaissait les droits du citoyen,où l’on ignorait les « droits de l’homme ». On administraitune colonie comme on malmène un peloton ou un équipage, Mais desères nouvelles sont venues et tous ces édifices d’illégalitésdemeurent. La raison en est bien simple, la voici: « Aux temps nouveauxn’ont pas correspondu des gouverneurs apportant quelque idée nouvelle,ou même quelque désir de modification nécessitée parla marche incessante du progrès social »
Primes. – Depuisla rétrocession de l’île à la France, depuis 1816, tous lesgouvernements ont accordé des primes pour la pêche à la morue.Ces primes se divisent en primes d’armement et en primes sur les produits. Outrecelles-ci, une prime de 50 francs par homme est accordée aux petits pêcheursqui se rendent au French shore. Le ministre de la marine accorde exceptionnellementune somme à répartir entre toutes les embarcations de pêcherendues au French shore. La petite pêche peut prétendre à
la prime d’armement, c’est un bienfait pour nos îles.
La morue est considéréepar le tarif général de 1892 comme produit national. La morue étrangèreest frappée de 48, 60 ou 63 francs les 100 kilos, elle ne peut lutter contreles produits pêchés en France. D’ailleurs, un décret du 30août 1877 condamnait à une amende et à la confiscation desproduits toute tentative d’introduction dans la colonie de produits étrangers.
Commerce général de la morue. – Quantités expriméesen quintaux métriques par années :
1896 | 1897 | 1898 | 1899 | 1900 | 1901 | |
M { vertes
|
528.388
|
515.187
|
493.622
|
523.592
|
625.028
|
624.975
|
O { sèches
|
11.649
|
17.647
|
19.919
|
7.604
|
13.982
|
6.112
|
R {huiles
|
15.204
|
11.487
|
12.136
|
12.381
|
17.963
|
17.614
|
U {drache
|
380
|
686
|
220
|
397
|
69
|
1.703
|
E {rogues
|
5.607
|
7.726
|
6.867
|
8.306
|
5.628
|
6.757
|
{issues
|
15.680
|
16.122
|
14.6370
|
11.980
|
21.509
|
14.506
|
Totaux |
576.908
|
569.155
|
547.421
|
564.260
|
684.179
|
671.667
|
§
Industrie. -Agriculture.
La pêche est la principale industrie, toutes cellesqui sont exercées à Saint-Pierre et Miquelon sont des industriesaccessoires à celle-ci et pour les besoins locaux.
On fabrique à
Saint-Pierre des cirés pour les marins.
Une fonderie très importante,dirigée par un homme fort habile, peut effectuer des travaux de certaineimportance.
Une biscuiterie fonctionne également depuis quelques années.
Des essais de fabrication de navires ont eu lieu. Leur construction est biensupérieure à celle de nos voisins d’Amérique mais elle n’apu prendre les proportions voulues pour des raisons multiples tenant au prix desproduits et à la fréquence des naufrages. Plusieurs cales sèches(patent slip) ont été installées au fond du Barachois etpermettent les réparations des goëlettes. Toutefois une industriequi a pris une grande extension est la fabrication des doris. Depuis nombre d’annéestous les doris se fabriquent à Saint-Pierre, on n’en demande plus à
Boston. Tous les boucauts destinés aux produits de la pêche se fontà Saint-Pierre. On a cessé de les acheter aux États-Unis.
Enfin une industrie qui aurait pu acquérir une importance énormeest à peine connue même des St-Pierrais. Une seule maison épurel’huile de foie de morue. La concurrence à bon marché lui ôtetout élan et l’empêche de se développer. Même en cesmatières il y a contrefaçon. Les huiles de foie de morue sont additionnées
à d’autres huiles, ce qui permet de les débiter à bas prix.
A côté de ces industries, on trouve des représentantsde toutes professions, depuis le charpentier, le calfat jusqu’à la modisteet la couturière qui tentent habilement de rehausser la beauté desSaint-Pierraises.
Il y a bien des cordonniers, mais on ne rencontre qu’un seultailleur pour hommes. Avis donc aux coupeurs ! En revanche, que de coiffeurs !Quelques fervents ont tenté et tentent encore de faire de l’agricultureou de l’élevage. Illusion et peine perdue. A Langlade, des essais d’élevageont été faits, mais au coeur de l’hiver on trouva les animauxcrevés de froid. On peut récolter quelques balles de foin, quelqueslégumes, choux, carottes, pommes de terre, etc. Là doit se bornerl’agriculture. La longue durée de la saison froide ne permet pas d’autrescultures.
Le bétail et la volaille nous sont apportés par les
galopeurs venant de la côte anglaise ou des goëlettes des îlesdu Prince-Édouard.
Sur la route de Savoyard, des habitants de Saint-Pierreont construit des villas autour desquelles ils font un peu de jardinage. Parmices villas et ces fermes, on peut citer à titre d’importance celles deMinier et de Paturel.
* ** *Une chambre de commerce a été
créée. Elle est régie par l’arrêté du 1er août1878. Elle a pour principales attributions :
1° De donner au gouvernementles avis et renseignements qui lui sont demandés sur les faits et les intérêtsindustriels et commerciaux;
2° De présenter ses vues sur les moyensd’accroître la prospérité de l’industrie et du commerce, surles améliorations à introduire dans toutes les branches de la législationcommerciale, sur l’utilité et la convenance des travaux publics locauxrelatifs au commerce;
3° De faire connaître les ressources du payset de préparer les envois pour l’exposition permanente des colonies ettoutes autres expositions françaises ou étrangères.
Elle
établit les mercuriales pour la perception des droits de douane de concertavec l’agent chargé des douanes (arrêté du 8 février1876).
Le détail nominatif des entrées et des sorties des navires.La nature et la quantité des importations et exportations.
Le coursdes marchandises sur la place de Saint-Pierre et les autres places de commerceavec lesquelles la colonie est en relations.
Le cours du fret et du changesur les mêmes places. La nomenclature des navires attendus.
Un arrêté
du 25 janvier 1890 accorde la personnalité civile à la Chambre decommerce des îles Saint-Pierre et Miquelon . M. Daygrand (Gustave) en estle président.
Relations postales.
Lacorrespondance d’Europe et d’Amérique est transportée chaque quinzainepar le vapeur Pro-Patria. Une subvention de 100.000 francs est allouée
à ce navire pour se rendre chaque quinze jours à Sydney ou Halifaxsuivant les époques et transporter lettres et passagers.
C’est ce navirequi fut signalé comme perdu l’hiver dernier. Il avait étépris pendant près de quinze jours dans les glaces.
Si près deFrance, à quelques heures du continent américain, nous n’avons decourrier que deux fois par mois, et nous payons 100.000 fr. Il faut avouer quec’est un peu cher !
Saint-Pierre est relié à l’Europe par deuxcâbles. L’un appartient à la « Compagnie française descâbles télégraphiques » (38, avenue de l’Opéra),l’autre à L’«Anglo-American Cable Company», qui a sonsiège à Londres.
La Compagnie française assure la communicationdirecte avec la France par son câble de Saint-Pierre à Brest.
L’Anglofait le grand tour, elle emploie la voie de Hearts Content (Terre-Neuve), Valentine(Écosse), Le Havre.
La taxe est de 1 fr. 25 par mot.
Comme on levoit par ce rapide exposé, nos intérêts dans l’Amériquedu Nord valent de ne pas être négligés, au moment où,par une heureuse entente avec l’Angleterre, la possibilité nous est offertede les régler sur des bases précises et équitables: nousterminerons donc en exprimant l’espoir que nous obtiendrons bientôt à
Saint-Pierre et Miquelon les satisfactions que la vaillante population quil’occupe et les rudes marins qui s’y rendent tous les ans, attendent depuis silongtemps.
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DOCUMENT RETAPÉ PAR Roger Etcheberry,Octobre1997.§
Notes du copieur :
[1]: Perdrixlagopède le nom de l’époque était probablement Tetrao lagopuset non galopus. nom actuel Lagopus lagopus. [2] : Lepus silvaticus :Il s’agit en fait de Lepus americanus.
[3] : Oies du Canada : maintenantBernache du Canada, Branta canadensis.30 avril 1911 (Onzièmeannée) – n° 8
Directeur : J. Paul Trouillet.Saint-Pierreet MiquelonRédaction et Administration : 19, RueSaint-Georges, Paris (IXe)