5 novembre, 2024

1936 : L’encyclopédie Coloniale et Maritime

L’encyclopédie Coloniale et Maritime

CHAPITRE V
Les Iles Saint-Pierre et Miquelon

S’il est loin d’être démontré que les Français furent les découvreurs de Terre-Neuve, il est en revanche certain que dès le début du XVIe siècle nos pêcheurs français ont fréquenté ces parages. Et quand Jacques Cartier, en 1535, reconnut les îles Saint-Pierre, il y trouva plusieurs navires  » tant de France que de Bretagne ». Vers 1604, nos pêcheurs fondèrent leurs premiers établissements sédentaires. Si la cession de Terre-Neuve à l’Angleterre par le traité d’Utrecht (1713) entraîna pour nous la perte de Saint-Pierre et Miquelon, le traité, de Paris en 1763, qui allait nous faire perdre le Canada et nos autres possessions de l’Amérique du Nord, nous les fit restituer.

C’est, en rélaité, à partir du traité de Paris que se formèrent nos nouveaux établissements de pêche aux îles Saint-Pierre et Miquelon; nombre d’habitants sédentaires s’y vinrent fixer, désireux de rester sous la domination française; la pêche et l’industrie de la morue étaient leur occupation à peu près unique. Ajoutons à cela que plus de 200 bÎtiments de, la métropole s’y rendaient chaque année, représentant 8.000 marins ou pêcheurs.

Occupées à nouveau par les Anglais lors de la guerre de l’Indépendance américaine, les îles Saint-Pierre et Miquelon nous étaient rendues en 1793(?), au traité de Versailles, et cette fois dans des conditions de pleine et entière souveraineté. Elles n’en allaient pas moins nous être arrachées une fois encore en 1773 et jusqu’à la paix d’Amiens (1802). Reperdues peu après, le traité de Paris de 1814 confirmé par le traité de Vienne de 1815 les remettait, cette fois définitivement, à la France. Dès lors, l’histoire de Saint-Pierre et Miquelon se confond jusqu’à nos jours avec son histoire économique. Sa population, de 900 habitants environ en 1820, allait passer à 1.100 en 1831, à 2.130 en 1848, à 2.915 en 1860, à 4.750 en 1870, à 5.900 en 1887, à 6.480 en 1902, le point culminant. De mauvaises campagnes de pêche provoquaient ensuite l’exode d’une partie de la population. C’est ainsi qu’en 1907 on ne compte plus que 4.760 habitants, 4.530 en 1926, 4.320 en 1931, moins de 4.000 à l’heure actuelle.

Les îles Saint-Pierre et Miquelon sont situes à six lieues environ de la côte sud de Terre-Neuve. L’île Saint-Pierre est par 46 46 de latitude nord et 56 10 de longitude ouest; – elle a 7 km.500 de long et 5 km.500 dans sa plus grande largeur ; sa superficie est de 2.500 hectares.

L’île Miquelon, séparée de Saint-Pierre par un détroit d’une lieue de, largeur environ, a une étendue plus considérable (21.530 hectares) ; elle se compose en réalité de deux parties, au nord la Grande-Miquelon, au sud Langlade ou Petite-Miquelon ; ces deux parties sont soudées par un isthme long de 9 à 10 kilomètres et très étroit dans sa partie moyenne (300 mètres environ).

Un certain nombre d’îlots dépendent de cet ensemble dont le plus important est l’île aux chiens (1.800 mètres de long sur 400 mètres de large).

La superficie totale de l’Archipel est de 24.160 hectares. Ces îles sont, à proprement parler, des rochers dépourvus de terre végétale, et si le roc ne se montre pas à nu, on ne peut appeler végétations la mince couche de verdure dont il est revêtu. En dehors de la ville de Saint-Pierre et à part quelques fermes disséminées sur toute l’étendue de l’île, le sol est en friche. Toute cette partie inculte est désignée sous le nom de la  » Montagne » et, en réalité, l’île représente bien un plateau assez élevé, d’une couleur indécise, laissant des saignées béantes de terres éboulées et de pierres émiettées.

L’île serait improductive si les habitants n’avaient cherché, à vaincre la nature ; autour de chaque maison s’étend un jardin potager cultivé avec sollicitude. Au fond des revins circulent de minces filets d’eau qui, en avril, deviennent de petits torrents ; si l’on considère que, par suite du relief du terrain et de sa constitution physique, l’eau est constamment maintenue à la surface du sol on se rendra facilement compte de l’abondance des tourbières, qui trouvent là, les conditions les plus propres à leur développement, et de la grande quantité des étangs.

Les côtes sont maussades et désolées ; la navigation est difficile dans les eaux de Saint-Pierre et Miquelon et l’abordage n’est pas souvent sans danger. Dans toute la colonie, il n’y a que Saint-Pierre dont, la rade puisse abriter les grands navires venant d’Europe ou d’Amérique ; la rade est longue de plus d’un mille, sa passe est dénommée le Barachois, espèce de cul-de-sac autour duquel sont les établissements de commerce, et sur la rive nord de laquelle s’érige la ville de Saint-Pierre.

Simple, bourg en 1816, celle-ci est aujourd’hui une petite cité maritime. La ville a été en partie détruite par le feu à trois reprises depuis 1895. Si les rues ne sont ni pavees, ni pourvues de trottoir, Saint-Pierre est pourvue clé l’éclairage électrique, d’un réseau téléphonique et d’importantes canalisations d’eau.

Situées sous une latitude moins septentrionale qu’une grande partie de la France, les îles Saint-Pierre et Miquelon se trouvent, au point de vue météorologique, placées dans la zone froide ; c’est un climat froid et humide, rigoureux surtout par suite de la longueur des hivers, du peu de chaleur des étés et des brusques changements de température : en plein hiver, un froid de 15 à 20 centigrades est souvent remplacé par un court dégel formant verglas. Quand, l’hiver, les vents soufflent du nord, ils occasionnent ce qu’on appelle le  » poudrin » ; ils tamisent la neige, la réduisant en poussière impalpable, la font pénétrer par la moindre fissure. Quelque fois, en février et mars, les îles sont enfermées dans une ceinture de glaces opposant une barrière infranchissable aux navires ; quand ces glaces ne, se relient pas entre elles, c’est ce qu’on nomme le cremi « .

La brume est à peu près constante avec les vents de sud-est au sud-ouest ; les mois de juin et de juillet sont les plus brumeux ; les brumes peuvent durer des semaines entières sans qu’on voie, sauf à de rares intervalles, quelques échoppées de ciel.

C’est là que vit, malgré le voisinage de Terre-Neuve et de l’Amérique, une population qui conservé un cachet exclusivement français. Soumises au sénatus-consulte du 3 mai 1854 administrées pendant longtemps par un gouverneur puis par un administrateur, le décret-loi du 19 janvier 1936 a encore allégé les rouages administratif de nos îles, et comprimé les dépenses : l’or,ganisation administrative est désormais simplifiée à l’excès répondant à la fois à leur étendue restreinte, à leur possibilités fiscales et au chiffre peu élevé de la population.

Le décret du 19 janvier 1936 a prononcé la suppression des deux communes (le Saint-Pierre et de Miquelon-Langlade et a confié l’Archipel à la gestion d’un con-seil élu au suffrage universel et désignan un président; un commissaire délégué représente le pouvoir central et assure le contrôle de tous les actes locaux.

Ajoutons que déjà en 1935 avaient été supprimés la commune de l’Ile-aux-Marins et le tribunal supérieur d’appel ainsi que le tribunal criminel. Quant au budget celui-ci, qui était de 15 millions en 1932, avait été ramené à 9 millions en 1935, soit une diminution de 60 % ; malgré ces économies massives la capacité contributive de la colonie demeurait inférieure des deux tiers à ses charges (1).

Les îles Saint-Pierre et Miquelon possèdent une Chambre de commerce. Elles ont un délégué élu au conseil Supérieur des Colonies.

La pêche et la préparation de la morue sont à peu près les seules industries de la colonie. Ces immenses alluvions, qu’on désigne sous le nom de bancs, ont été, formées, suivant l’hypothèse la plus généralement admise, par suite des apports qui, depuis des milliers d’années, sont résultés de la rencontre du Gulf Streani avec le courant polaire. C’est sur ces plateaux sous-marins que la morue a établi son domaine : elle y trouve une nourriture et une température à son gré. Malgré les hécatombes faites chaque année par la campagne de pêche, la morue ne diminue ni en nombre, ni en grosseur; elle se sauve par sa prodigieuse fécondité : on a compté dans le ventre des femelles plus de 9 millions d’oeufs.

La pêche à la morue commence vers le milieu d’avril et se termine vers la fin d’octobre ; elle est pratiquée sur le Grand Banc par des voiliers et des chalutiers armés dans différents ports de France: c’est  » la grande pêche ». Elle est pratiquée sur les côtes de la colonie par des petites embarcations armées à Saint-Pierre et Miquelon, dites « warys » c’est  » la petite pêche ».

Les expéditions de pêche effectuées des ports de la métropole peuvent se faire sous trois formes d’armement différents : armement pour le Grand Banc de Terre-Neuve avec séclieries aux îles Saint-Pierre et Miquelon, armement pour les îles Saint-Pierre et Miquelon, ou enfin armement pour le Grand Banc de Terre-Neuve sans sécherie.

Le voilier pêcheur jauge généralement de 150 à 200 tonnes ; certains voiliers ont un équipage de 30 hommes.Les voiliers sont en décroissance régulière; si ceux-ci (armement métropolitain et saint-pierrais) étaient au nombre cle 426 en 1902 (2), on n’en comptait plus que 280 en 1912 ; 111 en 1922 ; 54 en 1932 ; 44 en 1934 ; quant à l’armement saint-pierrais il a complètement disparu à partir de 1915 (3).

L’apparition des chalutiers à vapeur sur les Bancs de Terre-Neuve remonte à 1907 ; l’emploi des chalutiers de fort tonnage semble se généraliser : certains, chauffant au mazout et ayant un rayon d’action considérable, jaugent jusqu’à 1.200 tonnes. Ceux-ci, qui peuvent charger jusqu’à 1.500 tonnes de poisson, déposent directement leur pêclie en France, au grand détriment du port de Saint-Pierre qui perd ainsi le bénéfice du transbordement du poisson sur les longs courriers ou chasseurs. Le nombre des chalutiers, qui était de 12 en 1912, de 30 en 1929, de 39 en 1932, est aujourd’hui de 37 (4).

Quant aux warys, canots à fond plat de deux à trois tonnes, non pontés, pour un certain nombre aujourd’hui munis d’un moteur, on en comptait dans la colonie 343 en 1913, 271 en 1920, 226 en 1930. Leur chiffre est à l’heure actuelle inférieur à 200.

A bord des voiliers et des chalutiers, la morue subit la même préparation: c’est la salaison. Une fois salée elle est arrimée : elle est ce qu’on appelle la morue verte ou inorue au vert.

La morue pêchée par les warys est préparée à terre dans des conditions sensiblement pareilles, avec cette différence toutefois qu’au lieu d’être salée immédiatement elle est placée pendant quarante-huit heures dans des récipients contenant de la saumure.

L’industrie du séchage de la morue, dont la prospérité est en sensible décroissance, consiste dans l’exposition de la morue sur les graves, vastes étendues de pierre sur lesquelles est déposé le poisson. Mais il faut du soleil, un soleil peu ardent, tempéré par une brise fraîche. Or à Saint-Pierre les beaux jours sont rares, les brumes persistantes. Aussi a-t-on recherché un mode de séchage artificiel présentant moins d’aléas et pouvant être employé en tout temps : à cet effet les maisons d’armement possèdent, à côté de leurs graves, des séchoirs dans lesquels se préparent les morues.

C’est à terre qu’on fabrique les huiles médicniales on jette les foies dans des caisses rectangulaires divisées par des cloisons perméables et ceux-ci en se décomposant forment une partie sanguine et une partie huileuse ; cette partie huileuse est fréquemment soutirée, et l’on enlève a-,,ce précaution le sanguin et les draches.

Les rogues (oeufs de la morue) s’écoulent très facilement en France o¶ ils sont employés comme appÎt pour la pêche de la sardine.

Le commerce de Saint-Pierre et Miquelon a été de 79.337.000 francs en 1935, dont 27.985.000 francs aux importations et 51.352.000 francs aux exportations (5). Nous ne parlerons pas de la répercussion d’un moment qu’a eu sur nos îles la prohibition américaine, c’est-à-dire la vente des alcools à l’Amérique sèche ; cette forme temporaire de l’activité économique de notre colonie soulève un triple problème moral, international et juridique et a un caractère plus complexe qu’on ne le croit généralement. De même, nous étudierons à part la question du frigorifique créé en 1917, en pleine guerre, à Saint-Pierre pour subvenir au ravitaillement de la population civile et à celui des armées.
G. F.

BIBLIOGRAPHIE
SAUVAGE -. La grande pêclie maritime . – H. BELLET – La grande pêche à la morue, 1901. – HERUTEL : La pêche à la rnorue à travers les siècles, 1905. – LETOUZÉ: L’industrie française de la pêche à la morue. – René MOREUX : L’industrie morutière. – Maurice CAPERON : Chasses et pêches aux Iles Saint-Pierre et Miquelon, 1887. – Dr E. DUPUY : De la pêche à la morue aux Iles Saint-Pierre et Miquelon, 1894. – RALLIER Du BATY et HABERT : -La pêche sur les bancs de Terre-Neuve et autour des Iles Saint-Pierre et Miquelon, 1895. — Louis LÉGASSE : Notice sur la situation et l’avenir économique des Iles Saint-Pierre et Miquelon, 1900. – Ferdinand Louis-LÉGASSE : L,volution économique des Iles Saint-Pierre et Miquelon, 1935.

(1) Pour le détail de la nouvelle organisation administrative, voir le Journal officiel de la Republique française du 19 janvier 1936. (2) Dont 219 pour l’armenient métropolilain. (3) Voir les différentes statistiques dans le livre de Ferdinand Louis-Legasse : Evolution Economique de Saint-Pierre et Miquelon. (4) Si les chalutiers n’augmentent plus en nombre, ils ont cru en tonnage et en puissance. Ces grands navires offrent au point de vué de la nivigation toute, sécurité ; construits en acier, ils possèdent T. S. F., goniomètre, sondes électriques. Ajoutons qu’alors que la pêche moyenne d’un voilier peut êt,ire estimée à 4.000 ou 5.000 quintaux, un chalutier peut rapporter de 20 à 25.000 quintaux ; un grand chalutier peut revenir des bancs, avec 35.000 quintaux. (4) Année 1933 : 252.791.000 francs dont 115.072.000 francs aux importations et 137.719.000 francs aux exportations. Année 1934 : 81.385.000 francs dont 21.508.000 francs aux importations et 59.877.000 francs aux exportations. On voit l’importance de la chute.

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