22 décembre, 2024

1996 – Présentation de Georges Poulet, Académie des Sciences d’Outre-Mer

Présentation de M Georges Poulet à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer en 1996.

« Et vous serez parée pour le vent Saint-Pierre et Miquelon ne sont pas des îles la montagne et la mer … qui meurent. Ce sont des îles qui n’ont jamais cessé de survivre ». (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, J. Y. RIBAULT)

SAINT-PIERRE ET MIQUELON

L’Archipel inconnu.

En 1969, me trouvant en République du TCHAD, en qualité de Chef de la Mission d’Aide et de Coopération, je me rendis avec mon épouse dans la réserve de WAZA, située de l’autre côté du Chari, en territoire camerounais.

Au poste frontière, le douanier examinant nos passeports, me dit « Tiens, vous êtes de Saint-Pierre et Miquelon »? « Oui, lui répondis-je, pourquoi »?
« Parce que, me dit-il, SAINT-PIERRE ET MIQUELON, je connais. Ce sont des îles françaises au Sud de TERRE-NEUVE, très froid, brouillard, pêche à la morue », etc… Stupéfait, je lui demandais comment il savait tout cela, et il me fit cette réponse comme si c’était évident : « Mais, Monsieur, mon instituteur ! ».

Eh oui, un instituteur français avait appris à un jeune Africain ce que bien des Français ignoraient : l’existence au bord du Canada d’un petit territoire français souvent confondu avec Saint-Pierre de la Réunion ou de la Martinique.

On raconte encore à Saint-Pierre l’histoire des mobilisés de 1914 qui furent logés avec ceux des colonies tropicales dans des casernes « d’adaptation au climat métropolitain ». Par contre, pour les Martiniquais, « aller à Miquelon », c’était, et c’est toujours, se perdre vers le grand Nord.

Destination que ne dément pas l’article récent d’un journal satirique bien connu intitulé « L’Outre-Mer des Glaces » où le Maire de Saint-Pierre se fait, par dessus le marché, qualifier de « GABIN DES GLACES ».

En réalité, îles SAINT-PIERRE ET MIQUELON sont situées à la même latitude que NOIRMOUTIER, 47° N, et Long. W 56°, à 3 800 km de la côte métropolitaine, 40 km au Sud de TERRE- NEUVE, 300 km de SYDNEY (N.S.), 1 800 km de MONTREAL, et 1 200 km de NEW- YORK.

LA DECOUVERTE : Ce choix ne fut évidemment pas celui du plus ancien découvreur connu, le Portugais Jao Alvarez FAGUNDES, qui, le 21 octobre 1520, baptisa l’île du nom de « Onze Mille Vierges ». Mirage de marin, et en même temps dévotion à Sainte Ursule et ses compagnes ! Par contre, c’est au milieu de juin 1536, que le Français Jacques CARTIER, de retour du Québec, s’arrêta à Saint-Pierre, lui donnant son nom définitif.

Elle était inhabitée. Mais Jacques CARTIER rencontra déjà dans la rade des navires « tant de France que de Bretagne », et l’on sait que, depuis la fin du XVème siècle, les Basques et les Bretons la fréquentaient en secret (pour ne pas révéler leurs zones de pêche). Les Indiens (ou les Esquimaux qui descendirent sur la côte Sud de Terre- Neuve) étaient présents par intermittence depuis fort longtemps. On a découvert il y a quelques années, à l’Anse à Henry, un site, campement de pêche probablement, comportant des hameçons, pointes à flèche, etc…, en os taillé, datés au carbone 14, d’environ 2 000 ans.

L’ANCIEN REGIME ET LA RIVALITE FRANCO-ANGLAISE : Ce n’est qu’en 1670 qu’un rapport de prise de possession de l’intendant du Québec, TALON, dénombre « treize pêcheurs tous françois et quatre habitants sédentaires, dont un Anglois parlant françois ».

En 1690, un Commandant y est délégué par le Gouverneur français de PLAISANCE, Terre-Neuve). A partir de là, l’histoire devient une longue liste de flibuste et de guerre avec pillages et incendies jusqu’au Traité d’Ultrecht de 1713. Et ce n’est qu’en 1763 Traité de Paris) que le Duc de CHOISEUL soutira à l’Angleterre la rétrocession de l’Archipel (prolongé par le French Shore), pour « compenser » la perte « des arpents de neige » canadiens. Jusqu’en 1793, les îles se peuplèrent de pêcheurs venus de France, d’agriculteurs acadiens chassés par les Anglais, et même de Mic-Mac, avec toutefois une interruption de cinq ans durant la guerre d’indépendance américaine terminée par le Traité de Versailles (1783). Le commerce se développe, d’une part avec la nouvelle République (Boston), d’autre part avec les Antilles (morue séchée – bacalao – contre productions tropicales), enfin avec la France, et jusqu’en Italie.

La population comportait une partie sédentaire d’environ 1 500 résidents, dont les équipages de pêche doublaient l’effectif durant l’été. On voit donc se dessiner les clivages d’une société dont les mouvements sont réglés par la migration saisonnière, jusqu’à l’apparition des chalutiers mécanisés au début de ce siècle.

LA REVOLUTION ET L’EMPIRE : Avec les nombreux navires qui faisaient la liaison avec l’Europe, la période révolutionnaire fut suivie de très près dans l’Archipel. En 1791, il y avait un club des Jacobins. Et CHATEAUBRIAND y faisant escale en juin de la même année (sur la route de l’Amérique), notait déjà que « le nouveau drapeau français flottait sur nos têtes », et que « le Gouverneur DANSEVILLE, officier plein d’obligeance et de politesse appartenait à la faction battue… » (les Girondins). Et le curé de Miquelon, refusant de prêter le serment constitutionnel, partit peupler les îles de la Madeleine avec ses paroissiens.

Tout cela se termina par l’expulsion de la population par les Anglais, le 15 Mai 1793, et ils n’avaient pas eu le temps de s’y installer que l’Amiral français RICHERIE brûlait la ville en 1794.

LE RETOUR : La plupart des habitants avaient choisi de rentrer en France, mais certains descendirent jusqu’en Louisiane. Ils vécurent dans des conditions d’existence assez misérables, qui s’améliorèrent sous l’Empire. En 1815, le second Traité de Paris rétrocédait l’Archipel à la France, sur la demande des plénipotentiaires français qui avaient refusé de le troquer contre l’île Maurice. En 1816, ce fût « le retour aux îles », et depuis cette date, l’appartenance française n’a plus été remise en cause malgré les nombreux conflits de pêche, la guerre de 1940, et l’élargissement des zones économiques maritimes après 1976.

Lors de mon arrivée à Saint-Pierre, le 29 octobre 1965, le Président du Conseil Général Paul LEBAILLY pouvait m’accueillir par ces mots pleins d’une fierté ombrageuse : « Monsieur le Gouverneur, on ne vous a pas attendu pour garder le drapeau français »…

L’ORGANISATION : L’existence restait cependant précaire dans ces îles inhospitalières. Certes, elles sont très fréquentées. Dès 1816, 72 navires viennent mouiller dans le Barachois. Ils seront bientôt plusieurs centaines.

Mais sous le drapeau blanc de la Restauration, ou le drapeau tricolore de la Révolution, l’Etat est presqu’inexistant, et ce n’est qu’à partir de 1860 qu’on peut parler de véritable administration, et pas seulement d’un poste militaire. En 1866 parait « la Feuille officielle des îles Saint-Pierre et Miquelon ». Une Chambre de Commerce voit le jour en 1871. Le Commandant Militaire relevant de la Marine devient un Gouverneur relevant du Ministère des Colonies en 1877.

Les Communes, créées en 1872, sont sur le modèle métropolitain. Un Conseil Général aura une brève existence de 1885 à 1895. Il menait la vie dure au Gouverneur, si l’on en juge par les compte-rendus des débats. Les aménagements portuaires sont en voie de progression.

Ces institutions locales demeurent inchangées jusqu’en 1936, avec l’émergence d’une vie politique active, l’application des lois laïques. Il faut préciser ici que, sous le régime colonial, dit « de spécialité » les lois métropolitaines n’étaient pas applicables « sauf disposition expresse ». Encore fallait-il préalablement, un arrêté de promulgation du Gouverneur qui pouvait ainsi en retarder « sine die » l’application, ce que le Gouverneur avait fait pour les lois laîques, sous la pression du clergé local.

LA PECHE ET LA MARINE A VOILES : La grande affaire restait cependant l’activité de pêche, avec tous les métiers qu’elle nécessitait. Centre de pêche locale, et port d’accueil de la pêche métropolitaine (St-Malo, Granville, Bayonne), Saint- Pierre est le lieu de préparation et de stockage de la morue avant exportation sous forme de morue « verte » salée, ou de morue séchée sur les graves, avec l’aide de « graviers », enfants de 12 à 16 ans, venus des côtes bretonnes s’échiner pour des salaires de misère à retourner les poissons de 1, 2, ou 3 « soleils ».

LES ANNEES 1880 : C’est dans les années 1880 que cette économie de pêche atteint son plein régime avec des mutations techniques augmentant la productivité : introduction de la ligne de fond (invention dieppoise), et emploi du doris (canot à fond plat d’origine indienne). Ces nouvelles techniques augmentent aussi les risques, puiqu’on ne pêche plus du pont, le navire essaimant autour de lui des dizaines d’embarcations légères inrepérables dans la brume.

Elles font, certes, la prospérité de Saint-Pierre, prospérité qui est, avant tout, celle des armateurs. Les autres, qu’ils soient marins à la part, ou pêcheurs individuels, vivent d’avances de leurs employeurs et sont toujours endettés, les remboursements s’effectuant à la Saint-Michel.

Essor, certes, mais qui n’est pas sans ombres. Il n’y a, à cette époque, ni aides sociales, ni services sanitaires. L’hygiène publique est lamentable, les maladies endémiques ou épidémiques, nombreuses et variées, de la phtisie à la fièvre jaune (importation tropicale). L’instruction, assurée par les Frères de Ploërmel, est rudimentaire. A la fin du siècle, est créée sous l’égide de l’église, une société de secours aux marins, l’Oeuvre des Mers, qui dispose d’un navire d’assistance sur les Bancs et d’installations à terre, gérées par les Soeurs de St-Joseph de Cluny.

LE DECLIN DE 1904 : A partir de 1903-1904 s’amorce un déclin, qui provoque en trois ans une émigration massive, d’environ 30 % de la population. Il y avait en 1902, 200 navires de pêche, il n’en restait que 70 en 1907.

Pour plusieurs raisons :

  • D’abord le « Bait Bill », interdiction par Terre-Neuve d’exporter à Saint- Pierre et Miquelon la « boëtte » (l’appât, encornet ou petits poissons pêchés).
  • Ensuite l’abandon en 1904 du « French Shore », après de nombreux litiges avec les Terre-Neuviens. Ce système autorisait les Français à édifier des « chafauds » ou installations de séchage, sur une partie des rivages de la grande île voisine. De nombreux Français s’étaient installés sur les côtes occidentales de Terre-Neuve, inhabitées. Il en reste aujourd’hui environ 6.000 francophones.
  • Enfin, et surtout, l’introduction des chalutiers à vapeur et à pêche latérale porta un coup fatal aux armements locaux, à l’artisanat qui gravitait autour, et au système de stockage et de conservation. La population locale se trouva marginalisée dans la petite pêche, ou entièrement dépendante de la seule société locale subsistante, après absorption de toutes les autres sociétés à majorité basque, qui tint les rênes du pouvoir économique, social, et politique durant un demi-siècle, par un jeu d’alliances et d’accords financiers.

PREMIERE GUERRE MONDIALE ET PROHIBITION : Survient la guerre de 1914-1918, où, bien qu’exemptés de service militaire par un décret du Directoire du 3 prairial, An VII, tous les hommes de moins de 35 ans furent mobilisés. Un tiers ne revint pas. La colonie vivote, servant d’escale aux pêcheurs de Saint-Malo, lorsqu’en 1922, le Président de la République (en voyage officiel à Alger), c’était Alexandre MILLERAND, contresigne un décret qui levait pour Saint-Pierre la législation protectionniste sur l’importation des alcools étrangers dans les colonies françaises. Ainsi commença « le temps de la Prohibition ». En fait la Prohibition avait été instaurée aux Etats-Unis par le Volsteadt Act, et la situation frontalière de Saint-Pierre lui permit d’exploiter à fond les conséquences de cette loi en Amérique. Une gigantesque contrebande s’organisa. L’Archipel devint, très légalement, un énorme entrepôt d’alcool, dont les taxes de débarquement, quoique minimes, rendirent florissantes les finances locales. Ainsi purent être financés d’importants travaux d’équipement. Le chômage disparut. On vit même les fonctionnaires être autorisés à faire de la manutention. La sortie des alcools était aussi parfaitement légale, et ce n’est qu’à l’intérieur des eaux américaines qu’elle devenait « la fraude ». Toute une flotille de « rhum runners » était basée à Saint-Pierre. Les caisses, vidées de leurs bouteilles qui étaient mises en sacs, servaient au chauffage ou à la construction. Quant aux sacs, ils étaient immergés dans des endroits convenus, voire même débarqués sur des côtes dont l’immensité rendait difficile la surveillance.

Tout était pour le mieux, avec cependant une pénétration inquiétante de la mafia. On montre ici aux touristes « le canotier d’Al Capone » pieusement conservé par un hôtelier local, et on raconte le don qu’il fit à l’évêque pour la réfection de la cathédrale. Et puis, ce fut subitement la catastrophe.

LA CRISE DE 1934 : 1933, fin de la Prohibition. Le Gouverneur BARRILLOT écrit à son Ministre « qu’il n’a plus de matière imposable ». Manifestations et troubles se succèdent. Le Gouvernement n’envoie plus de subsides, mais une corvette et un Inspecteur Général des Colonies qui propose « une réduction du train de vie ». En 1936, un décret supprime les Communes, remplace le Gouverneur par un Administrateur, moins cher. Il faut dire qu’à l’époque, les représentants de l’Etat émargeaient au Budget de la Colonie.

Finalement, il ne reste plus auprès de l’Administrateur qu’un état-major réduit à sa plus simple expression. La misère s’installe. Il ne subsiste bientôt plus un arbre dans l’arrière-pays, les caisses qui servaient au chauffage ayant disparu, et les habitants ne pouvant se payer le charbon de Nouvelle- Ecosse.

De nombreuses familles émigrent au Canada.

C’est dans cette situation que Saint-Pierre et Miquelon aborda la deuxième guerre mondiale. A l’armistice, la colonie reste pendant un an et demi rattachée au régime de Vichy sous l’égide de l’Administrateur DE BOURNAT. Lorsque l’Amiral MUSELIER débarque le 24 décembre 1941, avec ses trois corvettes et le sous-marin SURCOUF, il trouve une population divisée, les notables étant demeurés vichystes, mais la grosse majorité, surtout les gens modestes, étaient acquis à la France Libre (sauf à Miquelon), ce qui provoqua un incident sérieux avec les Etats-Unis qui ne reconnaissaient que Vichy. Les 25, 26 et 28 décembre, la population se prononça par plébiscite pour le ralliement à la France Libre, sauf Miquelon où il y eut 50 % de bulletins nuls. Pour remplacer DE BOURNAT renvoyé en Métropole, l’Amiral MUSELIER nomme comme Gouverneur le Lieutenant de Vaisseau de réserve Alain SAVARY, alors âgé de 25 ans. Ce fut l’origine de sa carrière politique. C’est depuis cette époque que le pavillon de la France Libre à Croix de Lorraine (inventé par MUSELIER) flotte sur la résidence du représentant de l’Etat.

Le territoire entra dans la guerre avec 550 combattants. 27 ne revinrent pas. Les Miquelonnais avaient refusé la conscription.

L’APRES-GUERRE: RETOUR DE LA DEMOCRATIE ELECTIVE : Les Communes furent rétablies dès novembre 1945. Un Conseil Général fut institué en octobre 1946, en application des recommandations de Brazzaville, et l’Archipel fut pour la première fois représenté au Parlement par un Sénateur et un Député.

L’Archipel commence à s’éveiller de sa torpeur sans espoir.

EXPANSION DE LA PECHE INDUSTRIELLE – 1950 – 1980 : Durant la guerre, la pêche avait été interrompue en raison des U-BOAT allemands. L’océan regorgeait de ressources halieutiques qui paraissaient inépuisables. La demande était considérable. C’est ainsi que l’Archipel s’installa dans une économie de pêche industrielle en expansion continue. Ce fut la mono-industrie pour une quarantaine d’années, utilisant une main d’oeuvre nombreuse et souvent peu qualifiée.

Ce fut pendant la période dite « les trente glorieuses » dans notre histoire économique. La faiblesse de la monnaie française favorisait les exportations sur le continent américain. Mais les importations venant aux 3/4 de la zone dollar, il fallut créer un fonds de compensation pour parer aux conséquences de l’instabilité monétaire, sur les denrées de première nécessité.

C’est au coeur de cette période qu’intervint la visite mémorable du Général de GAULLE, en août 1967, à bord du cuirassé Colbert, et en route vers le balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal où il jeta son fameux « Vive le Québec libre », au grand scandale de ses propres concitoyens. Il n’en dit rien lors de son passage qui fut à la fois triomphal et nostalgique, et où il laissa un cadeau symbolique, le chalutier de pêche « Croix de Lorraine ». Pourtant, lors d’une audience qu’il m’avait accordée quelques mois auparavant, une petite phrase à propos des relations de Saint-Pierre avec le Canada m’avait étonné. Je l’avais prise pour une boutade. Il n’en était rien. C’était un rappel du passé qui prit valeur de prophétie.

Quant aux Français de Saint-Pierre et Miquelon, dont quelques uns furent les premiers à le rallier en 1940, voici son opinion rapportée par M. Jacques FOCCART, dans son livre « Foccart parle » : « Il faut les supporter tels qu’ils sont et s’efforcer de les calmer. Nous ne pouvons pas ne pas les soutenir ». C’était en effet le sens des recommandations qu’il me fit, et ce fut la position de tous ses successeurs. Mais aujourd’hui, nous souhaiterions plus qu’une politique de soutien : une politique de « sursum « , comme disait Lyiautey.

L’HORIZON S’ASSOMBRIT A TRAVERS LES STATUTS : 1976 marque un tournant. D’abord le premier choc pétrolier met un terme à une croissance que l’on avait fini par considérer comme immuable. Ensuite débute la Conférence Internationale sur le Droit de la Mer dont l’une des dispositions crée au-delà de la mer territoriale une zone économique maritime réservée à I’Etat riverain et la fixe à 200 milles marins. Nous verrons plus loin les conséquences pour Saint-Pierre de ce rétrécissement des eaux internationales. Enfin, la Départementalisation que le Gouvernement d’alors projetait d’étendre à tous les Territoires d’Outre-Mer, et dont Saint-Pierre et Miquelon faisait l’essai.

DEPARTEMENTALISATION (1976-1985) : Par cette loi du 17 juillet 1976, l’Archipel passait du statut territorial fixé par le décret d’octobre 1946 et la loi-cadre dite « Gaston Deferre » de 1956-57, à celui de Département d’Outre-Mer, de la « spécialité » législative (non applicabilité sauf mention expresse) à l’application automatique (sauf mention contraire, et le Gouverneur, devenu Préfet, perdait son pouvoir de promulgation. Conçue comme une « promotion » symbolique et comme une affirmation vis-à-vis du Canada, cette réforme fut mal accueillie sur place. Sa complexité était inadaptable à une micro-structure, et l’institution d’un cordon douanier européen perturbait l’économie locale et renchérissait le coût de la vie. Il aurait fallu demander beaucoup de dérogations. Elle ne fut d’ailleurs que très partiellement appliquée. Le Département conserva l’autonomie fiscale grâce à un article spécial de la loi de finances reconduit chaque année. Elle eut cependant quelques effets positifs : statut des fonctionnaires locaux, implantation de l’EDF, intervention directe des Ministères techniques, amélioration des infrastructures etc…

Pendant ce temps, les élus s’efforçaient, non sans difficultés, d’obtenir l’accord de tous les électeurs pour proposer une autre solution.

DECENTRALISATION – STATUT HYBRIDE MAIS SUR MESURE : Ils y furent en quelque sorte aidés par la loi de décentralisation de 1983 sur les régions (une autre loi Deferre).

Finalement, la loi du 11juin 1985 donnait à l’Archipel un statut de « Collectivité Territoriale de la République », portant ainsi à quatre les collectivités à statut spécial, la première étant Paris, la seconde la Corse et la troisième Mayotte.

L’autonomie fiscale et douanière était légalisée, et quelques compétences élargies. Mais on ne revenait pas à la spécialité, la législation métropolitaine restait applicable de plein droit, sauf mention contraire. Le Conseil Général, « régionalisé » par la loi de décentralisation était transformé d’organe délibérant en organe exécutif.

Il faut reconnaître qu’au plan extérieur, la spécificité était nécessaire en raison de la proximité du Canada, car le régime départemental intégrait l’Archipel dans les limites douanières de l’Union Européenne, ce qui aurait augmenté le coût de la vie en taxant les produits d’origine canadienne, et rendu obligatoire l’application des directives européennes souvent inadaptées. A l’heure actuelle, l’Archipel se situe dans les PTOM (Pays et Territoires associés) qui est une sorte de spécialité à l’échelle européenne, mais qui permet de bénéficier de certaines aides, en vertu des Accords de Lomé, tout en gardant une possibilité de coopération régionale.

Autre particularité de Saint-Pierre et Miquelon : dans le domaine culturel, l’Archipel, comme l’Alsace, est toujours sous le régime concordataire.

Tel que, ce statut fonctionne depuis onze ans, avec parfois des tensions internes qui peuvent devenir sérieuses lorsque le Conseil Général est d’une tendance politique opposée au Conseil Municipal de Saint-Pierre, ce qui est le cas actuellement.

D’autre part, la répartition des compétences entre Etat, Collectivité et Communes laisse de nombreuses marges d’incertitudes qui rendent difficile l’arbitrage du Préfet chargé du contrôle de la légalité des actes. Une clarification s’impose.

Malgré ses imperfections, il fait parfois figure de modèle : c’est ainsi que certaines collectivités, Sainte-Hélène et Saint-Martin, ont envoyé sur place des missions d’information.

UNE ZONE ECONOMIQUE REDUITE – UNE RESSOURCE QUI DISPARAîT : Cette clarification des compétences est d’autant plus nécessaire que l’Archipel est confronté devant la crise de la pêche à l’obligation de trouver d’autres voies pour sortir du marasme économique qu’elle a provoqué.

Depuis de longues années s’est amorcée cette dégradation sous l’influence de deux facteurs que nous avons évoqués :

– d’une part l’aboutissement en décembre 1982 de la longue procédure des Nations Unies sur le Droit de la Mer. 159 pays ont contresigné la Convention. L’extension à 200 milles de la zone économique maritime, confirmée par cet acte international, a créé, pour l’Archipel, enclavé dans la zone canadienne, un problème de délimitation entre zone française et zone canadienne.

Après de longues années de discussions, un Tribunal Arbitral de New-York (10 juin 1992) a rendu une sentence peu conforme aux demandes de la France (qui voulait avoir une surface de mer poissonneuse dite 3Ps), en lui attribuant une zone de 24 milles autour de l’Archipel, et au Sud, un couloir long de 200 milles, large de 10.5 milles, au total 12 400 km². Hormis les bancs de pétoncles, cette surface ne dispose pas de ressource halieutique. Elle ne pourrait éventuellement servir qu’à des forages pétroliers.

Force fut donc de faire appel au Canada pour qu’il alloue des quotas de pêche, en vertu d’un accord du 27 mars 1972. Ce pays, très continental, a cependant porté depuis 1976 un puissant intérêt à son immense domaine maritime. D’autre part, les instituts scientifiques (Pêche et Océan, côté canadien – IFREMER, côté français) ont observé une diminution sensible des stocks par suite d’une surpêche généralisée. Depuis des années, les pêcheurs canadiens évidemment, mais aussi plus au large, les flottes espagnoles, portugaises, soviétiques, polonaises, allemandes, coréennes et françaises convergeaient dans cette partie de l’Atlantique Nord, disposant des plus riches gisements halieutiques du monde. Ce qui est arrivé était prévisible, mais les besoins alimentaires conjugués avec les intérêts commerciaux ont été les plus forts.

1993 – LE MORATOIRE CANADIEN : En 1993, ce fut l’arrêt total, baptisé « moratoire de dix ans ». La flotte de pêche saint-pierraise (six bateaux) fut vendue. Une nouvelle société franco-espagnole « Archipel SA » remplaça INTERPECHE, en s’orientant vers la transformation du poisson pêché en mer de Barentz (mais jusqu’à quand ?) et l’exploitation des pétoncles de Miquelon « Miquelon SA ».

Pour l’instant, les exportations sont quasiment nulles, alors qu’auparavant, Saint- Pierre et Miquelon se flattait d’avoir la meilleure (c’est-à-dire la moins déficitaire) balance commerciale de l’Outre-Mer.

A l’heure actuelle, une mission de la Société Française de Production (télévisuelle) prépare le tournage d’un film retraçant la Pêche sur les Bancs par les Terre-Neuvas de Saint-Malo, ou l’île-aux-Marins est à la fois une escale et un site de séchage de la morue. Eh bien, le gros problème est de trouver une quantité suffisante de morues à étendre sur les « graves ».

L’AVENIR : Alors que faire devant le désarroi d’une population habituée depuis quarante ans à considérer la pêche industrielle comme le seul moteur économique et le principal dispensateur d’emploi ?

Attendre passivement la rente de situation que verse la Métropole (et jusqu’à quand ?) considérant notre situation de garnison frontalière ?

J’ai essayé d’éviter les chiffres dans cet exposé, mais il faut bien en donner quelques-uns : en 1994, les recettes fiscales et douanières de la collectivité et des communes avaient chuté de 30 % par rapport à l’année précédente. Elles se montaient à 147 MF seulement par rapport à des dépenses pratiquement incompressibles de 266 MF. La différence était couverte par les transferts publics de l’Etat, qui, compte-tenu des investissements lourds et des transferts sociaux, sont de 340 MF, alors que la charge par foyer fiscal (1 850 foyers fiscaux) est de 20 000 F (y compris les charges sociales). Nous n’en sommes pas encore au point du Gouverneur BARRILLOT en 1934 « qui n’avait plus de matière imposable », mais elle est nettement insuffisante.

Continuer dans cette voie sans réagir, c’était se condamner à une situation précaire d’assistance au nom d’une solidarité nationale qui pourrait finir par se lasser.

C’était pourtant le parti qu’avaient choisi implicitement certains responsables locaux. D’autres, plus courageux, ont relevé le défi en commençant par éclairer leurs compatriotes et en les incitant à rechercher des solutions tenant compte de la situation géographique, des nouvelles aspirations de la jeunesse, de la modernisation technologique et du statut particulier de l’Archipel.

Accueillis d’abord avec scepticisme, ils ont trouvé cependant un appui efficace auprès de certains ministres clairvoyants. Et, dans l’opinion locale, un chemin semble avoir été ouvert.

Il s’agit maintenant de rattraper le temps perdu, dix ans, Si l’on veut d’ici la fin du siècle pourvoir ce petit pays de véritables moyens d’existence.

L’effort doit être mené simultanément dans divers domaines :

D’abord les infrastructures, dont la clef de voûte est le nouvel aérodrome, Si contesté au début, destiné à remplacer en 1998, celui qui est en service. Datant de 1941, et situé en pleine ville, il ne correspond plus aux besoins du trafic aérien. Mais il y a aussi l’eau, dont la purification, la distribution et l’évacuation sont entièrement à revoir. Enfin l’hôtellerie est, sinon inexistante, du moins cruellement insuffisante. On commence déjà à être obligé de refuser « des touristes de congrès », faute de chambres confortables et d’accompagnement tels que salles de conférences (sans même parler de casino).

Parallèlement, les programmes de formation professionnelle devront mieux intégrer tout ce qui concerne la formation hôtelière, touristique et les technologies de la communication. C’est possible avec une jeunesse bien scolarisée (ce qui n’est pas le cas de Terre-Neuve, où, sur 600 000 habitants, il y a 40 000 illettrés totaux.

Enfin, une campagne de promotion, judicieusement dosée suivant les capacités d’accueil, doit accompagner (elle a déjà commencé à le faire), les étapes de cette indispensable reconversion.

Il faut vaincre aussi de sérieux handicaps qui s’appellent frais portuaires, coûts des transports aériens, prix de la vie, niveau des salaires et charges sociales (à côté d’une Amérique qui combat le chômage par la précarité de l’emploi), dollars sous évalués, surstockage nécessaire etc…

Tout ceci dans le but d’utiliser au maximum la position géographique de l’Archipel et son statut particulier pour en faire un lieu d’échanges, à commencer par le tourisme. Non pas celui des Trois S (Sun, Sand, Sex), puisque nous n’avons pas de cocotiers. Il s’agit de diverses formes de tourisme liées à des activités de toute nature : professionnelles, culturelles, écologiques, artistiques, sportives, scientifiques, commerciales etc… L’autonomie fiscale et douanière de l’Archipel peut également être utilisée dans différents créneaux porteurs : casino (l’autorisation légale a été donnée), immatriculation des navires sous pavillon saint- pierrais (en cours), expositions de matériels, de techniques, de produits, meilleure utilisation du Francoforum et du Musée Archives qui est actuellement en construction etc…

PERSPECTIVES :

Au terme de la troisième grande crise que traversent ces îles depuis un siècle (1904-1934-1994), l’avenir fait entrevoir trois perspectives:

– La première, c’est la jeunesse envolée faute d’emplois modernes, ou avachie sur place par un train-train sans espoir, et quelques retraités contemplant mélancoliquement des grues rouillées dans un port désert.

– La deuxième, c’est MACAO : un pavillon français vassalisé flottant sur des intérêts canadiens. On peut se poser la question. En effet, l’accord de Coopération Régionale franco-canadien, signé le 2 décembre 1994, qui a mis fin à la guerre de la morue, pourrait déboucher sur une absorption par le grand voisin. Il faut que des contrepoids très précis soient mis en place pour maintenir à cette coopération un caractère partenarial.

Les relations régionales entre l’Archipel et les Provinces Atlantiques ont toujours existé, avec ces vicissitudes diverses, depuis 1816.

Jusqu’en 1904, la France disposait de droits de pêche et de travail sur les côtes de Terre-Neuve (French Shore), alors colonie britannique. De ce fait, la Marine Nationale française y était représentée en permanence, et souvent avec plus de fréquence que la Marine de Sa Majesté. Le voyage du GASSENDl, en 1857, avec GOBINEAU, en est un exemple. Il s’appuyait sur la Station Navale Française de la région.

A partir de 1904, la fin du French Shore entraîne la raréfaction de notre marine, mais les conflits avec les Anglais de Terre-Neuve perdurent, à propos de la « boëtte » notamment, ainsi que des lieux de pêche, conflits qui remontent parfois jusqu’aux Chancelleries, mais toujours avec l’Angleterre.

Après la guerre de 14-18, la période « prohibition » peut être considérée comme une forme très spéciale de coopération régionale. En tout cas, elle diminue l’importance de la pêche et enrichit le Territoire, dont la prospérité contraste avec la misère de la colonie de la Couronne, et de nombreuses jeunes filles viennent travailler à Saint-Pierre. Elles s’y marient, d’où un certain nombre de cousinages terre-neuviens.

En 1934, fin de la prohibition. Misère à Saint-Pierre encore plus qu’à Terre-Neuve. Cette colonie devient en 1949, par référendum, la 10ème province de la Confédération Canadienne. Le Canada devient donc le voisin immédiat de l’Archipel. Cependant, il ne commence à s’intéresser aux relations régionales qu’à partir de 1972 et de l’extension des zones économiques maritimes à 200 milles.

Ces relations sont évidemment axées autour de la pêche, mais, du fait de sa proximité et de ses besoins, l’Archipel est un client commercial non négligeable pour Halifax, Sydney ou St John’s (80 millions de dollars canadiens). Cette coopération commerciale de fait existe donc par l’intermédiaire des importateurs et consignataires saint-pierrais.

Obnubilé par le conflit de la zone maritime, les doléances des pêcheurs saint-pierrais, et l’importance de gros contrats commerciaux franco- canadiens, le Gouvernement français a longtemps négligé cet aspect des relations régionales.

La fin du conflit de la morue, et l’accord intervenu à ce sujet (que les Saint-Pierrais trouvent insuffisant), ont fourni au Ministre des DOM-TOM, Dominique PERBEN, l’occasion d’officialiser et de développer les échanges de Saint- Pierre avec ses voisins en les étendant au-delà des relations purement commerciales. Cette nouvelle orientation a été accueillie avec une certaine réserve, du côté Archipel, où l’on soupçonne facilement le Gouvernement de vouloir nous jeter dans les bras canadiens pour mieux nous y laisser, car mesuré à l’aune purement commerciale des relations entre les deux Etats, l’Archipel ne fait guère le poids.

Reste la troisième, perspective que nous avons indiqué, la seule acceptable un lieu d’échanges et de tourisme, gardant son identité. Mais elle exige de la population un important effort d’adaptation surtout psychologique, et aussi matériel. De la Mère Patrie également (bien que ce terme soit passé de mode) la continuation du soutien sans faille accordé jusqu’à présent afin de maintenir la confiance.

Sans confiance en effet, il n’y aura pas d’investisseurs, il n’y aura pas de relations partenariales à gains réciproques (Win-Win, comme disait récemment Monsieur le Préfet de l’Archipel à des interlocuteurs canadiens très officiels).

La première réunion de la Commission mixte franco- canadienne a eu lieu à Saint-Pierre le 12 mai dernier, en même temps qu’une grande foire commerciale où l’on pouvait voir des produits canadiens et des produits européens en même temps que ceux de l’artisanat local. Au même moment se trouvait dans l’Archipel Monsieur BELORGEY, Président Directeur Général de RFO, afin de mettre au point conjointement avec les Provinces Atlantiques et l’Etat du Maine l’extension de la chaîne française à partir de Saint-Pierre et Miquelon vers les auditeurs francophones (environ 400 000).

Ainsi pourra être assuré un nouvel essor de ces îles françaises de l’Atlantique Nord. Ces îles, dont l’histoire tourmentée est ponctuée d’expulsions, d’incendies et de naufrages (depuis 1770, 674 naufrages, le dernier datant de 1975), ne sont pas seulement des témoignages de l’Histoire de France en Amérique, mais aussi et surtout une position frontalière entre les deux continents les plus riches de la planète. Ce qui les rend aptes, comme disait Gobineau, à un grand avenir commercial, et par delà le commerce, à une ouverture sur toutes les activités rendues possibles par l’explosion communicative.

Et la pêche direz-vous ? Les Terre-Neuvas, les Grands Bancs, « Le Grand Métier » (Jean Récher), « Pêcheur d’islande » (Pierre Loti), toute cette épopée maritime parfois émouvante et plus souvent cruelle, quel est son devenir ? Elle continuera, ou plutôt, elle reprendra, mais d’une autre façon. Fini le pillage sans contrôle d’une des plus grandes réserves alimentaires de la planète.

Quand le niveau de la ressource halieutique permettra de reprendre les captures -dix ans selon les scientifiques-, l’exploitation sera faite sous d’autres formes, et le produit brut sera diversifié en produits finis. Il y a aussi l’aquaculture.

De toutes façons, la pêche sera devenue un des éléments -et non plus le seul- d’une économie mieux diversifiée. Il faudrait renverser l’observation du Duc de Choiseul (dans une lettre du 12 avril 1763) : « je sais bien que les îles St Pierre et Miquelon pourront avec le temps devenir un entrepôt considérable de commerce. Mais elles ne le peuvent qu’autant que la base de leur établissement, la pêche, prendra des accroissements. » Aujourd’hui et demain, la condition de la survie, c’est l’accroissement du mouvement commercial et culturel, sans lequel il n’y aura pas, plus tard, de reprise de la pêche.

VIE CULTURELLE : Dans cette société qui luttait pour survivre, il n’y avait guère de place pour l’expressioin littéraire ou artistique.

Les documents d’archives – ils sont importants bien qu’une partie ait été brûlée lors de l’incendie de 1992 – ne nous livrent que des rapports, des statistiques, ou des récits d’événements généralement dramatiques (comme celui de l’affaire Néel).

En dehors du journal officiel des Iles Saint-Pierre et Miquelon, organe indispensable aux arrêtés gubernatoriaux de promulgation, sans lesquels aucun texte législatif ou délibératif n’était applicable dans l’Archipel, et du bulletin paroissial, il y a eu au début du siècle quelques journaux épisodiques où s’affrontaient les cléricaux et les anticléricaux, avec une virulence souvent très supérieure à celle que l’on peut observer dans la presse hebdomadaire ou mensuelle locale, d’aujourd’hui.

Quant à la littérature elle-même, elle n’est ponctuée de loin que par quelques grands noms de l’extérieur, CHATEAUBRIAND (Mémoires d’Outre Tombe), GOBINEAU (Voyage à Terre-Neuve), Louis Ferdinand Céline (D’un château l’autre), auxquels on peut joindre à un niveau inférieur, un magistrat local, Pierre ENIM (Ceux de l’Epave) et Maurice CAPRON (L’Isthme de Langlade). Et c’est à peu près tout jusque dans la deuxième moitié de ce siècle, hormis les troupes théâtrales d’amateurs, distraction de longues soirées d’hiver (sans télévision).

Celle-ci ne date en effet que de 1966 (je l’ai inaugurée). Elle faisait partie d’un programme pour tout l’Outre-Mer, décidé par le Premier Ministre Georges POMPIDOU, en 1964, afin de lutter contre l’invasion anglophone.

Lorsque j’arrivai en 1965, je ne pus que constater avec regret, l’absence d’expression de la culture locale, verbale, écrite ou artistique, et l’intrusion dans la vie quotidienne de nombreux vocables anglais issus d’importations canadiennes.

Dans un pays de charpentiers de marine, dont tous les hommes étaient – et sont toujours – très habiles de leur mains, on ne trouvait que des maquettes de doris, et quelques copies de meubles Henri III, le nec plus ultra de l’élégance. Si l’intérieur des maisons présentait un confort très canadien, l’aspect extérieur était celui d’une pauvre bourgade de pêcheurs, murs en bois et toitures noircis de fumée de charbon, rues qui n’étaient que des chemins de pierre, électricité défaillante, un cinéma présentant des films américains de troisième catégorie, des magasins de style « galeries farfouillettes » etc…

L’éveil : Ce n’est qu’à partir des années soixante dix qu’on peut parler d’un essor culturel avec des productions historiques, artistiques, littéraires, musicales, de valeur inégale certes, mais qui sont le témoignage d’une belle vitalité. Il me suffit maintenant de parcourir les rayons de ma bibliothèque : on y voit des oeuvres historiques – « Le Coup de Saint-Pierre » du Gouverneur de BOURNAT, « L’Amiral dans nos Iles » d’Augusta LEHUENEN, « L’Histoire de l’Archipel » par Andrée LEBAILLY, ou par Charles GUYOT JEANNIN, « Naufrages » et « Prohibition » de Jean-Pierre ANDRIEUX, des ouvrages de caractère littéraire ou poétique comme « Contes du Châlin » d’Andrée LEBAILLY, « Contes, Récits et Légendes » de Joseph et Roland LEHUENEN, « Chansons de Brume » et « Confidences Insulaires » d’Henri LAFITTE, illustré par Guy LEVEQUE, « Iles » du chanteur ANTOINE d’origine saint-pierrraise, “Brume” de Patrick DERIBLE, “Gentleman Bootlegger” de Freddy THOMELIN, et deux romans descriptifs de très haute qualité, “Larmes de Pierre” et “L’Oeuvre des Mers” d’Eugène NICOLE, saint-pierrais, professeur d’Université à New-York. Je ne puis tout citer. Ce serait trop long.

Quant aux peintres et dessinateurs, on ne peut en dénombrer une bonne dizaine, de Michel BOROTRA à Guy LEVEQUE. Il y a aussi la chanson avec le même Henri LAFITTE, et avec Alain LAFITTE, auteur d’une mélopée nostalgique Belle Rivière très en vogue au Canada, ainsi que plusieurs groupes musicaux.

Même l’artisanat décoratif a pris un bon départ avec les compositions de bois flottés, de pierres de couleur, d’objets tournés sur bois, et même de “patchwork”, “Les piqueuses de brume”.

J’ai déjà parlé du Musée Archives de la Collectivité qui rassemble des objets, pièces, documents du patrimoine local. Une partie d’entre eux est encore stockée ou mal mise en valeur, faute de place, en attendant le nouveau bâtiment. Mais il y a aussi des initiatives particulières à l’île aux Marins, une Association pour la Sauvegarde du Patrimoine, et un petit musée privé qui porte le joli nom d’Archipélitude et qui groupe de nombreux souvenirs de la vie quotidienne du temps jadis. Le patrimoine linguistique fait aussi l’objet de maintes études avec le dictionnaire de Patrick DERIBLE, et la thèse quasi exhaustive « Dictionnaire des Régionalismes de Saint-Pierre et Miquelon « éditée par le CNRS.

Ajouterai-je également, sans imiter les dépliants touristiques, que, sous l’impulsion d’un Maire dynamique, quatre fois réélu à la tête de la Municipalité, la Ville de Saint-Pierre, sans être encore parfaite, a pris des allures plus riantes, avec des places bien dessinées et des parterres floraux en été. Et je m’enorgueillis pour ma part d’avoir été en 1966 à l’origine des concours de maisons coquettes que le Conseil Général organise chaque année depuis trente ans avec beaucoup de succès.

CAUSES – PERSPECTIVES : Les causes de cet éveil culturel ? Tout d’abord l’élévation du niveau de vie qui, pour certains, a rendu disponible un temps exclusivement consacré auparavant à la subsistance. Ensuite, le développement de l’Enseignement Secondaire sur place, et une politique de bourses d’études supérieures constamment suivie par le Conseil Général. D’autre part, l’amélioration des communications a permis des échanges dont le Centre Culturel (datant de 1972), et le Francoforum (1992) sont les principaux supports. Mais tout cela n’est que l’expression d’un bouillonnement puisé dans l’air du temps. Il y a aussi le perfectionnement des moyens matériels. Par exemple, en 1974, en dehors de l’imprimerie gouvernementale, il n’existait à Saint-Pierre que deux appareils à polycopier, que l’on s’arrachait pendant les campagnes électorales. Il n’y avait aucun journal. Aujourd’hui, l’imprimerie de la Préfecture ne suffit même pas aux actes administratifs, et l’imprimerie municipale de Saint-Pierre suffit à peine pour la parution hebdomadaire de « I’Echo des Caps » créé en février 1982 et qui, au fil du temps, est devenu une mine inépuisable d’informations. Et l’usage de l’informatique est devenu courant.

Quant à la télévision française, elle a quitté son allure compassée du début, pour devenir un élément vivant, et varié de l’information locale. Elle s’est incorporée à la vie de la population qui s’exprime volontiers à travers elle, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans lorsque les journalistes se heurtaient à un mur de silence ou de timidité. Certes, le réseau câblé donne accès à une vingtaine de chaînes américaines. Elles sont surtout suivies pour les évènements sportifs. Mais la Télévision française demeure un élément irremplaçable, et j’ai parlé plus haut de l’extension des émissions à partir de la station de Saint-Pierre.

Est-ce à dire qu’une population longtemps repliée sur elle- même est à la veille d’un redéploiement ?

En tout cas, les frilosités et les peurs du changement qui, depuis quinze ans, ont servi de thème électoral, semblent aujourd’hui en voie de disparition puisque les attardés commencent à parler le même langage que les précurseurs, même s’ils s’approprient aujourd’hui ce qu’ils combattaient hier. C’est la « maïeutique »comme disait Socrate.

Et comme disait St-Exupéry : « Préparer l’avenir, ce n’est que fonder le présent. L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ».

ANNEXE

APERCU HISTORIQUE SUR LA MONNAIE A SAINT-PIERRE ET MIQUELON :

L’histoire rapporte que l’inventeur du « papier monnaie » fut KOUBILAÏ-KHAN, illustre Empereur Mongol de la Chine au XIIIème siècle de notre ère (et bien connu de nous par le livre des Merveilles de Messire MARCO POLO).

Mais c’est sous Louis XIV et au CANADA français, que fut pour la première fois expérimenté, dans un pays occidental, une sorte de papier monnaie. L’intendant Jacques de Meulles étant dépourvu de monnaie métallique, eût l’idée de la remplacer pour ses paiements, par… des cartes à jouer. Revêtues de son sceau et d’une mention de valeur, il leur donne cours forcé et les fit circuler en attendant l’arrivée des fonds provenant de France.

Depuis cette époque, le papier monnaie a fait des apparitions de plus en plus fréquentes et a été mêlé à la vie des peuples et des Etats à travers bien des vicissitudes politiques et économiques.

D’abord instrument exceptionnel d’échange, simple substitut de l’or ou de l’argent, ce n’est qu’au terme d’une longue évolution qu’il a acquis vis- à-vis du métal, son indépendance, constatée seulement en 1971 par la suppression de la convertibilité en or du dollar U.S., promu au rang et aux charges de monnaie internationale de réserve.

C’est à dire que, dans un petit « établissement » comme les îles SAINT-PIERRE ET MIQUELON, les monnaies en usage sous l’Ancien Régime ont été des pièces d’or, d’argent ou de billon, frappées aux effigies des souverains régnants, français, anglais, espagnols : livres, deniers et sols du Roi de France guinées ; sovereigns et pennies anglais, douros espagnols et pesos mexicains, enfin dollars américains dont l’importance allait s’accroître au long du XIX siècle.

Cependant, lorsque le Traité de Paris de 1815 rendit les îles à la France (en échange de l’île Maurice), les « Napoléons » de l’Empire et les « Ecus » de la Monarchie furent pendant une partie du XIXème siècle les seules monnaies officielles et, à part l’épisode révolutionnaire des « assignats « , c’est seulement sous Napoléon III qu’on voit apparaître les « billets de banque » et les « chèques » dont la mise en service dans l’Archipel fut décidée par un « senatus consulte » de 1860.

Toutefois, certaines difficultés de communication devaient poser des problèmes d’approvisionnement du Trésor local et, c’est probablement pour cette raison, que lors de la création en 1889 de la BANQUE DES îLES SAINT-PIERRE ET MIQUELON, un privilège d’émission lui fût accordé. Mais en émettant cette monnaie, la banque tenait compte d’une situation particulière qui montre bien le rôle joué par le dollar U.S. dans les transactions commerciales locales. Le dollar étant la monnaie « utile » dans les échanges, les valeurs des coupures émises en francs, étaient calculées par référence au dollar. La première émission eut lieu le 19 août 1890 avec des billets de 27 francs et 54 francs (correspondant respectivement à 5 et 10 dollars U.S.). L’ensemble des émissions comporta 4 000 billets de 27 francs et 2 000 billets de 54 francs. Cette « équivalence » n’était pas à vrai dire, un « alignement », mais une simple commodité de calcul qui montre cependant la stabilité monétaire basée sur l’étalon or.

Beaucoup plus tard, après la guerre de 1940-45 et d’une autre manière, on retrouve une mise en parallèle du dollar et du franc avec une monnaie d’Outre Mer, le « Franc Djibouti » de la Côte Française des Somalis.

Quoi qu’il en soit, les billets de la BANQUE DES îLES circulèrent jusqu’après la Guerre de 1914-1918 et, retirés de la circulation, ils furent remplacés par les billets « Banque de France » nationaux. Ces derniers eurent cours légal jusqu’en 1942, date du ralliement à la France Libre.

Ce fut naturellement la Caisse Centrale de la France Libre, créée en 1941 par le Général de Gaulle, qui fut chargée par l’Ordonnance n° 36 du 4 décembre 1942, d’assurer la couverture monétaire dans les îles, le cours légal étant retiré aux billets « Banque de France » à compter du 11 janvier 1943. Le privilège d’émission fut confirmé à la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer par Ordonnance du 2 février 1944.

En 1945, tenant compte de la situation économique de l’ensemble d’Outre-Mer français après la guerre, le Gouvernement créait des unités monétaires à parités différentes : Franc des Colonies Françaises du Pacifique (C.F.P.) – Franc des Colonies Françaises d’Afrique (C.F.A.). Le Franc de Saint-Pierre et Miquelon était inclus dans le Groupe C.F.A., à raison de 100 Francs (surchargés Saint-Pierre et Miquelon) C.F.A. pour 170 Francs métropolitains, parité portée en 1948 à 200 Francs métro.

Cette différence de parité constatait en quelque sorte le pouvoir d’achat supérieur des francs ultramarins. Mais, en ce qui concerne Saint-Pierre et Miquelon, elle ne fut pas suffisante pour enrayer la hausse des prix locaux résultant des importations en zone dollar, alors que la monnaie nationale française était en dévaluation permanente. C’est pourquoi fut institué peu après un Fonds de Compensation créé par décret, atténuant les variations de prix pour les denrées de première nécessité provenant de cette zone.

En 1959, vint le Franc PINAY (lourd), la stabilisation monétaire et la croissance à peu près ininterrompue (de 1958 à 1973). On peut dire que la création du Franc lourd et la poussée économique française faisait perdre au Franc C.F.A sa signification originelle. Il ne valait plus en effet que 0,02 centimes. Toutefois, à Saint-Pierre et Miquelon, il continuait à jouer dans les transactions locales un certain rôle de frein à la hausse des prix. En effet, pour toute une génération de consommateurs, 100 Francs C.F.A. symbolisaient un pouvoir d’achat beaucoup mieux que 2 Francs PINAY.

Quoi qu’il en soit, en 1973, le Franc C.F.A. de Saint-Pierre et Miquelon était supprimé et remplacé par le Franc « lourd », le service de l’émission étant confié à l’institut d’Emission Outre-Mer, correspondant de la Banque de France, relayé en 1978 par l’institut d’Emission des Départements d’Outre-mer à la suite de la Départementalisation de Saint-Pierre et Miquelon (loi du 19 juillet 1976). Quant à la monnaie métallique, elle continuait à être émise par le Trésor avec les mêmes pièces qu’en Métropole jusqu’en 1979, date à laquelle le Trésor fut remplacé par l’Agence locale de l’Institut d’Emission.

Pendant très longtemps simple reflet de l’or, le signe monétaire est devenu aujourd’hui, une représentation de la situation économique, mais aussi un baromètre de la confiance, voire même, le symbole de la valeur d’une orientation financière. De ce point de vue, le Franc C.F.A. de nos îles, qui accompagna leur essor après la guerre de 1940-1945 pendant près de 30 ans, était devenu synonyme de croissance continue dans la stabilité des prix.

1973, l’année de sa suppression, va être malheureusement, par une accumulation de circonstances, un tournant économique dangereux pour l’Archipel.

C’est en effet à la même date, fin 1973, que se produit le premier « choc » pétrolier qui quadruple le prix de l’or noir et bouscule la croissance des pays industrialisés.

C’est la même année qu’est « gelé » le Fonds de Compensation, stabilisateur local des prix à la consommation.

Ainsi donc, les digues édifiées pour protéger Saint- Pierre et Miquelon contre les effets des variations monétaires, se trouvaient supprimées au moment même ou le plus grand besoin s’en faisait sentir par suite du raz de marée pétrolier.

Le fragile équilibre des prix et des salaires était rompu par la tourmente, engageant l’économie locale dans une spirale inflationniste, amplifiée encore par la deuxième crise pétrolière de 1979-1980.

Vue dans cette perspective, la longue période du Franc C.F.A. apparaissait en 1980 comme une sorte « d’âge d’or ». Mais nous sommes entrés depuis dix ans dans une ère de stabilité monétaire, et de réduction des prix pétroliers, dont l’effet a été, malheureusement pour nous contrebalancé par la sous-évaluation du dollar, défavorable aux exportations et au tourisme.

CURRICULUM VITAE :

POULET Georges, (Marie, Joseph), Haut commissaire de la République (E.R.). Né le 14 avril 1914 au Fay par Parnac (Indre). Fils de Joseph Poulet, Directeur d’assurances, et de Mme, née Henriette Fabre. Marié en premières noces à Mlle Geneviève Duclos (3 enfants Didier, Serge, Nathalie) ; en secondes noces à Mlle Marjolaine Apestéguy (2 enfants : Sylvie, Jean-Christophe).

Etudes : Séminaires de Toulouse et de Saint-Sulpice, Collège Chaptal et Faculté de Droit de Paris.

Diplômes : Breveté de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, Licencié en droit.

Carrière : Chef de diverses circonscriptions en Mauritanie (1944-48), Chef du Service des Affaires politiques de la Mauritanie (1949-50), Directeur Adjoint de l’intérieur au gouvernement général de l’Afrique Occidentale Française à Dakar (1950), Secrétaire Général de la Mauritanie (1955), Secrétaire Général (1958) puis Gouverneur par intérim (1959) de la Polynésie Française, Secrétaire Général et Haut-Commissaire par intérim de la Nouvelle- Calédonie (1960-64), Président des offices postaux et des sociétés immobilières et de crédit de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, Gouverneur du Territoire des Iles Saint-Pierre et Miquelon (1965-67), Chef de la Mission Permanente d’Aide et de Coopération à Port-Lamy (1967-71), Président Directeur Général de la Société d’Equipement de la Nouvelle-Calédonie (Secal) (1972), Haut-Commissaire, Délégué Général de la République aux Comores (1973), admis à la retraite (1974), Conseiller Economique et Social, Président du Groupe des Départements et Territoires d’Outre-Mer (1974-79), Conseiller Economique et Social honoraire (depuis 1980), Conseiller du Commerce extérieur de la France (1983), Conseiller Municipal (depuis 1983) et Adjoint (depuis 1989) au Maire de Saint-Pierre.

Oeuvres : études historiques ou romancées sur la Société Maure, l’Archipel des Brumes, les îles du Pacifique et de l’Océan Indien.

Décorations : Commandeur de la Légion d’Honneur, Officier des Palmes Académiques, Commandeur de i’Etoile Noire, Médaille coloniale, Grand Officier du Croissant Vert des Comores, Chevalier de l’Etoile d’Anjouan.

Distinctions: Médaille d’or de la Jeunesse et des Sports.

Grand Colombier

Le GrandColombier.com est un site recensant tout document historique ayant un lien avec les îles Saint-Pierre-et-Miquelon : traités, cartographie, toponymie, archives, sources primaires, études, recherches, éphémérides. Le site est dirigé par Marc Albert Cormier. Profil Acadmedia.edu: https://independent.academia.edu/MarcAlbertCormier

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