5 novembre, 2024

La déportation de 1793 – 1797

1793En 1793, les îles Saint-Pierre et Miquelon étaient gouvernés par le commandant Antoine-Nicolas Danseville dont l’autorité était de fait soumise à l’Assemblée générale de la commune de Saint-Pierre, organisme délibératif né de la Révolution française. Club jacobin, délibérations houleuses, comités et sous-comités, arbre de la liberté, cocardes : Saint-Pierre vivait à l’heure républicaine au grand dam des monarchistes britanniques de la région

Le 31 janvier, la guerre entre la France et la Grande-Bretagne fut déclarée. La nouvelle ne fut rapportée aux îles qu’au mois de mai suivant. Les délibérations continuèrent, un comité de défense mis sur pied mais sans moyens véritables.

Le matin du 14 mai, les forces britanniques sous le commandement du général de brigade Ogilvie arrivèrent au sud de Saint-Pierre. Les troupes du 4e et 65e régiment débarquèrent à Savoyard et prirent position au-dessus de la ville alors que la frégate HMS Alligator sous le commandement du capitaine Affleck entra dans le port de Saint-Pierre par la passe du Colombier.

Les forces en présence :

  • Le général James Ogilvie d’Halifax
    • 310 hommes du 4e et 65e régiment
    • Le capitaine Affleck
    • La frégate HMS Alligator et son équipage
  • Le contre-amiral Richard King de Terre-Neuve
    • Deux vaisseaux de ligne et leur équipage
    • Deux autres frégates et leur équipage
    • Quatre bâtiments et leur équipage

Pris en tenaille et sans réel moyen de défense – la frégate française censée défendre le port étant partie pour réparations à Boston, le commandant Danseville capitula sans condition et mis ainsi un terme à la seconde rétrocession des îles. Si l’opération militaire organisée par le gouverneur Wentworth fut de courte durée par son exécution, l’occupation puis la déportation de la population fut longue et fastidieuse.

La première étape fut le retour sur Halifax du général Ogilvie à bord du HMS Alligator accompagné de cinq autres navires transportant l’ancien commandant de Saint-Pierre et Miquelon, Danseville et 500 prisonniers de guerre – essentiellement la garnison de l’île et les marins métropolitains – qui furent débarqués et emprisonnés dans les baraquements Cornwallis (aujourd’hui près du carrefour de Sackville et Brunswick à Halifax).

Ces prisonniers passèrent l’hiver à Halifax alors que les habitants, plus de mille, furent laissés sur Saint-Pierre sous le commandement du major Thorne et quelques compagnies du 4e régiment. Notons qu’il existe un texte fort intéressant sur cette période rédigée de la main d’Aaron Thomas qui mérite plusieurs relectures.

Les anciens négociants de l’île par contre, ayant suffisamment de moyens, purent négocier leur départ anticipé vers l’Amérique. Ce fut notamment le cas de Claude Martin. Celui-ci, ayant promis de ne pas prendre les armes contre la Grande-Bretagne, fut autorisé à quitter Saint-Pierre pour Boston avant de se rendre en France.

Pendant ce temps, l’ancien commandant Danseville avait fait savoir à son futur geôlier britannique qu’il n’était pas du tout un révolutionnaire mais bien un royaliste. D’ailleurs ne s’était-il pas présenté devant les Britanniques arborant sa croix de Saint-Louis ? Les autorités lui accordèrent une certaine liberté à Halifax et Dartmouth où il resta de nombreuses années bénéficiant d’une pension du gouvernement britannique avant de retourner en France à la restauration de Louis XVIII. Son secrétaire personnel, Louis de Mizanzeau pour sa part s’établit définitivement sur Halifax.

Au cours de l’hiver 1793-1794, le gouverneur de Nouvelle-Écosse, chargé de l’évacuation et la déportation des îles, favorisa de plus en plus le projet d’intégration des Saint-Pierrais dans la province, après avoir effectué un triage et le renvoi sur Guernesey des éléments les plus perturbateurs, c’est-à-dire les républicains.

C’est pendant l’été 1794 que les éléments les plus radicaux furent envoyés depuis Halifax sur Guernesey en passant par Saint-Pierre. Trois navires furent chargés de cette déportation éminemment politique au début de l’été : le Ellegoode avec 223 prisonniers accompagné du HMS Daedalus, le Lucy avec 170 prisonniers et finalement le brick Mary avec les derniers prisonniers. Le brick Union transportant des prisonniers depuis Saint-Pierre en août pour Guernesey, fut détourné sur Saint-Malo suite à une révolte des prisonniers. Une fois arrivés dans la cité corsaire, les nouveaux hommes libres tentèrent de faire libérer le capitaine britannique sans succès.

À la fin de l’été 1794, Saint-Pierre fut définitivement abandonné par ses anciens habitants, mais les installations et habitations ne furent détruites qu’en 1796, non pas par les Britanniques, mais par l’Amiral Richery et la flotte française.

Selon une missive du gouverneur de Nouvelle-Écosse, les prisonniers toujours présents sur Halifax bénéficiaient de traitements préférentiels et des droits exceptionnels. Ainsi les Saint-Pierrais avaient le droit de travailler pendant le jour à la campagne ou en ville, que certains vendaient le pain qu’ils cuisaient aux habitants d’Halifax.

Quant à ceux, suffisamment dociles et que le gouverneur voyait d’un œil favorable, ils furent installés sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse, dans la région de Liverpool et de Shelburne.

Au Cap-Breton, un autre groupe de Saint-Pierrais fut alors priés de quitter l’île à l’automne 1794. C’est un ancien habitant de Saint-Pierre, un certain « John Ross », qui collabora avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour prier les Saint-Pierrais arrivés à Arichat de quitter la région pour s’installer ailleurs. L’objectif ? Éviter la contamination politique des populations acadiennes par ces Saint-Pierrais atteints par les idéaux révolutionnaires.

En décembre 1794, les gouvernants britanniques de Nouvelle-Écosse rapportèrent aux autorités de Grande-Bretagne, que la déportation – qu’ils nommaient si pudiquement l’évacuation – des îles Saint-Pierre et Miquelon fut entière.

Craignant d’êtres punis ou victimes de représailles de leurs compatriotes, de nombreux anciens prisonniers établis en Nouvelle-Écosse, demandèrent le droit de quitter la province pour retourner en France. Ainsi, en 1796 et 1797, de nombreux anciens habitants des îles quittèrent la Nouvelle-Écosse pour la France grâce à l’aide financière et logistique du Consul de France à Philadelphie.

Sources :

Grand Colombier

Le GrandColombier.com est un site recensant tout document historique ayant un lien avec les îles Saint-Pierre-et-Miquelon : traités, cartographie, toponymie, archives, sources primaires, études, recherches, éphémérides. Le site est dirigé par Marc Albert Cormier. Profil Acadmedia.edu: https://independent.academia.edu/MarcAlbertCormier

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Une réflexion sur « La déportation de 1793 – 1797 »

  1. Bonjour,
    Un couple de mes ancêtres ( Leneveu-Lejamtel) ayant vécu à St Pierre et Miquelon de 1787 à 1793, j’ai pu reconstituer leur histoire grâce à un dossier des archives nationales puisque spoliés de leurs biens. Ils sont rentrés à St Léger proche de Granville (50) en 1796 avec un bébé né à Jersey un an plus tôt. Aussi pour compléter mon dossier, est-ce que je pourrai savoir ce qui s’est passé pour eux entre 1793 et 1796.
    Par ailleurs, grâce à une vingtaine de documents je viens de reconstituer l’histoire de leur frère François Lejamtel , curé à St Pierre de 1787 à 1792 . A cause de la révolution française, Il a émigré au Canada avec le père Allain et de nombreuses familles. Cet homme très apprécié par ses fidèles a mené une vie exemplaire à St Pierre puis à Arichat et Bécancour au Québec.
    Peut-être possédez vous des informations le concernant?
    D’avance merci pour votre réponse.
    Bien cordialement
    Ghislaine Jobert

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