5 novembre, 2024

1905 – Une colonie aux cléricaux

humaniteUNE COLONIE AUX CLÉRICAUX
L’Humanité, 2 juin 1905, Numéro 411

A Saint-Pierre et Miquelon.
Ce qu’est devenue une souscription publique – Les fonctionnaires républicains sacrifiés – Un fief capitaliste.

Ce rocher nu de Saint-Pierre, cet îlot qui se dresse devant le Canada, est habité par des Normands, des Bretons, des Béarnais, français de cœur et d’origine, dont beaucoup sont nés en France. C’est là une population de marins douce, vaillante, habitué de lutter contre une mer souvent furieuse, et là, plus que partout ailleurs, peut-être, mangeuse d’hommes. La vie y est dure, pénible, pour le marin surtout, le prolétaire;

L’Etat, qui, devrait le défendre, le gouvernement qui se montre anticlérical en France, protège, à Saint-Pierre, les patrons, les accapareurs, les cléricaux et les curés. Les patrons, les monopolisateurs car, à Saint-Pierre, certaine maison a fini par tout monopoliser, ou à peu près sont naturellement des cléricaux militants à leur puissance financière, économique, est venue s’ajouter la puissance spirituelle.

Le père de l’administrateur de la plus importante maison de Saint-Pierre est supérieur ecclésiastique de la colonie, prélat romain, par dessus le marché, violet des pieds à la tête et arborant le plus beau pompon violet qu’on ait jamais vu. On n’a certainement pas oublié, à Paris, cet abbé Légasse, qui a tant quêté pour la reconstruction de l’église de Saint-Pierre : un journal radical du Midi l’appelait « le plus grand tapeur de France ».

Le produit des quêtes et des souscriptions a, paraît-il, atteint un chiffre des plus respectables, mais on n’a jamais pu le connaître, ce chiffre, le ministre lui-même n’a jamais pu faire rendre dès comptes à ce brave abbé qui ne relève que de Dieu, dit-il. Si un laïque s’était avisé d’ouvrir une souscription publique et de ne pas en faire connaître le montant, il serait sous les verrous. L’abbé Légasse promène, par les monts et les plaines un beau pompon et les quêtes continuent. Les travaux pour la reconstruction de l’Eglise ont même commencé et son propre frère cautionne l’entreprise. Ça se passe en famille c’est touchant

L’ancien conseil municipal de Saint-Pierre a osé, l’indiscret, demander et le montant des souscriptions et l’endroit du dépôt. On lui a appris à vivre… en le supprimant on l’a tout simplement dissous et il s’est trouvé un gouverneur pour cela.

Et les nouvelles élections se sont faites sur cette question d’Eglise. On a. vu des affiches que nous avons sous les yeux, ainsi conçues  « souvenez-vous de la Martinique ; là aussi on a renvoyé les frères. Tous ensemble, votons pour l’Eglise. Allons, marins, souvenez-vous que l’Eglise vous attend pour célébrer votre heureux retour. Le malheur tombera sur tous ceux qui ne voteront pas pour la reconstruction de notre chère Eglise. Souvenez-vous-en. »

Et savez-vous par qui était patronnée cette liste? Qui faisait placarder de telles affiches ? Mais tout simplement par le représentant de ta République à Saint-Pierre, par le gouverneur.

Savez-vous qui défendait ce même gouverneur ? La Vigie, une espèce de Croix, propriété du père de l’abbé Legasse et comptant, parmi ses rédacteurs, les abbés Bracq et Propart, de Saint-Pierre ?

Mais ce n’est pas tout. Les fonctionnaires républicains et anticléricaux ont été exécutés l’un après l’autre, parce qu’ils gênaient l’action des curés. et des patrons, qu’ils entendaient faire leur devoir et surtout qu’ils ne voulaient pas prêter la main à des combinaisons financières plus-où moins louches.

En moins de deux ans, un directeur d’école, deux magistrats, deux fonctionnaires des douanes ont été rappelés. Leur crime ? Ce sont des anticléricaux, de bons républicains, des fonctionnaires qui ont accompli courageusement leur devoir. Ce n’est pas ce qu’il faut. On a besoin, là-bas, d’hommes prêts à s’incliner devant le Capital et l’Autel.

Et alors il se produit à Saint-Pierre, terre française, morceau de la France, espèce de prolongement de Saint-Malo et de Granville, il se produit dans ce pays un phénomène très curieux, mais profondément triste il est devenu le fief d’une maison. Elle a tout en mains, maintenant le haut commerce, la banque, le service postal, les chefs de service. Eh oui cette maison représentée par un accapareur, un monopolisateur, un clérical enragé, le frère du supérieur ecclésiastique, détient aujourd’hui la puissance financière, les pouvoirs administratifs, la municipalité: et elle a la puissance religieuse. Elle a même réalisé ce tour de force et de haute canaillerie les fonctionnaires rappelés, frappés en réalité par elle, ont été par elle, accusés de cléricalisme. – B.

Grand Colombier

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