Jacques Nicolas Bellin (Jacques Nicolas Bellin de Trigand) et l’ingénieur Fortin
« Il me paroist que la moindre négligence dans la recherche des moyens est plus à craindre et seroist plus blâmable, que ne le seroit la Collection, même inutile, des différentes preuves ou Inductions » J.N. Bellin
Jacques Nicolas Bellin (Paris 1703-1772), l’un des cartographes les plus illustres de l’époque avec Cassini et Le Rouge, fut l’auteur d’une multitude d’ouvrages et de cartes. Il entra au Dépôt des Cartes en 1721 comme commis-dessinateur. Vingt ans plus tard il obtint le titre d’Ingénieur Géographe du Roi[i].
La première carte de Saint-Pierre construite par Bellin n’est ni datée ni signée. Cataloguée carte anonyme du XVIIIe siècle, Sc91 445, elle est caractéristique du style et de la typographie de Bellin. Une observation des toponymes et du tracé fort différentié du port et du reste de l’île nous révèle un astucieux collage des tracés de l’Hermitte et de Belleorme! Gravée lors de l’occupation anglaise de l’île, Bellin dut compiler son ouvrage à partir du fonds cartographique du dépôt. Il faudra attendre la rétrocession de 1764 pour que l’ingénieur Fortin puisse aller faire ses propres relevés. [Lien BNF]
Dans son livre intitulé « Le petit atlas maritime » daté de 1764, il publia plusieurs cartes de la région de Saint-Pierre et Miquelon levées par l’ingénieur Fortin. On y trouve une carte de Saint-Pierre et Miquelon (Tome I, N 17), ainsi que des cartes détaillées de Saint-Pierre (Tome I, N 18) et du port de Saint-Pierre (Tome I, N 18). La précision et l’exactitude de celles-ci sont particulièrement remarquables étant donné les moyens de mesure qui étaient en usage. Les erreurs de surface, de profondeur ou de profil côtier ne dépassent jamais le tracé moderne que de quelques centaines de mètres. Outre ces cartes publiées en grand nombre, Bellin fit imprimer un nombre de cartes de grande taille sur lequel figurent des représentations semblables aux cartes de l’Atlas Maritime de 1764.
L’ingénieur Fortin dressa des cartes très précises et détaillées des îles. La plus intéressante est le plan de Saint-Pierre qu’il effectua en 1763. Cette carte se caractérise par la précision et le détail de la côte (au mètre près) ainsi que par le souci de représenter tous les détails du terrain. Cette carte, d’une précision impressionnante, renferme de nombreux détails terrestres sur l’étendue des surfaces boisées et sur l’emplacement des bâtiments principaux.
Il n’est pas abusif de dire que les talents de géographe de Fortin dépassaient de loin ses habiletés d’ingénieur : son projet de port artificiel à Miquelon entamé en 1765 fut la victime de la première intempérie venue. En théorie, son ouvrage devait relier le Grand Étang de Miquelon à la mer par un chenal bordé de pieux de bois.
En 1782, il dressa à nouveau une carte de l’archipel, très semblable dans le tracé à celles qu’il publia sous l’égide de Nicolas Bellin. Le tracé de certaines étendues d’eau sont plus étroites dans cette édition (Étang de Mirande, Grand Barachois, Grand Étang de Miquelon), d’autre part le dessin des formes du relief intérieur est d’un style plus varié, tendant à une précision grandissante. La détermination scientifique des coordonnées géographiques ayant progressé, en partie avec l’aide des mesures entreprises par le cartographe Cassini en 1778, cette carte put être publiée avec une grille de latitude et de longitude superposée. A titre de comparaison, notons que la carte de 1763 indique un méridien de 58 Degrés 50 minutes de Longitude Occidentale de Paris alors que la grille de la carte de 1782 indique au même endroit une Longitude de 58 Degrés et 34 minutes.
Les travaux connus de Fortin s’étendent sur une période de 19 ans, et constituent la charnière entre la cartographie locale du XVIIIe et du XIXe siècle. Héritier d’une tradition cartographique française dont le plus grand représentant est Bellin, Fortin laissa des cartes de l’archipel qui furent maintes fois utilisées et recopiées au siècle suivant.
La toponymie des cartes de Fortin-Bellin de 1764 et de 1782 est quasiment identique. Sur Saint-Pierre un nombre non négligeable de toponymes d’origine anglaise, traduits en français[ii], sont repris et accompagnent une toponymie plus ancienne[iii]. Il suffit de rapprocher la carte de 1763 de Saint-Pierre et Miquelon avec celle de James Cook. De tous ces toponymes d’origine anglaise, seuls la Tête de Galantry et l’île aux Pigeon se trouvent encore sur les cartes modernes.
Saint-Pierre et dépendances – Bellin-Fortin 1763, Fortin 1782
- Le Grand Colombier
- Le Petit Colombier
- La Pointe à la Croix : Pointe à Henry
- La Teste de Clives : Cap Blanc
- Cap à l’Aigle
- Rocher de St Pierre : Petit St-Pierre
- Pointe du Cimetiere : Pointe aux Canons
- Isle aux Moules
- Barachois
- Isle aux Chiens : Ile aux Marins
- Isle Massacre : Ile au Massacre
- Isle aux Pigeons
- Les Canailles
- Isle aux Bours : Ile aux Vainqueurs
- Le Gros Rocher : Ilot Noir
- La Pointe du Sud Est : la Pointe
- La Pointe Cronier : le Cap Noir
- Teste de Galantry
- Le Petit Havre
- Tête du Petit Havre : Pointe Blanche
- La Pointe du Sud Ouest : Pointe près de la Beugresse
- Anse du Sud Ouest : Anse à Ravenel
- La Teste Rouge : Pointe aux Basques
- Cap Berniche : Pointe du Diamant
- Pointe aux Seches : Pointe de Savoyard
- Pointe Verte : les Cailloux Rouges
- Langlade – Petite Miquelon
- Cap d’Angeac : Pointe Plate
- Cap des Bois : Pointe du Ouest, Cap Coupé
- Pointe du Cheval Blanc : Pointe à la Gazelle ?
- Le Cap Percé
- Pointe des Morts : Cap aux Morts
- Pointe des Loups Marins : Pointe au Gendarme
- Miquelon – Grande Miquelon
- Dunes de Sable : la Dune
- Le Grand Barachois
- Barachois : Grand Étang
- Cap Miquelon : le Cap
- Chapeau de Miquelon (Bellin 1763)
- La Chaîne : Rochers de l’Est
[i] Jean Marc Garant. Jacques Nicolas Bellin. (Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université de Montréal 1973).
[ii] La Teste de Galantry, la Teste Rouge, la Teste de Clives, le Cap Berniche, Isle aux Pigeons, Pointe aux Seches.
[iii] Cap à l’Aigle, Isle aux Chiens, Isle aux Bours, Isle aux Moules.
Note : cette série d’articles fut rédigée entre 1997 et 2004 dans le cadre d’une œuvre consacrée à l’histoire de la cartographie et de la toponymie de l’archipel. Le projet n’ayant abouti, les ébauches vous sont livrés tels quels avec pour seul objectif de mieux faire connaître cette facette particulière de notre histoire.
Cartographie et toponymie des îles Saint-Pierre et Miquelon.
De la reprise de possession de 1764 à l’invasion de 1793