UN COMMANDANT CÉLÈBRE DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE
UN DESCENDANT DE SAINT PIERRAIS PEU CONNU A SAINT PIERRE
Fils et petit-fils d’officiers de marine le baron Alphonse Paul de Beaudéan , né en 1857 à Toulon, est devenu pharmacien à 25 ans et a logiquement opté pour la pharmacie de marine .
C’est en qualité de pharmacien de marine 2ème classe qu’il a été affecté à l’hôpital maritime de Saint Pierre en 1882.
Deux éléments ont marqué ce premier passage à St Pierre :
- Tout d’abord il rencontra une jeune Saint Pierraise , Marie Gorman , 19 ans, fille de descendants d’ Irlandais qui s’étaient installés à Saint Pierre aussitôt après leur mariage à Saint John’s : Joseph Gorman , négociant , et son épouse née Sarah Kenny. Le mariage du couple de P.de Beaudéan – Marie Gorman fut célébré à Saint Pierre.
- Sur le plan professionnel il s’intéressa à un produit local s’il en est, l’huile de foie de morue. Il étudia, en particulier, les différents procédés de fabrication en collaboration avec Sœur Victorine et Sœur Césarine, affectées à l’Hôpital, qui avaient toutes deux obtenu plusieurs médailles lors d’expositions pharmaceutiques nationales.
Mais ce séjour fut de courte durée et Paul de Beaudéan démissionna de la marine fin 1884 et rejoignit la France avec son épouse. Il en profita pour présenter avec succès une thèse intitulée « De l’huile de foie de morue » à la faculté de médecine de Montpellier.
Son île natale devait cependant manquer à Marie car, en 1887, le couple revint à Saint Pierre avec son premier enfant, né entre temps ,pour s’installer plus durablement.
Paul exerça alors son métier de pharmacien en officine.
Ce retour au pays dura 15 ans au cours desquels il fit , en particulier, la connaissance du Dr Albert CALMETTE , un des deux futurs inventeurs du B.C.G , vaccin contre la tuberculose , en poste dans notre ile de 1888 à 1890 , période qu’il mit à profit pour travailler sur le « rouge de morue » . Les deux hommes et leurs familles se rencontrèrent encore pendant de nombreuses années bien après leurs retours respectifs en Métropole.
Mais les affaires n’étaient pas très florissantes. Le pharmacien n’était pas un grand gestionnaire et une politique de crédit un peu trop laxiste amena Paul de Beaudéan à renoncer à son aventure Saint Pierraise. Avec ses enfants, d’autres naissances ayant été enregistrées à St Pierre, le couple repartit une deuxième fois pour la Métropole en 1899 après avoir cédé l’officine et vendu dans de mauvaises conditions sa maison de la rue Nielly.
Installé dans le midi de la France le couple donna naissance à un 4ème enfant : Raoul, né à Nice en 1903.
Comme ses ancêtres, Raoul se destina très tôt à le Marine.
Après son service militaire dans la Marine Nationale il entrera au service de la Compagnie Générale Transatlantique gravissant peu à peu tous les échelons de la hiérarchie.
Mais c’est seulement en 1949 que les hasards de son métier amenèrent pour la 1ére fois Raoul de Beaudéan à St Pierre.
Commandant du Liberty-Ship, le Rouen, qui faisait une ligne Bordeaux- Canada, il inaugura une escale à St Pierre permettant de débarquer au passage de la marchandise en directe de la Métropole.
Ce jour de Mai 1949 c’est 1000 tonnes de marchandises qui vont être déchargées après amarrage en travers des 3 petites jetées du Frigo, le navire étant trop grand pour être accueilli dans le Barachois.
Reçu à bras ouverts par les autorités Raoul de Beaudéan eut l’opportunité d’assister à la fête des Marins, à la Bénédiction des doris, à un bal au Joinville , un déjeuner chez le Gouverneur, et même à un autre à l’ Evêché.
Il a eu, aussi, le plaisir de converser avec des St Pierrais qui avaient bien connu ses parents. Et cela l’a beaucoup touché.
C’est à l’occasion de cette escale qu’ont été prises ces deux photos du Commandant et de son navire par une passagère canadienne qui se rendait de France au Canada.
Ceci dit la visite n’est que moyennement concluante car selon Raoul de Beaudéan tout s’est bien déroulé grâce à un temps particulièrement favorable mais des aménagements lui semblèrent indispensables, tels que des coffres mouillés au large sur l’avant et sur l’arrière pour se déhaler et écarter la coque du ciment en cas d’urgence.
Les aménagements n’ayant pas été effectués, la deuxième escale St Pierraise de Raoul de Beaudéan, l’année suivante, cette fois aux commandes du « San José » , fut plus mouvementée .
Amarré au Frigorifique le navire a subit la nuit une houle qui soulevait la coque et plaquait le navire contre les défenses des jetées. Malgré un appareillage en urgence le « San José » emporta en souvenir trois beaux renfoncements à l’emplacement où les trois jetées lui avaient si durement frictionné les « côtes »
Cet épisode a entrainé la fin de la liaison directe de la Cie Générale Transatlantique.
Continuant à progresser dans la hiérarchie des commandants de bord de la Compagnie Générale Transatlantique Raoul de Beaudéan commanda des cargos de plus en plus importants comme le « Cavelier de la Salle » puis le « Winnipeg ».
Vint le jour où, couronnement d’une carrière, il fut affecté sur les grands paquebots : le « Liberté » d’abord , puis « l’Ile de France » , le plus grand paquebot de la compagnie : 242 mètres de longueur, 28 de largeur, 42000 tonneaux de jauge, 64000 chevaux assurant 23 nœuds aux essais, et une capacité d’hébergement de 1569 passagers dans un luxe inimaginable aujourd’hui.
C’est au cours d’une traversée New York – Le Havre avec l’Ile de France que le Commandant de Beaudéan acquit le 25 Juillet 1956 en quelques heures une incroyable célébrité.
L’Ile de France reçut à 23h30 alors qu’il était à 180 nm de New York un message de détresse de l’ « Andrea Doria », paquebot italien éperonné par le « Stockholm » en train de couler avec 1700 personnes à bord : 1200 passagers et 500 membres d’équipage. Dans une brume épaisse l’ « Ile de France » se hâta, au radar , vers le paquebot italien frappé à mort , distant de 40 milles. L’approche était d’autant plus difficile que plusieurs navires se dirigeaient également vers le lieu du naufrage.
C’est le commandant de Beaudéan qui dirigea et coordonna ce sauvetage considéré comme un des plus beaux de l’histoire de la mer.
Un va-et-vient incessant de canots et vedettes de sauvetage s’organisa dans des conditions périlleuses, parmi les cris d’angoisse et les appels indistincts, sous la muraille du paquebot italien qui risquait de les engloutir en chavirant .Dans cette panique générale seule une cinquantaine de noyés fût à déplorer, ce qui tînt du miracle. Le Stockholm pût accueillir des naufragés ainsi que tous les navires arrivés peu à peu sur les lieux du drame : le Cape Ann et le Private Thomas. Mais c’est bien l’ « Ile de France » qui en accueillit le plus grand nombre.
Des naufragés à moitié nus, déchaussés et transis sont accueillis à la portelone comme s’ils avaient embarqué à New York ou au Havre. Enveloppés aussitôt dans une couverture, ils étaient conduits par un groom ou un cabinier , s’ils étaient valides sur une chaise de pont, s’ils étaient âgés dans une cabine libre ou cédée par un passager généreux, s’ils étaient blessés à l’infirmerie où les médecins soignaient, pansaient, réduisaient les fractures.
Le lendemain 26 Juillet, ramenant 753 rescapés, « Ile de France » rentrait « full speed » à New York où l’attendait un accueil triomphal que les paquebots ne recevaient, traditionnellement, qu’à leur premier voyage.
C’est la gloire pour le Commandant de Beaudéan qui fait la une des médias et atteint une notoriété qui quelques années plus tard l’étonnaient encore. Il écrivit, d’ailleurs, avec la modestie qui le caractérisait : « J’ai bénéficié d’une loi constante et parfaitement injuste : le chef profite toujours du courage de ses subordonnés.
Trois ans après ce sauvetage le Commandant prit sa retraite et, pour tromper le désoeuvrement des premiers mois d’inactivité il se mit à écrire un livre, paru en 1959 : « SERVICE A LA MER. Souvenirs du commandant de l’Ile de France ».
Marié et père de 5 enfants le commandant Raoul de Beaudéan exerça d’abord quelques fonctions dans la vie civile puis se retira dans la région de Tours.
Il ne revint jamais à St Pierre et Miquelon mais entretint jusqu’ à sa mort une correspondance régulière avec ce qui restait de sa famille Saint-Pierraise mais aussi avec ses branches de Terre Neuve et Nouvelle Écosse.
Christian Lefevre
Bravo Christian – Merci pour ce bel article.
Votre récit est très intéressant et précieux pour l’histoire locale. Vous savez sans doute que dans le livret écrit par Joseph Lehuenen en 1983 sur l’histoire de la pharmacie à SPM, il a la photocopie d’une facture établie par le pharmacien de Beaudean en 1894.
Cordialement
Un grand merci pour cet article qui me va droit au coeur. Je suis la petite-fille du commandant Raoul de Beaudéan. C’était un grand Monsieur qui ne s’est jamais enorgueilli de son acte de bravoure. Votre article est très émouvant.
Pourriez-vous, s’il vous plaît, m’envoyer à mon adresse mail la photo de mon arrière grand-père Paul de Beaudéan ?
Elle apparaît sur le post de Facebook (un twitt qui a été partagé).
Merci infiniment.
Bénédicte Froger-Deslis
En lisant votre article,j’ai appris pas mal de choses sur mon grand père.Je n’avais pas cette photo de mon père,merci.Je vous signale seulement que la photo du paquebot est celle du Normandie,l’Ile de France n’avait que deux cheminées.
Merci encore
Brigitte de Beaudéan Ferraioli