Jean-François-Maurice-Arnauld, baron Dudevant, dit Maurice Sand. Fils de George Sand.
Saint-Pierre Miquelon, 19 juillet.
A cinq heures du matin, le prince me fait lever pour voir le paysage. Je m’habille en hâte, je mets ma culotte à l’envers, mon gilet par-dessus mon paletot, je ne sais ce que je fais. C’est quelque nouveau pic des Açores, ou l’île de Robinson Crusoé pour le moins. Il est joli, le paysage Rien que le brouillard, de plus en plus épais et de moins en moins chaud, huit degrés en plein juillet. J’ai eu bien envie, pour me venger, de faire semblant de voir des palais arabes illuminés de soleil; mais ma figure déconfite eût mal soutenu mon dire.
Pendant que des bandes de marsouins viennent lutiner le yacht, le rideau se lève enfin à dix heures sur une terre basse et rocailleuse. C’est l’Amérique! L’abord n’est pas séduisant par ici. Ce portique de froid et de brumes, ces petits récits inhospitaliers, n’éveillent pas l’imagination et ne réjouissent pas le tempérament comme l’aspect rosé et chaud des côtes d’Afrique couronnées par le majestueux Atlas. On se sent bien entrer par la dans un monde nouveau. Ici, c’est comme un rêve triste qu’on a déjà fait. Nous entrons dans le port de Saint-Pierre-Miquelon.
Le commandant de place vient recevoir le prince et lui faire les honneurs de la colonie. C’est un militaire d’environ cinquante ans, d’une corpulence solide, d’une taille moyenne, d’une assez belle figure colorée. Cet homme aux manières rondes et franches, que rien ne signale à l’attention du voyageur dans l’humble poste qu’il occupe aux rives d’un pays effacé et comme caché dans les brumes de l’Océan, rempli la France et l’Europe de son nom et de sa
personnalité à l’époque d’un procès dont le fond est resté mystérieux. C’est M. Emile de Ia Roncière.
1861 (suite). Voyage aux Etats-Unis, croquis. [Carnet n° 6]
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris
Nous pénétrons dans l’île. Ils appellent ça un pays!
Ils viennent d’avoir vingt jours de brouillard. Ils se pavanent sous un soleil de douze degrés, et dans un mois ils auront de la gelée! Où es-tu, mon gros bon soleil de la Mitidja, avec tes parfums de myrte et d’orange? Ici tout sent la morue. Sur les cailloux du rivage où elle sèche, sur la tourbe où elle pourrit, sur les perches où elle pue, il y en a partout. On la
respire à trois lieues à la ronde. Toute l’ile n’est qu’un laboratoire pour préparer, conserver et expédier la morue. Du reste pas un arbre, pas un arbuste qui dépasse vingt ou vingt-cinq centimètres. J’ai été me promener sur l’unique route du pays. Le terrain est noir, délaye, glissant. Ailleurs il tremble et s’affaisse sous les pas. C’est un vaste marécage, les céréales n’y poussent pas, et les pommes de terre non plus. L’eau suinte de partout. Les collines qui entourent les marais sont couvertes de grands tapis de mousse et de lichen gris qui rebondissent sous les pieds comme des matelas. Ces collines sont des roches granitiques qui supportent des micaschistes et des porphyres. J’ai cueilli pour toi quelques jolies plantes, la parisette à cinq feuilles et a Heurs blanches, une espèce de petit iris bleu a feuilles de graminée d’un charmant effet (bermudienne anticipée), une airelle rose très délicate et une potentille blanche des plus mignonnes mais la plante la plus recherchée ici, bien qu’elle croisse à l’état sauvage, c’est le mathé (ledum latifolia, je crois), dont on prend la feuille en infusion comme du thé. L’arbrisseau est joli, grappes de fleurs blanches, feuille longuette d’un vert sombre à bords roulés en dessous et doublée d’un épais velours fauve. L’odeur en est très agréable et très particulière, sui generis s’il en fut; mais la morue sent bien plus fort et règne en maître dans l’atmosphère.
[Fol. 11] : [Fol. 11] : St Pierre Miquelon, 19 juillet 61 ;
crayon sur papier : aquarelle grattée sur papier ;
8,5 x 15,5 cm (im.) ; 8,5 x 16,5 cm (im.) ; 20 x 27 cm (sup.)
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris
J’ai trouvé deux ou trois pauvres crabes, et j’ai vu voler quelques abeilles engourdies, une petite phalène grise que j’allais saisir, quand un coup de vent me l’a emportée au diable.
Malgré le porphyre qui abonde, toutes les maisons sont bâties en bois. On trouve cela plus chaud; c’est possible, mais ne te figure pas d’Élégants chalets elles n’ont qu’un étage très bas, la forme est laide, et la couleur du bois mouillé n’est pas belle.
La ville est bâtie au fond d’une anse; le port, plein de récifs et de bas-fonds, est peu sûr; les rues larges en sable boueux, les trottoirs en planches, la population sans individualité. Tout cela n’est pas récréatif mais nous ne sommes pas pour y finir nos jours. Nous partons à six heures du soir.
« Fallait vraiment avoir du crime pour s’incruster comme un « chapeau chinois » sur un tel caillou! Mais qu’est-ce qu’ils sont y foutre nos ancêtres? » – C’est la question que se pose tous les jours ma petite maman de 90 berges qui elle aussi est toujours incrustée son caillou natal! Elle me le rabâche à chaque coup de téléphone…
Merci Marc de partager ces documents avec nous aut’s les « accros » du caillou qui ne pouvons lâcher complètement le cordon ombilical !
Moulis pas l’père!
Dédé
Oops – ya qqs typos – Peux-tu corriger siouplait?
Oui beaucoup de problèmes avec la reconnaissance de caractères ! J’ai corrigé quelques erreurs à l’instant.
Merci Marc pour cet extrait que je ne connaissais pas. Mais quand même, quelle mauvaise langue ce Maurice Sand !
Avec plaisir Andrée ! On ne lui fera pas une statue, c’est sûr !