J’avais pourtant juré de ne pas rendre compte des exécutions capitales ! Mais voici qu’un abonné du Voleur, à St-Pierre, m’envoie le récit de la première exécution qu’ait vu l’île; alors pour montrer que l’homme n’est que contradiction, j’insère :
Saint-Pierre Miquelon, 24 août 1889.
Monsieur.
Je me permets de vous adresser quelques détails sur l’exécution capitale, qui a eu lieu ce matin, du nommé Néel, marin pêcheur condamné par le tribunal criminel de Saint-Pierre, à la peine de mort, le 7 février dernier, pour meurtre. Le crime avait été commis dans des circonstances horribles suivies de mutilation de la victime.
Le pourvoi en cassation a été rejeté le 12 avril 1889. Néel s est ensuite pourvu auprès du Président de la République, mais sans succès.
Il ne restait donc qu’à lui infliger la terrible peine.
C’est la première exécution qui a lieu dans la colonie, comme l’on n’avait pas de bois de justice, ils ont été expédiés des Antilles.
Deux vagabonds ont offert de remplir l’office de bourreaux moyennant 500 francs.
A trois heures, le procureur s’est fait ouvrir la porte de la cellule où dormait Néel, il lui a annoncé que son pourvoi en grâce ayant été rejeté, il fallait se préparer à mourir. Néel est resté impassible disant simplement ceci : « J’ai tué et je mérite la mort : Pourtant j’avais toujours pensé que la mer m’aurait englouti. »
On lui a offert de l’habiller, il a refusé toute aide et s’est habillé. Le R.P. Cadoret s’est avancé pour lui offrir les secours e la religion, il l’a très bien reçu. Avant de le laisser seul avec le prêtre, on l’a préparé complètement pour l’exécution. L’endroit du supplice étant assez éloigné de la prison on l’y a transporté dans une voiture couverte. Les bourreaux d’occasion l’ont aidé à descendre, là seulement il a reconnu un de ces hommes et lui à dit : « Ah ! C’est toi, Lejean qui est mon bourreau. Je n’aurais jamais pensé qu’un habitant de Saint-Pierre m’eut exécuté, ne me manque pas, surtout ! » Puis, se retournant il a baisé le crucifix que lui présentait le prêtre qui l’avant accompagné, et ensuite a embrassé l’aumônier à plusieurs reprises. Comme l’on voulait le lier à la bascule, il a encore dit : « Attendez ! Je veux parler. » Puis s’adressant à la foule qui entourant le lieu : « C’est moi, Néel Joseph, vous voyez, je vais être tué parce que j’au tué ! Que Dieu vous préserve et que pareille chose ne vous arrive. »
Au moment où le bourreau l’a fait basculer, il a de nouveau recommandé de ne pas le manquer et il a ajouté, en glissant sous la lunette : « Au revoir, les amis. » Une fois engagé, il a encore ajouté : « Je ne suis pas bien comme cela, avance-moi un peu plus », ce que je bourreau a fait. Il s’est passé une demi-minute avant que le couteau ne tombe ; le malheureux parlait encore et le bourreau, sans doute effrayé, attendant un ordre, un signe qui lui a été enfin fait par le procureur de la République.
La tête à été tranchée à peu près ; il a fallu, pour la séparer entièrement, se servir d’un couteau. C’était prévu, l’instrument que l’on nous a envoyé n’étant pas de première jeunesse.
La même lettre m’annonce une nouvelle un peu consolante :
C’est avec plaisir que j’ai vu que vous parliez de nos braves et malheureuses victimes de l’Ella et des Quatre-Frères disparues au printemps, quand ils venaient pour faire la pêche.
Nous avons récolté ici, pour les familles de ces malheureux, près de 4,500 francs ; c’est un bien beau résultat pour un petit pays comme notre Rocher.