3 décembre, 2024

1898 – Les étrennes à Saint-Pierre et Miquelon

17 décembre 1898 – Journal Officiel des Iles Saint-Pierre-et-Miquelon.
N° 51, 33e année.

Les étrennes

L’exposition des objets d’étrennes commence à Saint Pierre bien avant le premier de l’an. C’est un prétexte tout trouvé pour « courir les magasins.» On stationne, on examine, on marchande, et finalement on achète pour ne pas laisser échapper l’occasion.

Avant de faire notre tour de ville, donnons un souvenir attendri aux magasins disparus. Il y a quelques années florissait Mme Le Rallec, qui en sa qualité de parisienne était à la coule. Elle savait si bien raser son monde que venu chez elle pour acheter un sucre d’orge, on s’en allait les poches bourrées de bonbons, de fondants et de marrons glacés. Elle avait une façon de dire « c’est exquis ! » qui triomphait de toutes les hésitations.

Toute autre était l’excellente Madame Durieux, qui ne savait pas faire valoir l’article, mais très accommodante tout de même. Chez elle, un objet tarifé cinq francs était emporté pour trois francs. Elle était en outre bonne guérisseuse des jouets estropiés. Je me souviens avoir acheté un lapin qui jouait du tambour et qui avait égaré ses baguettes. Mme Durieux ne fut pas embarrassée pour si peu.

Elle lui mit entre les pattes une paire de castagnettes. Je dois dire que le lapin protesta. Jamais il ne fit aller ses castagnettes.

Le magasin de Madame Jouault était célèbre par les : occasions » émanant de magasins de Paris, de ceux qui affichent en guise de réclames : « Enfin ! nous avons fait « faillite !» Seulement les prix étaient cotés de Paris même, et rien ne pouvait les modifier, pas même un arrêté du Gouverneur. C’était à prendre ou à laisser. Généralement on prenait, et on ne s’en repentait pas.

Enfin il y avait le Gagne-petit de la mère Langlois, mais ce n’est qu’une éclipse. La bonne dame a dit qu’elle reviendrait avec tout un charabanchénal, ( elle a voulu dire un caravansérail).

Et maintenant que nous avons versé une larme sur les magasins d’autrefois, arrivons à ceux d’aujourd’hui.

Une première escale chez Mme Vve Munier. Là, exposition modeste, mais à la portée de toutes les bourses, avec cette précision que si le jouet ne plait pas on peut se rejeter sur les gâteaux qui plaisent toujours. Un spectacle intéressant, c’est de voir entrer des mômes pauvrement vêtus qui tournent dans leurs doigts un sou, faible capital, avouons-le, eu égard aux convoitises dont ce sou resplendit. Eh bien! l’enfant part toujours enchanté. C’est étonnant ce qu’avec un sou on peut obtenir chez Mme Munier !

Chez M. Amédée Bréhier, l’étalage est savamment ordonné, les fournitures de bureau en imposent toujours, ça rappelle au français la sainte bureaucratie. Aussi parle t-on bas comme dans une église. .. On se consulte, on regarde l’objet dont on a envie, et on tâte son porte monnaie. Si le porte-monnaie a des rotondités rassurantes, on se lance. « Bah! se dit-on, le premier de l’an n’arrive « qu’une fois dans l’année ! » Et on sort, avec dans sa poche des billets de tombola, ce qui est une manière de rattraper, sinon son argent, du moins ses illusions.

Chez MM. Bailly-Littaye. le jouet est plus particulièrement français. Et puis il y a tant de choses dans ce magasin qu’il faudrait une volonté de fer pour résister à la tentation. – –

Le magasin de M. Edmond Fontaine est réputé à juste titre comme bien achalandé. C’est là qu’on trouve plus particulièrement la bimbeloterie de luxe. Etrennes sérieuses qui sollicitent la prodigalité de ceux qui ont le devoir de se conduire en gentlemen.

A la devanture du magasin Prenveille. grand assortiment de pantins, boîtes a surprise, tourniquets et petits ménages, jeux de massacre, caoutchoucs peints, et ferblanterie fantaisiste ajustée à l’américaine. Nous avons vu, couchés dans leurs boîtes, des fantassins français et des soldats anglais qui ne demandent qu’à se battre. Heureusement ils sont en bois, ce qui leur assure un avantage sur leurs frères d’armes en chair et en os; on peut les recoller, même la tête.

Chez Mme R. Bouffaré, spécialités pour dames et pour enfants : lingerie enrubannée, fanfreluches, fleurs, plumes. tissus de diverses qualités dont la plus value s’augmente de l’art de la modiste. Epingler un nœud sur un chapeau, plisser une tulle en ruche, accoler la nuance d’une garniture à une robe, ça ne paraît bien et cependant il faut un tour de main qu’on trouve à St Pierre, rue Bisson, et aussi à Paris, rue de la Paix.

Remontons, si vous le voulez bien, par delà les hauteurs qui avoisinent le Calvaire. Encore des petites boutiques qui aguichent l’oeil par des jouets suspendus à une ficelle, le long des vitres. Humbles jouets qui ne paient pas de mine, mais qui ont des admirateurs parmi les bambins sortant de l’école. Oh! les belles choses! Poupées de treize sous qui cachent leur corps rempli de son sous une simple lustrine, singe grimpant le long d’un mât, forgerons tapant sur l’enclume en glissant sur un coulisseau. … Je ne suis pas bien sûr qu’on ne retrouverait pas chez ces modestes marchands le jouet qui a fait peur à ma première bonne, quel ? Un diable sortant d’une boîte, dès que le couvercle se lève. C’était simple, émouvant, et une lustrine noire dissimulait le ressort en fil de fer qui faisait bondir le diable…

Une heureuse constatation pour finir. Nous n’avons pas vu de livres d’étrennes. Ca me venge de mon enfance où mes parents me donnèrent pour mon premier de l’au les Oraisons funèbres de Bossuet dorées sur tranche. De telles étrennes pèsent sur l’estomac comme une indigestion Ces Oraisons funèbres, magnifique édition, je les ai trimbalées longtemps dans bien des voyages. Elles m’ont fait payer des suppléments de bagage relativement considérables, jusqu’au jour où ennuyé j’en fis cadeau au curé de Miquelon.

VIATOR.

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