30 août 1889. Feuille Officielle des îles Saint-Pierre et Miquelon
Exécution capitale à St-Pierre.
Samedi dernier, place Courbet, a eu lieu l’exécution de Joseph Néel, la première dans la colonie depuis la reprise de possession. A trois heures et demie du matin, MM. Caperon, Procureur de la République, Siegfriedt, greffier des tribunaux, l’abbé Cadoret, désigné comme aumônier par M. le Supérieur ecclésiastique, Sigrist. gardien-chef de la prion entrent dans la cellule du condamne. Néel couché dans son cadre paraissait dormir. Très doucement M. le Procureur de la République le touche à l’épaule. Néel ouvre les yeux et se dresse sur son séant. A la nouvelle qu’il n’a plus de grâce à espérer que dans la miséricorde divine, Néel répond : « Oh ! la mort ne me fait pas peur ! » et il ajoute : « il y a longtemps que je serais mort sans M. et Mm Sigrist. Ils ont été bons pour moi. Je veux les remercier avant de mourir.» Et tout ça discourant gravement sur les motifs de sa condamnation, Néel s’habille seul, sans tâtonnement, sans que ses mains soient agitées du plus léger tremblement. Conduit au greffe de la prison où il doit subir les funèbres apprêts de la dernière toilette des condamnés à mort, Néel s’asseoit sur une chaise, et sur la proposition qui lui en est faite, accepte d’abord un verre de vin, puis un bol de thé chaud, qu’il déguste à petites gorgées. Avec un sang-froid qui confond tous les assistants et une liberté d’esprit vraiment inouïe dans des circonstances pareilles, Néel passe en revue tous les événements de sa vie de marin. Entre autres réflexions, il fait celle-ci : « Qui aurait cru que la terre m’aurait, moi qui aurais dépérir cent fois en mer…» Laissé seul avec l’aumônier, Néel a reçu les secours de la religion.
A quatre heures et demie, Néel monte dans un cabriolet et arrive vers les 5 heures au lieu dit place Courbet où une foule assez compacte se tient silencieuse, maintenue à distance de l’échafaud par un cordon de troupes. Le jour commence à paraitre. Néel descend de voiture, et d’un pas ferme s’achemine vers la guillotine dont la vue ne parvient pas à amollir son courage. II reproche à un des exécuteurs qu’il reconnait le redoutable service qu’on attend de lui, puis de la plateforme où il est monté, s’adressant à la foule, d’une voix forte : « Que mon exemple serve de leçon, dit-il, j’ai tué, on va me tuer; ne faites pas comme moi. » Pendant que le Révérend Père Cadoret s’agenouille au pied de l’échafaud, récitant les dernières prières, les exécuteurs s’emparent de la personne du condamné. Néel ne se débat pas. On l’entend encore sur la fatale bascule répéter à l’exécuteur : « Et surtout ne me manque pas ! » Le couteau tombe. Joseph Néel avait expié son crime.
NB: les frais d’exécution de Joseph Néel se ont élevés à 1036,80 Francs.