22 décembre, 2024

1898 – Le carnaval des patineurs

Samedi 26 février 1898 – Journal Officiel des îles Saint-Pierre et Miquelon
33e année – Numéro 9 – Pages 3-4.

Le carnaval des patineurs.- Le carnaval des patineurs est l’évènement de l’hiver sous notre ciel St-Pierrais. Chaque ville a ses attractions, Venise, le Rialto, New-York, le pont de Broocklyn, St-Pierre a son Skating-Rink, et le carnaval des patineurs marque l’apogée des efforts tentés pendant la saison. On s’y prépare longtemps à l’avance, on débat le travestissement que l’on mettra, et une fois le costume arrêté, on taille l’étoffe, on coud, on enjolive, on perfectionne. Tout ce que le goût ou la fantaisie peut suggérer d’original, les ciseaux l’entreprennent et des doigts de fée l’accomplissent.

Un moment on avait craint que le dégel, l’absurde dégel, ne vînt compromettre tant de belles espérances. Mais Saint-Pépin veillait. Lundi, jour de la fête de ce grand Saint, le thermomètre a remonté, et grâce à la température, les arrosoirs aidant, la nappe d’eau s’est prise avec une solidité d’airain.

Bien avant l’heure fixée pour le défilé, le public envahit les bas côtés du hall, et, pour tromper l’ennui de l’attente, les banquettes regardent la banquise. Comme une vierge inviolée, la glace étale sa nudité couleur d’étain. Une question voltige de bouche en bouche : La glace est-elle bonne? Les avis sont partagés. Les uns la trouvent superbe, d’autres disent qu’elle est exécrable. Les discussions vont leur train, quand un savant du Rink, après l’a voir auscultée, formule ainsi son avis : «Ca et là des ampoules, mais ça disparaîtra sous le nivellement de l’acier des patins.» Allons, tant mieux ! Boileau avait deviné juste, quand il a dit, en parlant de la glace : Polissez la sans cesse, et la repolissez.

Neuf heures!.. Le défilé commence. Deux par deux, se tenant par la main, patineurs et patineuses passent et repassent dans un tel mouvement orbiculaire qu’on a de la peine à fixer leur identité. Reconnu cependant au passage – robe noire d’étamine, rabat sous le menton – la jeune doctoresse, Mlle Chauvin, qui ne pouvant plaider à Paris s’est probablement dit qu’il y avait une place à prendre au barreau de St-Pierre. M. le Gouverneur crie à la gracieuse avocate: « Dura lex ? » Elle répond sans perdre son aplomb : « Dura lex, ut silex. » Avec ces jurisconsultes féminins on n’a jamais le dernier mot.

Et les enfants, n’oublions pas les enfants. On a dit qu’à St-Pierre ils naissaient avec des patins aux pieds. C’est un peu exagéré, mais dès qu’ils ont fait leurs premières dents, on les lâche sur la glace. Et ils s’en donnent à coeur joie, les chers mignons ! les yeux avivés par le plaisir, les joues roses, les jambes infatigables. Ah! Ils s’amusent pour leur compte, sans se soucier de la galerie, ceux-là, et ils ont bien raison. Une mère que je complimentais sur la dextérité de son fils, un bambin de cinq ans qui avait l’aplomb d’une vieille garde, me dit ;

« Voyez-vous, Monsieur, c’est de la bonne éducation; quand on se tient bien sur la glace, on sait se tenir plus tard dans toutes les circonstances de la vie. » Je crois bien avoir lu cela dans Sénéque, à moins que ce ne soit dans La Rochefoucault, mais jamais observation ne m’a paru plus frappante. L’équilibre, tout est là, et ce n’est pas au collège, mais sur le Rink qu’on apprend à être équilibriste.

A dix heures, la fête battait son plein. Un clown authentique comme si un notaire l’avait paraphé ayant crié de sa bouche fendue en coup de sabre: Miousique, l’orchestre a attaqué l’air connu: « Bon voyage, Messieurs du mollet, à St-Malo patinez sans naufrage. » Les quadrilles se sont organisés, et c’est merveille de voir les vis-à-vis se dis joindre, s’entre-mêler, et revenir à leur place. Les courbes, les voltes, les orbes, ont été exécutées avec une élégance parfaite. Il n’y a pas à dire, l’art de patiner a été poussé ici aux dernières limites. N’avons-nous pus vu, lundi soir, un scaphandrier qui, la tête enveloppée dans son appareil de plongeur. et par conséquent n’y voyant rien, a parcouru le Rink sans buter? C’est là un tour de force qu’on n’a pas assez admiré. L’an prochain, peut-être verrons-nous un paralytique patiner, et on trouvera cela tout naturel, tant il est vrai que rien n’est impossible pour un patineur Saint-Pierrais!

A minuit, le carnaval de 1898 a exhalé son dernier soupir. Quoiqu’on dise, il n’a pas été inférieur à ses devanciers. Le propriétaire du Rink, M. Erausquin, avait décoré sa salle avec beaucoup de goût. Nous espérons pour lui qu’il aura été récompensé de sa peine et de ses dépenses par une fructueuse recette.


Source : 1900 Annuaire des îles Saint-Pierre et Miquelon.

SKATING-RINK DE SAINT-PIERRE .

Le Skating -Rink est établi sur un terrain dont la jouissance , pour une période de dix années expirant le 2 octobre 1905, a été accordée par l’Administration de la colonie.
La saison d’hiver commence le 1er décembre pour finir le 1er avril.
Les prix d’abonnements, pour la saison d’hiver, sont ainsi fixés :

1o Pour une personne seule ….. 25 francs

2o Pour deux personnes de la même famille ….. 37 francs 50

3o Par chaque personne en plus dans les mêmes conditions ….. 6 francs 50

Les demandes d’admission doivent être adressées à M. Erausquin


 

Grand Colombier

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