Feuille Officielle des îles Saint-Pierre et Miquelon
Samedi 23 Février 1884 – Fête des patineurs.
Le Skating-Rink de Saint-Pierre célébrait lundi dernier avec un grand éclat et dans les meilleures conditions possibles son 3* carnaval des Patineurs.
Cet établissement, fort discuté à son début, est devenu bien vite la principale, et nous pourrions presque dire, la seule distraction de la Société Saint-Pierraise pendant nos longs et froids hivers : aussi la fête de l’autre soir a eu un succès complet.
Avec l’aide des marins du Crocodile, mis gracieusement à la disposition du Comité du Rink par M. le lieutenant de vaisseau Fort, commandant de cette canonnière, et sous l’habile et intelligente direction de M. Boutillier, une décoration élégante, légère et de bon goût fut érigée en trois jours.
Un temps exceptionnellement beau avait permis à un public nombreux de se rendre à ce spectacle si attrayant pour tous,
Le défilé des patineurs a eu lieu un peu après 8 heures 1/2, aux accents de la Marseillaise; il a été très brillant ; les costumes étaient généralement de bon goût et il y en avait de fort originaux. Nous pourrions citer ceux qui nous ont le plus frappé; mais nous éviterons de le faire de peur d’en oublier involontairement quelques-uns qui mériteraient peut-être une mention toute spéciale. La soirée s’est continuée avec beaucoup d’entrain jusqu’à minuit sans que le moindre incident en soit venu troubler la bonne harmonie.
Les lanciers et les valses ont été dansés avec beaucoup de talent et de grâce par les meilleurs patineurs de la société.
La Fanfare St-Pierraise s’est aussi particulièrement distinguée. Nous avons remarqué, depuis quelque temps, que cette fanfare, dont les exécutants sont en nombre suffisant, faisait des progrès sensibles. Cela tient uniquement à ce que ces messieurs travaillent plus qu’auparavant ; s’ils veulent devenir excellents (et ils sont en bonne voie pour cela) nous les engageons à continuer ce moyen; c’est le seul réellement bon.
Nous nous demandons si tous ceux qui trouvent leur plaisir de presque tous les jours au Rink savent bien quelles peines et quels soins l’administration de cet établissement donne à ceux qui en ont accepté la lourde charge ? Ce sont ces difficultés sur lesquelles nous ne voulons pas nous appesantir qui rendent chaque année si pénible le recrutement du Comité.
Aussi sommes-nous heureux de lui adresser, avec nos remerciements. nos plus sincères félicitations sur le succès de leur dernier carnaval .
Un abonné au Rink
Feuille Officielle des îles Saint-Pierre et Miquelon
Samedi 1er Mars 1884 – Carnaval des patineurs.
Le deuxième grand bal paré et costumé de la saison a eu lieu le lundi gras, au Rink, avec un éclat et une animation dignes de tous les éloges, si les éloges n’avaient pas été épuisés dans un précédent article. Les travestissements sont la raison d’être de ces sortes de divertissements. Il faut reconnaître que quel ques uns de ces travestissements étaient fort réussis. Parmi les costumes féminins, mentionnons celui d’une séduisante Gitana. Du moins nous pensons que c’était une gitana, au tambour de basque qu’elle avait à la main et aux sequins qui ornaient sa coiffure. Mais peut-être bien était-ce une Italienne, si l’on s’en remet au manteau rouge calabrais qui flottait sur ses épaules et à la vendetta possible pronostiquée par deux beaux yeux ombragés par des cils bien arqués. On remarquait également une bergère délicieusement costumée, un Watteau descendu de son cadre! bien vivante cependant à en juger par les courbes savantes qu’elle décrivait sur la glace; une bohémienne toute mignonne portant à ravir le costume bariolé d’Azucéma dans le rôle du Trouvère. Ce dernier costume, qui aurait pu être signé Grévin, avait le mérite de ne pas être banal; de là, cette reminiscence classique entendue : Prima inter pares. Une jeune fille, avec le justaucorps de garde-française, fort bien sous cet uniforme dont elle faisait ressortir tous les avantages, attirait tous les regards. Signalons encore, et non la moins gracieuse, une jeune personne ayant revêtu le costume des riches paysannes de la petite Russie.
Beaucoup de couleur locale dans l’agencement de cette toilette qui seyait merveilleusement bien à celle qui la portait. Une abondante chevelure ruissellait déployée sur ses épaules et donnait envie à ses admirateurs de se faire nihilistes, si cette détermination avait dû les conduire au milieu de paysannes aussi gentilles. N’oublions pas non plus la Nuit et l’Aurore, deux charmantes toilettes estompées dans le flou d’un nuage de gaze parsemé d’étoiles, qui émaillaient à profusion le deuil de la Nuit et le rose-crême de l’Aurore.
Pourquoi l’Aurore en rose-crême ? Peut-être en est-il toujours ainsi, depuis que le vieil Homère s’est imaginé de dire : l’Aurore aux doigts de rose ? Enfin, citons en courant, une pimpante Ecossaise, une Folie svelte et adorable (comme toutes les folies), que sais-je encore ? Autant vaudrait compter les étoiles de la Nuit et de l’Aurore ? – Sous le rapport de l’originalité des travestissements, le sexe fort ne s’était pas laissé éclipser par la concurrence féminine. Il y a eu des trouvailles fort ingénieuses en vue de résoudre ce problème : faire beaucoup avec peu de chose. Sans parler d’un général exotique et empanaché, à favoris cotonneux, qui soutenait son personnage avec vérité, il y avait un Kroumirabelle barbe blonde, (invraisemblable pour un Kroumir, cette barbe blonde ! ), un Méphistophelés élégant et fatal, un Robinson-Crusoë très nature, un Bedouin un peu trop poussé au noir, un Turc (prononcez un Teur) qui se multipliait, un maquignon d’un réalisme à satisfaire M. Zola, un jockey ayant oublié de maigrir, un pêcheur napolitain qui donnait une idée de Mazaniello à l’âge de 18 ans, etc., etc
Très-drôle celui qui était déguisé en planteur ! on a vu de ces têtes là dans les champs de canne !Une mention flatteuse au citoyen qui s’était emprisonné le buste dans un tonneau contenant du vulgaire Piccolo. Encore si c’eut été du Malvoisie !
Si toute peine mérite récompense, le Piccolo a obtenu le juste tribut de succès qui lui était dû. L’actualité avait fourni prétexte à un déguisement dont l’allusion a été vite saisie.
Nous avons eu le candidat à la délégation. Sur son chapeau s’étalait cette profession de foi, courte et bonne, la meilleure par conséquent « Votez pour moi ». La gaîté causée par ce personnage énigmatique se doublait de la curiosité qu’il excitait. On a été longtemps avant de mettre le nom sur la véritable personnalité que recelait le candidat à la délégation. Les imaginations ont eu beau jeu à s’exercer.
Un immense éclat de rire, ainsi qu’une traînée de poudre, a parcouru toute la salle, à l’irruption, sur le Rink, de huit pénitents blancs. muets comme des sphinx. Quels étaient ces mystérieux inconnus ? Ils avaient tous dans le dos un gigantesque domino gravé.
Etaient-ce des décavés du café du Commerce à Toulon qui remplissaient un voeu ? A celui qui était marqué du double-quatre, on a lancé la traditionnelle exclamation : Bazaine. Non, ce n’était pas Bazaine, mais un des fonctionnaires les plus aimés de la colonie, apparition a été d’autant mieux accueillie
Les enfants ont eu leur part de succès, jetés de bonne heure sur le Rink dont ils connaissent les tours et les détours, ils seront des patineurs émérites pour plus tard. Tous patinent déjà avec une hardiesse dédaigneuse des chûtes. Tous attifés par les mamans qui avaient reporté sur eux leur orgueil maternel. ils étaient bien gentils à voir évoluer.
Nous avons remarqué entr’autres un bambin de six ans, costumé en marquis de l’ancien régime. qui semblait un atôme perdu dans la ronde sabbatesque dont il faisait partie. Parmi les fillettes déjà grandes, l’espoir et l’ornement du Rink, l’une en vivandière, et l’autre en tireuse de cartes étaient une regal peut les yeux. S’il fallait tirer leur horoscope, nous leur prédirions un sûr succés de beauté.
A 10 heures, Jumbo, le héros de la soirée, a été exhibé aux applaudissements du public. Présenté par son cornac qui s’était muni de la chambrière, à tout évènement, le pachyderme s’est aventuré sur la glace avec cette assurance qui donnerait à penser qu’il a vtt le jour non pas dans les régions torrides de l’Afrique, mais dans les pays septentrion. A vrai dire, l’émotion d’un premier début n’était pas à craindre, puisque c’était la seconde fois que Jumbo affrontait l’honorable, société.
Aussi a-t-il été doux, patient, sage comme un éléphant qui sent son terrain glissant. Il a remercié par un cri rauque et amical l’aimable compagnie qui lui a fait une si belle ovation.
Jumbo remisé, les danses ont continué et se sont succédé sans interruption. La glace, miroir poli-avait des reflets d’acier, diamantés par l’éclat des lampes, et sur le fond lumineux de ce décor, les étoffes chatoyaient dans une couleur prismatique, et le Rink, vu à vol d’oiseau, présentait le coup d’oeil féerique d’une sarabande vertigineuse où danseurs et danseuses s’entremêlaient dans une apparente confusion et se retrouvaient à la place assignée, toujours avec précision. Tant d’art entre t-il dans la science du patin ! Epatant ! Les sept cent soixante spectateurs qui s’étaient donné rendez-vous au Rink ont emporté de cette soirée charmante une impression ineffaçable, dont il serait injuste de ne pas faire remonter une bonne part à l’actif et intelligent Président de la société du Rink, M. Le Buf. Voilà qui est bien, mais si, l’année prochaine, on ne veut pas rester au-dessous du succès de cette année, il faudra se surpasser.
UN SPECTATEUR.
Je ne sais pas qui a écrit cela, mais il est sur qu’il savait bien parlé.
ben oui mieux que moi : parler, lol