Dimanche dernier, la goëlette « Tour du Pin, » du port de Cancale, venant des lieux de pêche, est arrivée à St Pierre et dès son arrivée, le capitaine Lainé s’est empressé de faire connaître à la Justice les faits suivants :
Le 8 septembre, la goëlette « Tour du Pin, » se trouvant au mouillage sur le Banquereau, le mousse Pierre Milon, âgé de quinze ans, se prit de querelle avec son frère Louis, novice, âgé de seize ans, pour un motif des plus futiles. Des paroles on en vint rapidement aux voies de fait. Pierre porta un coup de poing à Louis qui riposta par un coup de pied. De nouveau, le cadet frappa l’aîné, puis il prit la fuite, suivi de Louis.A l’entrée de la chambre de l’équipage, ils se rejoignirent et Louis s’apprêtait à donner un coup de pied à Pierre, mais celui-ci le dévança et lui plongea dans la poitrine son couteau-piqueur jusqu’à la garde. L’aîné ne put faire que quelques pas en s’écriant: « Holà, là ! il m’a crêvé le ventre ! » et tomba pour ne plus se relever.
Cette scène meurtriêre a produit sur l’équipage, presque tous cancalais, une émotion indicible. Autant Louis, la victime, était aimé à bord à cause de son caractère doux et tranquille, autant Pierre, le meurtrier, se montrait taquin et irascible.Tous deux avaient été élevés ensemble par leur mère qui habite Saint-Helin, arrondissement de Dinan, le père étant mort dans un naufrage.
Le lendemain de l’attentat, la victime a eu les honneurs de l’immersion qui est la sépulture des marins, triste cérémonie d’autant plus poignante que le meurtrier en voyait tous les apprêts. –
Pierre Milon a été écroué à la prison de Saint-Pierre sous l’inculpation d’homicide volontaire.
2 octobre 1891
Samedi dernier, est venue devant le Conseil d’appel jugeant correctionnellement l’affaire de Pierre Milon, ce jeune mousse qui avait mortellement frappé son frère d’un coup de couteau, à bord de la goëlette de pêche : Tour du Pin. La prévention s’est réduite aux proportions modestes de coups ayant entraîné la mot, sans intention de la donner. Le capitaine Lainé, cité comme témoin, a donné des renseignements intéressants sur le caractère fougueux et irritable du jeune mousse. L’inculpé n’a cessé de pleurer, affirmant que, dans la dispute survenue avec son frère, il était aveuglé par la rage à ce point qu’il ne s’est pas rendu compte en le frappant qu’il avait un couteau dans la main. Malgré les efforts du défenseur tendant à faire admettre qu’il avait agi sans discernement, Pierre Milon reconnu coupable a été condamné à cinq ans d’emprisonnement.