Vendredi 2 octobre 1891 – La diphtérie à Saint-Pierre.
La diphtérie longtemps inconnue à Saint-Pierre parait, vouloir s’y implanter.-Si l’on n’y prend garde l’endémicité actuelle ne fera que s’accroitre et s’étendre.
Cette affection, qui désole nos voisins parait avoir été importée de Terre-Neuve par l’homme et les animaux.
Par l’homme, cela se comprend facilement – ce qui se voit moins et ce que nos recherches personnelle n’ont démontrée c’est sont introduction assez fréquente par les importations » de poules, canard et pigeons. Plusieurs cargaisons de poules importées de chez nos voisins ont introduit le mal. – Des poules contaminées arrivent ici où jusqu’à ce jour elle n’ont pas été visitées à l’arrivée.
Que se passe-t-il ? une mère de famille constate que ses poules sont malades, quelle meurent – Son investigation ne va pas plus loin. Elle n’a remarqué ni les fausses membranes qui tapissent l’intérieur du bec de ses volailles ni le liquide du jetage qui se répond à terre, ni le pain tombé des mains de l’enfant, ramassé par la poule diphtéritique et repris par l’enfant qui le mange sans crainte tandis qu’il introduit dans sa bouche l’instrument de contage qui va lui donner la diphtérie et peut être le tuer.
Voilà certainement une des causes principales et évidentes de la contagion.-Celle-ci se produit aussi par le linge. le plancher, toutes choses enfin souillées par le jetage de ces animaux.
Je ne vais pas plus loin dans cet ordre d’idées croyant que l’exposition seule de ces faits suffira non pas seulement à convaincre mais à montrer à beaucoup de parents la cause de la maladie de leurs enfants. J’ai déjà prescrit, en attendant mieux, une surveillance spéciale pour les : arrivages de ces animaux à MM les médecins arraisonneurs
J’ai fait des recherches pour déterminer la mortalité générale des enfants ainsi que la mortalité et la morbidité par diphtérie.
Il est bon d’établir que la mortalité générale est assez élevée à Saint-Pierre puisque durant l’année 1890 on relève 220 naissances contre 253 décès.
Là dessus on compte 108 décès d’enfants, chiffre énorme.
1889 … 79 décès d’enfants.
1890 … 108 décès. –
1891 … 61 décès en 8 mois.
Ces chiffres sont assez éloquents pour être entendus. Je n’insisterai pas.
[…] maintenant, après avoir montré la mortalité des enfants, mortalité fort élevée, parler de la mortalité et de la mortalité par diphtérie malgré la parfaite tenue des registres de l’état-civil (décès) il m’a été impossible de trouver, à côté des décès d’enfants, le diagnostic de maladie qui a déterminé leur mort- cette colonne qui ne peut être remplie que par les médecins est vierge de tout diagnostic ce qui ne m’a pas permis de donner une statistique parfaite. Il parait à désirer qu’à chaque décès d’enfant le médecin traitant mit le diagnostic de sa propre main sur le registre de la mairie. Malgré cette lacune regrettable et qu’il suffit de signaler pour y remédier, j’en suis convaincu, j’ai pu, grâce à l’obligeance parfaite des docteurs Dupuy Fromy, Pascalis et Sabatié qui ont bien voulu, à ma demande, faire appel à leurs souvenirs, j’ai pu établir et formuler en chiffres qui ne sont pas dénués d’exactitude le quantum de la morbidité et de la mortalité par diphtérie depuis le 1° mai 1890 jusqu’au 1″ septembre 1891, soit pendant une durée de 16 mois : La mortalité a été de 43 pour cent des enfants atteints.Voilà le mal tel que nous le montre la brutalité d’un chiffre, —
La doctrine contemporaine du parasitisme nous permet aujourd’hui, si nous le voulons, de prévenir cette maladie en détruisant les foyers d’endémicité au fur et à mesure de leur production.
Il faut entreprendre la prophylaxie de cette affection et porter un prompt et énergique remède à ce déjà trop long martyrologe des enfants de la colonie ainsi que des parents et de toutes les personnes dévouées qui les assistent.
La contagiosié de la diphtérie étant aujourd’hui démontrée, l’étiologie locale et le mode de transfert étant connus, il est grand temps de porter le fer rouge sur cet ulcère rongeur de nos iles en pratiquant, dès demain, les diverses mesures que je vais avoir l’honneur de soumettre à votre haute approbation.
Je ne doute pas un instant. que les pouvoirs publics, les conseils élus, ne nous donnent les moyens pour remédier à ce mal, qui, s’il n’était vite enrayé, ferait de nos iles une nécropole des enfants.
La brave population de St-Pierre qui donne, dans ces mers, un si bel exemple d’activité et le travail ne voudra pas se laisser maitriser par une maladie qui a déjà fait tant de ravages. –
Le besoin de faire un appel aux mères inquiètes ne se fera pas sentir: elles sont toutes avec nous cela est certain puisque être avec nous c’est veiller sur des jours qui leur sont bien précieux.
La femme, la mère, l’être du dévouement par excellence est toujours avec ceux qui prônent les larges conceptions; elle encourage et soutient les persévérants et
les résolus qui préconisant une idée juste, pratique et généreuse.
Conformément à vos ordres, j’ai étudié les moyens pratiques de combattre ce fléau.
L’Angleterre, ce vieux pays de liberté, l’Allemagne, la Hollande, la Belgique et, plus près de nous, Terre-Neuve ont pris des mesures véritablement draconiennes pour arrêter ce mal.
La ville du Hâvre est aussi entrée dans cette voie depuis quelques années.
Partout les résultats ont été merveilleux. Négligeant presque tout l’arsenal des précautions ennuyeuses pour la population je me suis attaché à vous proposer divers moyens que je vais énoncer sous le nom de :
1° Mesures d’isolement;
2° Mesures de désinfection;
3° Mesures de prohibition à l’égard des volailles de Terre-Neuve ; –
4° Mesures de salubrité générale : voirie, vidanges, égouts, lavoirs, eaux, etc.
Si vous donnez votre approbation à ces grandes lignes je suis prêt, Monsieur le Gouverneur, à vous proposer des mesures qui permettront de mener à bien les idées que vous avez bien voulu me signaler par votre lettre du 28 août dernier. –
Je suis, avec un profond respect, Monsieur le Gouverneur votre très-obéissant subordonné.
Dr Edouard DUPOUY
Chef du service de Santé,