La question de la présence irlandaise aux îles Saint-Pierre et Miquelon ne se pose que récemment, suite à une prise de conscience collective que les origines des îliens sont bien plus complexes que le triptyque classique « Basques, Bretons et Normands ». Plus précisément, pratiquement chaque famille de Saint-Pierre, plus qu’à Miquelon, peut recenser parmi ses aïeux, une « anglaise », de fait une Terre-Neuvienne d’origine irlandaise.
Des Irlandais en 1541 ?
Mais la présence irlandaise avérée aux îles Saint-Pierre et Miquelon est bien plus ancienne que précédemment imaginée ! Parmi les nombreux textes qui en font état, il y a le célèbre livre du cartographe Alonzo de Santa Cruz, l’Islario general de todas las islas del mundo, publié en 1541, qui fait état d’une présence irlandaise et bretonne aux Onze Mille Vierges. Selon Santa Cruz, chaque année, un grand nombre de pêcheurs Bretons et Irlandais viennent s’installer aux îles pour la pêche saisonnière : « Al derredor desta tierra y costa ay muy grande abundancia de pescados, por laqual causa vienen cada año muchos bretones e irlandeses a pescar a ellas por el rrio, y llevan cargados sus navios dellos. »
Les Irlandais et la pêche anglaise
Aucun autre texte du 16e, ni même du 17e siècle, ne mentionnera de nouveau la présence de pêcheurs irlandais dans la région immédiate de l’archipel. La participation irlandaise dans la pêche terre-neuvienne est néanmoins documentée, mais l’Irlande étant alors une colonie britannique, leur présence se limitera de plus en plus à la côte anglaise de Terre-Neuve pendant que les Français s’organisent autour de la colonie de Plaisance. Voir : La participation des Irlandais dans l’industrie de la pêche [heritage.nf.ca]
Les Irlandais aux îles lors de la rétrocession
Lors de la rétrocession de 1763, les Irlandais de Terre-Neuve profitent de la présence de la France aux portes de leur île pour des raisons religieuses. Profondément catholiques, les Irlandais viennent à Saint-Pierre pour baptêmes, mariages et autre sacrements par le clergé catholique français :« Irish residents of the Burin Peninsula and South Coast came to St. Pierre to have marriages and baptisms performed by the Roman Catholic clergy stationed there » – Voir : The Restoration to France [heritage.nf.ca]
Les Irlandais au 19e siècle dans l’archipel
Au 19e siècle en revanche, nous savons grâce à Bachelot de la Pylaie, qu’une famille irlandaise s’était installée du côté de la Pointe-Plate à Langlade vers 1825. Nous ne savons rien d’autre de cette famille, ni ce qu’elle est devenue : « La partie occidentale de Langlade présente le cap Duhamel, ayant à chaque côté deux anses au-devant desquelles s’avance un prolongement intérieur du sol. Au midi du cap, cette saillie porte le nom de Pointe-Plate, et se trouve au-devant de l’anse appelée le Prince ; au nord, elle forme entre elle et la côte l’anse à Banet, au bord de laquelle une famille irlandaise avait bâti une cabane. » – NOTICE Sur l’île de Terre–Neuve et quelques îles voisines, Bachelot de la Pylaie
Les Irlandais au 20e siècle dans l’archipel
Bien avant les observations du géographe Edgar Aubert de la Rüe sur le nombre d’Irlandaises installées sur l’île Saint-Pierre, c’est De Faucher de Saint-Maurice qui recense quelque 400 Irlandais venus de Terre-Neuve et trouvant à Saint-Pierre : « Sur l’ile Saint Pierre dit-il ce sont de vrais français, bretons et normands, pour la plupart très actifs ayant beaucoup de cœur. Ils sont divisés en deux classes, celle des pêcheurs et celle des commerçants. Il y a ici une colonie basque, race curieuse qui fait bande à part, ayant conservé sa langue et ses coutumes. On compte aussi, à Saint Pierre, quelques Anglais, employés au télégraphe sous-marin, qui atterrit en cet endroit, et environ 400 Irlandais venus pour la plupart de Terre Neuve, dont les enfants se francisent rapidement. – En route: sept jours dans les provinces maritimes, De Faucher de Saint-Maurice
Recensement de patronymes irlandais aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon
À la fin du 19e siècle, l’annuaire McAlpine de Nouvelle Écosse, daté de 1890-1897, recense un marchand d’origine irlandaise : Sheehan R.O. & Co, com merchants, St Pierre.
Dans les annuaires et recensements du 20e siècle, nous trouvons un nombre conséquent de patronymes irlandais, dont cette liste de 1916.
1916 – Habitants de Saint-Pierre
- Dumphy Jean, marin.
- Dame Slaney Elisabeth, journalière.
- Slaney Joseph, marin.
- Slaney Pierre, marin.
- Veuve Slaney Richard, ménagère.
- Veuve Walsh, débitante.
- Veuve Walsh Catherine, blanchiss.
- Veuve Walsh Pierre, commerçante.
Edgar Aubert de la Rüe, géologue et géographe fort connu dans l’archipel, rapportera dans ses écrits le nombre important de Saint-Pierrais ayant des racines irlandaises. En 1969 il écrvait : « L’emploi de mots anglais, ou plus précisément américains, est relativement peu fréquent. Cela est d’autant plus étonnant que de nombreuses familles saint-pierraises, mais non miquelonnaises, ont une proportion plus ou moins forte de sang britannique, plus exactement irlandais. Cela tient au fait que depuis fort longtemps, et jusque vers 1930, des jeunes filles de la côte proche de Terre-Neuve, Irlandaises d’origine, venaient chercher du travail Saint-Pierre, épousaient des autochtones et s’y fixaient.. La rapidité avec laquelle ces étrangères se francisaient était très remarquable. » – Le français parlé aux îles SAINT–PIERRE–ET–MIQUELON. Article publié dans « Vie et Langage », revue mensuelle, par E. AUBERT DE LA RÜE
Tournons-nous vers un inventaire anonyme partiel du cimetière de Saint-Pierre de 2004, on y recensera les patronymes irlandais suivants (en gras) :
- BRIAND Marie (1947) et Leonie et Sarah Slaney
- BRY Georges (sans date) et Yvette Fitzpatrick (1959)
- FITZGERALD D V (1859) et Fanny et Inconnu
- FITZPATRICK Francois (sans date)
- FITZPATRICK Georges F (sans date) et Olivia (1976)
- FITZPATRICK Henri (1987) et Georges et Olivia
- FITZPATRICK Henri (1987)
- FITZPATRICK Mario (sans date) et d’autres noms
- FITZPATRICK Pierre (sans date) et d’autres noms
- FITZPATRICK Inconnu (sans date)
- FITZPATRICK Yves (sans date) et d’autres noms
- FLANDIGAN Inconnu (sans date) et d’autres noms
- HACALA Pierre (sans date) et Inconnu Dumphy
- MACE Felicien (1962) et Rose Walsh et d’autres noms
- NORGEOT Auguste (1909) et Madeleine Fitzgeraldt
- SLANEY Armand (sans date)
- SLANEY Blanche (1973)
- SLANEY Blanche Cambray (2001)
- SLANEY David (sans date) et d’autres noms
- SLANEY David (sans date)
- SLANEY Louis (1952) et Simone
- SLANEY M Michel (1962)
- SLANEY Pierre (1979)
- SLANEY Richard (1931) et Armand
- SLANEY Richard (1972) et d’autres noms
- SLANEY Richard (sans date) et d’autres noms
- WALSH Leonce (1974)
- WALSH Martin (sans date) et Paulette Nadine
- WALSH Patrick (sans date) et d’autres noms
- WALSH Pierre (1900)
- WALSH Pierre (sans date)
- WALSH Rose (1974)
- WALSH Thomas (sans date) et d’autres noms
- WALSH Inconnu (sans date) et Inconnu Perrot
Témoignages à la première personne
Sur l’ancien forum du GrandColombier (2002-2008), un certain nombre de participants faisaient régulièrement état de leurs origines irlandaises. Notons parmi ceux-là deux commentaires fort à propos d’intervenants depuis disparus :
- « Ma grand-mère était d’origine, Irlandaise, elle s’appelait, Mary Dumphy, ma mère elle est né à Miquelon, le 28 juillet 1918,elle s’appelait, Laetitia Marie Joseph Cormier, elle est décédée à l’Hôpital de, St-Pierre, a l’âge de 19 ans. » – Jean-Pierre Cormier, 2002
- « Moi c’est mon arrière-arrière-grand-mère Helen Hartley qui vient de Plaisance… Une sacre bonne femme avec du sang irlandais plein les veines! A ce qu’en raconte F. Enguehard dans son bouquin! » – André Lafargue, 14 juin 2005
Et maintenant ?
L’histoire des Irlandaises et Irlandais de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a toujours pas fait l’objet d’une étude universitaire ou académique, un cas unique d’une population anglophone, entièrement francisée, en Amérique du Nord. Au-delà de ce bref inventaire à la Prévert, il y à tout à faire !
Note: photo inconnue. Si vous pouvez en indiquer la source, merci de le mettre dans les commentaires ci-dessous.
[Version 1.2 – corrections en cours]
Ce document m’intéresse beaucoup, mes ancêtres WALSH et HALEY étant de ces familles irlandaises établies à Terre Neuve puis intallées à St Pierre . Ainsi la grand-mère de ma grand-mère était Elisabeth WALSH née à Lamaline en 1832 et mariée à Jean Heguy à St Pierre en 1852 . Elle était la fille de Richard Walsh (né à St Laurent) et de Catherine Haley (née à Lamaline) qui ont eu 13 enfants entre 1822 et 1852 : les 4 ainés sont nés à Terre Neuve et les 9 autres à St Pierre .
Bonjour à toutes et à tous,
Evidemment, il y a bien un vide historique. De côté de mon père Henri CLAIREAUX il y a eu une terre-neuvienne qui descendait d’une souche irlandaise et qui a dû épouser soit un CLAIREAUX ou une des branches de sa propre mère Elisabeth LEROY.
Cordialement
Françoise CLAIREAUX
Thank you for this interesting article, and I hope it prompts additional academic research into the history of the Irish in SPM! My ancestors (some listed in the article) have a story that should be told. Thank you.
La bouteille est lancée à la mer : qui s »en emparera ? Merci pour ces renseignements Marc. Je crois savoir que Jeanne Poirier Lahiton a commencé une recherche sur ce thème.
Bonjour
Merci pour cet article…mon arrière grand-père Joseph Macé né à saint pierre nous disait que sa maman Frances Quirck née à St Lawrence – Terre-neuve était d’origine irlandaise ?
J aimerais tellement savoir…
Florence
I really enjoyed reading your very informative article on the Irish in St. Pierre. My grandfather was from St. Pierre although I haven’t been able to find his birth record. His surname was Brocqueviel which was anglicized to Brockerville when he came to Newfoundland to live. I have found some ‘Flannigan’ records in St. Pierre records – those being related to my mother’s side of the family. Thank you.
Violet
Bonjour Marc,
Mon arrière grand-mère du côté paternel était d’origine irlandaise et venait de Burin.
Elle s’appelait Brigitte Vickery.
Le nom de FAMILLE de sa mère était Shea.
Elle a épousé Gustave Jean JOSSEAUME et ils ont eu 3 enfants dont ma grand-mère HEBDITCH.(À TERRE-NEUVE
HEPDITCH.)
P.S:Mon arrière grand-père venait de Normandie d’un petit village situé à 15 km à l’est de Granville et appelé La
Lucerne-d’Outremer.