Histoire véritable de certains voiages périlleux & hazardeux sur la mer, ausquels reluit la justie de Dieu sur les uns et sa miséricorde sur les autres : tres digne d’estre leu, pour les choses rares & admirables qui y sont contenues
VOYAGE DEPLORABLE de la perte d’un navire allant à Terre-neuve, par le moyen du feu qui s’y mit, où la pluſpart du peuple mourut, & entr’autres le bourgeois d’icelui.
Il était demourant demeurant au village de Mozac paroiſſe de ſainct Iuſt pres de Marennes un fort honneſte homme, marchand marinier, nommé Pierre Houé, aiant de beaux moyẽns, lequel en faiſant ſon trafic ordinaire avoit touſiours quelque navire en baſtiſſure, ſoit qu’il y print plaiſir, ſoit qu’il en reçeuſt du profit : & si en avoit touſiours quelqu’un à la mer icelui donc ayant faict baſtir un tres beau navire du port de ſept à huict vingts tonneaux pour l’envoier aux Terres-neuves à la peſcherie de la molue, qui eſtoit ſon trafiq plus ordinaire ; ſe mit en la fantaſie d’y faire le voyage dedans, contre les remonſtrances que pluſieurs de ſes amis lui faiſoient pour l’en divertir, luy mettant devant les yeux les voyages qu’il y avoit fait auparavant, les moyens que Dieu luy avait donné, & d’ailleurs l’aage qui doreſnavant l’appeloit à cinquante ans ou la près : & le prioyent d’en donner la charge à quelque homme en qui il prendrait cõfiance. Neãtmoins cela ne le peut abbatre de ſa première réſolution ; ains s’y confirma de plus en plus : les aſſeurãt toutesfois que ce ſerait pour le dernier voyage qu’il y entreprendroit jamais (cõme il fut a la verité ; nõ toutefois en la ſignification qu’il le prenoit.) Ainſi fondé ſur ſa premiere opiniõ ſon navire preſt & acõmodé a ſon plaiſir, tant des utenciles d’icelui, que de proviſions neceſſaires pour ledit voyage, partit de la riviere de Seudre pres ledict Marennes, au mois de Mars de l’an 1570 avec un autre navire faiſant le meſme . voiage ; dedans lequel commandoit un ſien neveu nommé le pilote Chambereau, qui luy promit ne l’abandonner en tout ledict voiage, & ſe tenir touſiours pres de lui. De cõpagnie donc mettent à la mer ; & ſinglent de telle façon, que quinze jours ou trois ſemaines apres tes leur partement, ils ſe trouverent avoir fait bien ſept cens lieues, aprochez de la Terre-neuve ou ils vouloient aller, de quelque deux cens cinquante lieues. Arrivez qu’ils furent en ce temps-là, faiſant leur route ; il fit de la puye : & pour ce que le navire eſtoit neuf, il ſe trouva quelque gouttiere ſur la chambre du Capitaine Houé à quoy il voulut faire remedier par le charpẽtier qu’il avoit avecques luy : lequel a ceſte fin fait bouillir du gouildrõ, de la refine,& de l’huile de poiſſon, qui ſont tous ingrediens dont il convient ſe fervir a telle neceſſité. Et apres l’avoir bien bouillant & preſt, print un grãd baſton, au bout duquel il y a de l’eſtoupe, que les mariniers appellent guipon, & y aiant mis le feu & frotté l’endroit de ladite gouttiere, afin que la compoſition y print mieux : le malheur arriva, que a cauſe du grãd vent qui faiſoit, le feu ſe mit, nõ ſeulement dans le guipon, mais dãs le navire, de telle façon que incontinent la flambe s’eſleva fort haut : & donna, tellement l’alarme au Capitaine Houé & a tout ſon equipage, qu’ils coururent tous à devoir de l’eſteindre, n’y eſpargnent leurs habillemens, paillaſſes, & autres hardes qu’ils pouvoiẽt atraper pour ſe jetter deſſus le feu, qui deſia gaignoit beaucoup dans ledict navire a cauſe du grand vẽt qui l’allumoit & firẽt tel ſi prompt & diligent devoir, qu’à la fin ils l’eſtoufferent cõme il leur ſembloit, pour ce qu’il ne parroiſſoit plus aucune eftincelle : leur dõnant occaſion de louer Dieu,& de ſe retirer chacun en ſon quartier ou en ſa chambre pour ſe repoſer du grand travail qu’ils avoyent employé a rompre le chemin à la grande violence de ceſt element terrible. mais fortune (ſi ainſi ſe doit appeler) ne ſe contentant d’avoir donné de la peur & du labeur à ces povres gens, ains ayant juré leur ruine totale (joint que rien n’avient que par la volonté divine qui ordonne de toutes choſes qui ſe paſſent icy bas) ſe trouva que deſſous une des paillaſſes, que lon avoit jetté ſur le feu ; il s’eſtoit gardé un feu couvert, lequel eſmeu du vẽt lors que lon vouloit remuer ladite paillaſſe, ſe reprint de telle façon, qu’impoſſible fut à tout l’equipage d’en venir à bout, d’autant que incontinent ils virẽt le feu dans leurs voiles, & dans leurs cordages, & puis eſprins entierement dans le navire ſans eſperance de ſalut aucun, ſi Dieu ne leur envoyoit quelque ſecours extraordinaire. La deſſus Chambereau qui avec ſon navire eſtoit fort avancé devant celui de ſon oncle appercevant le feu allumé audit navire, revint au ſecours, en eſpoir à tout le moins, ſi autre choſe il ne pouvoit profiter au navire & à ſa charge, de fauver partie de l’equipage, & principalement ſon oncle : à quoi il travailla de ſon pouvoir. Car aproché qu’il fut dudit navire & ſoubs le vent, toutesfois impoſſïble lui fut de l’oſer joindre, a cauſe de la grande flamme que le vent pouſſoit ſur lui ; & par ce moyen laiſſant ce coſté là retourne à l’autre, afin de ne ſe mettre au pareil dãger des autres. Et approchant le plus qu’il peut, jetta une infinité de cordages à la mer, au bout deſquels il avoit fait attacher tous les barils, feilleaux, & bouts de bois qu’il peut trouver : criãt aux mariniers que ainſi qu’il paſſeroit avec ſon navire pres d’eux, qu’ils ſe jettaſsẽt à la mer & ſe ſaiſiſſent defdits barrils, afin puis apres de les tirer au bord du navire de Chambereau. A cette paſſade premiere s’y en jetta quelques uns dont les uns furent ſauvez & tirez à bord, les autres noyez : le reſte avec Houé demeurant ſur un bout du navire voiant bruſer l’autre, attendoient l’autre paſſade : a laquelle Chambereau crie à ſon oncle de ſe jetter à la mer, ou que autrement il ſe perdoit. Houé auquel il faſchoit fort de quitter ſon navire, & avec lequel je croy qu’il vouloit mourir ; en fin vaincu des prieres de ſon neveu, ſe reſolut à renter le gué : & de fait le navire paſſant pres de lui ſe precipite à la mer & attrape un bout de corde, lequel incontinant eſt ſoigneuſemẽt fait tirer par Chambereau pour le mettre dans ſon bord : à quoy ſans doute il fut parvenu sans qu’il advint que les autres mariniers le voiãt jetter à l’eau, ſe douterẽt bien qu’il ſeroit obfervé dudict Chambereau plus que piece des autres. Ainſi cela fut cauſe que lors qu’il ſe lança à l’eau pluiſeurs des mariniers ſe jetterent apres lui, & l’empoignerent les uns aux jambes les autres au corps & ou ils pouvoient ; qui empeſchoient que bien toſt l’on ne pouvoir mettre à bord : de l’autre coſté il eſtoit tellement chargé des autres qu’il eſtoit preſque touſjours ſous l’eau ſans pouvoir reſpirer. & en cette façon ayant demeuré quelque temps, finalemẽt paruenu & arrivé à bord & prins par ſon neveu il luy vid rendre entre ſes bras le dernier ſouſpir, à ſon grãd regret & deſplaisir, & depuis par lui donné en ſepulture au ventre des [[tiret|poiſ|ſons}} ſon, ainſi que l’on a accouſtumé de la donner à ceux qui meurẽt ſur la mer. Voila la mauvaise prophetie de Houé accõmplie, qui promettoit à ſon partement ne faire jamis de voyage à Terre-Neuve ; & certes voila un voiage bien deplorable, qui ſe voyant au danger de deux perilleux elemens, l’un eſchappé avec tant de peine, l’autre emporte la vie au pauvre homme apres avoir perdu ſon bien. A la verité les meſaventures n’aviennent jamis ſeules a une perſonne quelles ns ſoient accompagnees de pluſieurs autres plus pernicieuſes. Or nous lairrõs repoſer & dormir le corps de Houé attendant la derniere reſurrection & noterons des patricularitez merveilleuſes qui ſe ſont paſſees en ce naufrage. Premierement que un homme de l’equipage du Capitaine Houé aagé de bien cinquante ans, ne ſachant que c’eſtoit de nager, & aiant meſme fait peu de longs voyages à la mer, voyant le danger ou ils eſtoient, prẽd la pluſpart des accoſtremens qu’il avoit, ſe bote cõme s’il euſt voulu aller a quelque voyage, ou euſt beſoin de toutes ces commoditez, monte ſur une vergue du navire, pendant que tout le reſte de l’equipage ſaiſoit eſtat de se ſauver avec les cordes que lon leur getoit ; & lui n’eſperãt que de finir ou par feu ou par eau, eau, en fin voyant le navire paſſant pres de celuy qui bruſloit, dõt le bout de la vergue(qui eſt ce qui tient la voile) traverſoit juſques ſur le tillac du navire de Chãbereau, inſpiré ou pouſde quelque bon Ange ſe laiſſe choir cõme une pierre, & tumbe ainſi que Dieu voulut ſur le tillac du navire dudit Chambereau tout eſtendu avec ſon paquet ſans qu’il ſe fiſt aucun mal : qui eſtoit la choſe à quoy, à mõ advis, il avoit le moins penſé, qui eſt cõme miraculeuſe, conſideré la condition du perſonnage, ſon aage & le lieu où il eſtoit ; qui n’eſtoit aucunement le chemin pour ſe fauver : dequoi il faut recognoiſtre la merveilleuſe puiſſance de Dieu, qui au milieu d’un tel & ſi piteux naufrage voulut ſauver le plus impuiſſant de toute la troupe ; & laiſſer un grand nombre de jeunes gens mariniers diſpoſts & bôs nageurs ; que quelque induſtrie qu’ils peuſſent deſployer, ne leur ſervent d’aucun remede contre les decrets de ſa Majeſté, la vertu deſquels eſt inviolable. Vn autre cas miraculeux arriva, c’eſt que Chãbereau ſe voiant fruſtré de pouvoir plus rien ſauver ne du navire ne de l’equipage, dont il eſtoit mort vingt & deux, commanda a ſes gens de retirer a bord tous les bouts de cordes qu’auparavant ils avoient jettez à la mer ; ce qu’ils firent & faisant leur chemin eſtans bien à deux lieues de la perte du navire recogneurent quelques uns de mariniers qu’il y avoit encore une corde à la mer, le bout de laquelle ayans prins pour tirer, aviſerẽt au bout d’icelle où il y avoit vn bareil, la teſte d’un homme, qui eſtoit l’un des mariniers qui s’eſtoit jetté à la mer qui leur donna beaucoup d’empeſchement : d’autant qu’ayans amené ceſt homme aſſez pres du navire, les vagues eſtoient ſi grãdes, que lorsqu’elles venoiẽt ils eſtoient contraints de laiſſer aller la corde de peur qu’elle ne rompiſt, & puis la reprenans, doucement la tiroyent de maniere qu’aiant fait pluſieurs & diverſes fois la meſme choſe, finalemẽt amenerẽt ce povre malheureux à bord du navire, aiant perdu la parole & tout ſentiment : & l’ayant pendu par les pieds pour lui faire rendre l’eau, luy donnerent des accouſtremens ſecs, & le getterent ſur une paillaſſe, ſur laquelle quelque temps apres il reprint ſes eſprits & reſchappa. Voila de merveilleux hazards communs à tous ceux qui font le meſtier de la navigation : & croy que Panurge n’avoir pas grand tort de dire, que biẽ heureux eſtoiẽt ceux qui plantent choux, pour avoir un pied en terre, & l’autre qui n’en eſt pas loin. Au propos de ceſte hiſtoire, & cõme le feu eſt dangereux quand il prẽd en un navire. Ie vous raconteray ce que je vey en l’an 1565 que le defunct Roy Charles faiſoit ſon voyage par ce Royaume, & entr’autre eſtant à Brouage en ladite annee & au mois de Septembre ; Ceux du pays des iſles luy vouloyent faire voir de quelle façon un navire marchãd eſtãt trouvé à la mer par un navire de guerre ou pirate, eſt attaqué. Pour ceſte cauſe accommoderent un vieil navire du port de trente cinq ou quarante tonneaux, & l’equiperent de voiles & autres vtenciles propres pour le faire naviguer : dedans iceluy y mirent un Capitaine & huit ou dix mariniers lequel entrant dedans le havre dudit Brouage qui eſt tresbeau ſur ledict navire ſuivy de deux chalupes equippees en guerre (ou je me trouvai) & le batans a coups de canon & d’arquebus l’emmenerent ſi avant dans le-dit haure qu’au droit le logis ou eſtoit le Roy à la feneſtre, il s’areſta & là y eut un grand combat ſoit attaquant, ſoit deffendant, tant de coups d’arquebus, picques qu’autres inſtruments de guerre : en fin apres avoir eu ledit navire bien reſiſté, & que ceux des chalupes virẽt ne pouvoir monter dedans, jetterent certains artifices de feu ſur le tillac avec de la poudre, qui fit que incontinent le voila prins dans les voiles, qui furent pluſtoſt bruſlees que l’on eut loiſir de le regarder : delà ſe print aux maſts aux cordages, & tellemẽt au corps du navire qu’en preſence de ſa Majeſté & de toute ſa court, ledit navire bruſla juſques à l’eau en quoy faiſant les mariniers qui eſtoient dedans, tous gens expers a nager, attendoient preſque que le feu les ſurprint, & puis ſe jettoient a la mer : de maniere que l’un d’i-ceux ayant attendu juſques au dernier, faiſant mine de ne ſavoir nager, ſe precipita a la mer ; & fit tellemẽt le plongeon, que la pluſpart pẽſoient qu’il ſe fuſt noyé. La deſſus M. le Conte de Rhingrave Seigneur Aleman, voyant cet homme s’eſtre jetté aſſez pres du bord, eut opinion que ſe jettant avec ſon cheval dans ledit havre, il ſauveroit ce marinier : & ſans marchander pouſſa ſon cheval dans la mer, cuidãt que ce fuſt platiere : mais il n’y fut ſi toſt lancé que luy & ſon cheval ſe perdirent de veue ſous l’eau ; & eut bien beſoing que celuy qu’il vouloir ſauver, le ſauvaſt de ce peril eminent, ou ſans doute ſans ſon aſſiſtance il eſtoit depeſché. mais enfin eſtant ſauvé & amené a terre, le Roy en fit bien grande riſee contre ledict ſieur Comte, qui avoit voulu traverſer la mer à gué : & fit donner au Capitaine du navire nommé Mitrault cent eſcus pour la perte qu’il avoit fait en icelui.
Il habitait au village de Mozac, paroisse de Saint-Just près de Marennes, un homme très honorable, marchand marinier nommé Pierre Houé, doté de beaux moyens. En menant son commerce habituel, il avait toujours quelque navire en construction, que ce soit par plaisir ou pour en tirer profit. Ainsi, il avait toujours un navire en mer, ayant récemment fait construire un très beau navire de sept à huit vingts tonneaux pour l’envoyer à Terre-Neuve, pêcher la morue, qui était son commerce principal. Il décida de faire ce voyage lui-même, malgré les conseils contraires de plusieurs de ses amis, qui lui rappelaient ses voyages précédents, les bénédictions de Dieu et son âge avancé, approchant les cinquante ans. Ils lui demandaient de confier le navire à quelqu’un de confiance, mais cela n’ébranla pas sa résolution initiale. Fondé sur son opinion première, son navire prêt et équipé selon son plaisir, tant en termes d’outils que de provisions nécessaires, il partit de la rivière de Seudre près de Marennes, au mois de mars de l’an 1570, en compagnie d’un autre navire faisant le même voyage. À bord de ce dernier, son neveu, nommé le pilote Chambereau, promit de ne jamais l’abandonner et de rester toujours près de lui.
Ils mirent à la mer ensemble et naviguèrent si bien qu’après quinze jours ou trois semaines de départ, ils avaient parcouru environ sept cents lieues, approchant ainsi de Terre-Neuve où ils voulaient se rendre, à quelque deux cents cinquante lieues près. À leur arrivée, alors qu’ils naviguaient, un incident se produisit : à cause du navire neuf, une fuite d’eau se développa dans la cabine du Capitaine Houé. Pour y remédier, le charpentier à bord fit bouillir du goudron, de la résine et de l’huile de poisson, ingrédients nécessaires dans de telles situations. Après avoir chauffé et préparé le mélange, il prit un grand bâton avec à son extrémité une mèche, que les marins appellent un guipon. Il y mit le feu et frotta l’endroit de la fuite pour que le mélange adhère mieux. Malheureusement, à cause du vent fort, le feu prit non seulement dans le guipon mais aussi dans le navire lui-même, si bien que les flammes s’élevèrent rapidement.
Cela causa une grande panique parmi le Capitaine Houé et son équipage, qui se précipitèrent pour éteindre le feu en utilisant leurs vêtements, matelas et autres chiffons qu’ils purent trouver. Le feu gagnait du terrain à cause du vent qui l’attisait, mais ils firent des efforts prompts et diligents pour l’éteindre, pensant finalement y parvenir car plus aucune étincelle ne semblait visible. Cela leur donna l’occasion de remercier Dieu et de retourner chacun dans son quartier ou sa cabine pour se reposer après le grand effort qu’ils avaient déployé pour lutter contre la violence de cet élément redoutable.
Cependant, le destin, si on peut l’appeler ainsi, ne se contenta pas d’avoir causé de la peur et du travail à ces pauvres gens. Il sembla vouloir leur ruine totale, sachant que rien n’arrive sans la volonté divine qui ordonne tout ce qui se passe ici-bas. Il se trouva qu’un feu couvert resta sous l’un des matelas qu’ils avaient jetés sur le feu précédent. Remué par le vent lorsque l’on tenta de déplacer le matelas, le feu reprit avec une telle intensité qu’il devint impossible à l’équipage de le maîtriser. Les flammes se propagèrent rapidement dans les voiles, les cordages et bientôt tout le navire, sans espoir de salut à moins que Dieu ne leur envoie un secours extraordinaire.
À ce moment-là, Chambereau, naviguant à une bonne distance devant le navire de son oncle, aperçut le feu embraser le navire. Il fit demi-tour pour porter secours, espérant au moins sauver une partie de l’équipage et surtout son oncle. S’approchant autant que possible, il jeta une multitude de cordes à la mer, auxquelles étaient attachés des barils, des planches et des bouts de bois qu’il put trouver. Il criait aux marins que dès que son navire passerait près d’eux, ils devaient sauter à la mer et s’accrocher à ces barils, afin qu’il puisse ensuite les tirer à bord de son navire.
À cette première tentative, quelques-uns sautèrent à la mer. Certains furent sauvés et hissés à bord, d’autres se noyèrent. Le reste, avec Houé, restait sur une partie du navire, regardant brûler le reste, attendant leur tour pour être secourus. Chambereau criait à son oncle de sauter à la mer, lui disant que sinon il se perdrait. Bien que Houé fût réticent à quitter son navire et qu’il semblait prêt à mourir avec lui, il finit par céder aux supplications de son neveu. Au passage du navire près de lui, il se jeta à l’eau et réussit à saisir une corde que Chambereau tira vigoureusement pour le hisser à bord. Ce geste fit comprendre aux autres marins que leur sauvetage dépendait principalement de l’attention que Chambereau portait à son oncle, ce qui encouragea plusieurs d’entre eux à sauter aussi. Ils s’accrochèrent à lui, ce qui ralentit le processus d’hisser Houé à bord. De plus, Houé, presque submergé par les autres marins, peinait à respirer sous l’eau.
Après quelques moments de lutte, il parvint enfin à être hissé à bord et prit son dernier souffle entre les bras de son neveu, un moment de grand regret et de tristesse pour ce dernier. Son corps fut ensuite donné à la mer, comme le veut la tradition pour ceux qui meurent en mer. Ainsi se réalisa la funeste prédiction de Houé, qui avait dit que ce serait son dernier voyage à Terre-Neuve. C’était en effet un voyage désastreux, confronté aux dangers de deux éléments hostiles, en ayant échappé au premier avec tant de peine pour succomber finalement au second, après avoir perdu ses biens. Il est vrai que les malheurs n’arrivent jamais seuls à une personne, mais sont souvent accompagnés de plusieurs autres encore plus pernicieux.
Nous laisserons maintenant reposer le corps de Houé en attendant la résurrection finale, tout en notant les détails merveilleux qui se sont produits lors de ce naufrage. Premièrement, un homme de l’équipage du Capitaine Houé, âgé d’environ cinquante ans et ne sachant pas nager, même après avoir fait peu de voyages en mer, voyant le danger imminent, prit la plupart des vêtements qu’il avait et s’habilla comme s’il se préparait pour un voyage ou qu’il avait besoin de toutes ces commodités. Il monta sur un mât du navire alors que le reste de l’équipage tentait de se sauver avec les cordes qui leur étaient jetées. Lui-même n’espérait que finir par le feu ou par l’eau.
Voyant le navire de Chambereau passer près de celui qui brûlait, il laissa tomber le bout de la vergue (qui tient la voile) sur le pont du navire de Chambereau, inspiré ou poussé par un bon ange, il tomba comme une pierre et atterrit sur le pont du navire de Chambereau sans subir de blessure grave. C’était quelque chose à laquelle, selon moi, il n’avait pas beaucoup pensé, étant donné son âge avancé et l’endroit où il se trouvait, qui n’était pas du tout adapté pour s’échapper. On doit reconnaître ici la merveilleuse puissance de Dieu, qui, au milieu d’un naufrage aussi désastreux, voulut sauver le membre le plus faible du groupe, laissant un grand nombre de jeunes marins, malgré leur expertise en natation, impuissants face au destin qui les attendait.