18 décembre, 2024

Janvier 1923 – Le voyage du ministre Albert Sarraut

Le Petit Parisien : journal quotidien du soir
20 janvier 1923

LE BEAU VOYAGE DE M. SARRAUT

Notre vieille et belle colonie de Saint- Pierre-et-Miquelon ce qu’elle est et ce qu’y va faire le ministre des Colonies

Le Petit Parisien a annoncé hier que M. Albert Sarraut, ministre des Colonies, était arrivé à Saint-Pierre le 17 janvier, après une traversée pénible.

Pourquoi M. Sarraut a-t-il entrepris cette croisière lointaine ? Que sont ces deux îlots de Saint-Pierre et Miquelon ? Quels intérêts y possède la France et que se propose-t-elle d’y accomplir ?

Le ministre a tenu essentiellement à porter les encouragements du gouvernement à cette colonie uniquement française, dernière relique d’un empire immense qui portait autrefois le nom joli de « Nouvelle France ». Son voyage a en outre pour but de calmer la patriotique émotion ressentie par les populations des îles à la suite d’informations intéressées parues dans la presse américaine et suggérant quotidiennement avec complaisance que nos colonies d’Amérique Saint-Pierre, Miquelon, la Martinique base admirable pour la défense du canal de Panama, la Guadeloupe, !a Guyane, les Antilles étant de peu de ressources pour la France, il serait possible d’envisager leur cession contre la remise de quelques millions de dollars de notre dette.

Il importait que les populations de nos colonies d’Amérique, si profondément fidèles, reçoivent par la visite du ministre l’assurance de l’attachement indéfectible de la mère patrie.

M. Sarraut n’a pas hésité à s’embarquer à la fin de décembre, malgré la mer démontée, malgré la neige qui envahit à l’heure actuelle les maisons de bois de Saint-Pierre, et nous pouvons ajouter ce détail à entreprendre à ses frais ce long et pénible voyage.

Le pays

A l’embouchure du Saint-Laurent au sud de litre de Terre-Neuve, à 3.700 kilomètres de Brest, sont Situées l’île de Saint-Pierre, mesurant huit kilomètres de long sur cinq de large, et celle de Miquelon. Celle-ci, longue de quarante-deux kilomètres, est composée de deux parties reliées par un isthme large parfois de trois cents mètres à peine, où l’on heurte à chaque pas des épaves de navires à moitié ensablés. Avec leurs dépendances île du grand et du petit Colombier, île aux Chiens, lie aux Vainqueurs, île aux Pigeons et île Massacre, la population totale de cette colonie atteint en temps normal 4.000 habitants à peine, mais quand arrive la période de la pêche, plus de 15.000 marins s’ajoutent à ce chiffre.

La température est généralement rude, l’hiver s’accompagne de neige de décembre à avril, neige que les vents violents font parfois pénétrer par la moindre fissure à l’intérieur des maisons. Malheur à ceux qui sortent quand souffle le « poudrin » ! A Miquelon, des gens assaillis par cette tempête de neige qui les aveuglait ont été trouvés raidis par le froid. Parfois, en février ou mars, les îles sont entourées d’un large banc de glace non jointive, le « crémi » d’autres fois, au contraire, ces glaces se rejoignent et opposent une barrière à l’arrivée des navires dans le « Barrachois » lui-même, formant rade, se prend et permet aux piétons de se rendre de Saint-Pierre à nie aux Chiens. Enfin, pour ajouter encore à la tristesse de conditions atmosphériques déjà si rudes, les îles sont entourées le plus souvent d’une brume épaisse et tenace, qui ne disparaît qu’en août ou septembre, les deux seuls mois agréables dans ces pays lointains.

Le sol lui-même est aussi ingrat que le climat formé de roches porphyriques, avec des sommets, les « mornes », ne dépassant pas 250 mètres, ce n’est que par endroits, dans les jardins, que les hommes ont vaincu la nature. Les arbres fruitiers ne poussent pas seules quelques légumineuses apportent un médiocre appoint aux habitants, obligés d’importer tout ce qui est nécessaire à leur existence et à celle des marins des navires fréquentant ces parages.

Ainsi, il n’y a pas que sous des latitudes de grand soleil, de sécheresse et de désert, que des habitants ont à lutter contre une nature hostile et dans des pays de brume et de neige, des Français encore donnent, par une lutte de tous les jours, aux autres hommes, les preuves de la vitalité de notre race.

La pêche

Les îles de Saint-Pierre et Miquelon, sont surtout un lieu de pêche.

C’est sur les « bancs », fonds de sable de roc, de coquilles brisée; et d’oursins que la morue a établi son domaine. Les petites goélettes ne fréquentent que le banc de Saint-Pierre, tandis que les navires français et les goélettes américaines se rendent au « Banquereau » plus éloigné mais où le poisson abonde. Sur le Grand Banc, on pêche parfois des morues pesant de 4 à 15 kilogrammes Malgré les effroyables hécatombes de chaque année, la morue ne diminue pas, car sa prodigieuse fécondité la sauve. On a compté parfois dans le ventre des femelles plus de neuf millions d’œufs !

La pêche de la morue est pratiquée sur les bancs par des voiliers et des chalutiers armés dans les divers ports de France et portant souvent de 20 à 30 marins l’arme- ment local à Saint-Pierre et Miquelon, avec des embarcations dites « warys », montées par deux ou trois hommes, fréquente les côtes de l’ile.

La voracité de la morue est légendaire, mais ce qui est moins connu, c’est son goût capricieux pour les appâts la «boette». Tour à tour le hareng, le capelan (petit poisson parfois si abondant que le flot le rejette par milliers sur le rivage, l’encornet (sorte de pieuvre) servent d’appât. Quand la morue, gavée de capelan, le dédaigne, on utilise alors, pour la prendre, le « faux » poisson de plomb muni d’hameçons, qu’on jette dans les bancs de morues et qui en accroche toujours quelques-unes au passage.

Les voiliers détachent chaque soir les « doris » ou embarcations légères à fond plat qui s’éloignent, montées par deux hommes, pour aller tendre, à plusieurs milles du voilier les lignes de fond garnies de deux en deux mètres d’avançons munis d’hameçons. Le lendemain matin chaque doris va relever ses lignes. A peine a-t-il accosté le bateau, que les morues sont jetées sur le pont où, sans désemparer, on les ouvre, on rabat les deux ailes, on met de côté le foie et les œufs (la rogue) pendant qu’on jette à la mer la tête et les entrailles. Une fois lavée, la morue est placée dans la cale et mise dans le sel c’est la morue verte.

Quand les bâtiments ont fait leur plein, ils rentrent à Saint-Pierre s’y ravitailler, soit en vivres, soit en charbon et y déposer le produit de leur pêche. Celle-ci est transportée alors en France par des voiliers désignés sous le nom de « longs-courriers » ou « chasseurs », qui, au retour, apporteront les quantités considérables de sel nécessaire au salage de la morue.

Le séchage de la morue se fait ordinairement à terre, par exposition sur les « graves », vastes étendues de pierres sur lesquelles est déposé le poisson. Mais ce procédé, exigeant du soleil, est petit à petit remplacé par des procédés de séchage artificiel.

Les huiles et issues

Les foies qui produisent les huiles sont jetés dans des barriques, appelées « foissières », situées à l’arrière de chaque navire. En se décomposant, ces foies produisent une partie sanguine et une partie huileuse qui monte à la surface. Quand il y a suffisamment d’huile, on la recueille dans
un tonneau spécial, placé à fond de cale elle est plus tard employée dans les tanneries, à moins que les droguistes, après filtration, ne la destinent aux besoins pharmaceutiques.

Les rogues, ou œufs de morue, sont très demandés en France, où on les destine à la pêche à la sardine les langues de morue, enfin, sont mises de côté et considérées comme un mets très délicat.

Diverses espèces de poissons, abondants mais négligés, seront, avec la mise en service du frigorifique, l’occasion de rendements rémunérateurs ce sont les églefins, qui, séchés et fumés, prennent le nom de « haddock » et se vendent en Amérique et en Angleterre plus cher que la morue
les flétans, dont le poids atteint parfois 200 kilogrammes, et qui pourraient être mis en conserve comme le thon les capelans, à la chair délicate, et enfin, le hareng, que le gros poisson fait dédaigner.

Telles sont les ressources qu’offrent à la métropole Saint-Pierre et Miquelon. Nous indiquerons, dans un second article, les relations qu’entretient la France avec ces îles lointaines et les avantages considérables qu’elle en peut tirer.

Commandant BETTEMHOURG.


Le Petit Parisien : journal quotidien du soir
21 janvier 1923

Le retour de M. Sarraut

Le ministre des Colonies a quitté Saint-Pierre-et-Miquelon pour rentrer en France

Le 18 janvier, lendemain de son arrivée à Saint-Pierre, dès 8 heures, par un froid extrêmement vif, le ministre des Colonies, accompagné par les notabilités et la population se rendit en traîneau au cimetière. Il déposa une gerbe de fleurs sur le monument aux morts pour la patrie et prononça une allocution. Puis il visita la nouvelle station radiotélégraphique à grande portée et les écoles. Il assista ensuite à une séance du conseil municipal, alla inspecter tes travaux de reconstruction de l’hôpital et se rendit à l’hôpital provisoire.
Il examina les quais, les cales de halage et les établissements d’armement il la grande pêche, s’intéressant aux diverses opérations que comportent la préparation et le séchage de la morue ainsi qu’au chargement du poisson sur le navire long-courrier Alcyon qui se trouvait en partance pour Bordeaux.

L’après-midi, après une excursion en rade, il inspecta l’établissement frigorifique, puis se rendit à l’Ile aux Chiens. Rentré à Saint-Pierre, M. Sarraut assista à un vin d’honneur offert par la municipalité et la chambre de commerce, visita les établissements des soeurs et des pères des Missions et dans la soirée s’embarqua pour New-Sydney, sur le vapeur postal Pro-Patria. La foule, chantant la Marseillaise, a acclamé le représentant du gouvernement.

 

Grand Colombier

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