par Le Temps, vendredi 24 avril 1891
Affaires coloniales : Terre-Neuve
Les incidents qui étaient signalés par les dépêches anglaises au sujet de la situation des pêcheurs français sur les côtes de Terre-Neuve ayant besoin d’être contrôlés, nous avons demandé télégraphiquement des renseignements à Saint-Pierre et Miquelon.
Voici le télégramme que nous recevons :
Saint-Pierre et Miquelon, 22 avril.
Quarante bateaux anglais ont forcé le blocus établi par la police de Saint-Jean de Terre-Neuve et viennent d’arriver à Saint-Pierre et Miquelon avec des chargements de harengs.
Les pêcheurs anglais de la baie de Fortune sont en révolte armée. Ils sont exaspérés contre les agissements des négociants de Saint-Jean, qui les privent de leurs moyens d’existence. Ils paraissent décidés à résister jusqu’au bout.
Les trois quarts des goélettes armées à Saint-Pierre et Miquelon sont parties pour les bancs. Il en reste sur rade une vingtaine qui se boëttent avec du hareng anglais.
Tous les navires partis de France pêchent depuis un mois sur les bancs. Ils ont un mois de pêche d’avance sur l’année dernière.
Ainsi qu’on le voit, contrairement à ce que disent les télégrammes anglais, la campagne de pêche est commencée à Terre-Neuve, et dans de bonnes conditions. Contrairement à ce qu’ils disent aussi, nos armateurs ont pu se passer, comme pendant les dernières campagnes, du concours des pécheurs anglais. En effet, les achats de boëtte anglaise qui se font actuellement à Terre-Neuve sont destinés surtout aux petites goélettes locales, lesquelles ont de faibles équipages et préfèrent, à l’ouverture do la saison, souvent très tourmentée, perdre quelque temps sur rade plutôt que de s’exposer à des avaries Ajoutons que la législation du Parlement de Saint- Jean de Terre-Neuve sur l’exportation de la boëtte a obligé nos armateurs à modifier leurs procédés de pêche et qu’ils s’en félicitent. En effet, actuelle ment, au lieu de toucher à Saint-Pierre et Miquelon, leurs navires vont directement sur les bancs, où ils trouvent sans peine la plus grande partie de la boëtte. De plus, par mesure de précaution et pour ne pas perdre un instant, ils partent de France avec un approvisionnement de harengs français ou norvégiens, et ils n’achètent rien aux Anglais. En réalité, grâce à leur politique tracassière et antilibérale, les grands négociants de Terre-Neuve, qui ont la majorité au Parlement de Saint-Jean et sont maîtres ainsi des destinées de leurs concitoyens, font perdre annuellement une somme d’un million environ aux pécheurs de la côte sud de Terre-Neuve., et ceux-ci ne demandaient qu’à continuer les relations cordiales qu’ils entretenaient de temps immémorial avec la colonie française de Saint-Pierre et Miquelon. Tous ces incidents ne démontrent-ils pas amplement que la population de Terre-Neuve est loin d’approuver unanimement les manœuvres et l’agitation qui partent des politiciens de Saint-Jean ?
Le Times publie le télégramme suivant Les pêcheurs terre-neuviens sont toujours déterminés porter la boëtte à Saint-Pierre et Miquelon. Un supplément de police a été envoyé d’Halifax. Actuellement, il y a plus de deux cents bateaux dans la baie d’Este occupés à la pêche des harengs. Il est évident que les pêcheurs français ne peuvent pas se passer de la boëtte des Terre-Neuviens. On vend le hareng, à Saint-Pierre, au cours de 5 dollars le baril. D’après ce télégramme, nos pécheurs ne peuvent se passer de la boëtte anglaise. On a vu ci-dessus qu’il n’en est rien et qu’en généralisant le correspondant du journal de la Cité oublie que la majorité de nos pécheurs s’approvisionne actuellement par ses propres moyens.
