NÉCROLOGIE.
M. Cantaloup, Maire de Miquelon et Conseiller général, a été enlevé à l’affection des siens, le 2 juin dernier, après une courte maladie. Cette perte sera ressentie plus vivement encore à Miquelon qu’à Saint-Pierre. Au sein de l’Assemblée locale, M. Cantaloup, par ses incessantes revendications, s’était acquis le titre de bienfaiteur de Miquelon.
Il s’était attaché de tout cœur à faire pourvoir les intérêts de cette localité dépourvue de ressources, et, mérite rare, du quel que peu qu’on n’était pas disposé à lui accorder. C’est grâce à lui, grâce à son énergie que des sommes importantes ont été votées pour la route de Pousse-Trou, jadis chaussée infecte où s’enfonçaient piétons et cavaliers, aujourd’hui voie de communication qui constitue un véritable bienfait pour les petits-pêcheurs délaissés sur la côte, notamment ceux de la Pointe-au-Cheval. C’est à lui que Miquelon est redevable de son port, qui rend de si grands services aux habitants, en ce qu’ils ne sont plus obligés de faire un détour considérable pour se rendre à Mirande. Aussi les Miquelonnais seraient-ils bien ingrats s’ils ne payaient pas à la mémoire de leur représentant le tribut de regrets qu’à mérité son infatigable dévouement à leur cause.
M. Cantaloup jouissait dans la colonie d’une situation privilégiée. Tous les Gouverneurs avaient honoré d’une amitié particulière cet homme bon et franc, qui n’avait pas de plus grand plaisir que de bien recevoir et qui n’usait de son influence que pour le plus grand bien de ses administrés.
Les obsèques de M. Cantaloup ont eu lieu mercredi dernier. Derrière son cercueil se pressait un cortège d’amis, anciens et nouveaux, qui auraient cru manquer à la reconnaissance en ne lui faisant pas ce dernier pas de conduite. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Berges, Directeur de l’Intérieur; Mazier, Maire de St-Pierre et Président du Conseil général; Caperon, Procureur de la République et Leban, amis du défunt.
Au cimetière, après les cérémonies religieuses les discours suivants ont été prononcés par M. le Directeur de l’Intérieur, au nom du Chef de la colonie et par M. le Président du Conseil général.
Discours du Directeur de l’Intérieur.
Messieurs,
M. le Gouverneur n’a pu accompagner jusqu’à sa dernière demeure l’homme de bien que nous venons de perdre, mais il m’a chargé de vous faire part, en son nom, du regret très sincère et très profond que nous cause à tous cette séparation.
Je ne vous dirai pas seulement que M. Cantaloup laisse derrière lui des regrets unanimes, dans le cercle limité de notre petite vie coloniale nous nous serrons, tous, les coudes de trop près pour ignorer les mâles vertus qui donnent à l’existence d’un honnête homme cette unité de caractère, cette fermeté de principes que nous pouvons d’autant mieux estimer que nous en sommes les témoins quotidiens.
Armé d’une volonté persistante l’homme qui est résolument entré dans la voie du devoir est assuré de la parcourir avec honneur et dignité et de trouver au terme de sa carrière l’hommage respectueux et l’affection de tous ceux qui l’ont approché.
Personne plus que M. Cantaloup n’avait droit à l’expression de ces sentiments et, au moment de poser la pierre qui va sceller cette tombe, vous me permettrez de rappeler que la vie de ce bon citoyen se résume dans ces mots: devoir, travail et dévouement.
Le devoir, il l’a connu et pratiqué dans ce qu’il a de plus pur et de plus élevé: le service de la patrie, la fidélité au drapeau, la défense de ces libertés précieuses qui sont aujourd’hui le patrimoine de la civilisation et du peuple français; le travail lui a donné l’aisance et la considération, mais il lui a permis surtout de répandre le bien autour de lui et d’élever une famille qui saura recueillir les honorables traditions qu’il a su lui léguer; quant au dévouement je laisse à cette population de Miquelon dont il fut pendant tant d’années l’infatigable bienfaiteur le soin de faire son éloge, ma voix ne serait qu’un bien faible écho des élans de sa reconnaissance.
Le souvenir de M. Cantaloup sera étroitement et indissolublement uni à celui de cette plage de Miquelon qui fut le berceau de notre colonie, et ce n’est pas sans une certaine mélancolie mais aussi, je le pense, sans une assez juste fierté que nous pouvons rapprocher de la mémoire de ces premiers Acadiens qui franchissaient audacieusement les mers sur de frêles embarcations, celle de ce vaillant soldat qui n’a déposé l’épée que pour labourer à son tour et à son heure le champ obscur, et cependant si aimé, de cet océan propice et douloureux auquel nos ancêtres avaient donné le nom de père.
Son cercueil peut reposer à côté du leur, il était de leur race et leur digne héritier.
Tous les honneurs qui peuvent récompenser une vie bien remplie, consacrée au bien du pays, avaient couronné sa carrière, la France l’avait accueilli depuis longtemps dans cette légion de gens d’honneur qui est l’élite démocratique des vertus civiques et militaires, ses concitoyens l’avaient placé à leur tête dans les Assemblées délibérantes et dans leurs municipalités, l’administration perd en lui un collaborateur dont elle appréciait la droiture, le bon sens et la rare honnêteté, mais le cortège de sympathies qui l’accompagne à sa dernière demeure, les regrets qu’il laisse derrière lui en disent plus encore que toutes les distinctions qui l’ont honoré et, en lui adressant un dernier adieu, je ne suis que le faible interprète des sentiments d’une population tout entière qui, en perdant un des siens perd un homme qui fut un ami, un bon serviteur du pays et un exemple.
Adieu Cantaloup, reposez en paix sur cette terre française, sous les plis de ce drapeau que vous avez si longtemps et si fidèlement servi. Tous ceux qui vous ont connu vous estiment et vous regrettent.
M. Mazier, Président du Conseil général prend ensuite la parole, il retrace en quelques mots la vie de M. Cantaloup et exprime les regrets de tous ses collègues.
Discours du Président du Conseil général.
Messieurs.
Au nom du Conseil général, il est de mon devoir de venir rendre un dernier hommage à notre collègue, à notre doyen, M. Bertrand Cantaloup, chevalier de la Légion d’honneur, maire et conseiller général de Miquelon.
Cette mort en quelque sorte inattendue, survenant dans une dernière échappée de notre regretté collègue et ami à ses fonctions de Maire de Miquelon, loin de ses administrés reconnaissants et de la douce quiétude de la nouvelle existence qu’il se préparait, n’est-elle pas la preuve, quelle que soit l’énergique volonté dont chacun de nous dispose, que personne ne peut se dire le maître de sa destinée.
Venu dans la colonie en 1859 comme militaire de la gendarmerie coloniale, M. Cantaloup avait alors, en suivant les aléas ordinaires de sa carrière, toute certitude de faire retour en France à l’expiration de sa période d’engagement. Bien au contraire, nous le voyons contracter successivement cette double union qui a constitué la famille qui va lui survivre. Médaillé puis décoré en 1875 pour le dévouement et le zèle apportés dans l’accomplissement de ses délicates fonctions de militaire et d’auxiliaire de la Justice, il prend sa retraite en 1876 pour aller s’exiler à Miquelon dont le charme solitaire l’avait captivé d’abord, puis séduit dans le choc de ce campement déjà cher et apprécié par lui dans les loisirs de son service en détachement.
Dans cet exil relatif, vous le voyez, sans regret de son beau pays de la Garonne, s’adonner au négoce incertain et quelquefois ingrat, et consacrer son activité de chaque jour à constituer un certain bien-être à la famille dont il est le chef vénéré.
Son dévouement à tout ce qui l’entoure le pousse jusqu’à se consacrer plus intimement avec sa loyauté de soldat aux intérêts généraux de son pays d’adoption, qu’il vient représenter dès 1885 au Conseil général et dont il dirige l’administration communale, comme maire, à partir de 1892.
Depuis cette époque, à laquelle correspond l’ère d’inauguration du Conseil général, il n’a cessé d’être le représentant incarné de Miquelon à la 1re Assemblée délibérante de la colonie; et nous nous faisons un devoir de reconnaître qu’il la présidait avec beaucoup de tact et de courtoisie en sa qualité de doyen d’âge.
Dans ses relations intimes et privées, notre regretté collègue était encore l’homme le plus aimable et le plus affable qu’il soit possible de rencontrer; son hospitalité et sa bonne humeur resteront légendaires dans le souvenir des amis qui auront eu la bonne fortune d’être ses hôtes dans ces agapes offertes sans façon et de tout cœur à la bonne amitié.
Puissent ces quelques paroles, faible témoignage d’estime et de reconnaissance, atténuer la douleur de sa famille à laquelle nous adressons l’expression de nos sentiments de condoléance.
Cher ami, trois fois notre collègue, au nom du Conseil général, au nom de vos administrés absents à ce dernier hommage rendu à l’honneur et aux vertus civiques de leur Maire, Adieu !
Document numérisé et reproduit numériquement à partir de l’original, aux Archives de Saint-Pierre-et-Miquelon.