23 mars, 2025

1899 – Diorama de St-Pierre-Miquelon à l’Exposition de 1900

On sait qu’un pavillon spécial a été réservé aux colonies de Tahiti, Mayotte, Djibouti et St-Pierre-Miquelon. Cinq des peintres des plus distingués ont été chargés du programme afférent à chacune de ces colonies. Le diorama de St-Pierre et Miquelon a été confié à M. Gaston Roullet, et nous avons à nous en féliciter. M. Roullet est bien connu parmi les peintres de marines. Envoyé en mission en Nouvelle-Calédonie, il a fait la rade de Nouméa, tableau si bien rendu que la Municipalité de cette ville se l’est offert. Il a de plus beaucoup voyagé, et a rapporté du Canada des toiles qui ont été très appréciées. Doué d’un grand talent d’aquarelliste, M. Roullet travaille dans son atelier de la rue de Lille, avec cet amour du métier qui est le propre des vocations irrésistibles.

Le diorama de St-Pierre-Miquelon est une œuvre d’importance, et on peut juger des proportions qu’elle comporte par les renseignements suivants:

Quatre personnages (mannequins) au premier plan – sous l’oeil du spectateur – et huit au second plan (entre ces premiers et la toile). Plus les différents objets, ustensiles de pêche, débarquements, scènes de séchage, etc. devant servir à rendre intéressants et véridiques les premiers plans et terrains formant trompe-l’œil jusqu’à la toile (10 mètres de fond sur 7 mètres entre la toile et l’ceil du spectateur, soit 70 mètres carrés).

On comprend que sur un aussi large espace les diverses activités auxquelles donne lieu notre industrie locale soient notées et développées comme il convient. Mais ce à quoi tient M. Roullet, c’est de donner aux spectateurs de l’Exposition (et ils seront nombreux), l’impression d’une chose vécue. Il veut, que de cette scène du port de Saint-Pierre en pleine activité, ceux qui la regarderont, (et qu’la connaîtront, comme nous), puissent s’écrier: « C’est comme ça!… »

La vérité et le pittoresque, voilà ou tendent les qualités créatrices de M. Roullet, et pour arriver à ce but, il lui faut des matériaux pris sur les lieux mêmes qu’il s’agit de reproduire. On a beau habiter rue de Lille, c’est encore rue de l’Ile aux Chiens qu’est le grand magasin aux accessoires où il faut puiser pour vêtir les personnages et donner à la scène maritime sa couleur régionale.

M. Roullet s’est donc adressé au Comité local pour se documenter ainsi qu’il a besoin. Il veut faire vivant, et a bien recommandé que les vêtements, objets, ustensiles, bibelots, fourniment, qui on lui adressera ne soient pas du neuf, mais du vieux, c’est-à-dire ayant plus ou moins servi.

Les membres du Comité local ont eu à cœur de se pénétrer de ces intentions, mais il faut bien le dire, c’est M. Edouard Bidel, (qui remplace en ce moment M. Allain le gérant des Sécheries de Port-de-Bouc), auquel revient le mérite d’avoir été le principal interprète de la vie de M. Roullet. Avec une patience minutieuse et une compétence basée sur un long apprentissage, il a fureté dans les arcanes de la pêche pour mettre en relief tout ce qu’il y a d’intéressant à vulgariser. Son petit musée d’objets rassemblés de bric et de broc est comme le compendium de la pêche à la morue.

Mercredi dernier, à 3 heures, M. le Gouverneur accompagné des membres du Comité local, a visité ce musée et a complimenté M. Bidel sur son ingéniosité à rassembler des spécimens qui, pris isolément, n’ont qu’un grand intérêt et qui, collectionnés, donnent une idée très-précise de l’effort humain dont est susceptible le marin-pêcheur Saint-Pierrais. Ce n’est pas riche, si vous voulez, la pigasse primitive jusqu’au pigoulx encrassé de suif, mais comme c’est naturel!… Tout y est, et le piqueux et le piquois, et la grande gaffe et la petite gaffe, la faulx à morue, la cuiller à enocter, l’escoffe en bois, et la moque et la touque, le blutet, que sais-je encore, du bric-à-brac à n’en plus finir… Très compliqué le métier de pêcheur. Il y a un qui passent leur « bachot », et qui ne savent pas ce que c’est qu’une blette.

I sera content, M. Roullet. Il pourra mettre au premier plan un étalé de toutes pièces, poisseux, vermoulu, calamiteux, tout ce qu’il y a de plus réussi, un vieux cabestan digne de finir aux Invalides, un boyard au complet très suave, une petite voile de doris enroulée autour d’un bâton et enverguée avec la livarde, un amour de charrette à chiens, presque historique, (elle a appartenu dans le temps à la mère Théaut).

Quelque-chose de plus décoratif ce seront, appendues à un hangard du premier plan, une dizaine de brasses de vieux filets, teintés rouge, noir et vert, des lignes lovées sur des cadres et armées de turluttes, (parmi lesquelles une turlutte quadruple, il est vrai, passée de mode), des mannes à boëtte avec  anses, des mannes forme ronde et plate avec agréement, un panier à coucou, forme conique, avec une provision de bulots authentiques, et comme couronnement, une vieille paire de bottes en cuir rouge, extrêmement fatiguée et toute décolorée par les embruns.

Remarqué encore un vieux coffre de marin tailladé des inscriptions coutumières, avec dans l’alcôve du couvercle, statuette de la B. V. Marie et gravures d’Épinal, tout un lot d’habillement, cirés jaunes, formes américaine, cirés jaunes, provenance française, et au milieu de tout ces « décrochez moi ça » une capeline rose qui étonne, capeline de femme ayant travaillé à la grâve, parure un peu défraichie sous le hâle du soleil, mais la vérité avant tout. . . .

Les choses ont leur poésie. il ne s’agit que de bien voir et de comprendre. Il est possible que le diorama de Tahiti soit plus regardé que celui de St-Pierre. Ces récifs de coraux immergés sous les flots dans lesquels se baignent nues, en folâtrant, les Tahitiennes feront peut-être tort à nos braves marins pêcheurs tranchant la morue sur l’étale. Qu’importe ! L’art du peintre consiste à mettre tout en valeur, et nulle part l’activité humaine s’employant à nourrir les hommes d’une denrée  qui, par sa préparation, exige tant de transbordements, n’offre un sujet comparable, à celui que donne la rade de St-Pierre. Petits objets, gros résultats. L’énergie de la race Normande et Bretonne est sous les yeux, avec les moyens dont elle dispose pour tirer hors de l’eau un poisson qui va sur tous les marchés du monde. Ce sera l’ambition de M. Roullet de faire connaître aux visiteurs cosmopolites de l’Exposition notre industrie locale et l’embarcadère d’où elle rayonne. Merci à M. Ed. Bidel d’avoir réuni avec un discernement digne d’éloges tous les matériaux indispensables à l’œuvre de M. Roullet.

M.C. [Maurice Caperon]

Document numérisé et reproduit numériquement à partir de l’original, aux Archives de Saint-Pierre-et-Miquelon. 

Grand Colombier

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