Cette fête populaire annuelle a eu lieu cette semaine. Dire que la Folie a agité ses grelots tintamarresques sous les cintres du Rink, il faudrait de la bonne volonté pour le soutenir. Les spectateurs étaient assez clairsemés. Seul le défilé a présenté quelque intérêt au point de vue des travestissements. J’ai toujours admiré l’invention des déguisés, chargés de rendre l’œil du public. Aveu peu flatteur pour cette classe, et ils arrivent à des effets risibles en poussant au grotesque le personnage dont ils ont pris l’accoutrement. C’est ainsi que nous avons remarqué, côté-hommes, un grand diable d’Arabe qui paraissait un peu dépaysé sur la glace, (on voyait que le chameau lui était plus familier que le patin), un singe à la recherche d’un cocotier, un diable avec un appendice caudal si long que le proverbe: « tirer le diable par la queue » semblait manquer de vérité; côté-femmes: Ranavalo, reine de Madagascar, une vivandière baril de rogomme à la hanche et une japonnaise venue en droite ligne de Tokio.
A citer parmi les enfants, un de six ans, clown lilliputien, d’une crânerie éclatante. On le nommait et on ne s’étonnait plus, car c’est le fils d’un de nos premiers patins. Des fillettes gentiment attifées passaient et repassaient sur le Rink, soutenues par des jeunes hommes qui étaient très sentimentaux. Quelques unes, les cheveux défrisés flottant aux épaules, évoquaient à ma mémoire le mot de Schopenhauer: « Les femmes, avec les cheveux longs et les « idées courtes. » On leur pardonne les idées courtes, en les voyant patiner; quant aux cheveux longs, on a envie d’en tâter la tenue soyeuse.
Les derniers flons-flons de la fête ont fini de fondre l’air glacé vers 11 heures. Sous Erausquin I, nous avons vu des carnavals plus animés, mais à Saint-Pierre tout lasse, tout passe, tout glisse. De même une jeune fille, quand elle se marie, renonce à son piano. Ainsi les patineurs, arrivés à l’âge mûr, abandonnent la glace aux enfants. Le Rink n’est plus qu’un gymnase où les enfants entrant dans la carrière embrassent la poussière de leurs aînés et la trace de leurs vertus, TURLUTUTU.
Document numérisé et reproduit numériquement à partir de l’original, aux Archives de Saint-Pierre-et-Miquelon.