21 novembre, 2024

179x – La Révolution française aux îles

La Révolution française aux îles Saint-Pierre et Miquelon

Histoire des colonies françaises

Ch. De La Roncière, Joannès Tramond, Émile Lauvrière.

L’administration de Saint-Pierre avait été rétablie en 1783 sur les bases d’avant guerre […] Les fonctions de gouverneur et d’ordonnateur furent supprimés et l’autorité supérieure dévolue au commandant de nos forces maritimes en Amérique, dont le port d’attache était à Saint-Domingue. En son absence l’autorité serait déléguée au commandant de la petite garnison laissée dans les deux îles, qui fut réduite à soixante hommes.

Ce commandant, qui remplit en fait les fonctions de gouverneur, fut jusqu’en 1793 un nommé Danseville, capitaine d’infanterie.

La Révolution française

C’est dans ces conditions que se produisit la Révolution dans l’Archipel. Elle ne fut pas sanguinaire, mais elle eut quand même ses illuminés, ses apôtres et ses martyrs. Le premier mouvement suscité par les idées nouvelles eut lieu le 25 septembre 1789. La veille, une chaloupe conduite par un habitant de Saint-Pierre nommé Vigneau heurta par mégarde une corvette royale mouillée à l’entrée du Barachois. Le commandant de la corvette, M. de Fabry, qui ne connaissait pas cet habitant et le considéra comme un simple matelot, lui fit donner quelques coups de corde. La population vit dans cette punition, d’un usage alors courant, un attentat à sa dignité et se porta en masse le lendemain devant la demeure du commandant par intérim, Dumesnil-Ambert. Comme il n’y avait jamais eu jusque là dans le pays le moindre mouvement d’effervescence, Dusmenil ne s’émut pas; mais le 26 les habitants revinrent au nombre de trois à quatre cents et envahirent ses appartements, en réclamant justice. Sans les heurter par une fin de non-recevoir, Dumesnil consentit à parlementer avec une délégation réduite à vingt-huit membres et fit venir Fabry. L’audience fut ce qu’on pouvait espérer d’une foule en somme habituée à l’ordre; Fabry fit des excuses et tout se termina par un procès-verbal où d’un commun accord on s’appliqua à diminuer la gravité de l’incident. C’est ainsi que débuta la Révolution à Saint-Pierre; il n’y eut pas de réaction brutale et violente contre le passé. La population, composée dans son ensemble de gens entre qui n’existait pas une grande différence sociale, ne vit point dans les idées nouvelles un moyen d’améliorer sa condition et ne les accueillit qu’avec une extrême réserve: ces idées froissaient surtout ses sentiments religieux. Ce n’est qu’en octobre 1790 qu’elle demanda à M. de Broves, commandant la station de Terre-Neuve, l’autorisation de se constituer en assemblée générale pour discuter en commun avec l’administration des affaires qui pouvaient l’intéresser; jusque-là, elle s’était contentée d’une sorte de règlement établi par M. de Barbazan en 1785, et faisait appel à quelques notable dans les cas les plus épineux, notamment dans les affaires de justice. Les premières préoccupations de l’assemblée ne furent nullement politiques; elle se portèrent sur les questions de vivres et d’approvisionnements, sur la concurrence au commerce de la colonie par la morue étrangère et même sur la situation de quelques Américains ou Terre-Neuviens résidant à Saint-Pierre et qui étaient autant de bouches coûteuses à nourrir. Le pain était vraiment le premier besoin du peuple. Il ne fut pas nommé de député à l’Assemblée Constituante non plus qu’aux asemblées qui suivirent, mais un certain Loyer-Deslandes vint à Paris comme le mandataire de ses compatriotes et proposa à la Constituante toute une série de réformes qui ne furent pas réalisées.

L’année 1791 fut tranquille, mais à la fin de l’automne, il se forma, à l’instar de Paris, un club des « Amis de la Constitution » composé surtout de jeunes gens et de pêcheurs français résidant pendant l’hiver, qui prétendit animer la colonie d’un esprit véritablement révolutionnaire. Il en résulta des troubles au cours desquels une femme fut tuée en février 1792. Ce malheureux évènement arrêta l’essor des idées nouvelles. Les anciens de la commune se réunirent et demandèrent au commandant Danseville de présider l’assemblée générale des habitants; ainsi tout le pouvoir serait réuni dans les mêmes mains. Danseville était un homme résolu; il accepta et d’accord avec l’assemblée, un de ses premiers actes fut de faire décider l’expulsion, ou plutôt le renvoi en France de neuf personnes de la colonie, dont trois femmes, qui s’étaient le plus compromises dans les événements de février. L’arrêté fut aussitôt exécuté; mais, comme il était facile de le prévoir, à leur arrivée à Brest, ces déportés furent considérés comme des victimes du despotisme et portés en triomphe, et l’on demanda la destitution du commandantl celui-ci néanmoins resta en fonction jusqu’à la perte de la colonie.

Cependant les réunions de l’assemblée continuaient à se tenir régulièrement sous la présidence de Danseville, soutenu par la sympathie et la confiance manifeste de la majeure partie de la population. Mais en juin, vint un nouveau commandant de la station de Terre-Neuve, M. Pellegrin; sans blâmer en aucune façon les actes de Danseville, le couvrant même de son approbation, il représenta à ce dernier qu’il y avait en réalité opposition entre sa fonction et celle du président de l’Assemblée et l’on nomma un nouveau président, qui fut encore un fonctionnaire. Ce nouvel élu n’avait point l’autorité de Danseville; les Amis de la Constitution recommencèrent à s’agiter et la situation générale redevint assez délicate. Les rixes furent nombreuses dans leurs cabarets et des injures incessantes furent proférées contre d’hypothétiques aristocrates. L’aristocrate était l’homme qui ne plaisait pas. Les matelots arrivés en France en avril et en mai accrurent encore le contigent de mécontents ou d’illuminés; c’étaient aux surtout qui déchaînaient les passions. Néanmoins, il n’y eut pas d’attentats contre les personnes.

Lorsqu’on connut la mort du roi et les mesures prises en France contre le clergé, certaines personnes, redoutant l’avenir, préférèrent quitter le pays plutôt que d’être à la merci d’un mouvement populaire, et allèrent peupler les îles de la Madeleine, où elles formèrent le premier noyau de la population.

Le président de l’assemblée, débordé par les événements, cessa d’assister aux séances et tout faisait prévoir une période très agitée, lorsque la guerre éclata une fois au pouvoir des ennemis, sans opposer la moindre résistance (14 mai 1793). Les Anglais de détruisirent rien; mais selon l’usage, la population tout entière – quize cent deux personnes – fut déportée à Halifax puis en France et il ne resta plus dans les deux îles que des cases vides. Ce fut la fin des idées révolutionnaires à Saint-Pierre et Miquelon.

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