22 novembre, 2024

1905 – La Dépêche coloniale

La Dépêche coloniale ILLUSTRÉE


31 octobre 1905 (5e Année. – N° 20 DIRECTEUR Bureau : 12 Rue Saint-Georges, Paris
Adresse télégraphique: Deponiale – Paris J.-Paul TROUILLET Téléphone 157-47


La Colonie des Îles Saint-Pierre et Miquelon .

L’INDUSTRIE de la pêche forme le principal élément de la richesse des îles Saint-Pierre et Miquelon.

On distingue à ce sujet :
1° les armements métropolitains;
2° Les armements locaux ou Saint-Pierrais
3° Les armements à la petite pêche ou pêche côtière.

Ces divers armements occupent plus de douze mille marins et l’on peut dire qu’en France, plus de cent mille personnes vivent plus ou moins directement de l’industrie de la pêche.
C’est seulement au point de vue de la question économique qu’elle soulève que nous parlerons de la pêche des navires métropolitains qui, armés dans les ports de France, vont directement sur les bancs de Terre-Neuve au printemps et retournent en France (à Marseille ou Bordeaux), à l’automne sans avoir, pour la plupart, fait escale à Saint-Pierre.
L’armement local est-il appelé à prospérer ? C’est là la question que quelques esprits soucieux de son avenir, se sont posée et c’est aussi une question qui doit intéresser la colonie au plus haut point puisque, de sa solution, dépend peut-être l’avenir des îles Saint-Pierre et Miquelon elles-mêmes.
On a prétendu, en effet, qu’en présence des grands armements métropolitains, l’armement local était appelé à décliner, à disparaître peut-être et cela dans un délai peu éloigné.
Nous croyons, quant à nous, que la prospérité de l’armement local est assurée, le passé répond de l’avenir; et au surplus, ce genre d’armement est rendu indispensable par une nécessité économique absolue. Mais notons, avant de le démontrer, quelques uns des avantages considérables que présente l’armement métropolitain sur l’armement local.
Ainsi, en ce qui concerne le sel, cette matière d’une importance essentielle dans la question de la pêche à la morue, l’armateur métropolitain peut se le procurer de 50 à 75% meilleur marché que ne le fait l’armateur de Saint-Pierre. Cette énorme différence dans les prix tient à ce que le transport du sel d’Europe à la colonie est très élevé, en moyenne vingt francs par tonneau. Notons en passant que les meilleurs sels et les sels préférés par les armateurs et les pêcheurs sont les sels de Bouc et de Bayonne. D’autre part, les cordages, les beurres, les graisses, les vins, les alcools, les eaux-de-vie, les articles et provisions de toutes sortes nécessaires à l’armement sont délivrés aux navires dans les ports d’armement de France à un prix inférieur de 25 à 30% à celui auquel les mêmes articles reviennent ou sont vendus dans la colonie.
Dans la métropole, les marchandises sont mises en entrepôt pour l’exportation. De cette façon, les navires métropolitains s’approvisionnent sans être astreints à des paiements de droits de douane très lourds auxquels malheureusement l’armateur local est tenu à Saint-Pierre faute d’une organisation douanière pareille à celle qui existe dans la métropole en ce qui concerne les marchandises en transit.
On peut donc dire, d’une manière générale, que l’armement métropolitain bénéficie d’une exemption de droits parfois très élevés que l’armement local, faute d’entrepôt, est obligé de payer.
Il est, en outre, regrettable de constater que la colonie ne peut s’approvisionner dans la métropole des engins de pêche nécessaires qui lui font défaut: les hameçons (il est vrai qu’ils sont, même à Saint-Pierre, exonérés de tous droits depuis deux ans), les ancres du Banc, les cornes à brume et une foule d’objets ne peuvent nous venir que de l’étranger, pour le moment du moins, les produits de l’industrie française similaires laissant à désirer à tous égards. D’un autre côté, les ouvriers occupés à la main-d’oeuvre nécessaire à l’armement des goëlettes locales et généralement pour les travaux d’entretien des bateaux, reçoivent des salaires sensiblement plus élevés que sur le continent français. Il faut cependant ajouter que les ouvriers de la colonie présentent les mêmes avantages que les ouvriers métropolitains au point de vue de la qualité et de la quantité du travail qu’ils fournissent. Enfin l’armement local se compose principalement d’équipages venant de la métropole. Les prix du passage venant de la métropole. Les prix du passage de chaque marin (aller et retour) s’élèvent en moyenne à 150 francs. Cette dépense n’existe pas pour le navire métropolitain qui, naturellement, se rend sur les lieux de pêche avec son équipage. Il faut donc conclure que l’armement métropolitain a, sur l’armement local de sensibles avantages. Mais ce dernier, s’il a ses inconvénients, puise, pour ainsi dire, sa raison d’être dans sa nécessité même. Tout d’abord, le capitaine ou patron de la goëlette locale est placé dans des conditions plus favorables que le capitaine du navire métropolitain au point de vue des renseignements de pêche. La morue, on le sait, se déplace et, dans tel endroit où telle année elle pullule, elle devient rare l’année suivante. Les pêcheurs Saint-Pierrais qui font en moyenne quatre voyages par saison, des bancs de Terre-Neuve à Saint-Pierre, se renseignent mutuellement dans la colonie et ne perdent pas en recherches parfois inutiles d’un bon endroit de pêche, le temps précieux que perdent les navires métropolitains.
A chaque voyage, également le pêcheur Saint-Pierrais peut se ravitailler de boëtte fraîche, hareng, capelan ou encornet, suivant les saisons, tandis que le pêcheur métropolitain passe souvent plusieurs journées de pêche à la recherche des fonds où se trouvent amoncelés les bigorneaux ou bulots.
D’un autre côté, l’armement local est le seul qui soit à la disposition du petit capital. A Saint-Pierre, le gérant de maison, l’employé de commerce qui, au bout de quelques années, possède un petit pécule de 10 à 15.000 francs peut acheter une goëlette. Il trouvera facilement, chez un banquier, les avances nécessaires à son armement et désintéressera ce dernier, grâce à des ventes détaillées qu’il fera dans le courant de la saison de pêche – le plus souvent avant la mi-août. Et si, pendant quelques années, la pêche est heureuse, il aura deux, trois, quatre bateaux, et bientôt une situation acquise.
Il n’en est pas de même de l’armement métropolitain qui supprime l’initiative personnelle du petit capitaliste, rend inutiles l’intelligence et les aptitudes qu’il peut avoir.
De plus, l’armateur, à Saint-Pierre, a un petit magasin qui fournit les denrées et objets nécessaires aux équipages de ses bateaux. Il fournit également la population sédentaire de la colonie.
A côté de l’opération d’armement se place donc, pour l’armateur local, une opération commerciale proprement dite. Il possède une sorte de bazar qui lui permet quelquefois, par le bénéfice qu’il réalise sur la vente de mille objets et denrées diverses, de compenser ou tout au moins de diminuer l’importance des pertes subies pendant les mauvaises campagnes de pêche.
Mais de toutes les considérations qui font prévoir, pour l’armement local, un avenir certain et prospère, il n’en est aucune de plus importante que celle qui consiste à dire que l’armement local nous permet seul de lutter contre la concurrence étrangère .
A chaque retour des goëlettes des Bancs de Terre-Neuve, les longs-courriers transportent en France les morues qui ne sont pas destinées à la sécherie locale.
Et de France, elles sont écoulées sur les autres marchés du continent européen.
C’est Saint-Pierre, c’est l’armement local qui alimente l’important marché de Bordeaux, de mai à octobre, alors que les produits de l’armement métropolitains n’arrivent en France que vers la deuxième quinzaine d’octobre et parfois plus tard.
Pendant la même période, c’est aussi l’armement local qui fournit les marchés des Antilles. L’on peut donc dire que la prospérité de l’armement local est assurée, car il répond à une nécessité absolue, celle de pourvoir, dès le mois de mai, les marchés de la Méditerranée, des Antilles et de Bordeaux, et, en conséquence, ceux d’Espagne et d’Italie, etc., etc., faute de quoi la concurrence étrangère bénéficierait de la situation, et, de plus, l’on assisterait, en octobre, à un encombrement absolument désastreux pour la vente des produits de la pêche et, par suite, pour l’armement lui-même.

La pêche côtière ou petite pêche .

– Cette pêche nécessite un tout petit attirail et est à la portée de tout le monde. Moyennant cinq cents francs, le petit pêcheur se procure wary, agrès, appareils, engins de pêche, filets compris.
Il arme à deux ou trois (maximum) un doris ou wary (parfois une pirogue, mais cela dénote déjà une certaine aisance), embarcations légères et à fond plat possédant des qualités nautiques remarquables. Il part en pêche le matin de très bonne heure (2 à 3 heures), et rentre le soir dans sa famille. Il prépare et sèche sa morue lui-même. Son industrie lui rapporte en moyenne – équipage payé – de 1.500 à 2.500 francs du printemps à l’automne. Il ne court pas les mêmes dangers que le pêcheur du Banc, ne sort pas avec mauvais temps; il est toujours bien logé et se nourrit de vivres frais. Il travaille peut-être aussi dur que le pêcheur banquier, mais néanmoins son sort est plus enviable.

La pêche à la morue au French Shore .

– Ce qu’est le French Shore, nous le dirons plus loin, nous occupant ici exclusivement de la pêche.
Nous laissons de côté les armements métropolitains venus sur les côtes Est et Ouest de Terre-Neuve où ils séjournent toute une campagne, comme d’autres le font sur les Bancs de Terre-Neuve.
Au printemps, à l’époque où la morue n’a pas encore émigré dans les parages de Saint-Pierre, nos petits pêcheurs – surtout ceux de l’île aux Chiens – se rendent chaque année au French Shore pour y pratiquer la pêche à la morue.
La morue y est abondante et en général plus grosse que celle que l’on prend le long de nos côtes. Cette pêche constitue pour la petite pêche ou pêche côtière, une grande ressource; elle est un des éléments de l’avenir de nos pêcheurs. Certains d’entre eux reviennent au mois de juillet, d’autres en août pour continuer ensuite la pêche le long des côtes de Saint-Pierre.
D’autres, au contraire, séjournent toute l’année au French Shore et ne reviennent à Saint-Pierre qu’en octobre.

La pêche au homard et au saumon au French Shore .

– Le French Shore est le seul endroit où le homard soit abondant. On le pêche cependant quelque peu à Miquelon.
Les homarderies françaises à la côte de Terre-Neuve sont prospères bien qu’elles soutiennent une lutte constante et inégale contre les homarderies anglaises plus favorisées que les nôtres sous bien des rapports. Nous nous bornerons notamment à faire remarquer – sans entrer dans des détails d’administration intérieure souvent préjudiciables à nos nationaux – que les Anglais se trouvant chez eux ne sont pas obligés comme nous de se déranger et de faire des frais onéreux pour se rendre sur les lieux de pêche.
Mais malgré tout, notre pêche a été plus productive et plus rémunératrice que celle des homarderies anglaises pendant les deux dernières années, grâce à l’habileté, à l’activité ingénieuse de nos nationaux.
Après avoir fait des sacrifices, acquis une expérience bien à nos dépens, donné de l’extension à cette pêche maintenant bien connue de nous, nous pouvons affirmer que nos établissements de la côte peuvent lutter avantageusement avec les établissements similaires étrangers.
Mais la pêche au homard est appelée à faire plus et mieux. Certaines réformes sont indispensables. Il s’agit de laisser quelques habitudes routinières si préjudiciables au progrès. Il faut tout d’abord modifier les moyens de transport, l’outillage et ensuite s’assurer le ravitaillement constant de la boëtte nécessaire à cette pêche.
La boëtte que l’on met en général dans les casiers ou trappes à homard consiste dans les têtes de morue.
A côté des pêcheurs, homardiers se trouvent à très peu de distance, les pêcheurs morutiers qui, souvent, pour une cause ou pour une autre vendent de préférence les têtes de morues aux homardiers anglais au détriment de leurs compatriotes français. – Un règlement administratif juste et équitable mais des plus sévères s’impose à ce sujet afin de favoriser l’industrie française. Une commission composée du chef du service administratif de prud’hommes, de pêcheurs et d’armateurs pourrait élaborer un projet de règlement qui, sans léser les intérêts de personne, favoriserait nos nationaux. Il est du devoir du gouvernement d’encourager la pêche au homard sur les rivages du French Shore, où, nous l’avons déjà dit, ce crustacé est en abondance.
Si ces endroits ne sont pas fréquentés, l’industrie française est perdue et le monopole ira entre les mains de l’étranger.
Le saumon est également abondant au French Shore. Mis en conserve il est très apprécié surtout dans de longues boites qui lui conservent sa forme. La raie, le flétan, l’anguille, la truite, le gaspareau, etc., qui sont énormes et d’un goût succulent, pullulent dans ces mêmes endroits. Malheureusement, la main-d’oeuvre, les bons ouvriers font défaut, ainsi qu’un outillage perfectionné pour fabriquer sur place les boîtes diverses, surtout les récipients de dimensions variées pour les saumons entiers.

Issues de morues . –

A l’industrie de la pêche se rattachent aussi les issues de morue . Nous n’en parlerons ici que pour bien montrer tout le parti que le pêcheur tire de la morue. On entend par issues de morues : les langues, les noves, les têtes, les rogues, les foies, la raquette.
Les langues et les noves sont très appréciées ici et en France. Beaucoup même les préfèrent à la morue. Les têtes de morue sont utilisées de plusieurs façons : bien préparée, la tête est meilleure que la morue, le pêcheur en mange presque tous les jours. Nous le disions plus haut, elle est aussi utilisée comme boëtte pour la pêche au homard le long de nos côtes et au French Shore. On s’en sert également sur les bancs pour boëtter les casiers ou mannes à coucou. C’est avec les têtes de morue qu’on prend les coucous ou bigorneaux qui à leur tour servent à pêcher la morue. Les rogues (oeufs de morues) sont utilisées surtout pour la pêche à la sardine en France et sur les côtes d’Espagne.
Le foie, tout le monde le sait, donne l’huile qui porte son nom ainsi que l’huile brute employée dans les tanneries.
La raquette (partie de l’arête de la morue enlevée pour rendre la morue plate) est également utilisée par le pêcheur qui fait, avec cet os et la chair adhérente, une soupe délicieuse et de beaucoup, dit-on supérieure à la bouillabaisse chère aux Marseillais.

La boëtte.

C’est là la question importante pour la prospérité, la vitalité de la colonie. La boëtte est l’appât destiné à pêcher la morue.. Les principales boëttes sont suivant les saisons : le bigorneau autrement dit bulot ou coucou, la moule, le hareng, le capelan, l’encornet et le lançon.

La boëtte sur les bancs.

– 1° D’avril à novembre c’est-à-dire pendant toute la campagne de pêche nos pêcheurs peuvent s’approvisionner sur les bancs plus ou moins rapidement de bigorneaux. Ce coquillage qui ressemble quelque peu à l’escargot avec cette différence qu’il possède une enveloppe très dure, qu’il est deux à trois fois plus grand et très coriace, est très recherché de la morue. On le pêche au moyen de petits paniers appelés mannes à coucous; puis il est dépouillé de son enveloppe avant d’être placé sur l’hameçon;
2° L’encornet fait en général son apparition sur les bancs en juillet et s’y maintient jusqu’à la fin de la saison de pêche en plus ou moins grande abondance.

La boëtte sur les côtes de Saint-Pierre et Miquelon.

1° La moule, qui est abondante à Miquelon (au Grand-Étang), à Mirande et au Barachois de Langlade, peut servir d’appât aux petits pêcheurs pendant toute la campagne de pêche et leur reste toujours lorsque les autres boëttes font défaut. La morue en est également très friande. Des expériences faites sur les lieux de pêche, il résulte même qu’elle la préfère à toute autre boëtte. Comme le bigorneau, on l’emploie après l’avoir dépouillée de son enveloppe. La pêche à la morue avec la moule comme appât demande beaucoup d’activité, car cette boëtte étant très tendre, la morue peut l’enlever aisément sans se prendre à l’hameçon. Par suite du peu de résistance qu’il offre, ce mollusque ne peut servir de boëtte sur les bancs de Terre-Neuve.
2° En dehors de la moule, on pêche également le lançon, à Miquelon.
3° Le long des côtes de notre colonie, au printemps, en avril et mai, se pêche le hareng mais en petite quantité.
4° En juin et juillet, on prend le capelan assez abondamment à Miquelon, en quantités qui seraient suffisantes pour l’armement local si un règlement administratif fixait cette pêche d’une façon sérieuse. Le capelan est moins abondant à Saint-Pierre.
5° De juillet à octobre on turlutte (pêcher) l’encornet en assez grande abondance le long des côtes et en rade de Saint-Pierre même.

La boëtte au French Shore . –

Au French Shore : à la Baie des Îles, à la Baie Saint-Georges, à Bonne-Bay et à Port-à-Port, sans citer les autres endroits, la boëtte abonde. On peut pêcher du hareng d’un bout de l’année à l’autre. Le capelan y fait on apparition plus tôt que sur nos côtes : une dizaine de jours en général, ce qui a une grande importance au point de vue de la pêche. On a vu des bateaux partis sur les bancs avec une avance de 10 jours sur les autres, et, boëttés de capelan frais, revenir à Saint-Pierre après 15 à 20 jours d’absence, leur sel employé, c’est-à-dire chargés de morues au moment où l’encornet apparaissait sur les bancs et, par conséquent au moment où le capelan n’avait plus de valeur attractive pour la morue.
L’encornet ne fait pas non plus défaut au French Shore, où on le prend à peu près à la même époque que sur nos côtes. Le lançon s’y trouve comme à Miquelon.
On a remarqué que depuis deux ans le hareng et le capelan étaient bien moins abondants et même rares à la côte sud de Terre-Neuve (côte anglaise), alors qu’au French Shore il pullulaient.
En résumé :
1° le bigorneau ou bulot peut se pêcher sur les bancs pendant toute la saison de pêche.
2° la moule peut servir d’appât aux petits pêcheurs également pendant toute la campagne;
3° Le hareng peut être employé par tous les pêcheurs, sans distinction, en avril et mai, le capelan en juin et juillet, et l’encornet de juillet à novembre. Le lançon à moins d’importance et n’est utilisé que par les petits pêcheurs et ceux du French Shore.
Il faut ajouter à cette énumération l’encornet salé durant l’automne pour le printemps suivant. Cet appât, nul pour la petite pêche, a donné d’excellents résultats en 1899 à une partie de l’armement local du Banc qui avait su s’en approvisionner.
Il constitue une excellente réserve en cas de pénurie ou de retard de boëttes au printemps. Tous les armateurs en avaient fait de grandes provisions pour le printemps 1900: on ne peut que les féliciter de cette prudence qui ne saurait, dans tous les cas, être bien onéreuse. Nous reviendrons sur la question de la boëtte lorsque nous parlerons de l’intérêt économique que présente pour nous la conservation de nos droits au French Shore et sur les côtes de Terre-Neuve.

Industries diverses

. – En dehors de l’industrie de la pêche, il existe à Saint-Pierre les industries suivantes :
1° Deux manufactures de doris;
2° Une manufacture d’habillements cirés;
3° Une fonderie;
4° Une manufacture de biscuits de mer;
5° Une manufacture de peintures diverses et de Copper Paint ou Peinture métallique.

Manufactures de doris

. – Depuis une dizaine d’années ont été établies et fonctionnent dans de bonnes conditions, deux manufactures de doris.
Ces deux fabriques suffisent amplement aux besoins de la colonie. Les doris, embarcations douées de capacités nautiques remarquables, ont remplacé avantageusement les grandes chaloupes des pêcheurs de jadis.
Saint-Pierre, depuis 1865, recevait les doris de la Nouvelle-Écosse et surtout des États-Unis. Actuellement ces pays ne peuvent plus lutter avec nos fabricants, qui construisent sinon mieux, au moins aussi bien et à meilleur compte que leurs concurrents. Il ne vient plus aujourd’hui un seul doris de l’étranger.

Chantiers de construction

. – La construction des navires dans la colonie, qui était en bonne voie d’activité de 1833 à 1880, a été complètement abandonnée. Saint-Pierre possède cependant trois constructeurs brevetés, trois constructeurs non brevetés et de nombreux contremaîtres et ouvriers des plus habiles.
Les chantiers de la colonie ont fourni des navires d’une solidité remarquable bien finis et d’une forme soignée. Il serait nécessaire pour faire revivre la construction des navires à Saint-Pierre, que la loi accordant des primes de construction aux navires provenant des chantiers métropolitains fût promulguée aux îles Saint-Pierre et Miquelon.
Il serait à souhaiter également que le Gouvernement permît à l’administration locale de délivrer, à Saint-Pierre même des actes de francisation définitifs pour ces mêmes navires sans les astreindre à se rendre en France spécialement dans ce but sous peine de ne pouvoir transporter de la morue sèche de Saint-Pierre à une colonie quelconque ou à l’étranger.

Manufacture de vêtements cirés

. – La manufacture de vêtements cirés qui existe depuis 1896 a, par le bon marché et la qualité de ses produits, rendu absolument impossible l’importation de ces confections des États-Unis ou de la Nouvelle-Écosse, qui jusqu’alors avaient toujours fourni nos pêcheurs.

Fonderie

. – La fonderie établie en 1897 nous dispense également de nous adresser à l’étranger. Le travail qui sort de ses ateliers est en général solide et répond aux besoins du pays.

Peintures métalliques dites Copper Paint

. – Les peintures métalliques dites Copper Paint étaient importées d’Amérique jusqu’à ce jour. Mais en présence des droits très élevés perçus pour leur introduction dans la colonie, une industrie locale s’est créée en 1899. Elle fonctionne déjà aujourd’hui dans de bonnes conditions. Elle fabrique du Copper Paint sinon supérieur, au moins égal aux produits similaires américains et suivant les mêmes procédés.

Manufacture de biscuits des Îles Saint-Pierre et Miquelon.

Les droits très élevés perçus sur les biscuits de mer importés des États-Unis et du Canada, et d’autre part les frets élevés, les risques, les inconvénients, les déboires et les difficultés multiples de transport de ces produits de la métropole devaient nécessiter également la création d’une manufacture de biscuits de mer. Cet établissement, qui fonctionne depuis les premiers jours de janvier 1899, a rendu dès la première année des services appréciables à l’armement local. Il peut fournir cent caisses de 25 kilogr. par jour, quantité bien suffisante pour les besoins du pays.
La farine provient des États-Unis ou du Canada, mais les droits de douane sur la farine de froment sont insignifiants : O fr. 35 par 100 kg.

Industries à créer

. – Sous la protection du tarif général, les créations de nouvelles industries sont en projet ou en voie de formation :
1° une manufacture de tabac à mâcher;
2° une manufacture de margarine et de graisse épicée, dite de Normandie;
3° une manufacture de chaussures;
4° une corderie.

Fabrique de tabac à mâcher.

– On reçoit surtout du Canada et parfois des États-Unis, le tabac à mâcher (à chiquer) dont se servent tant les marins pêcheurs, longs courriers. Des droits relativement énormes pèsent sur cet article, alors que l’on peut faire arriver en franchise d’Algérie, les tabacs en feuilles avec lesquels à l’aide de la mélasse et de la préparation la plus simple on fabrique le tabac dit « twist » en « tablettes »

Fabrique de chaussures

. – La colonie reçoit aussi les bottes de pêche et les gros souliers d’hiver des mêmes pays étrangers. Or, le commerce paye des droits d’entrée très élevés sur la chaussure de provenance américaine.
Une enquête à laquelle nous nous sommes livré nous permet d’assurer un brillant avenir à ces deux industries. Capitaux et débouchés, tout existe dans la colonie pour organiser ces manufactures qui rendront de signalés services au pays à tous les points de vue.

Corderie

. – La question de la création d’une manufacture de cordages est également à l’étude. Cette industrie présente plus d’aléas sous bien des rapports, exige d’importants capitaux et demande tout d’abord la solution du problème relatif à la main-d’oeuvre.
Une corderie devant nécessairement occuper un personnel important, il y a lieu de s’assurer avant tout la main-d’oeuvre française qui fait défaut dans le pays.

Main-d’oeuvre

. – La main-d’oeuvre manque à Saint-Pierre. Cet état de choses provient de diverses causes dont les principales sont les suivantes :
1° Ignorance complète en France de la situation économique de la colonie, qu’on représente habituellement, même dans les brochures les plus récentes, comme une simple station de pêche où la main-d’oeuvre ne trouve pas son emploi : or, rien de plus inexact;
2° Mauvaise organisation administrative : tout Français (marin ou ouvrier) arrivant de France, doit, d’après la législation actuelle, être cautionné par un armateur ou négociant de la colonie. Tandis que l’étranger peut venir, vient et même en grand nombre de la cote de Terre-Neuve, et séjourne à Saint-Pierre, sans qu’on exige de lui nulle caution.
En résumé, l’organisation administrative actuelle favorise l’immigration étrangère au détriment de l’élément français;
3° Ignorance complète des conditions matérielles d’existence qui ne sont pas plus onéreuses qu’en France. La vie serait même plus facile à Saint-Pierre que dans la mère-patrie.
Saint-Pierre est non seulement à l’heure actuelle un centre commercial et maritime d’une importance considérable, mais il est appelé à devenir dans un avenir peut-être rapproché, un centre industriel des plus importants. Nous devons donc, sans plus tarder, nous préoccuper de trouver la main-d’oeuvre qui sera nécessaire;
1° Pour entreprendre les travaux urgents qu’on doit exécuter pour améliorer les ports de Saint-Pierre et Miquelon ;
2° Pour assurer le bon fonctionnement des diverses industries créées et de celles qu’on se propose d’établir à bref délai ;
3° Pour s’occuper de mettre en valeur les plaines de Miquelon et les pâturages de Langlade.
Il est de notre devoir d’attirer la bienveillante attention du gouvernement de ce côté : la main-d’oeuvre est un des facteurs importants de la prospérité de la colonie.
On ignore sans doute en France, que, chaque printemps, les armateurs coloniaux font venir, uniquement pour les besoins de leurs habitations, pour l’entretien de leurs grèves et leurs jardins et pour la manipulation des morues dans la colonie, environ 500 jeunes gens, connus sous le nom de « Graviers », presque tous Bretons, qui arrivent en avril et retournent chez eux en novembre. Les Basses-Pyrénées fournissent aussi leur contingent chaque année. L’élément basque part de Bayonne de bonne heure et arrive en mars dans la colonie. Nous recevons, chaque année, comme main-d’oeuvre française, environs sept cents personnes.
Mais ces bras ne sont pas suffisants pour les besoins du Commerce et des Industries; Aussi, est-on obligé d’avoir recours au Anglais de Terre-Neuve qui pullulent en ‘e9té à Saint-Pierre.
Nous occupons parfois plus de 600 de ces étrangers qui, avec les 700 Français venus de France, forment le nombre d’ouvriers nécessaire, chaque année, en dehors de nos colons, pour faire face aux besoins des industries actuelles. Il faut faciliter l’immigration française dans la colonie par tous les moyens possibles, et notamment par la suppression de la caution et par une modification des règlements administratifs qui empêchent d’employer le « gravier », même dans les moments de chômage, à d’autres travaux que ceux relatifs à la morue et à ses accessoires. Nous demandons également le rétablissement d’une compagnie de disciplinaires qui trouveraient une occupation constante dans les travaux publics. Ils rendraient les meilleurs services pour la réfection de la digue, pour les travaux du port et de la voirie. Il convient donc de se préoccuper de trouver la main-d’oeuvre qui, malgré les inventions nouvelles, reste indispensable à terre. En mer , cette nécessité se fait encore sentir davantage. L’armement augmentant le nombre des navires devenant plus considérables de jour en jour, il y a lieu de se préoccuper de trouver les bras nécessaires à cette industrie, de signaler et de favoriser, par un encouragement constant les parties de la France susceptibles de fournir des marins vaillants et intrépides. La Bretagne et la Normandie ont donné tous ceux dont elles pouvaient disposer.
En dehors de certaines connaissances techniques indispensables, le métier de la pêche exige, à cause des brumes et des courants, une aptitude spéciale qui ne s’acquiert qu’avec la pratique. On désigne sous le nom de patron de doris , le marin reconnu capable de conduire une embarcation de pêche sur les bancs de Terre-Neuve, L’avant de doris n’est autre qu’un aide placé sous les ordres du patron de doris.
Aussi, maintenant arrive-t-il trop souvent que les capitaines pêcheurs, pris au dépourvu, engagent non seulement comme avant de doris , mais encore patron de doris , le premier venu, pourvu qu’il soit d’un aspect robuste et puisse répondre à certaines questions techniques sur la pêche. Le soi-disant marin, prévenu à ce sujet a pu se procurer certains renseignements sommaires, quelques brochures donnant des indications sur la pêche à la morue et les différents navires. Il répond bien aux interrogations, toujours trop superficielles, du capitaine, et le voilà enrôlé, le voilà improvisé marin.
A l’arrivée à Saint-Pierre ou sur lieux de pêche, le capitaine s’aperçoit qu’il a engagé un soldat ou quelqu’un qui, peut-être n’a encore jamais vu la mer. Le Parisien dont les navigations se bornent à du canotage sur la Seine, s’engage souvent dans ces conditions à Saint-Malo. Les cochers, les mitrons, les coiffeurs, les serruriers surtout, et bien d’autres, sans emploi sans doute, trouvent, chaque année, à s’embarquer comme marins pêcheurs. Mais il nous faut des marins, voilà la question. Ces marins, nous les trouverons dans le pays basque, sur les côtes des Basses-Pyrénées. Ce pays, autrefois vraie pépinière de pêcheurs intrépides, a été mis jadis dans le deuil le plus affreux et dans la détresse la plus lamentable, en ce qui concerne la population maritime, – par les terribles naufrages des 21 août 1873 et 7 septembre 1874, à la suite des tempêtes effroyables qui ont englouti, dans les parages des bancs de Terre-Neuve, de nombreux équipages basques. Aujourd’hui, ces tristes souvenirs paraissent commencer à s’effacer. Découragée et désolée, la population avait cessé, pendant quelques années, de fréquenter nos mers qu’on faisait plus redoutables et plus affreuses qu’elles ne sont en réalité.
Quelques intrépides, les débris de ces naufrages, continuèrent seuls à braver la mer, lorsque le 9 octobre 1876, après une campagne de dur labeur, assaillis en pleine mer par un violent cyclone, ils sombrèrent de nouveau; deux hommes disparurent encore. Ce nouveau sinistre acheva de rendre la pêche sur les bancs impopulaire, et les matelots basques, pour la plupart partirent pour les mers des Indes où ils apportèrent leur courage et leur énergie.
D’autres, fidèles à leurs vieilles habitudes, revinrent à Terre-Neuve. Petit à petit, ces tenaces décidèrent quelques voisins à les accompagner. Saint-Jean de-Luz, Bidart, Hendaye, Guétary, Bassussarry et les commune limitrophes de Bayonne allaient rapidement redevenir une pépinière de marins pêcheurs, lorsque le 16 octobre 1881, les Basques, rentrant chez eux, tout joyeux après une bonne pêche, se perdirent tous corps et biens. Il ne resta plus alors que ceux qui étaient établis dans la colonie et quelques-uns de leurs compatriotes qui ne se trouvaient point à bord du navire naufragé. Ce dernier coup fut fatal et la désolation se répandit dans le pays.
La nouvelle génération préféra naviguer au long cours ou aller dans l’Amérique du Sud : Uruguay, République Argentine et Chili, où elle prospère, du reste. Terre-Neuve fut délaissée par les Basques, à l’exception cependant de quelques-uns, qui avaient encore quelques membres de leurs familles aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Mais nous constatons avec plaisir que, durant ces dernières années, un nouveau mouvement assez considérable se produit de ce côté. C’est dans le pays basque que nous trouverons les marins dont nous aurons besoin pour le développement de notre armement, des marins vaillants, sobres, intrépides et courageux.
Le clergé basque, qui n’était pas, jusqu’à ce jour représenté dans la colonie pourra maintenant contribuer sans efforts, par sa présence seule, à l’émigration de l’élément basque dans le pays : le marin basque connaît peu le français ou ne le connaît pas du tout, malgré l’instruction obligatoire de nos jours. Le marin basque est catholique – bon catholique; – la mer inspire les grands pensers. Il aime son clocher natal comme il aime le curé de son pays; il écoute ses conseils et ne les comprend bien que dans sa langue maternelle. Il se croira un peu dans son « Eskual-Herria » (pays basque) là où il trouvera le prêtre parlant son Eskuara (le basque).
Le port de Bayonne redeviendra, sous peu, nous l’espérons, ce qu’il était jadis, un port d’armement de pêcheurs Terre-Neuviens. Les armements du Banc y prendront rapidement un développement qu’ils n’y ont encore jamais eu, car Bayonne peut actuellement lutter avantageusement avec les ports de Saint-Malo, Granville, Fécamp, etc., etc.
Le climat du midi permettra incontestablement de commencer l’armement des navires de bonne heure et de le soigner aussi bien que dans le Nord ! La cale sèche, les importants travaux exécutés au port de Bayonne et les commodités qu’offrent ses vastes quais, etc., etc., permettront d’effectuer avec facilité tous travaux de radoub et de gréement des navires pêcheurs.
Les vins, les cordages, les articles et provisions de toutes sortes, nécessaires à l’armement pourront être délivrés à Bayonne, sinon meilleur marché, au moins aux mêmes conditions que dans les autres ports.
La main-d’oeuvre quelconque, au point de vue de la quantité, de la qualité et du prix n’a rien à envier à celle des autres ports susvisés.
Bayonne a, en outre l’avantage appréciable sur les ports de Saint-Malo, Granville, etc., de pouvoir fournir elle-même du sel de fabrication locale, du sel français qui. avec celui de Bouc, est reconnu supérieur à tous ceux qui sont employés par les pêcheurs pour la préparation de la morue : sels étrangers de Lisbonne et de Cadix, des îles turques (Antilles), etc.

Amélioration du sort des pêcheurs . –

C’est un fait certain, et nous l’affirmons dès le début : l’avenir de la pêche sur les bancs de Terre-Neuve dépend, en grande partie, de l’amélioration du sort des marins pêcheurs .
L’armement augmentant, le nombre des navires devenant plus considérable, les salaires des marins tendent forcément (en vertu de la loi de l’offre et de la demande) à augmenter sensiblement. Sur ce point, les contractants sont d’accord : les uns et les autres trouvent une juste rémunération de leurs travaux respectifs.
Mais il est un écueil, une difficulté, c’est non pas la question du salaire proprement dit, mais bien celle des Avances

.

Avances . –

Les avances sont les sommes que l’armateur débourse au marin avant son embarquement ou avant son départ de France. Cette somme varie pour chaque marin entre 400 et 600 francs. Les bons pêcheurs obtiennent jusqu’à 800 francs d’avances. Cet argent est destiné surtout à soutenir la famille du pêcheur durant son absence et à assurer l’achat des effets qui lui sont nécessaires pour son voyage. Mais le marin, ne sentant pas une valeur réelle à cet argent qu’il n’a pas encore gagné, le dépense plus facilement, le gaspille parfois. Les avances sont l’occasion d’une question très délicate. D’un côté, les capitaines de navires et les patrons de goëlettes cherchent à avoir d’excellents marins, bons pêcheurs et réputés pour leur travail et leur endurance. Ils n’hésitent pas, dans ces conditions, à leur consentir des avances au-dessus du taux moyen.
Mais d’un autre côté, cette augmentation peut devenir désastreuse. Le pêcheur est très rarement engagé à salaire fixe. Il est engagé à la part . En un mot, il a formé, en quelque sorte. une association avec l’armateur. Si la pêche est bonne, il touchera encore, à la fin de la campagne, des salaires qui s’élèvent, – en dehors des sommes reçues, – à des sommes assez considérables.
Mais si, pendant la première période de la campagne, la pêche semble devoir être mauvaise, le marin n’étant plus stimulé par le désir et l’espoir de toucher un bénéfice à la fin de l’exercice, après paiement de ses diverses dépenses à Saint-Pierre, n’apporte plus à la pêche aucune ardeur; il se rebute et la campagne de pêche se termine, pour l’équipage , par des salaires médiocres , et pour l’armateur , par une perte considérable .
Le système des avances peut devenir très dangereux, et cependant il est nécessaire. Les armateurs devraient, toutefois, dans un but d’intérêt général, maintenir les avances à un taux normal, tel que le marin puisse toujours, quelle que soit la pêche, espérer encore un gain pour son retour. C’est le seul moyen d’avoir des marins laborieux et disciplinés, et ils le sont toujours lorsqu’ils ont l’espoir de rentrer dans leurs foyers en octobre ou en novembre, avec un petit magot. Le marin français, plus endurant que le marin étranger, est littéralement infatigable lorsqu’il prévoit que les résultats de la pêche seront bons. Malheureusement, il faut le reconnaître le marin pêcheur laisse beaucoup à désirer sous le rapport de l’hygiène. Il est généralement malpropre et routinier. Au point de vue du caractère, c’est un grand enfant, très courageux, ne craignant rien, et qui, bien dirigé et bien conduit, sera pour le pays, en temps de paix, une source, un instrument de richesse. Si, en temps de paix, il doit participer grandement à la richesse nationale, en temps de guerre il sera pour la mère-patrie, un des éléments de combat les plus redoutables : le meilleur des soldats.
Dans ces conditions, il est donc tout naturel qu’on se préoccupe de son sort, qu’on cherche à l’améliorer, c’est un véritable devoir.

Alcool

. – La première réforme consisterait d’abord dans une meilleure alimentation et dans une modification pour ainsi dire complète, des règlements administratifs relatifs à la composition des rations. Les marins ne sont, hélas ! que trop portés à la boisson. Ne pourrait-on pas interdire – par des mesures sévères – à bord des navires pêcheurs, l’usage de spiritueux; : cognac, absinthe, bitter, eau-de-vie, etc… d’autant plus dangereux pour la santé du marin qu’ils sont presque toujours de qualité inférieure ? Qu’on supprime tout à l’exception du vin, du cidre et de la bière dite de « Spruce ». Qu’on tolère simplement ces trois breuvages, qu’on défende d’embarquer toute autre boisson alcoolique et que l’on appuie ce règlement de sanctions rigoureuses. On obtiendra ainsi des marins, grâce à ce régime plus sain, un travail meilleur; et on assurera en même temps, d’une façon plus parfaite, leur bien-être et leur santé. Nous avons déjà en France des navires caboteurs et même longs-courriers qui naviguent sans boisson , c’est-à-dire sans alcool. Il est incontestable que la ration d’alcool peut être très utilement remplacée par une augmentation sensible de légumes : pommes de terre, choux frais et salés etc., etc., de boeuf frais et salé et surtout de lard qu’on donne actuellement aux marins : tout le monde y gagnera.
Nous croyons aussi qu’il est grand temps de se préoccuper de la façon dont la nourriture est préparée à bord des pêcheurs.
C’est, en général, un mousse qui apprête les aliments nécessaires à tout un équipage variant suivant l’importance des bateaux, entre seize et quarante hommes. Peut-on vraiment admettre qu’un petit enfant de quatorze à quinze ans puisse faire la cuisine pour tant d’hommes ? Assurément non, et nous l’affirmons en nous basant sur le passé et le présent. Il faut donc remédier à cet état de choses, en imposant aux navires pêcheurs un cuisinier, marin ou non. Tout le monde y gagnera. D’abord l’armateur réalisera des économies : il y aura moins de gaspillage de provisions à bord de ses navires et l’équipage, de son côté, aura une nourriture meilleure et plus propre.
Le décret du 23 mars 1852 impose bien l’embarquement des mousses à bord des navires : « Il sera embarqué un mousse à bord de tout bâtiment de moins de vingt hommes ; l’embarquement d’un second mousse sera obligatoire à bord de tout bateau ayant vingt hommes et ainsi de suite par dizaine. ». Le décret susvisé relatif aux mousses doit assurément subsister pour bien des raisons.
Mais pourquoi un nouveau décret n’imposerait-il pas l’embarquement d’un cuisinier âgé de plus de dix-huit ans sur tout bâtiment pêcheur de plus de quinze hommes ! Cette mesure s’impose et nous répétons encore : « Moins d’alcool et meilleure alimentation ». On remplacera ainsi la goutte ou le boujearon par des distributions fréquentes de vin chaud, de thé et de café. Le résultat en sera pour le marin un préservatif contre la maladie et une sauvegarde contre les accidents de mer qu’on a souvent à regretter et une bénéfice pour l’armateur qui aura des hommes valides et par suite moins de frais d’hôpital.
Le total des journées de malades à l’hôpital militaire de Saint-Pierre est d’environ dix mille par an, en temps ordinaire ; ce qui occasionne une dépense de quarante mille francs à l’armement local.
Les principales maladies sont, en première ligne, la fièvre typhoïde due à diverses causes; les pneumonies, les pleurésies et les embarras gastriques occasionnés par l’abus des boissons alcooliques, par les refroidissements et par les fatigues professionnelles et les éruptions cutanées, la goutte et les panaris (généralement produits par les piqûres que font les arêtes de morue). Citons aussi les maladies vénériennes, encore plus nombreuses et, à notre point de vue, plus désastreuses sous bien des rapports. Les soins n’étant pas assez immédiats, ces affections passent à l’état chronique; beaucoup de marins sont syphilitiques, il est trop pénible de le constater.
Une nouvelle amélioration à apporter, c’est donc celle qui consiste à opérer une sélection sérieuse parmi les hommes destinés à la pêche de la morue, il faudrait éliminer les hommes trop jeunes ou trop vieux et, a fortiori , ceux qui sont atteints de maladies chroniques; la mortalité à l’hôpital des îles Saint-Pierre et Miquelon diminuerait sensiblement.
En conséquence, un examen médical , imposé par un règlement administratif, semble nécessaire, avant le départ des pêcheurs de divers ports de la métropole.

Navire hôpital . –

Sous notre présidence, le Conseil général de la colonie, le 3 juin 1897 accorda l’exonération des droits d’entrée et de port au navire hôpital le « Saint-Pierre »
Les représentants du pays avaient voulu par ce témoignage de sympathie, encourager l’OEuvre de Mer à poursuivre le but qu’elle voulait atteindre, but essentiellement humanitaire consistant à propager des secours de toutes sortes sur mer et spécialement sur les Bancs de Terre-Neuve. Nous disions en substance, en réponse à certaines observations de nos collègues : « Si les services rendus jusqu’à ce jour n’ont pas été ceux que l’on pouvait espérer, ce n’est pas une raison pour rejeter la demande faite par le Directeur de l’OEuvre de Mer. – On doit attendre l’avenir. – Nous sommes le premier à reconnaître que l’on eût dû assurer le service des oeuvres de mer au moyen d’un bateau à vapeur ; cela a été notre avis dès le principe et c’est très probablement ce qui aura lieu par la suite, surtout en présence du peu de succès obtenu par les voiliers jusqu’à ce jour ». On sait qu’un vapeur est plus à même qu’un voilier de porter secours à nos pêcheurs par tous les temps. Nous avons toujours préconisé un service à vapeur et nous regrettons que les avis, en France, soient partagés à ce sujet et que par suite, la Charité Publique n’atteigne pas d’une façon vraiment efficace, le but humanitaire qu’elle s’est proposé. Voilà donc encore là une amélioration à apporter à l’existence des pêcheurs des Bancs de Terre-Neuve.
L’OEuvre des mer à terre , la maison des marins à Saint-Pierre, pourra rendre aussi d’excellents services après qu’une modification radicale de son organisation aura été adoptée.

Propreté

. – Il y aurait aussi à se préoccuper de la malpropreté des logements des marins dont l’aération est souvent défectueuse, il faut en convenir. Un petit panneau sur l’arrière du guindeau et qu’on ouvrirait les jours de beau temps purifierait quelque peu cet air malsain; il ferait disparaître cette odeur nauséabonde des goëlettes et navires pêcheurs. – Quelques oeils de boeuf , également des hublots, pour qu’ils ne soient pas trop dans l’obscurité dans leurs logements.
Enfin le poste de l’équipage devrait être, comme la chambre du capitaine et des officiers, constamment ou très souvent chauffé pour évite l’humidité. – Un petit poêle suffirait à cet office.
Nous devons cependant déclarer qu’il y a une différence typique entre le marin pêcheur Saint-Pierrais et le pêcheur de France. Quoique tous deux originaires des pays Breton, Normand et Basque on voit celui qui vit à Saint-Pierre apporter au soin de sa personne et à la propreté du navire la plus grande sollicitude, tandis que celui qui vient directement de France vit ou vivrait constamment dans la malpropreté si on ne le surveillait de très près. Des règlements sévères relatifs à la ration et à l’hygiène à bord des navires pêcheurs, rendant non seulement le capitaine, mais encore – si possible – le patron et l’avant de doris solidairement responsables du manque de boîtes à eau et à biscuit dans les doris; sévir sévèrement contre les délinquants serait faire, en même temps qu’oeuvre morale, oeuvre de force économique dans le sens strict du mot.

Rapatriement

. – Déjà depuis quelques années le transport des marins de France à Saint-Pierre est assuré au moyen de grands voiliers et de deux à trois vapeurs. Pour leur retour, il serait certainement désirable d’user de la même voie. Malheureusement, le rapatriement des pêcheurs ne peut pas s’effectuer dans les mêmes conditions à cause des époques de désarmement qui ne sont pas les mêmes pour toutes les goëlettes. Certains bateaux désarment dans la première quinzaine de septembre, d’autres dans la deuxième quinzaine, d’autres encore – et c’est le grand nombre – dans la première quinzaine d’octobre, d’autres – et ce sont les derniers – dans la deuxième quinzaine d’octobre. Il est absolument impossible de garder des vapeurs si longtemps sur la rade de Saint-Pierre à attendre les pêcheurs, et aussi les pêcheurs eux-mêmes – les premiers arrivés – ne voudraient pas attendre leurs camarades des semaines entières. Il faut, par suite, pour le moment, se contenter de voiliers augmentés, le cas échéant, d’un seul vapeur. Mais nous reviendrons sur cette question.
En dehors des diverses considérations que nous venons de faire, il est incontestable que si le métier du marin pêcheur est dur à bord du navire, il est justement rémunéré. Le sort des capitaines et des officiers, au point de vue des salaires, est vraiment des plus heureux..

Amélioration du port de Saint-Pierre

. – Nous ne nous occuperons pas ici de l’intérieur de la ville, qui laisse cependant à désirer à bien des points de vue. Notons cependant qu’elle est éclairée à l’électricité et qu’un téléphone relie entre elles presque toutes les maisons de commerce. Il nous est permis d’espérer que la municipalité fera de nouveaux efforts pour un meilleur éclairage et l’entretien des rues, certains quartiers étant actuellement dans un état précaire, au point de vue de l’hygiène, de l’éclairage et de la voirie, Il est urgent aussi de doter la compagnie des sapeurs pompiers de moyens puissants pour combattre les incendies.
C’est là une arme indispensable pour la sécurité pour la tranquillité publique .
Quand aux travaux de port, il faudrait commencer, la chose est urgente, par refaire la digue qui abrite l’armement local durant les longs mois d’hiver. Ce travail s’impose et sera entrepris par l’administration locale dans le courant de l’année 1900. Les cales et quais ont besoin d’être améliorés et quelques-uns agrandis.
Viendra ensuite la question de curage du Barachois, importante mais d’une façon moins immédiate, moins pressante.
Enfin, dès que les travaux de port les plus urgents, jusqu’à ce jours négligés, seront exécutés, il faudra aussi s’occuper activement du creusage de l’Etang-Boulo.

Amélioration de l’île aux Chiens .

– Voisin de Saint-Pierre, le petit îlot nommé île aux Chiens est un intéressant quartier de pêcheurs comptant plusieurs centaines d’habitants qui, tous, ou en très grande majorité, se livrent à la pêche, petite pêche, pêche au French Shore, pêche à l’encornet; ils n’ignorent, ne négligent rien, d’où résulte pour cette commune une situation assez florissante.
Un téléphone la relie déjà au chef-lieu.
Les cales et quais sont en assez bon état et ne demandent qu’à être entretenus.
Un service régulier à vapeur entre Saint-Pierre et l’île aux Chiens faciliterait les relations et rendrait d’excellents services à la population et au commerce. Ce service pourrait être assuré par un des remorqueurs locaux qui, moyennant une subvention annuelle de 3 à 4.000 francs, ferait ce trajet trois à quatre fois par jour. Le Conseil général, en 1896, avait déjà admis le principe de ce service.

Description de Miquelon

. – A l’extrémité nord de l’île, se trouve une vaste baie semi-circulaire de 37 kilomètres du nord au sud et de 28 kilomètres de l’ouest à l’est.
Vient ensuite la rade de Miquelon dont l’ouverture regarde malheureusement l’est et au fond de laquelle un étroit goulet met en communication ses eaux avec celles d’un vaste étang qui constituerait assurément un admirable bassin ou port de refuge. Cette rade est abritée du côté nord par la montagne, par un cap audacieux qui profile sa masse ridée et nue en bec de calculot (perroquet de mer) et au sud, par une longue pointe basse qui semble glisser sur les flots.
Face à l’océan ou plutôt sur l’océan, à quelques mètres à peine, après les doris saillés (mis au sec) sur la grève, après quelques saleries (petites constructions de bois destinées à la préparation de la morue), une grande croix et l’église. A droite et à gauche sur deux lignes, les maisons du bourg regardent l’horizon mouvant. Un agréable et vert gazon tapisse le sol et forme une douce pelouse qui s’étend du cap à la Pointe, le long de l’océan, à la grande satisfaction des « Pintus », des « Lanciers » et des « vilains » suivant les sobriquets que portent les habitants de la Pointe de l’Anse et de la ville .
De l’air, de l’espace, de la verdure, du calme, de la tranquillité, de l’indépendance, c’est là ce qui fait le charme de Miquelon et la gloire des Miquelonnais, la supériorité qu’ils revendiquent sur leurs frères déshérités – disent-ils – de Saint-Pierre. Parlent-ils du chef-lieu de la colonie, l’on distingue aussitôt chez eux une pointe de pitié pour les profanes mortels de Saint-Pierre qui – sortis du tourbillon des affaires, – s’empressent d’aller à Miquelon en villégiature, passer quelques jours au vert, comme disent les Miquelonnais.
Ont-ils tort ? ont-ils raison ? à chacun d’apprécier suivant ses goûts, son tempérament et ses aptitudes.
Le marin apprécie la rade spacieuse et belle sauf pour les vents d’est ; l’étang et le goulet qui y donne accès leur font regretter qu’une administration entreprenante et active ne veuille pas exploiter de pareilles ressources naturelles; nous reviendrons, d’ailleurs, sur cette question.
Les vastes étendues de terre grasse et vierge font penser aux cultures qu’il serait aisé d’organiser, malgré même la neige, car la végétation y a une force, une rapidité peu ordinaires. Les quelques essais accomplis jusqu’ici le prouvent largement.
Les étangs sont nombreux, les ruisseaux plus fréquents encore, et partout le poisson abonde, de belles truites saumonées, des éperlans, des anguilles etc. Le chasseur y rencontre, peut y poursuivre le lapin et la perdrix et tirailler sur le merle et l’alouette de mer.
Le pays, on le sait, me manque pas d’agrément ou plutôt de ressources; malheureusement on n’a pas su encore en tirer parti. Il est peu habité. De Miquelon à la Pointe-Plate, qui forme l’extrémité sud de l’île, on compte près de soixante kilomètres, et c’est à peine si dans le bourg, dans les divers quartiers de pêcheurs, nommés la Pointe au Cheval, l’Anse, Langlade, etc., etc., se trouvent cinq cents habitants. Aussi le sol est-il souvent humide, marécageux dans les fonds ; les collines, les coteaux couverts de brousse qui rend les communications difficiles ; et, cependant, quelques drainages intelligemment pratiqués, quelques coups de pioche remédieraient aisément à cet état de choses.
L’air de Miquelon est sain; il est même recommandé aux convalescents et la belle saison voit de nombreux Saint-Pierrais accourir en partie de plaisir, battre les étangs ou la brousse à la recherche de truites et de lapin. Les promeneurs intrépides organisent des expéditions dans les terres, escaladent les montagnes en quête de beaux points de vue et de fatigues salutaires.
Tel est vaguement indiqué l’aspect de la trop peu connue île de Miquelon dont nous allons maintenant nous occuper au point de vue strictement économique.

Amélioration du port de Miquelon

. – La situation économique de Miquelon est lamentable. L’administration de la colonie néglige par trop de se préoccuper des intérêts de cette île.
Autrefois prospère, Miquelon est aujourd’hui presque déserte. Elle fut jadis le chef-lieu de la colonie et a été délaissée à cause du peu de sécurité de son port pour les navires qui mouillaient en rade. Et on a préféré transférer le gouvernement à Saint-Pierre, qui avait un port naturel, sûr et suffisant pour les besoins d‘alors .

A Saint-Pierre, les maisons sont entassées les unes sur les autres; il ne reste plus de place à moins de bâtir sur les flancs de la montagne.
Cependant Miquelon, grâce à son étendue et à la fertilité de son sol, moyennant quelques travaux, aurait pu devenir une grande ville et deviendra, nous l’espérons, ce qu’elle doit être : c’est-à-dire un port de pêche sûr, le centre commercial de nos îles, et le port d’attache d’une flottille de pêche importante.
Actuellement, demeurent sur ces rivages presque déserts une centaine de familles de pêcheurs. Grâce à une législation surannée (sur laquelle nous reviendrons) et aussi grâce à l’habitude prise de considérer a priori , cette île comme indigne d’un effort de colonisation, ces pêcheurs végètent aujourd’hui et, découragés, ont perdu leur énergie par la faute de certaines administrations qui ont préconisé l’abandon de ce territoire.
Actuellement, les habitants de Miquelon se livrent donc à la petite pêche et le produit de cette pêche ainsi que l’élevage du bétail qu’ils pratiquent, leur procure les moyens d’existence.
Qu’y-at-il donc à faire pour ressusciter Miquelon ?
1° relier d’abord cette commune à St-Pierre par un téléphone;
2° Placer un corps mort à plusieurs tangons en rade, en attendant qu’on puisse faire d’importants travaux au port. Ce corps mort permettrait à certains navires de fréquenter Miquelon sans danger. La dépense serait insignifiante d’autant plus que l’administration locale possède à St-Pierre des ancres et des chaînes ad hoc qui seraient assurément mieux à leur place à Miquelon que dans la cour du magasin général de cette localité.
3° Et, ce serait là le grand travail, il faudrait creuser le goulet de façon à pouvoir faire communiquer les eaux du port avec celles d’un étant immense appelé « Grand Étang » qui pourrait recevoir sans encombre, une flotte beaucoup plus importante que celles de Saint-Pierre. Cet étang à 3.341 mètres de long, et une profondeur suffisante, 3 à 5 mètres, pour y recevoir les navires du tonnage de ceux qui rentrent à St-Pierre. On verrait aussitôt Miquelon prospérer et avant quinze ans, elle aurait plus d’importance que Saint-Pierre. Elle serait pour Saint-Pierre ce qu’est la Martinique pour la Guadeloupe.
En somme, toutes les richesses – si on peut les appeler ainsi – seraient à Miquelon.

Agriculture

. – Au point de vue de l’agriculture :
On peut planter tous les légumes. Avec une rapidité inouïe et une force de végétation vigoureuse, on voit croître les plantes potagères, légumineuses de France, telles que : pommes de terre, navets, choux-raves, choux-fleurs, fèves, petit pois, radis, choux, oignons, salades, carottes, betteraves, salsifis, céleri, etc. La grande et la petite Miquelon pourraient approvisionner la colonie de tous les légumes que nous recevons du cap Breton (Canada).
Les pâturages de Langlade permettraient de faire l’élevage sur une grande échelle l boeufs, vaches, moutons, porcs, chevaux, volaille) viendraient tout aussi bien que chez nos voisins du cap Breton dont nous sommes encore tributaires.
La récolte des foins également indispensable ne présenterait aucune difficulté.

Mines

. – Miquelon possède en assez grande quantité du minerai de fer et de la terre de Sienne ou ocre jaune.
On croit à l’existence du charbon de terre à la grande Miquelon.
Il est évident que le creusage du goulet est la condition sine qua non qui rendra possible la mise en oeuvre de toutes les ressources de Miquelon. C’est au creusage du goulet que sera due la grande extension commerciale et industrielle de la colonie dans un avenir qui sera très rapproché si le Gouvernement et l’administration locale prennent la chose à coeur

.

Conditions matérielle de l’existence à Saint-Pierre . –

Un ouvrier quelconque peut être nourri et logé pour 45 à 60 francs par mois.
S’il a une famille :
Il pourra louer une maison à quatre appartements avec cave et jardin pour 150 à 200 francs par an, au maximum.
Quant aux denrées et diverses provisions, il pourra se les procurer, sinon meilleur marché. au moins aussi bon marché qu’en France.
La farine (bonne), à raison de 27 à 30 francs le baril de 89 kil;
Le pain (ordinaire), à raison de 0 fr. 90 à 1 franc le pain de 3 kil.;
Les pommes de terre, à raison de 4 à 5 francs l’hectolitre;
Les choux pommés (beaux) , à raison de 3 francs la douzaine;
Les choux ordinaires, à raison de 2 fr. 50 la douzaine;
Les choux-raves et navets, à raison de 4 à 5 frs l’hectolitre;
Les carottes, à raison de 7 à 8 frs l’hectolitre;
Les haricots et les pois, à raison de 0 fr. 50 le kilo;
Le riz, à raison de 0 fr. 50 le kilo;
Le beurre, à raison de 1 fr. 25 la livre;
Le saindoux, à raison de 1 fr. le kilo;
Le jambon de Bayonne, à raison de 2 francs le kilo;
Le jambon d’Amérique, à raison de 1 fr. 50 le kilo;
La viande (comprenant boeuf, mouton, veau) à raison de 1 fr. 20 le kilo;
Le gibier de mer, à vil prix;
Le poisson, à vil prix;
Le thé, à raison de 2 fr. 50 le kilo;
Le café, à raison de 1 fr. 50 le kilo;
Le sucre cassé, à raison de 0 fr. 70 le kilo;
Le sucre cassonade, à raison de 0 fr. 55 le kilo;
Le sucre semoule, à raison de 0 fr. 60 le kilo;
Le vin, à raison de 0 fr. 60 le litre;
L’eau-de-vie, à raison de 0 fr. 60 le litre;
Le lait, à raison de 0 fr. 10 le litre.
Le savon de Marseille, à raison de 0 fr. 50 le kilo.

Prix de la journée de travail dans la Colonie.

Peintre en bâtiment 6 et 9 francs par jour.
Un trieur 10 francs par jour.
Un saleur 10 francs par jour.
Un charpentier de
navire 7 à 9 francs par jour.
et quand le travail est
pressé 10 francs par jour.
Un menuisier 7 et 8 francs par jour.
Un ouvrier charpen-
tier de maison 6 francs par jour.
Un ouvrier maçon 6 à 9 francs par jour.
Un calfat 7 à 9 francs par jour.
Quand le travail
presse, de 12 à 15 fr. par jour.
Un manoeuvre quel-
conque, à partir de
16 ans), de 4 à 5 francs par jour.
Une femme (sur les
grèves) 3 francs par jour
Un enfant de 12 à
15 ans 2 à 3 francs par jour.

Les fondeurs, les forgerons, les ferblantiers, les horlogers, les cordonniers, les coiffeurs, les boulangers, les bouchers, les voiliers, les poulieurs, les tonneliers, les bouviers, etc., sont presque tous engagés à l’année, à salaires fixes, variant de 1.500 à 3.500 francs, sans nourriture, et beaucoup de 1.000 à 2.000 francs, logés et nourris.

N.B.

– Il est ici question de simples ouvriers, et non de maîtres-ouvriers.

Salaires des pêcheurs (bancs de Terre-Neuve).

– Nous prendrons comme exemple, la pêche de la goëlette locale Navarraise , patron Edouard Bourgeois, nous appartenant. Cette goëlette armée à huit doris et 21 hommes d’équipage a pêché, en 1899, trois mille trois cent soixante-dix-neuf (3.379) quintaux de morues vertes « loyales et marchandes », ce que l’on considère à Saint-Pierre comme une bonne pêche, quoique beaucoup de bateaux pêcheurs de la localité aient dépassé ce chiffre et même atteint plus de 4.000 quintaux.
Ce bateau armé le 10 avril 1899 a désarmé le 19 octobre suivant: ce qui constitue la campagne de pêche, dont la durée a donc été pour l’équipage de la Navarraise de six mois et neuf jours.
Voici le tableau des salaires acquis par chacun des hommes de l’équipage.
1° Patron de la goélette 5.451 50
2° Second 1.492 13
3° 1er maître 1.359 95
4° 2ème maître 1.273 20
5° Saleur 1.265 53
6° 1 patron de doris 1.228 80
7° 1  »  »  » 1.202 76
8° 1  »  »  » 1.210 40
9° 1  »  »  » 1.176 20
10° 1  »  »  » 1.042 25
11° 1 avant doris 1.158 80
12° 1  »  » 1.133 20
13° 1  »  » 1.109 95
14° 1  »  » 1.062 76
15° 1  »  » 1.050 40
16° 1  »  » 1.015 75
17° 1  »  » 1.002 25
18° 1  »  » .976 20
19° 1 Novice .789. 11
20° 1 Mousse .532 77
21° 1 Cuisinier (salaire fixe) .700. 00

Soit au total : 27.233 91

Les salaires des équipages des navires métropolitains sont à peu près les mêmes que ceux des marins locaux. Mais il existe une sensible différence entre les gages d’un capitaine pêcheur métropolitain et ceux d’un capitaine ou patron commandant une goëlette locale.
Le capitaine du navire métropolitain comme le patron de la goëlette locale est, en général, engagé à peur près aux mêmes conditions « Plus ils pêcheront de quintaux de morues, plus il gagneront. » Or, le capitaine métropolitain a, sous ses ordres, de 30 à 40 pêcheurs, tandis que le patron de la goëlette locale n’en a que 15 à 22. Il faut en conclure qu’en thèse générale, le capitaine d’un grand navire reçoit des émoluments bien plus élevés que ceux d’un bateau pêcheur de moindre importance : la goëlette locale.
En effet, les capitaines pêcheurs commandant les grands navires gagnent en moyenne huit à dix mille francs par campagne de pêche, parfois douze mille et même plus et quelquefois aussi de cinq à six mille francs, mais alors c’est la ruine pour l’armateur qui perd des sommes colossales : c’est que la pêche aura été mauvaise pour le navire.
La Situation Commerciale et Industrielle
Lettre de M. François Lebuf, négociant armateur, ancien président du Conseil Général des îles Saint-Pierre et Miquelon, délégué du Syndicat des armateurs, et pêcheurs de la colonie près des pouvoirs publics en France, à M. Louis Légasse, délégué élu des îles Saint-Pierre et Miquelon au Conseil supérieur des colonies :
Saint-John’s Newfoundland
8 septembre 1905

Je n’ai pu vous voir avant de partir, je l’ai bien regretté, car j’aurais voulu vous entretenir de la situation lamentable où est tombée notre colonie, tant au point de vue commercial qu’industriel, par suite :
1° des deux malheureuses campagnes de pêche qu’elle vient de subir et une troisième qui, je le crains, ne sera guère moins mauvaise ;
2° De l’augmentation des droits sur certaines marchandises – droits tellement élevés qu’on ne peut plus les importer que pour la consommation locale;
3° De l’idée encore plus malheureuse de l’Administration d’avoir augmenté inconsidérément les droits de port, croyant sans doute qu’en les triplant les recettes feraient de même, quand cela n’a produit qu’un effet contraire, celui d’empêcher les bâtiments étrangers de venir chez nous – et même des navires français, car des armateurs à la pêche des bancs de Terre-Neuve ont ordonné à leurs capitaines d’aller à Saint-Jean ou à Halifax. en cas de besoin de ravitaillement ou de réparations, au lieu d’aller à Saint-Pierre payer des droits de port excessifs – et comme on n’en paie nulle part ailleurs.
Le résultat de ces augmentations a été ce qu’on sera toujours .. « Plus on augmentera les droits moins on fera de recettes . » Le budget local a éprouvé un déficit considérable et le commerce de la colonie est complètement anéanti, nul. C’est la ruine à bref délai pour bien des personnes qui ont massé toute une vie de labeur et de privations à Saint-Pierre; c’est la misère noire en perspective pour tous les ouvriers.
Je viens de passer un mois à Saint-Pierre après quatre années d’absence. Je savais, par mes propres affaires, que le commerce avait bien diminué, mais je ne le croyais pas réduit au point où j’ai vu les choses. Il n’y a plus rien, ni affaires, ni crédit, puisque très souvent on se demande si tel client, naguère excellent, paiera le peu qu’on n’ose pas lui refuser.
Cette situation pourrait cependant être améliorée en supprimant entièrement les droits de port. Les navires banquais reprendraient tous la route de Saint-Pierre pour y avoir du capelan, en juin; de l’encornet, plus tard.
Les étrangers viendraient s’y ravitailler, s’y faire réparer – il en résulterait des transactions, des ventes de marchandises payant des droits, ce qui remplacerait et au delà les sommes qui figurent au budget comme droits de port – mais où il y aura encore déficit cette année puisqu’il ne vient plus de navires.
Si, comme je le pense, vous partagez mon opinion, veuillez user de toute votre influence pour que cette question soit résolue aussi prochainement que possible dans le sens indiqué ci-dessus, c’est le seul moyen de remédier à la situation de notre colonie, de la classe ouvrière, qui est absolument sans travail.
On m’a dit à Saint-Pierre qu’il était question de créer de nouveaux droits, sur quoi ? Il n’y a plus rien à imposer que la misère publique, le brouillard et la neige – et cela ne rapporterait pas plus que tous autres droits qui seraient créés maintenant. La colonie tout entière n’en peut plus payer, elle sombre fatalement sous leur poids trop lourd pour ses faibles ressources qui diminuent tous les jours.
Notre situation est celle d’un commerçant qui, voulant imposer un droit d’entrée dans ses magasins, verrait son commerce périr faute de clients. Notre administration a fait de même aussi ne peut-elle maintenant malgré l’augmentation des divers droits faire assez de recettes pour payer ses dépenses.
De sorte que notre colonie périclite, la population s’en va à l’étranger et ceux qui restent souffrent de besoin et cela ne fera qu’augmenter si on ne remédie pas sans retard à cette situation sans exemple à Saint-Pierre.
Veuillez, etc., etc.,
J. LEBUF

Visite du Gouverneur de Terre-Neuve a Saint-Pierre.
Saint-Pierre, 27 septembre
Au grand déjeuner offert le 24 septembre par M. Angoulvant aux corps élus, le gouverneur Mac Gregor, à l’heure des toasts, a longuement insisté sur son désir de rapprochement entre les deux colonies.
Il a promis d’employer toute son influence dans ce sens. Son discours a fait une profonde impression.
Le soir, le commodore Paget recevait à bord du Scylla , les deux gouverneurs et leur famille, le commandant de Kérillis et les commandants de la division navale française. Le commandant Paget a bu à la marine française, si brillamment représentée par le commandant de Kérillis; celui-ci a répondu qu’il garderait un inaltérable souvenir des rapports qui ont existé entre le commandant anglais et lui pendant deux campagnes à Terre-Neuve. Il a bu au commandant Paget et à la marine britannique.
Le gouverneur Angoulvant, s’associant à ces deux toasts, et réunissant dans une même pensée les marins des deux nations unies par les liens chaque jour plus étroits a levé son verre en l’honneur de la marine britannique et de la marine française.
Quand les deux gouverneurs ont quitté le Scylla, a minuit, ils ont assisté à un feu d’artifice tiré sur le Chasseloup-Laubat.
Le 25 septembre, le cortège officiel est parti du gouvernement à sept heures et demie, précédé par une garde d’honneur de gendarmes. Il a traversé la foule entre une haie de marins en armes, et sur le quai la musique municipale a joué le God save the King . Le gouverneur Angoulvant a accompagné ses hôtes jusqu’au Scylla où les trois commandants français sont allés également saluer le gouverneur Mac Gregor et sa famille.
Le départ du croiseur anglais a donné lieu à une grande manifestation de cordialité. Le temps était splendide, les équipages des bateaux français, rangés sur les pont des navires, poussaient des hourras; les marins anglais répondaient; les canons saluaient.
Le Chasseloup-Laubat hissa le signal : « Heureuse traversée, remerciements respectueux. »
Le Scylla répondit : « Reconnaissance si bon accueil. Merci. »
L’impression qui se dégage de ces trois jours de fêtes splendides est qu’un rapprochement dont les conséquences doivent être si heureuses pour les armateurs et pêcheurs des deux colonies, est en bonne voie de conclusion.
Les dernières paroles de M. Mac Gregor permettent de beaucoup espérer à ce sujet.

Document retapé par Roger ETCHEBERRY, Novembre 1997.

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