22 décembre, 2024

1991 – Entrevue avec Georges Farvacque

Monsieur Georges Farvacque

Georges Farvacque, comme la plupart des habitants de l’Archipel, n’a pas entendu l’appel du Général de Gaulle. A cette époque, l’information circulait mal et la station de TSF se bornait à diffuser des communiqués laconiques. Faute de courant électrique, on arrivait difficilement à capter les ondes courtes,
Quelques mois plus tard, grâce à radio Brazzaville, les Saint-Pierrais purent être correctement informés, sans aucune censure.

« C’est alors, explique M. Farvacque, que j’ai pris conscience de la grande tâche
entreprise par le Général et mes sentiments se sont tout de suite portés vers cette cause ».

Quelles étaient vos activités professionnelles en 1940 ?

Depuis le 1er août 1934, je faisais partie du personnel de l’imprimerie administrative. En 1940, j’aurais dû bénéficier d’une promotion. Mais, compte tenu des sentiments pro-vichystes du directeur et d’une grande partie des employés, je restais à l’écart des décisions prises.

Meniez-vous, dès cette époque, une action politique ?

Au cours de l’automne, un petit réseau a commencé à se former en faveur de la France Libre: la propagande se faisait sous le manteau; le Vice-Consul britannique, M. Bartlett, me faisait parvenir des informations que je diffusais parmi mes amis. La population étant peu nombreuse, on savait, on devinait les sentiments des uns et des autres.

L’entourage pro-vichyste du Gouverneur était composé de fonctionnaires, chefs de service, de quelques gros commerçants. Le clergé, dont Mgr Poisson, ne soutenait pas la cause du Général de Gaulle.

Le comité de l’association des anciens combattants avait refusé de s’ériger en Légion, comme le préconisait une ciculaire du gouvernement de Vichy, ce qui déclencha chez eux une prise de position favorable à la France Libre. Deux camarades, Armand Slaney et André Clément, tous deux disparus par la suite dans le torpillage de la corvette « Mimosa » confectionnaient des écussons en contreplaqué aux trois couleurs, frappés d’une Croix de Lorraine. Pour ma part, j’allais clandestinement le matin imprimer des bandeaux « Honneur Patrie – France Libre ». Ils étaient collés sur les écussons et mis en circulation.

Ces actions devaient créer un certain émoi dans la population et chez les officiels ?

On voyait de plus en plus de croix de Lorraine sur les murs des bâtiments administratifs. La tension entre le Gouverneur de Bournat et le comité des Combattants augmentait. Sur le plan économique et social, l’hiver 40 fut catastrophique, ce qui contribua à alourdir le climat de défiance à l’encontre du Gouverneur et de son aréopage de collaborateurs. Un premier volontaire partit clandestinement vers Terre-Neuve, à l’époque île britannique. Ce premier départ fut suivi de plusieurs autres.
Ces voyages se faisaient de nuit. La situation ne cesssait de se détériorer avec les autorités locales. La majorité de la population affichait ostensiblement des sentiments pro-gaullistes, les tracts étaient de plus en plus nombreux. Néanmoins, aucune mesure répressive n’était prise car l’Administrateur craignait une émeute qui aurait eu de graves conséquences. Le consul des Etats-Unis semblant respecter une neutralité bienveillante à l’égard de Vichy, informait son gouvernement sur la situation.

Le Canada surveillait de très près l’évolution des évènements. Il était prêt à intervenir notamment pour empêcher la station de TSF de diffuser des informations météo lesquelles, affirmait-on, étaient utiles aux sous-marins allemands qui croisaient, dans les parages.

Vous attendiez-vous à l’arrivée des Forces Françaises Libres dans l’Archipel ?

Non, c’est à la surprise générale que le 24 décembre 1941, l’Amiral Muselier se présenta avec sa flottille, à la grande satisfaction de la population. Ce fut la liesse générale. Ce fut un beau cadeau de Noël.

– Quelles furent les premières mesures prises par l’Amiral Muselier ?

La TSF fut occupée ainsi que les différents postes clefs. Le Gouverneur de Bournat fut consigné dans sa résidence. Un référendum fut organisé, qui donna un résultat de 98 % en faveur de la France Libre. Le recrutement des volontaires se fit dès le lendemain.

Plein d’enthousiasme, Georges Farvacque s’engage le 30 décembre. Quittant l’administration, il décline une proposition d’affectation spéciale. Il est d’abord envoyé à la caserne d’instruction et dans les postes de garde qui entourent l’île. Le 2 mars 1942, il embarque sur la corvette « Mimosa » à destination d’Halifax. Le 24 mars, il arrive à Greenock en Ecosse puis fait route vers Londres. Au centre d’accueil français, il est, avec d’autres volontaires de l’Archipel, présenté au Général de Gaulle. Ce fut un grand moment d’émotion quand le Général leur adressa quelques mots. Puis Georges Farvacque contracte un engagement dans les Forces Aériennes Françaises Libres.

Daltonisme. Il ne deviendra pas pilote. C’est donc très déçu qu’il rejoint, le 4 avril, le centre d’instruction militaire. Georges Farvacque est muté à l’escadrille « lle de France », comme aide mécanicien.

Quels souvenirs conservez-vous de cette époque ?

L’escadrille, commandée par Bernard Dupérier, était basée sur la côte sud de l’Angleterre, sur la route des bombardiers allemands se dirigeant vers Londres.
L’alerte était permanente. Les Spitfires décollaient les uns après les autres et les pilotes ne chômaient pas … René Mouchotte, commandant en second, enregistra la première victoire de l’escadrille. D’autres victoires suivirent mais aussi hélas, les premières pertes. Nous n’avions le temps ni de nous réjouir, ni de nous apitoyer tellement l’effervescence était grande.

Le 19 août 1942, ce fut le débarquement de Dieppe; debout toute la nuit, les avions succédant aux avions, nos pilotes rapportaient la progression des commandos. Puis ce fut le rembarquement et notre moral tomba. Un instant, nous y avions cru; bilan: plus d’une centaine d’appareils allemands abattus mais aussi quatre-vingt-quinze avions alliés dont deux de notre escadrille.

Vous avez changé de base ensuite ?

Oui. Après Dieppe, l’escadrille a fait mouvement sur Hornchurch, base moderne de la Royal Air Force où les conditions de travail et de confort étaient bien meilleures, puis nous avons été dirigés vers Biggin Hill, la base la plus célèbre de la R.A.F. pour les victoires. C’est à cette période que le Commandant Mouchotte a abattu le millième avion de cette base.

Le 5 novembre 1942, Georges Farvacque est muté à l’école des mécaniciens de la R.A.F. de Cosford près de Birmingham. Au programme : entraînement et cours technique en vue de la refonte en Angleterre du groupe de bombardement « Lorraine ». ll quitte l’école en mars 1943 avec la promotion 119 et la qualification A C 1 ce qui lui donne l’espoir de devenir mécanicien mitrailleur. Mais affecté à l’escadrille de Nancy, Georges Farvacque
constate que les avions, bimoteurs boston, n’ont que quatre membres d’équipage et celui auquel il est affecté est déjà complet.

Il peut participer aux vols d’essais et d’entraînement mais pas aux opérations de guerre. Les missions se succèdent aux missions tout au long des années 1943 et 1944. Bien des équipages manquent à l’appel. Les avions de l’escadrille à laquelle appartient Georges Farvacque opèrent depuis la côte Est de l’Angleterre dans le Norfolk. Dans le but de préparer le débarquement, l’escadrille se rapproche de la côte Sud, à West Maynham.

Quel a été votre rôle, lors du débarquement ?

Notre groupe était chargé de déployer un rideau de fumée devant les barges de débarquement. L’équipage du « Sergent Boissieux » fut abattu par le feu nourri venu de la côte. Les jours suivants furent consacrés à des opérations d’intrusion derrière les lignes allemandes; Dans la seule nuit du 4 août, quatre de nos appareils manquèrent à l’appel. Le 14 octobre, nous débarquons près de la frontière franco-belge et l’état-major décide de changer nos bombardiers fatigués par des appareils plus gros, mieux armés et comportant un membre d’équipage supplémentaire. C’est ainsi que je participe pour la première fois à un bombardement sur la Ruhr, pas d’avions ennemis dans le ciel, la Luftwaffe bien affaiblie; le seul danger, la D.C.A. La zone de bombardements s’était étendue au nord de l’Allemagne, notre rayon d’action nous a permis d’aller bombarder Lubeck au nord de Hambourg où se trouvaient les usines de fabrication d’essence synthétique.

Le 18 avril 1945, Georges Farvacque est cité à l’ordre de la brigade aérienne et se voit décerner la croix de guerre avec étoile de bronze. Le 8 mai 1945, il est basé à Gilze-Rygen, à la frontière allemande. Après la victoire, son escadrille reste en Hollande pour acccueillir les nouvelles recrues et les former techniquement. Le 1er septembre 1945, Georges Farvacque est dirigé sur la deuxième région aérienne à Paris. Il rentre à Saint-Pierre le 24 novembre 1945, il est rendu à la vie civile le lendemain.

Numéro spécial – ECHO DES CAPS – 1991 – Quelques témoignages
Documents reproduits avec l’autorisation de l’Echo des Cap en 1996. 

Grand Colombier

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