Avant propos
Après quarante ans de ce métier, je ne peux vous dire qu’une chose, c’est qu’on ne sait jamais rien du sort d’un livre”. C’est par cette remarque que le célèbre éditeur français Gaston Gallimard introduisit le jeune Robert Laffont dans la profession.
Publié à Paris en 1916, « Acadiens et Cadiens » est un des rares livres qui marqua le premier centenaire du retour définitif des îles Saint-Pierre et Miquelon à la France.
Soixante-cinq ans après sa parution, le livre semblait disparu de la circulation. En 1980, j’ai donc entrepris certaines recherches, à Paris à Saint-Pierre et Miquelon. Aux Archives, chez Renaudie, dans la famille. Point de traces.
Mais en 1985, Alain Lucas, petit-fils de l’auteur rentrait à Montréal avec une photocopie de l’original qu’il avait retrouvé en France chez son cousin Jean Gauvain, fils de Louis, lui-même fils de l’auteur.
L’idée d’une réédition du livre allait suivre cette rencontre et Alain Lucas et moi allions fonder les Editions du Saxifrage pour remettre au patrimoine saint-pierrais « Acadiens et Cadiens » et redonner au destin du livre l’étrangeté dont parle Gaston Gallimard. Avocat au Barreau de Paris, Daniel Gauvain est arrivé à Saint-Pierre en 1909 pour diriger le Contentieux d’une succursale de la Compagnie Générale de Grande Pêche.
Peu de temps après son mariage il quitte le Contentieux de la « Morue Française ». Avocat consultant, inventeur, polémiste, polyglotte, importateur, il s’intègre à la vie locale, qu’il observe et qu’il consigne sous forme d’éphémérides et qu’il publiera peu après « Acadiens et Cadiens » sous le titre «L’Almanach du Centenaire ».
S’inspirant d’un aphorisme national : « Ville attaquée par Vauban, ville prise ; ville défendue par Vauban, ville imprenable », il invente un billard, remarquable jeu d’adresse et d’éducation. Il le fait breveter à Paris en 1924 sous le nom de « billard Vauban ».
Soixante-dix ans après la publication de « Acadiens et Cadiens » le lecteur découvrira que la plupart des problèmes, que le livre met en évidence, demeurent parce qu’inhérents à la situation géographique de l’Archipel.
Mais l’intérêt contemporain du livre réside surtout dans la description documentée de l’isolement de la Colonie par rapport au gouvernement de Paris et qui devait être à cause du non respect de la parole donnée aux 150 chefs de famille venues en 1816 reconstituer les Etablissements dont il ne restait rien.
Trois causeries sont consacrées à cette promesse solennelle que JAMAIS la Métropole n’imposerait aux colons de 1816, ni à leurs descendants l’obligation du service militaire. Cette promesse les dispensant évidemment toute participation aux guerres européennes.
Depuis, les relations entre Saint-Pierre et Paris ont changé. Progressant et se bonifiant. D’établissements, nous sommes devenus colonie, territoire, département puis collectivité territoriale. Chaque changement de statut a élargi notre participation à l’administration de nos îles. La progression avait commencé vers 1950 avec l’élection de Henri Claireaux et de Pierre Gervain pour nous représenter à Paris. Elle s’est bonifiée à l’extrême, vers 1970, avec l’élection de leur successeur Albert Pen.
Daniel Gauvain aura donc été une sorte de visionnaire et un premier trait d’union entre l’esprit français et l’esprit saint-pierrais.
J’avais dix ans quand il est mort. J’ai gardé le souvenir d’un oncle original qui passait de longues heures dans sa cave à Saint-Michel, toujours à la recherche d’une loi plus juste. Il fut le premier homme à m’avoir donné le goût des livres et des vérités qu’ils contiennent.
Montréal, le 26 mai 1986 Robert G. Girardin.
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