GÉOLOGIE DES ÎLES SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON par Jacques Nougier
La géologie des îles Saint-Pierre-et-Miquelon doit être examinée dans un contexte régional beaucoup plus vaste dans lequel elle s’inscrit. Ce vaste ensemble comprend non seulement la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, mais s’intègre à la ceinture orogénique appalachienne qui prend en écharpe le Sud-Est du bouclier canadien et la plate-forme nord-américaine.
La chaîne appalachienne est née il y a environ 580 millions d’années (Précambrien terminal ) et a évoluée jusqu’il y a 250 millions d’années ( Paléozoïque supérieur ). Elle provient d’une compression et plissement du plancher d’un océan Atlantique primitif sous l’effet des poussées des masses continentales calédoniennes à l’Ouest et nord-américaines à l’Est ( phénomène d’obduction ). La chaîne ainsi crée, d’orientation arquée SW-NE, a emprunté ses matériaux tant au plancher océanique qu’aux marges continentales sur lesquelles elle s’est appuyée.
C’est ainsi que l’on peut identifier huit zones : les trois externes ont évoluées sur le socle continental nord-américain, les trois suivantes représentent des fragments de la vieille croûte océanique, tandis que les deux zones orientales dites de Gander et d’Avalon ont valeur de suture et sont par conséquent complexes. Les îles Saint-Pierre-et-Miquelon font partie de la zone d’Avalon.
Carte d’après Aubert de la Rüe (1951) et O’Brien et al (1977) et ajouts.
1 : basaltes, gabbros
2 : rhyolites, tufs, ignimbrites et pyroclastites rhyolitiques
3 : phyllades grises à vertes
4 : quartzites
5 : shistes noirs
6 : shistes et grès
7 : granites de St-Lawrence et du Cap
8 : rhyolites de Burin
9 : dépôts glaciaires, moraines et tourbières
10 : phase orogénique acadienne / calédonienne
Diagramme de la fracturation globale de la Péninsule de Burin
Diagramme de la fracturation des îles Saint-Pierre et Miquelon
La formation de la zone d’Avalon s’est jouée très tôt, au début de la constitution de la chaîne. Sur un socle de gneiss et de granites, se sont mis en place des épanchements volcaniques sub-aériens (coulées basaltiques, dômes rhyolitiques, nuées ignimbritiques et pyroclastites). Ces dépôts ont été recouverts par des sédiments marins (boues, argiles, conglomérats) que le métamorphisme a ultérieurement transformé en schistes et tillites. Enfin, une dernière récurrence sédimentaire (à tendance continentale cette fois) et volcanique a déposé des conglomérats, arkoses, grès rouges interstratifiés avec des coulées basaltiques. L’orogenèse achevée, suite à des réajustements tectoniques ayant produit localement d’étroits fossés d’effondrement (grabens), l’océan est revenu s’installer au Cambrien (550 à 500 millions d’années) pour déposer des sédiments argileux riches des premiers Invertébrés marins connus (Trilobites). Enfin, au cours des phases terminales de l’orogenèse appalachienne datées entre 430 et 380 millions d’années (soit le Silurien-Dévonien) se sont produites des injections de magmas refroidis en profondeur ayant donné naissance à des massifs de granites et diorites aujourd’hui dégagés par l’érosion.. C’est à cette époque que les pressions exercées sur les matériaux sédimentaires provoquent métamorphisme et déformations tectoniques (phase acadienne).
Toute cette longue et complexe histoire géologique, qui a couru sur plus de 200 millions d’années est inscrite dans la structure des îles Saint-Pierre-et-Miquelon, elle-même très semblable à celle de la péninsule Burin à Terre-Neuve.
Pour simplifier à l’extrême; la presqu’île du Cap et Langlade sont constituées de formations métamorphiques alors que les îles de Miquelon et de Saint-Pierre sont de nature volcanique.
Un examen un peu plus détaillé des formations, permettra de situer celles-ci dans le contexte structural général qui a été décrit :
1) La presqu’île du Cap est constituées de matériaux d’origine sédimentaire (argiles, sables) fortement métamorphisés et tectonisés (aujourd’hui schistes lustrés et quartzites noirs). L’ensemble a été traversé par des montées plutoniques (granite du Cap Blanc, diorites de la pointe nord-est, injections de filons « aplitiques » dans les falaises). Ces formations appelées par E. Aubert de la Rüe « gneiss et migmatites du Cap » et évaluées au Précambrien pourraient donc être ré-évaluées. Comme pour les formations équivalentes de la péninsule Burin et celles de Langlade, elles pourraient être « rajeunies » et attribuées au Cambrien.
2) L’île de Langlade est d’observation délicate car masquée par le couvert des moraines quaternaires. Les seuls affleurements satisfaisants sont visibles sur le littoral ainsi qu’une bande de quartzites orientée NE-SW qui se lit bien dans le paysage.
On distingue des formations d’origine sédimentaire qui ont donné par métamorphisme des quartzites, des phyllades rouges et vertes, des schistes noirs, des grès rouges. Ces matériaux ont été plissés en synclinaux/anticlinaux dissymétriques, localement faillés, bien visibles selon leur section entre pointe Plate et pointe de l’Ouest. Ailleurs, ces formations se manifestent sous forme de larges bandes d’orientation NE-SW.
Certains sites méritent une attention particulière :
Au nord-est de l’île, entre l’anse à la Gazelle et l’anse du Gouvernement on observe :
– des phyllades rouges et vertes surmontées en concordance par un épais niveau de quartzites (anse à Ross et cap Percé)
– des schistes noirs à Trilobites (Paradoxides) encadrés par contacts faillés avec les quartzites du Cap à l’Est et avec des grès arkosiques à l’Ouest
– des bancs de grès rouge à stratification grossièrement entrecroisée et intersatratifiés avec des coulées de basaltes d’épaisseur métrique
Sur le littoral occidental, entre le Petit Barachois et cap Sauveur : ces mêmes grès rouges jouxtent les phyllades de Pointe Plate. Selon les observations des géologues de Terre-Neuve effectuées sur la péninsule Burin, ces grès constitueraient la base de la série et non le sommet, ainsi que l’avait suggéré E. Aubert de la Rüe. Mais rien n’exclut l’existence de plusieures séries complexes présentant des niveaux lithologiques comparables.
– les rares formations volcaniques sont circonscrites à des basaltes interstratifiés (anse du Gouvernement, voir ci-dessus), à des panneaux très broyés et minéralisés (cap Corbeau) et à des rhyolites fluidales mauves probablement intrusives au sommet de la Tête Pelée et à l’anse Corbeau.
3) l’île de Saint-Pierre est constituée dans sa quasi-totalité par des roches volcaniques de type rhyolitique (teneur en silice de l’ordre de 70 à 75 %), ce qui est très exceptionnel dans le volcanisme, représenté essentiellement par des basaltes (teneur en silice entre 40 et 45 %). Ces matériaux proviennent très vraisemblablement de la fusion partielle de la croûte continentale sous-jacente à l’Archipel formée de granites (teneur en silice équivalente).
Le mode d’émission de ce volcanisme est lui aussi très spécifique : extrusions de grosses intumescences bourgeonnantes de lave p’teuse (température d’émission de l’ordre de 900° C) produisant des dômes, cumulo-dômes et coulées courtes et épaisses. Des émissions violentes (dégazage, déflagrationsð) sont associées à ces extrusions provoquant des projections de matériaux arrachés au substratum et des cendres. Une fois retombés, ces produits refroidis, compactés, soudés entre-eux, indurés vont donner naissance à des brêches pyroclastites, des ignimbrites et tufs soudés.
Les rhyolites massives et porphyriques, de teinte rouge sont bien reconnaissables au Cap Rouge, sur la rive Nord de l’étang de la Vigie ou à la carrière, route du Savoyard. Là, elles présentent une magnifique coloration mauve due à la présence de piémontite (épidote caractéristique de laves ayant subi un léger métamorphisme).
D’autres rhyolites ont un faciès fin et sont de teinte blanche comme celles du cap Blanc ou de l’île du Colombier (une faille a concentré de l’hématite ou oxyde de fer). Elles acquièrent même une belle fluidalité au cap Gordon (l’île aux Marins) ou à l’île aux Vainqueurs (pendage 40° Sud).
Les produits pyroclastiques sont très variés. On reconnaîtra des brêches très dures à matrice verd’tre (appelées clown-rocks dans la péninsule Burin) à la pointe du Diamant, au Sud de l’étang du Savoyard, à la pointe à HenryðD’autres, sont des tufs indurés d’une grande extension puisqu’on les observe sur tout le littoral sud-est de l’île. Un faciès remarquable est celui rencontré à proximité de l’ancien phare de Galentry qui présente des fiames vert-clair épidotisées confirmant son origine ignimbritique (magma « frais » : 91 % ; xénolithes : 9%). Des tufs soudés et grossièrement stratifiés sont visibles entre le Frigorifiques et le cap Rouge et recouverts par la coulée rhyolitique massive de ce promontoire.
Quelques rares affleurements de lave basaltique sont également à signaler, essentiellement des dykes de dolérites. D’épaisseur variable, de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, ils sont dégagés par l’érosion le long du littoral (pointe du Savoyard). Au nord-est de l’étang de la Vigie existe un gros dyke et la Verrue, cartographiée par E. Aubert de la Rüe comme un culot volcanique possible serait un autre dyke passant localement à un sill.
4) L’île de Miquelon est également essentiellement volcanique et l’on y retrouve les formations décrites à Saint-Pierre :
– brêches pyroclastiques de type Galentry ( à l’étang du Chapeau)
– rhyolite massive porphyrique rouge qui semble constituer la majeur partie montagneuse de l’île et observable au Chapeau de Miquelon, au soubassement de l’antenne de la pointe à la Jument etc..
– filons doléritiques peut-être moins développés qu’à Saint-Pierre, mais les moraines et les étangs masquent l’observation.
Parmi les formations non identifiées à saint-Pierre on peut citer :
– des basaltes parfois brêchiques (pointes de Belliveau, anse de la Carcasse) qui suggèrent un épisode nouveau de volcanisme aérien.
– le long de la côte du Grand Etang, et au Sud de l’anse de Miquelon, des basaltes très tectonisés sont recoupés par des injections de roches grenues (granites et diorites) ainsi que par des rhyolites. Ceci laisse supposer qu’il y a eu au moins un épisode de volcanisme rhyolitique postérieur aux épanchements basaltiques.
5) La marge continentale (zone économique exclusive « 3PS » de Saint-Pierre-et-Miquelon )
Une large plate-forme prolonge les structures géologiques de Terre-Neuve qui sont recouvertes d’une mince couverture sédimentaire formés de dépôts d »ge Crétacé et Tertiaire.
En bordure occidentale de la plate-forme le glacier du Saint-Laurent a creusé un chenal profond qui a déversé sur le talus continental (entre 200 et 4.000 mètres de profondeur d’eau sur une largeur de 150 à 200 kilomètres) des dépôts arrachés au bouclier canadien sur une épaisseur énorme (plus de 15.000 mètres). Les séismes étant absents de la zone, elle est qualifiée de grasse et passive.
Un forage en mer de la plate-forme de Saint-Pierre-et-Miquelon montre des variations considérables d’épaisseur des matériaux en raison de la tectonique (grabens et horsts, subsidence). On identifie :
– le socle formé de dépôts plissés lors de l’orogenèse hercynienne (Dévonien supérieur à Carbonifère supérieur soit de 360 à 300 millions d’années)
– des dépôts triasiques à 250 à 220 millions d’années- très épais (3 à 4 kilomètres) d’origine continentale, fluviatile et lacustre passant latéralement à une puissante couche d’évaporites (sel), témoin d’une subsidence active de lagunes périodiquement envahies par la mer. Ce sel va former des dômes-diapirs importants.
– Des épanchements basaltiques aériens et sous-aquatiques vont marquer au Jurassique à il y a 200 millions d’années- une accélération de la distension entre l’Amérique du Nord et l’Afrique du Nord. A partir du Jurassique moyen, (160 millions d’années) l’Atlantique ne va pas cesser de s’ouvrir avec des dépôts sédimentaires qui vont s’échelonner du Crétacé au Cénozoïque (130 à 50 millions d’années). Le déferlement des eaux froides arctiques sur la plate-forme et la marge vont déblayer les sédiments, sur-creuser les vallées sous-marines et étaler l’ensemble des sédiments, ce qui rend compte de la rareté des dépôts éocènes (50 à 30 millions d’années) et l’absence de produits oligocènes(30 à 20 millions d’années).
Les diapirs de sel triasique étant des pièges potentiels à hydrocarbures, de nombreux profils sismiques ont été effectués sur zone (plate-forme « Concordia » canadienne dans le Sud du Banc de Terre-Neuve). *
Une étude du rhegmatisme de l’Archipel peut apporter des informations complémentaires, bien que ce travail reste encore inachevé. Le rhegmatisme fait l’inventaire et l’analyse toutes les « signatures » visibles notamment sur photographies aériennes. Cela comprend aussi bien les filons et fractures mineures que peut dégager l’érosion différentielle (voir le filon du Savoyard) que les grandes failles et fractures à l’échelle kilométrique empruntées par le réseau hydrographique (tracé en baïonnette de la Belle Rivière et de ses affluents), traduction des grandes unités structurales et lithologiques sous-jacentes.
L’ensemble de ces « signatures » identifiées sur les photographies aériennes, a été reporté sur la carte ci-jointe. On constate l’importance des « directions acadiennes » NE-SW qui confirment l’appartenance de Saint-Pierre-et-Miquelon à cette phase de l’orogenèse appalachienne du Nord-Est américain ( voir début de cet article).Il lui est associé une direction perpendiculaire mineure NW-SE. Elles impriment leur style et induisent la morphologie à tout l’Archipel.
A ce réseau primordial, se superpose un réseau secondaire d’orientation Est-Ouest qui pourrait être relié aux filons doléritiques, donc conséquence d’une récurrence magmatique basique, liée à un réajustement tectono-magmatique post-acadien. Mais dans ce domaine beaucoup de travail reste encore à être poursuivið
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE :
AUBERT de la RÜE E. (1951) Recherches géologiques et minières aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, ORSTOM,75 p.
MacLEAN B.C. et WADE J.A. (1992) Petroleum geology of the continental margin south of the Islands of Saint-Pierre-et-Miquelon, offshore Eastern Canada. Bull. Canadian Petroleum Geology, Calgary 40, pp. 222-253.
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