Depuis quelques mois, chasseurs et naturalistes s’opposent sur un projet de réserve naturelle autour de ce grand îlot escarpé. Si le Grand Colombier est aujourd’hui un véritable sanctuaire avec son propre écosystème ainsi qu’un lieu de grande liberté, qu’en est-il de son histoire ?
De fait, le nom Colombier est l’un des plus anciens de l’archipel, plus vieux que ce que nous savons du nom même de Miquelon ! « Et du cap de Ratz jusques aux isles de sainct Pierre y a quarente lieues. Et si vous voullez aller par le destroict des Bretons, passerez a bort du Coulombier, de quelque couste que vous vouldrez. Ce Colombier est vng islet, et est dict Colombier parce qu’il y a forces oyseaulx. Passerez entre les isles sainct Pierre et la terre des Dunes ». Ce texte est signé Jean Alfonse.
Natif de Saintonge, Alfonse fut l’un des premiers explorateurs français de l’Amérique et c’est en 1544, alors qu’il était accompagné de pêcheurs basques, qu’il explora Terre-Neuve et le Saint-Laurent.
Moins de trente-cinq ans plus tard, en 1579, c’est le capitaine basque Martin de Hoyarçabal qui est venu faire l’inventaire toponymique de l’archipel. Il y fait mention du « Colombiere de S.Pierre. » Ce même texte, traduit en basque labourdin par Pierre Detcheverry en 1677 décrit les distances entre divers points et Sen Pieretaco Colunbia ou le Colombier de Saint-Pierre.
En 1676, un an avant la publication du routier basque par Pierre Detcheverry, c’est le lieutenant de Courcelle qui décrit sommairement mais justement cet îlot : « Lille du coulombier se nomme aynsy par ce quilia vne se grande cantité de certins oyseaux marins que lon nomme des carcaillau. Ellest percé depuis le bas jusque à la sime de trous où yl font leur nis, yl ne valent rien à manger. »
En 1721, la carte de Saint-Peters de William Taverner indique sommairement la présence de Columba Island.
Le grand capitaine et cartographe britannique, James Cook, fit des relevés cartographique sur le Grand et le Petit Colombier qu’il nomma Island of Columbo et Little Columbo. Mais c’est au cartographe Jacques Nicolas Bellin de Trigand et son ingénieur Fortin que revient l’honneur d’avoir inscrit pour la première fois la toponymie actuelle du Grand et du Petit Colombier et ce en 1764.
Présent sur toutes les cartes particulières de Saint-Pierre ou de l’archipel, nous retrouvons donc le Grand et le Petit Colombier sur toutes les cartes, y compris celle du Chevalier de Kervegan, datée 1784.
Au-delà de la cartographie, le Grand Colombier a sa place dans la littérature française, tout particulièrement sous la plume du grand romantique français, François René de Chateaubriand.
C’est dans le Génie du Christianisme que quelques lignes sont consacrées à la République du Colombier : « Les oiseaux de mer ont des lieux de rendez-vous, où ils semblent délibérer en commun des affaires de leur république: c’est ordinairement un écueil au milieu des flots. Nous allions souvent nous asseoir, dans l’île de Saint-Pierre , sur la côte opposée à une petite île que les habitant ont appelée le Colombier, parce qu’elle en a la forme, et qu’on y vient chercher des oeufs aux printemps.
La multitude des oiseaux rassemblés sur ce rocher était si grande, que souvent nous distinguions leurs cris pendant le mugissement des tempêtes. Ces oiseaux avaient des voix extraordinaires, comme celles qui sortaient des mers; si l’Océan a sa Flore, il a aussi sa Philomèle: lorsqu’au coucher du soleil le courlis siffle sur la pointe d’un rocher, et que le bruit sourd des vagues l’accompagne, c’est une des harmonies les plus plaintives qu’un puisse entendre; jamais l’épouse de Céyx n’a rempli de tant de douleurs les rivages témoins de ses infortunes.
Une parfaite intelligence régnait dans la république du Colombier. Aussitôt qu’un citoyen était né, sa mère le précipitait dans les vagues, comme ces peuples barbares qui plongeaient leurs enfants dans les fleuves pour les endurcir contre les fatigues de la vie. Des courriers partaient sans cesse de cette Tyr avec des gardes nombreuses qui, par ordre de la Providence, se dispersaient sur les mers pour secourir les vaisseaux. Les uns se placent à quarante ou cinquante lieues d’une terre inconnue, et deviennent un indice certain pour le pilote qui les découvre flottants sur l’onde comme les bouées d’une ancre; d’autres se cantonnent sur un récif, et, sentinelles vigilantes, élèvent pendant la nuit une voix lugubre, pour écarter les navigateurs; d’autres encore par la blancheur de leur plumage, sont de véritables phares sur la noirceur des rochers. Nous présumons que c’est pour la même raison que la bonté de Dieu a rendu l’écume des flots phosphorique, et toujours plus éclatante parmi les brisants en raison de la violence de la tempête: beaucoup de vaisseaux périraient dans les ténèbres sans ces fanaux miraculeux allumés par la Providence sur les écueils. »
Au 20e siècle, point de littérature, c’est la science qui se penchera sur la géologie même du rocher. Pendant quelques décennies, le Grand Colombier fut examiné par le géologue suisse, Edgar Aubert de la Rüe. C’est par ses écrits que nous nous souvenons des recherches minières qui furent entreprises par le gouverneur Gilbert de Bournat avant l’arrivée des FNFL en 1942. Voici quelques paragraphes intéressants tirées du livret bien connu de 1951 : Recherches Géologiques et Minières.
« Le Colombier. – A l’écart des îlots précédents, plus escarpé et élevé également, le Grand Colombier se dresse à peu de distance de la côte nord de Saint-Pierre. En forme de coupole et de contour elliptique, le Colombier mesure 1.400 de long sur 600 de large et atteint 160 m. de haut. Sa partie orientale, moins élevée, dessine une profonde échancrure : l’anse du Sud-Est. A 150 mètres au Nord du Colombier émerge un îlot minuscule qui reproduit assez fidèlement sa forme en miniature, aussi porte-t-il le nom de Petit Colombier. »
« Gisements d’hématite du Colombier. – J’ai pu reconnaître en 1932, dans toute la partie orientale, moins élevée du Grand Colombier, des affleurements d’hématite rouge qui sont de beaucoup les plus importants du territoire. La rareté de la végétation les rend bien visibles en plusieurs points. »
« L’extension de la zone minéralisée et la présence de parties riches incitèrent l’Administration du Territoire à faire entreprendre, en 1941, un certain nombre de sondages pour savoir s’il n’existait pas en profondeur un amas de minerai suffisamment important pour être exploitable. Des anomalies magnétiques signalées à diverses reprises par des navigateurs dans les parages du Colombier, pouvaient justifier cette façon de voir. Dans une telle éventualité on aurait pu envisager de l’exploiter sous le niveau de la mer en partant de la pointe à Henry, sur l’île Saint-Pierre, où la configuration régulière du terrain rendait la chose plus facile 20. Seuls deux forages, entrepris sur le Colombier (Pl. XIV, fig. 3.), purent être réalisés en raison des évènements politiques qui survinrent dans le territoire en fin 1941. Le plus profond dut être arrêté vers la cote –70. Ces sondages, trop tôt abandonnés pour être concluants, ne rencontrèrent pas d’enrichissement notable de la minéralisation en profondeur, mais ils révélèrent l’existence d’imprégnations pyriteuses assez abondantes à certains niveaux. Si la recherche du fer devait être reprise, il semble qu’une prospection géophysique serait susceptible de fournir d’utiles renseignements. »
Depuis la publication de ces textes, quelques prospections très sommaires ont été effectuées dans les années 90. Si l’îlot du Grand Colombier est d’intérêt géologique certain, il ne sera sans doute jamais un lieu d’exploitation minière. Son avenir est maintenant entre les mains des habitants de Saint-Pierre et Miquelon.
Une réflexion sur « L’histoire du Grand Colombier »