Les Normands aux « Terres Neuves »
Personne, à vrai dire, ne s’est penché de manière systématique sur l’histoire des Normands aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Qu’en est-il de la dernière pièce de l’incontournable triptyque maintes fois répété aux îles : Basque-Breton-Normand ? Existe-t-il une identité normande particulière ? Quel fut l’apport de cette région, quelle fut son influence dans l’histoire de l’archipel ?
Nul ne peut le nier, les Normands furent parmi les premiers à explorer les riches eaux des bancs de Terre-Neuve, au même titre que les Bretons, les Basques ou les Anglais de Bristol. S’il est établi que Thomas Aubert et Jean Denis de Honfleur ont effectué des expéditions documentées à Terre-Neuve, nous n’en savons rien d’un hypothétique passage à Saint-Pierre ni à Miquelon, les îles étant généralement associées à cette époque aux « Terres Neuves ».
Les cartographes normands et Saint-Pierre-et-Miquelon
L’archipel est néanmoins répertorié sur les cartes de l’école de cartographie dieppoise avec de curieux patronymes empruntés à la cartographie portugaise et espagnole : l’Ille Verte et Onze mille vierges sont répertoriés par cette école en 1542 et 1546. Ce n’est qu’en 1555-56 que les cartographes normands répertorient le patronyme de l’Isle St Pierre, patronyme sans doute d’origine bretonne ou malouine. Au-delà de la cartographie, nous savons que de nombreuses fortunes normandes ont été joué un rôle primordial dans les montages financiers dits « à la grosse aventure », pour les campagnes de pêche aux « Terres Neuves ».
Les Normands à l’île de Saint-Pierre
Lors des premiers établissements sédentaires de Saint-Pierre, vers la fin du XVIIe siècle, nous savons que les Granvillais, spécialisés dans la pêche sédentaire, sont présents aux îles, alors sous la juridiction de la colonie française de Plaisance. On trouve à St Pierre des capitaines normands, tels Ganne de Granville, Parisis de Neubourg, Dutoy de Neubourg, ainsi que des cartographes et militaires comme Le Major, Jacques L’Hermite. De plus, nous savons qu’un commandant, nommé par le roi en 1702, Sébastien Le Gonard de Sourdeval, est un gentilhomme normand.
Les aléas du XVIIIe siècle, avec ses cessions, déportations, vagues de réfugiés acadiens, ont occulté la présence éventuelle de pêcheurs normands dans l’archipel ou de tout autre contrée à vrai dire, un véritable travail historique reste à mener.
Il faudra attendre le XIXe siècle, bien après de la rétrocession définitive des îles à la France pour que nous puissions documenter les origines régionales des habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les Normands à l’île aux Chiens
Si des familles normandes se sont installées à Saint-Pierre, force est de constater qu’ils ont formé l’immense majorité du peuplement de l’île aux Chiens, renommée l’île aux Marins en 1931. Ces iliens, communément appelés les Pieds Rouges, sont essentiellement originaires de Granville, Genêts, Avranches et contrées avoisinantes.
Parmi les témoignages écrits que l’on peut recenser, il y a celui de l’écrivain canadien, Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice. Il écrivit ceci en 1888 dans son ouvrage En route: sept jours dans les provinces maritimes :
« L’île aux Chiens est habitée par une race singulière descendant de l’ancienne race normande, gens positifs calculateurs, raisonneurs qui ont gardé la simplicité de mœurs de leurs ancêtres. Les femmes s’habillent comme les femmes de la Normandie et portent le petit bonnet blanc traditionnel. Les hommes ont gardé quelque chose du caractère des anciens Normands, ces rois de la mer, qui ont conquis le nord de la France et l’Angleterre. Ils sont d’intrépides marins et font la chasse au gibier de mer au milieu de l’hiver. Grâce à leur économie et à leur amour du travail ils ramassent tous au bout de quelques années une jolie fortune, et retournent tranquillement finir leurs jours en Normandie. »
Deux autres écrivains, Fernand Hue et Georges Haurigot, avaient écrit l’année précédente, dans un ouvrage sur les colonies, quelques mots sur les Normands aux îles : « Les trois races qui formèrent la population primitive des îles ont produit, en se mélangeant, un type qui ne présente aucune originalité, mais chez lequel on retrouve, avec un langage émaillé de vieux français, de mots bretons et d’expressions normandes les coutumes de ces contrées. Leurs noms mêmes sont ceux que portent les vieilles familles du pays dont ils sont partis ; nous avons noté, comme les plus connus de nous, des noms fort communs en Normandie : des Aubert, des Coste, etc. »
Ces quelques textes, tous de la fin du XIXe siècle, semblent indiquer que certains Normands n’étaient présents aux îles, que pour constituer un pécule avant de retourner dans leur région d’origine. Le témoignage de Hue et Haurigot quant à lui, recense l’existence d’expressions normandes dans le parler local.
L’influence normande sur la langue parlée aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon
Ce constat linguistique est repris plusieurs générations plus tard par le géographe et géologue Edgar Aubert de la Rüe : « A ma connaissance, cependant, aucun vocable appartenant à la langue basque ne peut être décelé dans le parler saint-pierrais. Celui-ci comporte, par contre, une assez forte proportion de vocables marins d’un usage répandu en Bretagne et en Normandie. »
Aubert de la Rüe recense quelques expressions depuis disparues : « Quant au tour de phrase : j’ai mal ès mains pour j’ai mal aux mains, il tend à disparaître. On l’entendait surtout autrefois à l’île aux Marins, habitée par des « Pieds-Rouges », descendants de Normands, aujourd’hui repliés pour la plupart à Saint-Pierre. ».
De plus, l’accent Saint-Pierrais dans son ensemble, est selon ses observations, fortement teintée par les usages normands : « La prononciation de certaines voyelles et diphtongues diffère quelque peu de celle qui est normalement en usage, comme cela s’observe en Normandie. Le oi se dit oué dans la dernière syllabe sonore des mots : vouèr au lieu de voir. La voyelle a se change parfois en è : homèrd au lieu de homard, rère pour rare. Le è devient é dans pére, mére, frére, etc. Le eu de beurre, heure, malheur et autres mots semblables se dit à la façon du eu de jeu ou de peu. La voyelle o prend, dans la plupart des cas, le son qu’elle a dans des mots tels que rose ou pose. On notera, d’autre part, qu’une oreille saint-pierraise ne fait guère de différence entre les deux sons an et on, que beaucoup de gens prononcent de la même façon. On ne note ainsi aucune différence entre la façon de prononcer blanc et blond. »
Personnalités normandes, originaires de Saint-Pierre-et-Miquelon
Émile Riotteau [1837 – 1927] – ancien sénateur de la Manche, armateur de métier, ancien juge et maire de Granville, Émile Riotteau est né aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon en 1837. « Emile Riotteau s’intéressa surtout aux questions budgétaires – il est rapporteur du budget de l’Agriculture pour l’année 1896 – et plus encore aux courses de chevaux, qui ont été sa grande préoccupation durant les quatre dernières législatures de son mandat de député. Il suivit aussi, mais à un moindre degré cependant, la politique coloniale. [Au Sénat il] s’inscrivit au groupe de l’union républicaine et fut élu vice-président de la commission de la marine. En cette qualité, il devait rapporter divers textes de lois sur la caisse des invalides de la marine, les navires mixtes maritimes et fluviaux, la caisse de prévoyance des marins, etc… Il défendit aussi comme il l’avait fait à la Chambre le Mont-Saint-Michel qu’il jugeait menacé par les projets des ingénieurs. » – Source : senat.fr
Député de la Manche de 1876 à 1877, de 1878 à 1885 et de 1887 à 1906.
Sénateur de la Manche de 1906 à 1927.
Origines des Normands de Saint-Pierre-et-Miquelon
Une lecture attentive de l’état civil de la feuille officielle ou le journal officiel de Saint-Pierre-et-Miquelon entre 1883 et 1908 permet de recenser quelques villes d’origines des décès recensés.
Il est assez courant de lire des notices nécrologiques pour des habitants nés à Avranches, Vains, le Havre, Saint-Jean-le-Thomas, La Lucerne-d’Outremer, Saint-Senier, Rouen, Saint-Jean de Daye, Bacilly, mais grande la majorité des notices concernent les Saint-Pierrais d’origine normande, concernent Granville, Saint-Nicolas, Saint-Michel des Loups et Genêst.
Mes Levêque (marins) viennent d’Equilly (15km à lEst de Granville) et de Vains. Du côté de ma mère Goupillières (maçon) c’est Yffiniac (St Brieuc).